Europe

Macron et la Confédération européenne

Emmanuel Macron a prononcé un discours important devant le Parlement européen hier à Strasbourg. Shahin Vallée, ancien conseiller économique d'Herman Van Rompuy, puis du Ministre de l'Economie Emmanuel Macron, aujourd’hui directeur du programme géo-économique du DGAP, propose une explication ligne à ligne de ce qu’il pourrait signifier pour l’avenir de l’Europe et pour l’agenda institutionnel des prochains mois.

Auteur
Shahin Vallée
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© Jacques Witt

J’ai une mauvaise nouvelle pour vous, je vais faire un discours. Mais j’ai une bonne nouvelle pour vous, c’est que je vais essayer de ne pas répéter ce qui a déjà été très bien dit avant moi. 

Madame la présidente du Parlement européen, chère Roberta, 

Madame la présidente de la Commission européenne, chère Ursula, 

Monsieur le Premier ministre du Portugal, cher Antonio, 

Chers co-présidents, 

Mesdames et Messieurs les ministres, députés européens, parlementaires, 

Chers concitoyens et concitoyennes européens, 

« La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui les menacent. » Ces mots, ceux de Robert Schuman, le 9 mai 1950, sur la contribution qu’une Europe vivante doit apporter à la civilisation, sont plus essentiels que jamais. Ces efforts créateurs correspondent au moment que nous vivons et sont aujourd’hui sans doute encore plus nécessaires qu’hier. Ils le sont en ces temps où la guerre est revenue — vous l’avez toutes et tous parfaitement dit — sur notre continent ; au moment où un peuple européen, le peuple ukrainien, se bat pour la liberté. Ils le sont à l’heure où vous, citoyennes et citoyens européens, parlementaires, ministres, commissaires, responsables politiques et citoyens spécialistes du réel, comme vous l’avez dit tout à l’heure, avez achevé un exercice démocratique inédit dans notre histoire et dans celle du monde. Cette Europe vivante, créatrice, démocratique, cette Europe des actes, vous en êtes les représentants et il nous appartient d’en être les artisans, ici, à Strasbourg, dans cette capitale européenne à laquelle nous tenons tant. 

Le choix souverain du peuple français me conduit devant vous aujourd’hui pour vous dire qu’il est une tâche historique face à laquelle la France ne se dérobera pas, qu’elle portera plus haut encore, car la France a une nouvelle fois clairement, résolument, fait le choix de l’Europe en me confiant un nouveau mandat pour œuvrer avec vous tous à construire une Europe plus forte et plus souveraine. 

Cette Europe que nous célébrons aujourd’hui, nous avons décidé il y a un an, collectivement, de lui faire franchir une nouvelle étape. C’était avec le président David Sassoli auquel nous pensons tous aujourd’hui, vous l’avez très bien dit l’une et l’autre, et c’était sous présidence portugaise, cher Antonio. Je veux saluer la présidence et l’élégance du Premier ministre portugais qui est à nos côtés aujourd’hui pour, dans la continuité, être fidèle à cet engagement. 

Lancée ici il y a un an, dans un contexte un peu différent, on s’en souvient tous, ici à Strasbourg, dans cette capitale de la fraternité européenne retrouvée, dans ce Parlement qui abrite ce que nous avons de plus précieux : notre démocratie européenne. Cette nouvelle étape, c’est celle d’un exercice démocratique inédit dans notre Union, qui ne consiste donc pas à confronter nos citoyens à des alternatives parfois peut-être trop simples, pour ou contre, mais de les associer pleinement à la réflexion sur l’avenir de notre Europe. Ce que vous avez fait, et qui est inédit, c’est d’être pleinement associé à la conception à un moment de défi historique et de créer par la délibération collective, l’intelligence du débat, la confrontation d’idées, des solutions, certaines prêtes à être tout de suite appliquées, d’autres qui doivent poursuivre leur chemin, mais toutes qui nous permettent de bâtir cette Europe d’aujourd’hui et de demain. 

