• L’histoire en elle-même est presque digne d’un film américain. Après l’échec de l’an dernier marqué par l’abandon du plan massif d’investissements promu par Joe Biden, Build Back Better (BBB), les espoirs des Américains de voir un jour des fonds suffisants être alloués pour atteindre leurs objectifs climatiques s’étaient presque évanouis. Certaines personnalités occupant des rôles-clefs dans la transition énergétique américaine, comme le directeur du ZERO Lab de Princeton, Jesse Jenkins, ont même rompu avec leur ligné éditoriale traditionnelle pour publier des messages très personnels sur leurs comptes Twitter.
  • Pour comprendre cet engouement, il faut se pencher sur le contenu de ce paquet dit « anti-inflation » — terme critiqué par la plupart des élus républicain, qui considèrent que les dépenses en investissements ne feront que contribuer à l’inflation, qui s’élevait à 9,1 % en juin. Après presque 20 heures de débats animés au Sénat, les élus démocrates ont finalement réussi à faire adopter l’« Inflation Reduction Act of 2022 », auquel tous les élus républicains se sont opposés, résultant en un vote de 50 voix contre 50 qui a nécessité la voix décisive de la vice-présidente Kamala Harris.
  • Ce vote historique est le fruit d’un accord trouvé entre le leader de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, et l’élu démocrate de Virginie occidentale, Joe Manchin, le 27 juillet dernier, presque 100 jours avant la tenue des midterms de novembre1. Manchin s’était fermement opposé à BBB en décembre dernier — allant même jusqu’à laisser penser que sa ligne politique pourrait le conduire à rejoindre le Parti républicain —, justifiant son opposition par la dépendance à d’autres puissances que cette loi occasionnerait, en abandonnant complètement les énergies fossiles pour se diriger vers des énergies uniquement renouvelables. Il pointait également du doigt la dette qu’elle ferait peser sur ses électeurs de Virginie occidentale2.
  • Toutefois, le principal problème de cette loi pour Manchin — qui reposait presque entièrement sur son approbation, aux côtés de l’élue d’Arizona Kyrsten Sinema — était le tournant, jugé trop brutal, pour se débarrasser des énergies fossiles. Il faut dire que l’élu de Virginie occidentale a fondé plusieurs entreprises d’extraction et de vente de charbon, aujourd’hui dirigées par son fils, avant d’entamer sa carrière politique, et qu’il reçoit toujours d’importantes donations de la part de l’industrie du charbon, du pétrole et du gaz. Selon le site OpenSecrets, qui réperles donations faites aux élus américains, Joe Manchin est l’élu ayant reçu le plus de donations de la part d’entreprises pétrolières et gazières depuis l’an dernier — Chambre et Sénat confondus3.
  • Cette nouvelle « loi climat » va allouer environ 370 milliards de dollars pour limiter les émissions de gaz à effet de serre américaines, à travers de vastes programmes allant de la mise en place de crédits d’impôts pour l’achat de véhicules électriques, d’éoliennes domestiques ou de panneaux solaires jusqu’à la création d’un programme permettant d’octroyer plusieurs milliards en crédit d’impôts aux grandes entreprises américaines afin de les aider à réduire leurs émissions de méthane4. Toutefois, en contrepartie du soutien de Manchin, les Démocrates au Sénat ont également inclus dans cette législation des dispositions rendant obligatoire l’octroi de nouvelles concessions pétrolières et gazières dans le golfe du Mexique et au large des côtes de l’Alaska, et se seraient également engagés à soutenir prochainement un projet de loi visant à débloquer la construction du Mountain Valley Pipeline, qui traverse la Virginie occidentale5.
  • Malgré ces quelques concessions, l’Inflation Reduction Act demeure le paquet législatif le plus important pour la lutte contre le réchauffement climatique de l’histoire des États-Unis — bien qu’il soit significativement moins ambitieux que Build Back Better. Selon le REPEAT project, un programme de recherche évaluant l’impact de la politique environnementale américaine, cette loi permettrait aux États-Unis de réduire d’ici 2035 de 42 % leurs émissions de gaz à effet de serre, par rapport aux niveaux de 2005. Bien que toujours en-deçà des objectifs de 50 % de réduction d’ici 2030, ces estimations indiquent néanmoins une amélioration significative par rapport à la politique actuelle, qui conduirait à une réduction de 27 % des émissions de GES d’ici 2030 selon les modélisations du REPEAT project6.
  • Le vote de cette loi à la Chambre des représentants — passage obligatoire avant la ratification par Joe Biden — est presque garanti, les élus démocrates y étant majoritaires. Au-delà de l’espoir qu’elle fournit quant aux objectifs de transition énergétique des États-Unis, le deuxième principal émetteur de GES derrière la Chine, il faut également lire à travers le vote de cette loi une importante victoire pour Joe Biden et son camp, à trois mois des élections de mi-mandat. Celui-ci survient après que le Département du Travail ait annoncé la création de plus de 500 000 emplois en juillet ainsi qu’un taux de chômage à 3,5 % — le plus bas niveau depuis 50 ans —, faisant suite au vote du CHIPS Act ainsi que du PACT Act, deux législations importantes visant respectivement à contribuer à la relocalisation d’usines de semi-conducteurs aux États-Unis, ainsi qu’à l’expansion des soins accordés aux vétérans américains7.
  • Malgré ces victoires significatives pour le camp démocrate, l’indice de popularité de Joe Biden reste en-dessous des 40 %, bien qu’il ait remonté de 2 points ces dernières semaines, et la plupart des sondages prédisent toujours une victoire républicaine au Sénat et à la Chambre pour les midterms de novembre. Le Parti démocrate pourra toutefois se targuer — au-delà de la lutte contre le réchauffement climatique — d’avoir agi à travers cette loi pour : faire baisser le prix des médicaments pour les personnes âgées, la mise en place d’un taux d’imposition de 15 % pour les grandes entreprises (réalisant des bénéfices de plus d’un milliard de dollars par an) ainsi que pour une réforme de l’Internal Revenue Service qui devrait « éliminer les niches fiscales » et permettre « d’appliquer » le code des impôts — un bilan correspondant aux promesses de campagne faites par les Démocrates8.