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Vous trouverez à ce lien les autres épisodes de cette série d’été en partenariat avec la revue Le Visiteur.
Je ne suis ni architecte ni philosophe ou historien de l’architecture. Je ne peux donc me prévaloir que d’une compétence bien particulière : non pas un savoir sur les procédures des arts mais une capacité à saisir le mouvement par lequel un art se trouve mis hors de lui-même, détaché des savoirs et des œuvres qui le spécifient en propre, pour devenir autre chose : l’exemplification d’un régime de pensée ou d’un type de regard mais aussi un foyer de métaphores et de métamorphoses ; en bref, une certaine image du monde ou plutôt une certaine manière de faire monde. Je m’intéresserai donc à l’architecture comme j’ai pu le faire pour d’autres arts, en me concentrant sur les déplacements par lesquels ils sortent de leur spécificité pour devenir à la fois des agents et des symboles de la configuration d’un monde commun.
Je partirai pour cela de deux images : la New Babylon projetée par Constant Nieuwenhuys, dit Constant, et un paysage de Claude Lorrain. Ces deux images, apparemment bien différentes, ont pourtant en commun trois formes de déplacement. C’est d’abord un déplacement topographique. Constant propose – après Le Corbusier et quelques autres – de déplacer le lieu de l’habitation des hommes, de les arracher au sol pour les faire vivre plus haut dans l’espace. Il s’agit donc d’un déplacement vertical. Claude Lorrain opère, lui, un déplacement horizontal qui réunit deux espaces distants. Il assemble le décor d’un port marchand avec l’ordonnance d’un palais princier, tout comme il mêle ailleurs des gens du peuple de son temps avec des héros mythologiques. C’est son privilège de peintre. Mais c’est un autre point qui rapproche son paysage imaginaire du projet de Constant : celui-ci est tracé par un artiste qui dessine des projets de villes à habiter et non des décors imaginaires, mais qui n’en est pas moins un peintre plutôt qu’un architecte. Tel est le deuxième déplacement que l’on peut nommer esthétique : il va de l’architecture à la peinture, ou plutôt d’une architecture d’architectes à une architecture de peintres, ce qui suppose une subversion du système des arts.
Ce deuxième déplacement en accompagne un troisième que l’on dira politique au sens large. Claude Lorrain peint un paysage imaginaire. Constant dessine le projet d’une de ces cités que l’on dit utopiques. Le déplacement d’un lieu à un autre et d’un art à un autre se lie ainsi à un déplacement par rapport à l’ordre du monde qui met les gens et les choses à leur place. La chose est claire pour Constant, qui a fortement associé ses projets architecturaux à sa foi marxiste et révolutionnaire. Elle est moins évidente pour Claude Lorrain. Mais il n’y a pas besoin d’être révolutionnaire pour être adopté par ceux qui le sont. Et ce qui lie les œuvres de nos deux artistes, c’est leur place dans le corpus situationniste. Constant est l’un des fondateurs de l’Internationale situationniste, et les dessins de la New Babylon ont figuré dans les premiers numéros de la revue de l’IS comme exemples d’urbanisme « unitaire ». Il en a été exclu deux ans plus tard, comme tous les architectes et artistes, tous ceux qui couvrent des surfaces ou construisent des édifices. C’était, pour Guy Debord, la condition pour assurer le triomphe d’un art unique, un art du temps, celui de l’action historique. Mais c’est justement à ce titre que Claude Lorrain vient prendre place dans le panthéon situationniste. Cette vue d’un port de mer imaginaire bordé par la villa Médicis figure en effet dans le film tiré de La Société du spectacle où il est suivi par un autre tableau de Lorrain, la scène de la restitution de Chryséis dans l’Iliade. Ces deux images y illustrent la phrase programmatique qui conclut le paragraphe 187 du livre : « Il s’agit de posséder effectivement la communauté du dialogue et le jeu avec le temps qui ont été représentés par l’œuvre poético-artistique. »
On peut s’étonner du privilège accordé à un peintre du passé monarchique après le congé donné à l’inventeur de villes communistes du futur. Celui-ci a pourtant sa logique. Le peintre architecte voulait réaliser l’idée communautaire en décollant le séjour des humains du sol. Mais ce déplacement restait fidèle à une tradition utopique qui implique une certaine conception de l’architecture : celle qui programme la communauté heureuse comme effet de la configuration d’un certain espace et de la planification d’un certain type d’habitat. À ce communisme utopique Debord oppose la démarche critique inspirée de Feuerbach et du jeune Marx : celle qui enseigne à reconnaître la puissance d’une humanité à venir dans les rêves des hommes du passé. Feuerbach voyait dans le Dieu chrétien une représentation aliénée de l’essence humaine que l’homme devait se réapproprier. Debord voit dans les scènes imaginaires de Lorrain la représentation d’une communauté humaine à réaliser. Sur ces tableaux n’est figuré aucun plan d’architecture pour une communauté à venir où les hommes jouiront de leur temps libre et s’amuseront ensemble à monter et démonter des éléments modulables. On y voit seulement des gens qui se promènent, s’assemblent et discutent, présentant ainsi, sous forme d’image, le bien que les révolutionnaires doivent s’approprier subjectivement pour en faire le principe de leur action : « la communauté du dialogue et le jeu avec le temps ».