Aujourd’hui, en ce 9 mai, la liberté et l’espoir dans l’avenir ont le visage de l’Union européenne. C’est au nom de cette liberté et de cet espoir que nous soutenons et que nous continuerons de soutenir l’Ukraine, son président, Volodymyr Zelensky, et tout le peuple ukrainien. Quel est notre objectif face à la décision unilatérale de la Russie d’envahir l’Ukraine et d’en agresser le peuple ? Faire cesser cette guerre au plus vite. Tout faire pour que l’Ukraine, à la fin, puisse tenir, et la Russie ne jamais l’emporter. Préserver la paix sur le reste du continent européen et éviter toute escalade. 

Pour que cette guerre prenne fin, nous avons adopté des sanctions sans précédent, pour entraver durablement les sources de financement de la guerre en Russie. Pour soutenir l’Ukraine, nous avons mobilisé comme jamais d’importants moyens militaires, financiers, humanitaires et nous devons accentuer nos efforts pour mettre en place une réponse efficace en matière de sécurité alimentaire, et nous continuerons. Pour que la justice parle, nous luttons et lutterons contre l’impunité des crimes inqualifiables commis par la Russie en Ukraine. 

Nous ne sommes pas pour autant en guerre contre la Russie. Nous œuvrons en Européens pour la préservation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, pour le retour de la paix sur notre continent. Il n’appartient qu’à l’Ukraine de définir les conditions des négociations avec la Russie. Mais notre devoir est d’être à ses côtés pour obtenir le cessez-le-feu, puis bâtir la paix. Puis nous serons là pour reconstruire l’Ukraine en Européens, toujours. 

Car enfin, quand la paix reviendra sur le sol européen, nous devrons en construire les nouveaux équilibres de sécurité et nous devrons, ensemble, ne jamais céder à la tentation ni de l’humiliation, ni de l’esprit de revanche, car ils ont déjà trop, par le passé, ravagé les chemins de la paix. 

C’est aussi au nom de cette liberté et de cet espoir que nous avons engagé ce souffle citoyen que vous portez, cette respiration démocratique inédite. Vous l’avez très bien dit, les uns et les autres, avec vos mots, les unes et les autres, vos générations, vos travaux nous obligent, et aujourd’hui, ne marquent pas une fin, mais bien comme un point-virgule, la fin d’une étape de vos travaux et l’ouverture maintenant d’une responsabilité qui est nôtre. 

La présidente de Commission européenne a parfaitement dit et s’est engagée à l’instant à assurer l’examen et le suivi attentif de chacune de vos propositions. Je veux ici l’en remercier. Nous aurons un rendez-vous concret au mois de septembre, vous l’avez entendu. Au titre de la présidence du Conseil de l’Union européenne et comme Président de la République française, je veillerai moi aussi à ce que cet exercice ne reste pas un exercice de style ou un exemple de méthode, simplement, mais qu’il débouche bel et bien sur des travaux pratiques, des évolutions fortes et concrètes et que les citoyens d’Europe puissent en cueillir les fruits. 

Car cette conférence ne doit pas s’arrêter là. Ma conviction retrempée, si je puis dire, dans le moment qui est le nôtre et la guerre que nous traversons, et que vos travaux ont confirmé, est tout d’abord, que les crises ne doivent pas nous détourner de notre agenda. Beaucoup de vos propositions, en effet, n’ont pas besoin de réforme institutionnelle, mais nous rappellent à la nécessité de l’agenda qui est le nôtre. La protection du climat et de la biodiversité, la santé et la qualité de notre alimentation. Une Europe plus juste, plus inclusive. Une Europe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Une Europe dotée des moyens de se défendre, une Europe solidaire, une Europe de la défense de nos valeurs et de l’Etat de droit. Partout, à travers vos propositions, beaucoup de choses très concrètes figurent. Il nous appartiendra, dans les prochains conseils et dans l’agenda de la Commission, d’en tirer toutes les conclusions. Je m’y engage ici.

Vos travaux dissocient deux exigences sur lesquelles je veux plus particulièrement revenir : celle de l’indépendance et de l’efficacité, sans lesquelles il n’y a pas de légitimité de nos démocraties. Ces deux impératifs sont aussi les leçons que nous tirons collectivement des crises que nous venons de traverser et que nous sommes en train de vivre : l’indépendance et l’efficacité. Plus d’indépendance européenne, de souveraineté, c’est ce dont nous avons besoin. 

Surmontant la crise de sens qu’elle traversait depuis tant de décennies, notre Europe s’est ressaisie ces dernières années. A travers vos propositions, nous retrouvons le fil de cet agenda stratégique que nous avons aussi ensemble avec les présidentes, le premier ministre portugais, ensemble dessiné cet agenda d’indépendance stratégique, cet agenda de Versailles. La crise financière vécue, il y a 10 ans, la pandémie, la guerre nous ont montré nos vulnérabilités et le risque quand nous ne répondions pas assez vite et assez fort à ses dépendances, d’en aggraver les conséquences. 

Le projet d’une Europe maîtresse de son destin, libre de ses choix, d’une Europe puissance ouverte au monde, mais où nous voulons choisir nos partenaires et ne pas dépendre d’eux, est au cœur de notre mission. Rester ouvert sans être dépendant est une condition de la poursuite du projet européen et de nos démocraties. Vous en dessinez quelques-uns des axes. Ils correspondent aussi à ce que nous travaillerons dans les prochaines semaines et les prochains mois. 

En matière de défense pour investir encore plus fort, identifier les capacités qui sont à bâtir et construire pour cela des filières industrielles européennes, nous préparer aux nouvelles formes de conflictualité, qu’il s’agisse du spatial, du cyber, du maritime et mieux protéger les pays ici présents qui sont à la frontière de l’Union européenne. Face à un risque nouveau, une menace nouvelle qui s’est transformée ces dernières semaines, c’est notre devoir. Et tout ce que nous défendons aujourd’hui deviendrait lettre morte si nous ne savions, dans les prochaines semaines et les prochains mois, crédibiliser notre capacité en Européen avec nos coopérations, nos alliés, nos alliances, à nous défendre aussi et à défendre en particulier notre flanc oriental. 

En matière écologique, vous l’avez parfaitement écrit, nous devons sortir plus vite et la guerre nous l’impose des énergies fossiles. C’est à la fois répondre à notre agenda climatique et être plus souverain et mettre la Russie face à ses responsabilités. La guerre en Ukraine et notre volonté de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles russes signifie que nous devons être encore plus ambitieux sur le plan climatique, nous devons investir davantage dans les énergies renouvelables et dans l’énergie nucléaire, nous devons prendre le chemin de la sobriété énergétique et continuer de protéger et d’accompagner les Européens face aux hausses de prix. Agir en européens pour faire de notre continent une puissance écologique atteignant la neutralité carbone. 

Il nous faut aussi retrouver notre indépendance alimentaire. La guerre en Ukraine déstabilise profondément les chaînes d’approvisionnement et les marchés mondiaux. Il nous faut réévaluer nos stratégies de production pour d’abord défendre notre souveraineté alimentaire et notre souveraineté protéinique en européens. Mais pour pouvoir aussi définir et réévaluer une stratégie à l’égard du reste du monde. Si nous voulons éviter les famines, les déstabilisations géopolitiques à nos frontières et les drames tout autour du bassin méditerranéen, c’est notre responsabilité d’européen. 

Indépendance démocratique et informationnelle enfin. Vous insistez beaucoup sur ce point, à juste titre, dans vos propositions. Vous avez commencé à démontrer ce que nous sommes vraiment : une puissance citoyenne et démocratique. Et il n’y a pas d’équivalent au monde, il n’y en a pas. Cette puissance citoyenne, nous devons continuer à la faire vivre en défendant la liberté et l’intégrité des informations qui sont échangées sur notre sol ; en défendant l’intégrité de nos processus démocratiques ; en défendant partout sur notre sol, la démocratie et l’État de droit. C’est cela ce que nous revivons à travers le combat héroïque de nos frères ukrainiens. La démocratie est fragile, l’État de droit est précaire. Sachons ensemble en rebâtir la force par des engagements nouveaux. Notre indépendance et notre souveraineté sont les conditions de notre liberté. 