Une architecture utopique déplacée de la terre vers le ciel, une architecture imaginaire déplacée de l’espace vers le temps, telles sont les deux grandes propositions que résument nos deux images. Celles-ci entendent répondre à deux défauts pensés comme congénitaux à l’art de l’architecte : d’un côté, celui-ci apparaît comme trop terre à terre, trop contraint par la nécessité d’offrir une solution à un besoin pratique et de l’offrir sous la forme d’une construction solide qui occupe et ferme l’espace. De l’autre, il est trop idéel, trop dépendant de l’idée d’un concepteur qui impose sa volonté à la matière. L’un et l’autre défaut se rejoignent en un même vice fondamental de l’architecture, lequel est identique à sa vertu : l’architecture apparaît comme l’art des fins bien calculées et exactement réalisées. On peut dire, bien sûr, que c’est une vision simpliste qui méconnaît les complexités et les contradictions de la pensée architecturale. C’est pourtant bien elle qui en fait un modèle pour toute pensée qui veut assurer ses effets, celle des bâtisseurs de systèmes philosophiques, des rédacteurs de constitutions ou des fondateurs de communautés modèles. Mais c’est elle aussi qui la met aux marges de l’art, lequel vit de finalité cachée, déniée ou contrariée.
Au temps des beaux-arts déjà, le prestige que l’architecte tenait de sa science géométrique était compromis par les fins trop pratiques de son travail. Dans Les Beaux-Arts réduits à un même principe, ouvrage de référence de l’idéal classique, Charles Batteux n’hésite pas à coupler la science mathématique des architectes avec l’art tout empirique des rhéteurs. Il les met ensemble à l’écart pour se concentrer sur les seuls arts qui méritent le nom de beaux-arts parce qu’ils s’occupent uniquement de la beauté et la cherchent en imitant la nature et non en utilisant ses produits ou ses lois. On pourrait penser que la révolution esthétique a remis en cause cette opposition en même temps que les normes de la mimêsis. Mais elle n’a fait au contraire que radicaliser le problème : d’un côté, la beauté est déclarée par Kant sans concept, ce qui éloigne encore plus de son domaine un art voué à l’exécution d’une fin, que ce soit la finalité externe d’une utilité à fournir ou la finalité interne d’une idée à réaliser. Mais, d’un autre côté, la beauté ne trouve pas sa fin en elle-même. Elle constitue, selon Schiller, un mode d’être du sensible qui porte en lui-même la promesse d’un monde nouveau. Ce monde nouveau à édifier semble appeler l’art des constructeurs. Mais ce n’est pas la même chose de construire des bâtiments et de construire un monde. C’est même, en un sens, le contraire.
La construction des bâtiments enferme et sépare. Le monde nouveau à construire doit faire tomber les cloisons et relier les humains séparés. La révolution esthétique sépare ainsi l’architecture d’elle-même. L’art de construire une vie nouvelle demande que l’art de bâtir soit corrigé de son double excès : son excès de matérialité prosaïque et sa fixation sur l’idée à réaliser. Il s’agit de guérir l’architecture de sa perfection, d’en faire un art imparfait qui se dérobe à la fois à la terre ferme et aux finalités déterminées pour se transformer en un processus sans fin. Élévation verticale et redistribution horizontale sont les deux modes privilégiés de ce déplacement. Ceux-ci déterminent deux manières dont l’architecture déplacée construit de la communauté : sur le mode du rassemblement dans un même élan vers le haut, ou sur celui de la liaison horizontale égalitaire. C’est Hegel qui a le mieux formulé le principe d’imperfection et la première forme de correction qu’il propose : le privilège de la forme ascensionnelle, tendue vers une fin qu’elle ne peut ni ne doit atteindre. L’architecture est un art pour autant qu’elle est un art« autonome », non asservi au besoin. Mais cette autonomie n’est pas un « autotélisme » : cette capacité de se prendre soi-même pour fin célébrée par l’idéologie moderniste. C’est celle d’un art symbolique : l’architecture ne la trouve que là où elle manque à être la réalisation fonctionnelle d’une fin qu’elle se donnerait à elle-même. C’est le temple, œuvre collective d’élévation, et non la maison qui est, pour Hegel, l’œuvre architecturale par excellence. Mais il est significatif que le premier modèle en soit la tour de Babel : le temple exerce son pouvoir de rassemblement et d’élévation pour autant qu’il ne contient pas la divinité, qu’il n’est pas un édifice fonctionnel destiné à son service mais bien plutôt la manifestation de son inaccessibilité. Les masses de pierre empilées des temples égyptiens sont, écrit-il, les pages d’un livre par lequel les hommes « se font dire ce qu’est le divin 1 ». Et si l’architecture, en son moment classique, parvient à imposer ses fins fonctionnelles et sa symétrie formelle à la réalité extérieure, elle trouve son accomplissement ultime dans le moment romantique où elle est à nouveau inachevée.