Et puis, le deuxième grand chemin et je veux retenir, c’est celui de l’efficacité. Oui. Répondre face aux crises avec force, clarté, rapidité est décisif et le faire en tant que démocratie. Rappelez-vous, il y a deux ans de cela, il y a même encore un an, que n’entendions-nous ? Tant et tant dans nos opinions publiques, qui nous expliquaient qu’il fallait bien mieux être une puissance autoritaire pour répondre à la pandémie. Que ça marchait beaucoup mieux de ne pas avoir de système démocratique. Que des vaccins russes ou chinois allait nous sauver. Qu’avons-nous démontré ? Que la science libre, ouverte, que les processus démocratiques, transparents, délibératifs, exigeants dans nos parlements nationaux et au niveau européen, qu’une Europe s’inventant elle-même puissance sanitaire, – et je salue l’engagement et le travail formidable de la Commission car il n’y avait aucun traité pour le dire, ni aucun texte qui le définissait – ensemble, nous avons bâti une réponse inédite face à cette pandémie de science, de démocratie et d’efficacité. En réussissant à produire sur notre sol un vaccin, en devenant le premier espace au monde de production de vaccins, en assumant jamais de ne fermer nos frontières, en étant toujours celles et ceux qui laisseraient les frontières ouvertes et exportant et en étant la première puissance de solidarité vaccinale. C’est ça l’Europe dont nous devons être fiers : une Europe de la démocratie, de la science ouverte et libre et de l’efficacité. L’une avec l’autre. Eh bien, c’est ce choix que nous devons continuer d’assumer.

Quand je regarde les 15 dernières années, face à la crise économique et financière, nous avons mis trop de temps à réagir. Le Portugal et beaucoup d’autres, la Grèce, dont vous venez, en ont vécu les drames. Nous nous sommes d’abord divisés, nous sommes retombés dans nos égoïsmes nationaux, nous avons pointé du doigt, nous n’avons pas apporté de réponse collective et nous avons dit au fond aux peuples de s’adapter à une réalité et une crise financière qui, je le rappelle, était importée d’outre-Atlantique. La réponse ne vint, soyons humbles, que de la Banque centrale européenne et d’une fameuse formule « whatever it takes » – en bon français ou en alsacien, ici auquel je rends hommage – prononcée par Mario DRAGHI. Mais face à la pandémie et aujourd’hui face à la guerre, nous avons démontré le contraire. Face à la pandémie, la réponse que j’évoquais, mais aussi la décision unique en juillet 2020, de construire un budget nouveau, des financements mutualisés, une ambition nouvelle pour l’Europe inédite, en levant ensemble de l’argent sur les marchés pour investir en Européens pour nos priorités. Et face à la guerre, nous avons pour la première fois décidé de mobiliser la facilité de paix européenne pour aider l’Ukraine à se défendre et à se battre comme nous ne l’avions jamais fait. Soyons fiers de ces choix d’efficacité sans lesquels nous ne serions pas là aujourd’hui pour nous parler ainsi. Eh bien, en quelque sorte, cette efficacité [applaudissements] vous pouvez applaudir notre Europe, c’est vous tous. 

Le défi que vous nous posez, c’est d’être aussi efficace en quelque sorte en temps de paix et sans crise. Et être efficace ça veut dire décider vite de manière unie, en sachant investir massivement aux bons endroits, en ne laissant personne sur le bord de la route, c’est ça être européen. 

Face à cela, il faudra réformer aussi nos textes, c’est évident.

Et aussi, je veux dire clairement aujourd’hui que l’une des voies de cette réforme est la convocation d’une convention de révision des traités. C’est une proposition du Parlement européen, et je l’approuve.

Le vrai danger de la conférence sur l’avenir de l’Europe que Macron a réclamée en 2019 était qu’elle se concluerait sur un ensemble très modeste de propositions, à savoir seulement un accord politique sur une modeste liste transnationale pour la prochaine élection au parlement européen et quelques propositions citoyennes thématiques. Cela aurait été une grande déception, mais ce ne serait pas non plus une grande surprise compte tenu des tirs de barrage pour obtenir un véritable agenda institutionnel lors de l’installation de la Commission en 2019. En effet, ces sujets avaient clairement été écartés dans une relative indifférence de l’Elysée qui semblait une nouvelle fois laisser ses grands desseins européens lui échapper. Le discours place du coup à nouveau le sujet institutionnel au cœur de cette conférence et ouvre potentiellement un nouveau chapitre pour l’intégration européenne et les débats institutionnels.