Sa réalisation suprême est la cathédrale gothique, cette maison de Dieu où Dieu n’habite pas, mais qui s’élève librement pour elle-même. La cathédrale est faite pour deux choses dont aucune n’est atteinte. Elle est faite pour qu’une foule s’y rassemble, mais sans jamais pouvoir être entièrement remplie par cette foule et par les activités diverses qu’elle y exécute. Et elle est faite pour s’élever librement, mais non pas comme un édifice dont les charges ont été bien calculées : plutôt comme une forêt dont les rangées d’arbres inclinent leurs branches les unes vers les autres et semblent ne se rencontrer que par hasard, comme si les piliers ne portaient pas, de même que les branches d’un arbre n’apparaissent pas comme portées par le tronc.
La cathédrale gothique donne ainsi le modèle d’une architecture déplacée, tendue vers le haut pour autant qu’elle est délestée de sa perfection technique, qu’elle échappe à la volonté de l’architecte pour devenir la maison de tous et l’œuvre de tous. L’architecture outrepasse ses limites en devenant l’approximation d’une idée située au-delà de tout plan. Le temple de l’esprit n’est jamais qu’une forêt de pierres semblable à ces forêts d’arbres dont le hasard seul assemble en un tableau les branches et les feuilles.
C’est par là que le déplacement vertical vers une cime qui n’est idéalement atteinte que « par hasard » communique avec le déplacement horizontal symbolisé par la peinture de paysage, et que l’architecture idéale du lieu communautaire rejoint les ombres colorées de la peinture et ses constructions fictives. Elle le fait seulement à travers un espace de pensée construit par des arts nouveaux, ou plus exactement par des rencontres nouvelles entre arts. Je voudrais dégager deux figures – non exclusives – de ces rencontres qui ont déplacé l’architecture en construisant un nouveau sens de l’espace. Elles concernent l’art des jardins et celui de la scène.
Dans un autre texte fondateur de la tradition esthétique moderne, la Critique de la faculté de juger, Kant introduit l’art des jardins dans la classification des beaux-arts. Mais il le fait d’une manière à première vue paradoxale. Il le place dans la catégorie des arts figuratifs. Or celle-ci, selon lui, se divise en deux groupes. Le premier rassemble les arts de la vérité sensible, les arts plastiques qui traduisent des idées dans des formes occupant une étendue matérielle dans l’espace. Ce sont l’architecture et la sculpture. Le second est l’art de l’apparence sensible, la peinture, où la figure n’a pas de réalité spatiale mais se peint seulement dans l’œil d’après son apparence sur une surface. L’art des jardins semblerait appartenir au premier groupe. Ses produits ont une extension matérielle dans l’espace, tout comme ceux de l’architecture. Or Kant tranche contre cette apparente évidence : l’art des jardins est une division de la peinture, laquelle est un art de l’apparence sensible. Car il produit seulement l’apparence de ce dont l’architecture produit la réalité : une construction spatiale obéissant à une fin déterminée. Mais ce défaut est un avantage. Il lui donne la qualité d’art libéral, visant au seul exercice de l’imagination dans la contemplation des formes, alors que les formes de l’architecture, produits d’une volonté arbitraire et ordonnées à une fin déterminée, tirent l’art de construire sur le terrain des arts mécaniques. Cette solidarité des arts libéraux de la peinture et du jardin face à l’art autoritaire et utilitaire de l’architecture n’est pas une idée propre à Kant. Elle conclut un siècle de théorisation et de pratique de l’art des jardins dont l’Angleterre a été tout particulièrement le théâtre. On a souvent réduit ce théâtre à une simple opposition entre le jardin géométrique à la française et le libre jardin anglais fondé sur le privilège de la ligne serpentine. C’est cette idée de la liberté anglaise qu’illustrent les jardins de Lancelot Brown, avec leurs vastes perspectives, les vallonnements moelleux de leurs pelouses, leurs chemins sinueux et leurs pièces d’eau aux contours adoucis. Mais la critique de la vision architecturale ne se limite pas à celle de la ligne droite et de la symétrie.
À la fin du XVIIIe siècle, les jardins de Brown sont eux-mêmes soumis à une critique radicale : leurs serpentements produisent un paysage aussi uniforme que les angles droits des jardins à la française. Comme eux, ils sont le produit d’une volonté architecturale imposant son ordre à la nature : il a fallu creuser ces lacs artificiels, niveler le sol puis ramener des tonnes de terre afin de créer ces vallonnements moelleux, et détruire l’enchevêtrement naturel des arbres pour isoler ces clumps, ces bouquets de grands arbres disposés de place en place, dont la majesté solitaire reflète la vanité des propriétaires. À ces jardins faussement « naturels » produits par une volonté architecturale, des propriétaires éclairés- qui sont aussi des amateurs d’art – opposent les scènes que la nature construit elle-même librement.