J’y suis favorable. Elle suppose que nous travaillons maintenant ardemment, sur la base de vos propositions, et de vos travaux d’ailleurs, à définir nos objectifs de manière très claire parce qu’il faut commencer une convention en sachant où on arrive.

D’expérience, quand on commence des exercices aussi ambitieux, si on n’a pas une idée claire au début, il est rare qu’elle le soit davantage à la fin. Vous nous donnez un cadre très fort, nos débats, d’ailleurs politiques, ce que les chefs d’Etat et de gouvernements discutent, le montrent aussi. Et donc, dès les prochaines semaines, nous aurons à définir les préalables. Construire aussi l’accord de toutes et tous. Et je suis, je vous le dis, favorable à cette réforme institutionnelle. Et je souhaiterais que nous en discutions avec l’audace et la liberté nécessaires dès le Conseil européen du mois de juin.

Il est important de noter que Macron, toujours pressé, n’a pas l’intention d’attendre et veut provoquer une discussion sur le fond et sur la forme avec ses pairs dès le mois juin en espérant que la conversation se poursuive. La crise ne peut pas être une excuse à l’attentisme, elle peut être même, son meilleur allié. Compte tenu des enjeux, cela pourrait apparaître comme de l’empressement, en particulier dans les pays qui font à peine face à la guerre en Ukraine et à ses conséquences économiques et énergétiques. Plus qu’un démarrage rapide, Macron souhaite également que les objectifs et le point d’arrivée soient bien encadrés afin d’éviter une Convention sans but clair. Une leçon qu’il a tirée du passé, y compris de sa tentative ratée de Conventions démocratiques en 2018.

Ceci supposera d’avancer pour plus de simplicité. Nous connaissons la voie, c’est-à-dire avancer en continuant de généraliser le vote à la majorité qualifiée dans nos décisions pour nos principales politiques publiques.

L’objectif ici est annoncé assez simplement mais est potentiellement de grande portée. L’élargissement du champ d’application des décisions à la majorité qualifiée implique d’abord une décision unanime pour la faire accepter. La vraie question est aussi de savoir à quel compromis la France est prête. S’il est juste de demander que les sanctions ou les décisions fiscales soient soumises à l’unanimité, la France est-elle prête également à perdre son veto sur la politique de sécurité et de défense commune ? Ce sera un véritable test et les pays qui doutent des intentions de la France seront prompts à poser la question.

Il nous faudra continuer aussi d’avancer et de définir les voies et moyens d’être plus solidaires, clarifier nos objectifs, et l’objectif de toutes nos institutions, en instaurant des objectifs qui nous permettront de tenir notre Europe unie : la croissance, le plein emploi, nos objectifs climatiques.

Là, où les règles de tant de nos institutions reposaient sur des objectifs aujourd’hui devenus incomplets ne nous permettront pas de tenir face aux crises qui sont les nôtres et au défi historique, notre unité. Le plein emploi, l’objectif de croissance, la neutralité carbone, l’objectif de justice sociale doivent être au cœur des objectifs de nos institutions.

Il s’agit d’une référence moins explicite aux règles européennes, mais aussi aux objectifs fondamentaux et aux mandats des institutions de l’UE. Il est intéressant de noter que Macron se réfère ouvertement à un large éventail d’objectifs et aux institutions au sens large, sans les nommer, ce qui peut ouvrir la question du mandat de la BCE. En effet, un double mandat de la BCE ou un mandat qui inclurait le climat pourrait être une étape véritablement audacieuse, mais aussi véritablement conflictuelle dans certains pays.