Ce mot de « scène » est omniprésent dans la littérature du temps pour désigner le type d’unité que la nature produit comme artiste, mais comme artiste d’un type particulier : une artiste qui ne veut pas faire de l’art. La caractéristique principale de ces scènes est l’intricacy, un mode d’unité à l’opposé du modèle architectural, car il ne consiste pas en une soumission des parties à l’idée du tout mais en une connexion, une « sympathie » globale des éléments. C’est elle qui est produite par la libre croissance et le libre mélange des arbres qui s’entrecroisent et se mêlent aux bâtiments, par la formation aléatoire des petits lacs qui se créent spontanément dans des carrières abandonnées, ou encore par les buissons qui poussent librement sur les chemins et forcent les charrettes à y tracer des sillons imprévus qui deviennent eux-mêmes des éléments du paysage. C’est ce type d’unité naturelle que ces réformateurs commandent d’imiter dans l’art des jardins. Toutefois ils proposent d’en trouver le modèle sur une surface spécifique : les toiles des peintres paysagistes qui ont su reconnaître et traduire ce mode d’unité non voulu, formé par la liberté même du mélange.
En 1795, le baronnet et amateur d’art Uvedale Price publie un ouvrage dont le titre résume le programme : Essai sur le pittoresque comparé au sublime et au beau et sur l’utilité d’étudier la peinture en vue de l’amélioration du paysage réel 2. L’adjectif « pittoresque » y reçoit son sens plein. Selon Price, les peintures doivent être vues comme « un ensemble d’expérimentations des différentes façons dont les arbres, les édifices, l’eau, etc., peuvent être disposés, groupés et accompagnés de la manière la plus belle et la plus frappante 3 ». Mais la peinture ne propose pas simplement un modèle de composition à imiter. Elle forme une manière de voir et de penser. Price oppose le regard libéral des peintres au despotisme des architectes de jardins à la mode de Brown, mais aussi à l’arrogance des propriétaires dont les vastes pelouses entourées par des ceintures d’arbres visent à affirmer leur pouvoir sur l’espace et à tenir le vulgaire à distance. Les peintres et les amateurs de peinture, à l’encontre, savent que c’est la diversité des objets, des figures et des liens qui les unissent qui fait l’intérêt du tableau. « Là où un despote voit toute personne comme une intruse et aspire à détruire chaumières et sentiers pour régner seul, écrit Price, l’amoureux de la peinture considère les habitations, les habitants et les témoignages de leurs relations comme des ornements du paysage 4. »
Ce « libéralisme » de la peinture trouve pour lui son modèle chez Claude Lorrain. Les « ornements du paysage » qui peuplent les scènes mythologiques de Lorrain ont pourtant peu à voir avec la vie rustique. Mais l’important est la manière dont ils se fondent avec la végétation au point que des branches d’arbres se mêlent aux colonnes des temples ou des palais. Nous pouvons trouver modeste l’intricacy offerte par les cimes d’arbres apparaissant timidement entre les colonnes ou au-dessus des palais peints par Lorrain. Les contemporains de Price, eux, trouvent l’idée extravagante : des habitations conçues sur ce modèle ont toutes chances, disent-ils, d’être humides et inconfortables. Ce sont des architectures à voir et non à habiter. De fait, c’est seulement au temps de Frank Lloyd Wright et de Mies van der Rohe que le verre permettra d’unir le voir et l’habiter, l’extérieur et l’intérieur sans nuire au confort domestique. Ces critiques de bon sens n’ont pas tort, même s’ils ne voient pas le fond de l’affaire : ce que l’art des jardins trouve dans la peinture, c’est bien une « architecture à voir », rachetée de sa fonctionnalité autoritaire et devenue support d’un mouvement de l’imagination. Les fabriques, souvent imitées de Lorrain, qui peuplent les jardins peuvent avoir diverses fonctions pratiques ou symboliques, mais elles ont d’abord un caractère expressif déterminé non par leur usage mais par une unité visuelle et dramatique, celle de la scène à laquelle elles appartiennent. C’est ce qu’affirme le grand théoricien de l’art des jardins Thomas Whately : « Les bâtiments en leur qualité d’objets ont trois destinations principales : ils distinguent, ils tranchent ou ils ornent les scènes dont ils font partie 5. » C’est le caractère de la scène – majestueux, élégiaque ou rustique – qui doit prévaloir dans leur disposition. C’est pourquoi il ne faut pas les mettre en vue frontalement en leur entier mais les faire découvrir en oblique et en partie cachés par les arbres. Ainsi le veut cette intricacy dont l’art des jardins emprunte l’idée à la peinture du passé, mais transmettra à l’architecture du futur, quitte à ce que celle-ci l’interprète comme continuité moderniste ou comme discontinuité postmoderne.