Enfin réformer et ouvrir ce chantier, c’est évidemment celui aussi, et vous l’évoquez très bien dans vos travaux, de la légitimité du contrôle démocratique, de l’approfondissement de cette aventure démocratique inédite, et donc de continuer les innovations démocratiques comme nous avons su le faire à travers votre travail. Je remercie madame la Présidente d’avoir déjà engagé cela par un engagement clair à l’instant. Mais nous savons que nous devons aller plus loin. Nos règles d’élection, nos règles de désignation de nos représentants, nos règles de contrôle, nos droits d’initiative au Parlement européen, tout cela est ce qui doit être au cœur de cette convention à venir. Je crois très profondément que nous pouvons engager ces travaux, et je les ai mis sous le frontispice de l’efficacité, pourquoi ? Parce que je crois que tenir tous ces objectifs économiques, sociaux, environnementaux sont ceux qui nous permettent d’agir efficacement, et surtout de tenir notre Europe unie. Parce que sans ces objectifs, nous n’arriverons plus à convaincre nos peuples que l’aventure européenne est celle qui les réunit, les protège, et permet d’avancer. 

Dans le cadre de ce défi, nous savons que nous ne serons peut-être pas tous et toutes d’accord.

Et il ne faut pas non plus craindre la différenciation, les avant-gardes, elles ont toujours été fécondes pour le projet européen.

Enfin, la France avait perdu la boussole de sa théorie du changement pour l’Europe au cours des 5 dernières années. En effet, l’idée d’une avant-garde, d’une coalition de volontaires a toujours été au centre de la vision de l’Europe de Jacques Delors et de la France. Elle a également été particulièrement importante après l’élargissement de 2004, dont la France estimait qu’il fallait une alternative pour surmonter le déplacement vers l’est du barycentre du pouvoir politique européen. Faire de la zone euro le véritable cœur battant de l’UE était cette alternative, mais ce projet a largement échoué. La dernière tentative de Macron de le faire avec la déclaration de Meseberg de 2018 a été un échec retentissant et depuis lors, il n’y a eu pratiquement aucune intégration de la zone euro et même les projets plus modestes de l’union bancaire ou des marchés des capitaux sont restés largement bloqués.

Elles n’ont d’ailleurs jamais exclu, elles entraînent, et elles existent déjà de l’euro à Schengen. Mais je suis frappé ces dernières années, comme en quelque sorte la volonté de nous tenir à 27, nous interdit d’être plus ambitieux. 

Je suis frappé moi-même d’ailleurs que je le dis dans un constat de demi-échec, nous même chef d’Etat et de Gouvernement, nous n’arrivons jamais à nous réunir en format zone euro. Nous sommes le seul syndic de copropriété qui s’interdit de se réunir. En syndic de copropriété, il faut toujours inviter toute la rue. On a peur d’assumer d’être plus ambitieux, et de l’euro à Schengen, c’est toujours la même chose, et nous avons tort parce que ces cercles d’avant-garde n’excluent pas, mais c’est permettre à ceux et celles qui veulent avancer un peu plus loin d’entraîner les autres et de rendre l’ambition désirable, au lieu de rendre l’attentisme plus risqué. 

Je sais parfois les craintes qu’il y a d’une Europe à plusieurs vitesses, elle existe déjà, mais accélérer le rythme, relever nos ambitions, créer de la convergence en son cœur, sans format prédéfini, sans jamais exclure, mais aussi sans jamais laisser les plus sceptiques, ou les plus hésitants freiner est ce qui permettra à notre Europe de s’affirmer comme puissance. Cette différenciation ouverte à tous et fidèle à notre histoire et aux ambitions portées par les fondateurs, par Jacques Delors et pour notre Europe. Et c’est une condition de cette efficacité et de cette ambition que j’évoquais. 

Enfin, pour finir, et je m’extrais ici de vos propositions pour revenir sur le contexte et je sais que mon propos serait incomplet si je ne répondais pas à ce point particulier.

La guerre en Ukraine et l’aspiration légitime de ce peuple comme de la Moldavie et de la Géorgie à rejoindre l’Union européenne nous invitent à repenser notre géographie et l’organisation de notre continent. Et je veux ici le faire avec la même sincérité et la même exigence que celle avec laquelle vous avez conduit vos travaux et avec laquelle je m’exprime aujourd’hui devant vous.