Tel est le second mode de correction de la « perfection » architecturale : non plus l’élévation vers un ciel inaccessible, mais le déplacement horizontal qui oppose ses connexions infinies à l’assemblage des parties et à la clôture des bâtiments. Dans les deux cas, c’est une même fuite – du regard et de l’imagination – vers une fin jamais atteinte qui introduit l’imperfection, nécessaire à l’art, mais aussi au processus par lequel une humanité nouvelle est appelée à se construire. Car c’est ici que la critique de la volonté architecturale vient se mêler à la critique de l’ordre du monde. Il n’y a certes pas de perspective révolutionnaire dans les préceptes de Whately ou les affirmations polémiques de Price ; tout au plus l’idée d’une certaine forme de liberté et d’égalité dans la disposition des végétaux et des édifices. Mais le jeu du regard et de l’imagination qu’ils appellent entre dans la constitution de ce régime nouveau de l’art, que j’ai appelé régime esthétique. Or celui-ci se lie à une promesse d’humanité nouvelle dans une affirmation apparemment paradoxale, mais pourtant fondamentale pour comprendre les noces modernes de l’art et de la révolution : la supériorité de l’activité libre du jeu sur toute volonté de fin à réaliser.
Quelques mois après l’essai de Price, paraissent en Allemagne les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Friedrich von Schiller. Celui-ci y vante une autre forme d’architecture défaite, ces pierres antiques qui ont conservé la marque sensible d’une liberté perdue par les peuples qui les avaient assemblées. Mais surtout il lie la possibilité de l’art et celle d’une nouvelle forme de vie au primat du jeu, l’activité libre que ne guident la recherche d’aucune fin ni l’autorité d’aucune volonté. La construction de l’avenir suppose que l’art des constructeurs soit soumis à ce qui est le principe du jeu : l’abolition de la séparation entre les moyens d’une activité et sa fin, soit, en définitive, l’abolition de la division du travail. Cette abolition est le cœur de la révolution esthétique. Elle sera aussi le cœur d’une idée du communisme : celle qu’énoncent les Manuscrits de 1844 de Marx qui revendiquent pour le travail lui-même la vertu accordée par Schiller au jeu : celle d’une activité qui est sa propre fin au lieu d’être mise au service du besoin utilitaire.
On comprend alors pourquoi les constructions utopiques de Constant et les paysages imaginaires de Lorrain ont trouvé place dans le panthéon situationniste dont la clé de voûte théorique est la notion de jeu. Les bâtiments projetés dans l’espace et les édifices fondus dans le paysage illustrent les deux grandes formes de déplacement que l’idée architecturale connaît dans le régime esthétique de l’art : deux formes de jeu avec l’espace et le temps qui séparent de lui-même l’art de construire. D’un côté la construction se tend vers un ciel qui est celui de son inachèvement, de l’autre elle se fond dans un paysage sensible où elle devient une surface de désidentification et d’échange des arts. Ainsi se trouve configuré un espace de glissements où architecture, peinture, théâtre et art du paysage sont libérés des places fixes et des critères déterminés imposés par la logique représentative et peuvent échanger leurs propriétés. C’est notamment ce que fait le second art de l’espace que j’évoquais, celui de la mise en scène théâtrale, chez des novateurs comme Adolphe Appia et Edward Gordon Craig. Cet art joue d’une manière inverse du rapport entre architecture et peinture, mais avec un même effet : la configuration d’un espace continu, sans clôture ni hiérarchie. Architecturer la scène, pour Appia, c’est soustraire l’action dramatique, et notamment le drame musical, à la contradiction qui fait évoluer des corps vivants dans un décor peint. On dira que cette architecture de scène est minimale : elle consiste en l’usage de volumes quasi abstraits qui servent de support à l’action, telles ces plateformes où il propose de faire évoluer les personnages du Ring wagnérien. Mais cette minimalisation même donne à la construction spatiale le pouvoir de reconfigurer les éléments du drame. Elle transforme les formes spatiales en participantes de l’action dramatique, laquelle s’en trouve elle-même métamorphosée. Elle devient un art du corps qui transforme la pensée en mouvement et donne à l’espace les rythmes du temps. Et cette métamorphose forge à son tour une idée nouvelle de l’architecture, qui la lie au mouvement des corps.
Ce rôle actif donné aux formes spatiales est radicalisé par Craig, qui leur demande de jouer, de prendre elles-mêmes un caractère expressif pour remplacer les médiocres pantomimes de corps d’acteurs formés à la vieille école de l’expression des passions. Il imagine ainsi un drame silencieux intitulé The Steps où l’action est ramenée aux ambiances d’un escalier à quatre moments du jour. Il est vrai que la performance dramatique des escaliers se limite à quatre dessins assortis d’un bref commentaire.
De même, les dessins d’Appia pour le Ring resteront sur des feuilles de papier, tout comme ses « espaces rythmiques » tantôt limités à la pure abstraction d’« essais de géographie rythmique », tantôt assimilés à des paysages stylisés (La Cascade, L’Île des sons ou L’Ombre du cyprès). On pourrait ironiser sur ces architectures conçues comme antipeintures mais restées à l’état d’esquisses picturales. Mais ce qui compte est moins la polémique opposant un art à un autre que le mouvement qui les fait glisser les uns sur les autres, créant un espace nouveau d’imagination et de pensée. Ces frêles feuillets de dessins pour des mises en scène jamais exécutées participent à la configuration d’une architecture nouvelle du monde commun qui tend à fondre les caractères de l’espace théâtral avec ceux de la cathédrale où le peuple s’assemble.« Cathédrale de l’avenir », dit Appia en évoquant une salle future où la scène et l’auditoire ne seront plus séparés. Il n’y aura pas de cathédrale. Mais le rêve de la non-séparation et celui de la mobilité hanteront désormais l’architecture. Et les escaliers d’Appia – avant d’inspirer un siècle de scénographie – s’inscriront dans un projet architectural réel. Ils serviront en 1913, à Hellerau, à une légendaire représentation d’Orphée et Eurydice par les rythmiciennes de l’école Dalcroze, dans un théâtre unissant la scène et la salle, situé lui-même au cœur d’une cité-jardin construite pour les familles ouvrières d’une usine d’ameublement. Ces glissements entre les arts qui traduisent les rythmes du temps dans les formes spatiales participent à une entreprise de transformation du monde, dont le focus imaginarius est la fin de la division du travail. Les dessins restés sur des feuillets et les réalisations partielles contribuent à créer l’espace de pensée, de perception et d’imagination au sein duquel des constructions architecturales particulières peuvent prendre sens comme formes de construction d’un monde nouveau. Les constructions d’édifices réels dans l’espace à trois dimensions présupposent en effet la construction d’un sens du réel créé par les formes dessinées dans l’espace à deux dimensions. C’est cet espace imparfait qui permet à la pensée imaginative de se déployer au-delà de ses propres limites, mais aussi de celles des édifices enfermés dans leur réalisation tridimensionnelle, en projetant les formes non plus seulement dans l’espace, mais également dans le temps.
C’est cette idée d’une projection dans le temps qui soutient les grands projets constructivistes et les sépare des plans de cités utopiques qui prétendaient donner une fois pour toutes à une communauté humaine le séjour qui lui convenait. Il s’agit de construire dans le temps, et même de construire un temps.
C’est dans cette perspective que prennent sens les projets architecturaux qui fleurissent après la révolution soviétique, que l’on a trop souvent réduits à une adhésion naïve à un idéal industrialiste. Il est significatif que ce soient souvent des projets de peintres et de graphistes plutôt que d’architectes de profession. Tels sont les prouns d’El Lissitzky. Ces « projets pour l’affirmation du nouveau » étaient pour lui un « relais sur le chemin de la peinture à l’architecture 6 ». Cette notion n’indique pas un point intermédiaire entre une esquisse picturale et une réalisation architecturale, mais un temps de transition où l’imagination d’un monde nouveau se traduit en formes spécifiques qui ne sont ni des tableaux à voir ni des bâtiments à habiter. Ces formes sont destinées à forger une nouvelle perception de l’espace et un nouveau sens de ce que construire et habiter un monde veut dire. Aussi les prouns se présentent-ils comme des axonométries d’un type particulier. Celles-ci récusent l’illusionnisme de la représentation picturale de la troisième dimension. Mais leurs articulations de plans dans un espace sans point de fuite ne sont pas pour autant les modèles de constructions déterminées. Elles récusent en même temps l’espace à deux dimensions – où l’on ne construit rien de réel – et l’espace à trois dimensions – où l’on construit des bâtiments clos sur eux-mêmes et enfermés dans le vieux sens du réel. Cette double transgression s’effectue au nom de cette quatrième dimension sur laquelle tous les artistes spéculent à l’époque, la dimension du temps. Le temps apparaît comme la véritable dimension de l’infini, au sein de laquelle toute construction n’est qu’une étape, voire un véhicule pour aller plus loin. Il faut construire pour une humanité en mouvement non point tant des séjours que des environnements. Ces environnements sont faits pour des gens qui se déplacent, mais ils doivent eux-mêmes pouvoir bouger, être modifiés et réagencés par ces hommes en mouvement.
Ce lien entre construction et déplacement est au cœur d’un des projets les plus significatifs de l’époque : la cité du futur – parfois appelée cité volante – de Georgii Krutikov. Dans son mémoire justificatif, Krutikov ne se réfère pas aux plans de cités idéales du passé mais pas davantage aux besoins des travailleurs socialistes. Il se réfère, d’une part, aux aspirations humaines à s’élever au-dessus de la terre pour conquérir de nouveaux horizons, de l’autre, au développement des moyens de transport – automobile, train, bateau ou avion. L’évolution de ces moyens de transport converge selon lui vers une même forme matricielle : celle d’une cabine plus ou moins large où, grâce au progrès technique, la partie mécanique tend à se réduire au profit des espaces de vie. C’est à partir de cette idée d’une forme tendanciellement commune au transport et à l’habitat qu’il conçoit sa ville du futur. Celle-ci, malgré l’appellation de ville volante, reste attachée à la terre où se déroulent les activités industrielles. Mais ses unités d’habitation sont comme des véhicules provisoirement arrêtés, au service d’hommes en mouvement. Et un élément essentiel de chacune d’elles est la cabine volante qui permet les déplacements des habitants, et qui est elle-même conçue comme un séjour modulable changeant de forme selon les besoins de ses occupants.