L’intégration, y compris fiscale ou l’expansion des pouvoirs européens au domaine sanitaire avec la pandémie de COVID-19, s’est produite à 27 ans et non à 19. Cela étant dit, Macron a certainement raison de dire que la volonté d’accélérer l’élargissement doit changer cette réalité. Avec les Balkans, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, la structure actuelle de l’UE doit changer et une Europe qui dysfonctionne et est souvent bloquée à 27 ne le serait que davantage avec une demi douzaine de membres supplémentaires. Macron avait tenté d’imposer cette dialectique en 2019 lorsqu’il avait refusé d’ouvrir le processus d’adhésion a tous les balkans occidentaux en défendant l’idée qu’il ne pouvait y avoir d’élargissement de l’UE sans approfondissement au préalable. La méthode d’élargissement avait alors été révisée en 2020 pour aller dans ce sens.

L’Ukraine, par son combat et son courage, est d’ores et déjà aujourd’hui membre de cœur de notre Europe, de notre famille, de notre union. 

Mais même si nous lui accordions demain le statut de candidat – l’instruction est faite et je souhaite que nous allions vite – à l’adhésion à notre Union européenne, nous savons tous parfaitement que le processus leur permettant l’adhésion, prendrait plusieurs années, en vérité, sans doute plusieurs décennies, et c’est la vérité que de dire cela, sauf à ce que nous décidions de baisser les standards de cette adhésion et donc de complètement repenser l’unité de notre Europe et parfois les principes au nom desquels nous sommes exigeants à l’égard de certains de nos propres membres et nous y tenons tous. 

Soyons clairs, l’Union européenne, compte tenu de son niveau d’intégration et d’ambition, ne peut pas être à court terme le seul moyen de structurer le continent européen.

Il y a d’ores et déjà plusieurs pays des Balkans occidentaux qui sont engagés dans un processus d’adhésion. Et celui-ci va poursuivre son chemin et eux ont une vocation qui est déjà tracée. 

Mais il nous faut très clairement, face à ce nouveau contexte géopolitique, trouver la voie pour penser notre Europe, son unité, sa stabilité, sans fragiliser l’intimité bâtie au sein de notre Union européenne. Nous avons donc le devoir historique, non pas de faire comme on a toujours fait et de dire la seule réponse est l’adhésion, je vous le dis très sincèrement, mais d’ouvrir une réflexion historique à la hauteur des événements que nous sommes en train de vivre sur l’organisation de notre continent. Au moment où le Conseil de l’Europe lui-même, cette famille de valeurs communes abandonnées par la Russie, ce Conseil présent ici même à Strasbourg est également secoué par les bégaiements de l’histoire. 

En 1989, le président François Mitterrand ouvrit cette réflexion alors que l’Union soviétique se délitait en proposant la création d’une confédération européenne. Sa proposition n’eut pas de postérité. Elle était sans doute trop précoce. Elle associait la Russie à cette confédération, ce qui est bien entendu, fût très rapidement inacceptable pour les Etats qui venaient de se libérer du joug de l’Union soviétique. Mais elle posait une bonne question et cette question demeure : comment organiser l’Europe d’un point de vue politique et plus large que l’Union européenne ? C’est notre obligation historique que d’y répondre aujourd’hui et de créer ce que je qualifierai aujourd’hui devant vous « une communauté politique européenne »

Cette organisation permettrait aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération en matière énergétique, de transport, d’investissements, de circulation des personnes et en particulier de nos jeunesses. La rejoindre ne préjugerait pas d’adhésions futures à l’Union européenne, forcément, comme elle ne serait pas non plus fermée à ceux qui ont quitté cette dernière.