Le mouvement intervient aussi d’une autre manière : le matériau et le mode de la construction d’ensemble doivent obéir au principe de la planification urbaine flexible ». Celle-ci demande des « ajustements continuels de l’organisation spatiale de la ville dans le temps 7 ».Le projet de Krutikov restera lettre morte auprès des responsables de la planification urbaine soviétique, tout comme les gratte-ciel horizontaux d’El Lissitzky ou la cité sur ressorts de Lavinsky. Cependant, la dimension ludique de la « planification urbaine flexible » inspirera bien des utopies architecturales de l’avenir. C’est le cas de la New Babylon de Constant. Celle-ci ne se signale pas seulement par son élévation dans les airs mais par la mobilité d’une architecture qui est d’abord un environnement – et un environnement que les habitants sont appelés à modifier continuellement. Les unités d’habitation y sont des assemblages d’éléments mobiles (tels que parois, sols, escaliers, gaines ou ponts) faciles à monter, démonter et transporter, pour créer des ambiances toujours variées. Les vertus d’intricacy et de connectivité que les théoriciens des jardins allaient chercher dans les tableaux de Lorrain deviennent, avec la construction modulaire, les principes de construction d’un habitat mobile convenant à l’activité d’une humanité joueuse.
Ces habitations propres à être sans cesse démontées, transportées et remontées rappellent ce que Price voyait dans la peinture « un ensemble d’expérimentations des différentes façons dont les arbres, les édifices, l’eau, etc., peuvent être disposés, groupés et accompagnés 8 ». Constant affirme lui-même que New Babylon n’est pas un projet de planification urbaine, mais plutôt « une manière de penser, d’imaginer et de regarder les choses et la vie 9 ». Cette manière, c’est, fondamentalement, une idée du « jeu » : jeu avec l’espace qui se transforme volontiers en labyrinthe, mais aussi avec le temps. C’est dans le temps que progressent ces constructions sans cesse déplacées, mais non pas dans le temps unilinéaire de la vision progressiste : dans un temps où il faut aussi retourner vers le passé, ses résidus ou ses ruines, pour réveiller les promesses d’avenir. La construction modulaire est aussi un moyen de créer des « coins perdus, terrains vagues ou culs- de-sac 10 » semblables à ceux que les poètes surréalistes découvraient dans les rues, les passages ou les jardins publics de Paris. Ils y voyaient l’inconscient de la ville moderne. Benjamin y lut la promesse de bonheur scellée dans le décor urbain du siècle de l’industrie. Mais on peut aussi y trouver l’écho de ces pierres antiques où Schiller reconnaissait les vestiges d’une humanité libre à réveiller.
L’identité entre l’acte de construire et l’acte de se mouvoir, qui conditionne l’accord entre la construction d’édifices et la construction de l’avenir, dépend elle-même de ce jeu qui rapproche, dans leur distance même, les formes expérimentales librement dessinées par une plume et les murs délabrés où sont scellés les rêves du passé. C’est dans cet espace de jeu que la dérive situationniste circulait entre les rêves futuristes d’architecture mobile et l’exploration des recoins du Paris du XIXe siècle. Et c’est peut-être le sentiment de la clôture de cet espace-temps archéo-futuriste qui fait des paysages imaginaires de Lorrain la dernière représentation d’une mobilité architecturale identifiée à un mélange des temps, des genres et des conditions.
Mais ce lien entre construction, jeu et mouvement est-il vraiment dénoué ? Assurément la formation d’un monde égalitaire produit par la marche même de l’histoire n’est plus l’horizon temporel sur lequel se dessinent les projets architecturaux. Mais on en a trop aisément tiré l’image d’une architecture postmoderne tournant en dérision les croyances et les formes du modernisme architectural. Ce qui est en jeu dans les architectures dites postmodernes est plutôt la question : comment penser le rapport entre construction et mouvement dès lors que le mouvement est orphelin de ce temps qui portait en lui-même une promesse de liberté et d’égalité ? C’est la question qui sous-tend la remarque ironique de Rem Koolhaas sur le programme de la Très Grande Bibliothèque : « A communist project in a post-ideological age ? » Plus que la dérision à l’égard de cet imbroglio des temps, il faut retenir les réponses qu’il y donne et qui renouvellent, à l’ère digitale, les jeux anciens de la verticalité et de l’horizontalité, de la cathédrale et du paysage. Il trouve dérisoire l’idée d’un plan architectural distribuant dans un espace cohérent les cinq bibliothèques requises. Il propose donc de les concevoir comme des vides creusés dans le plein de la mémoire stockée. Il donne ainsi à l’édifice le caractère d’une architecture symbolique au sens hégélien : un art qui assemble et élève une communauté pour autant que ses pierres ne contiennent pas la divinité mais la signifient seulement, comme les pages d’un livre. La cathédrale hégélienne dressée vers une fin inaccessible trouve son écho dans ces cages d’ascenseur sur les parois desquelles « des tableaux électroniques annoncent les différentes bibliothèques. Avec des fragments de textes, des titres, des noms, des chansons descendant en un mouvement continu, le bâtiment entier semble soutenu par des signes dans un perpétuel compte à rebours avant décollage 11 ». À cette cathédrale qui s’élève au milieu des vides s’oppose toutefois un autre projet du même architecte : la bibliothèque de Jussieu qui explore, elle, les ressources de l’horizontalité jusqu’à supprimer la différence même de la verticale et de l’horizontale, en imaginant une promenade continue par une rampe allant du sol jusqu’au toit. La bibliothèque devient alors, de l’extérieur, une peinture de paysage où les étages se fondent les uns dans les autres comme les édifices dans la nature, cependant qu’elle se parcourt à l’intérieur comme un paysage urbain où les rayons de livres prennent l’aspect de ces vitrines étranges des passages qui avaient fasciné les surréalistes.
Ces jeux, avec les horizontales et les verticales qui prolongent, au sein même d’un temps désorienté, l’alliance de la construction et du mouvement, se retrouvent dans des projets moins emblématiques, comme ceux qui avaient été conçus pour le pavillon américain de la Biennale d’architecture de Venise en 2016. Ils proposaient des modèles conceptuels de rénovation de trois secteurs d’une ville significative – Detroit –, hantée par les fantômes d’un passé industriel révolu. Mais il ne s’agissait pas, à la manière ancienne, de remédier aux conséquences sociales de la fermeture des usines automobiles en créant des liens territoriaux de substitution. Il s’agissait d’inventer, par les moyens de l’architecture, une forme de « mobilité » substitutive. L’un des thèmes les plus insistants était la nécessité de rapprocher la ville de l’élément mobile, le fleuve. Les projets les plus significatifs concernaient donc une zone située près du fleuve, mais dominée par un bâtiment massif, celui de la vieille poste, décrit comme la barrière à traverser ou à surmonter pour dynamiser ce secteur. Un des projets confiait cette tâche à un parking doublement paradoxal. D’une part, sa structure hélicoïdale visait moins au stationnement des véhicules qu’à une circulation incessante, unissant la ville au fleuve. De l’autre, cette circulation elle-même était pensée comme l’amorce d’un processus qui transformerait les aires de stationnement en espaces sociaux et culturels. Ce processus voulait renverser celui qui avait transformé un théâtre de Detroit en parking. Mais il renversait aussi la vision des novateurs du temps de Krutikov : ce ne sont plus les moyens de transport qui donnent le modèle d’une architecture de l’avenir. C’est l’architecture qui fait servir la circulation automobile à l’invention d’une nouvelle mobilité après l’effondrement de la dynamique attendue du progrès industriel et du combat social.
À une époque où les musées et les centres d’art occupent les usines et les entrepôts désaffectés pour en faire le théâtre d’installations critiques ou de performances contestataires, il semble que l’architecture ait repris à son compte l’identité de la construction et du mouvement qui animait les projets révolutionnaires d’hier. Cette mobilisation est en quelque sorte devenue l’idéal interne qui lui permet de se dérober aux tâches d’adaptation de l’habitat et du tissu urbain aux mutations de l’économie que lui prescrit l’ordre présent du monde. Quitte à ce que les architectes construisent des musées voués à la déambulation entre des ambiances diverses plutôt que des unités d’habitation transformables. Quitte aussi à ce que leurs projets non réalisés deviennent dans ces mêmes musées des peintures de paysage d’un genre nouveau, ou les dispositifs d’un nouveau théâtre dialectique. À l’ère numérique encore, l’architecture a besoin de ces déplacements esthétiques qui rachètent sa perfection technique.
Sources
- Friedrich Hegel, Cours d’esthétique, traduit de l’allemand par Jean- Pierre Lefebvre et Veronika von Schenck, Paris, Aubier, 1996, p. 273.
- Titre et citation traduits en français par l’auteur.
- Uvedale Price, An Essay on the Picturesque : As Compared with the Sublime and the Beautiful ; And, on the Use of Studying Pictures, for the Purpose of Improving Real Landscapes, London, 1794, p. 5.
- Uvedale Price, ibid., p. 278-279.
- Thomas Whately, L’Art de former les jardins, traduit de l’anglais par François de Paule Latapie, Paris, 1771, p. 154.
- El Lissitzky cité par Selim Khan-Magomedov, Pioneers of Soviet Architecture : the search for new solutions in the 1920s and 1930, translated from the Russian by Alexander Lieven, London, Thames and Hudson, 1987, p. 559.
- Selim Khan-Magomedov, Georgii Krutikov. The Flying City and Beyond, translated from the Russian by Christina Lodder, Barcelona, Tenov Books, 2015, p. 90.
- Uvedale Price, An Essay on the Picturesque, op. cit., p. 5.
- Constant, conférence à l’ICA, Londres, 1963, cité par McKenzie Wark, « New Babylon ou le monde des communs. L’actualité intemporelle du projet d’architecture utopiste de Constant », Multitudes, no 41, 2010, p. 120.
- Constant, New Babylon. Art et utopie. Textes situationnistes, édité par Jean-Clarence Lambert, Paris, Cercle d’art, 1997, p. 113.
- Rem Koolhaas et Bruce Mau, Small, Medium, Large, Extra-large, Köln, Paris, Taschen, 1997, p. 613.