C’est là que Macron invoque l’idée de François Mitterrand de la Confédération qui devient dans son langage une « communauté politique européenne », une couche extérieure de l’intégration européenne au-dessus de l’Union. Il souligne à juste titre que Mitterrand pensait que cette union pourrait inclure la Russie et que cela ne peut plus être le cas maintenant. Mais Macron prend soin de ne pas fixer les limites géographiques de cette zone – il est remarquablement silencieux sur la Turquie –, mais il est par contre très explicite sur le fait que le Royaume-Uni pourrait rejoindre une telle structure et que son objectif pourrait inclure la coordination dans le domaine de la sécurité. Cette couche pourrait donc à la fois accueillir des pays qui ont vocation à entrer dans l’Union, comme des pays qui ne le souhaitent pas. Cette communauté serait donc à la fois une anti-chambre et un espace de coopération permanent à la manière l’espace économique européen aujourd’hui.

Beaucoup objecteront qu’il s’agit d’offrir un billet de deuxième classe pour l’Ukraine, mais c’est aussi certainement une bien meilleure transition vers l’Union que de rester dans le processus d’adhésion pendant plus d’une décennie. Le point de vue de Macron est ici un compromis, une adhésion accélérée qui poserait de lourds défis à moyen terme et un processus d’élargissement lent et chaotique.

Rassembler notre Europe dans la vérité de sa géographie, sur l’assise de ses valeurs démocratiques, avec la volonté de préserver l’unité de notre continent et en conservant la force et l’ambition de notre intégration. 

Voilà la proposition en complément de la réponse aux vôtres que je voulais faire devant vous aujourd’hui. Je tâcherai dans les prochaines semaines et les prochains mois, de consulter, travailler avec l’ensemble des États, gouvernements intéressés à ce projet pour chercher à le parachever, car je crois qu’il en va de la stabilité et de l’avenir de notre continent. 

Mesdames et messieurs, il y a un an, je vous disais : mon espoir que cette conférence sonne le retour des grands rêves et des grandes ambitions. C’est ce que vous avez aussi voulu. C’est ce que vous avez fait. C’est donc ce que nous allons ensemble poursuivre. C’est ça l’Europe. Ce sont des rêves fous, des ambitions inédites. Et c’est ensuite la capacité collective à construire des compromis qui peuvent sembler quelquefois laborieux, mais qui sont la langue de l’Europe, c’est-à-dire celle de la traduction permanente. 

Agir fort. Aller vite. Rêver grand. Ces mots ne sont pas seulement l’apanage de la Chine ou des Etats-Unis d’Amérique. Ces ambitions, nous les faisons nôtres. Gardons bien à l’esprit qu’il ne serait rien sans ce supplément d’âme européen qui nous rend unique, qui fixe le cap, donne le sens, qui fait que notre Europe et ce continent inédit où les grandes célébrations se font en parlant toutes nos langues et en les traduisant et en ayant une langue universelle qui est la nôtre, la musique, nos hymnes européennes. 

Dans l’ensemble, Macron avait quelque peu perdu sa place d’agitateur et de moteur du changement et de l’intégration européenne au cours des derniers mois. Étonnamment, il n’avait que peu utilisé  la présidence française de l’Union pour faire campagne sur la question européenne lors de sa propre élection présidentielle. Mais il semble avoir l’intention d’ouvrir son deuxième mandat, de la même manière que son premier avec les appels ambitieux (discours de la Sorbonne et d’Athènes). 

Alors ce chemin que nous avons commencé à dessiner ici, maintenant à Strasbourg presse en quelque sorte un serment. Ce serment de Strasbourg pour une Europe souveraine, unie, démocratique et ambitieuse. Il nous appartiendra d’y être fidèle, tous et toutes ensemble. 

Il semble également répéter les mêmes erreurs que lors de son mandat précédent en considérant qu’il suffit de donner de grands discours pour donner l’impulsion dont elle a besoin. Par cette méthode, ou son absence, en ne menant aucun travail diplomatique de préparation du terrain, Macron contribue à s’isoler là où il pourrait mener et rassembler. Quelques jours avant son discours, la Chancellerie restait dans le brouillard et l’expectative sur ce que Macron allait bien pouvoir dire le 9 mai et si l’on en croit la réaction cinglante de la Suède, la Finlande, la Bulgarie, la Pologne et 9 autres pays qui lui ont adressé une fin de non recevoir (« We recall that Treaty change has never been a purpose of the Conference. »). À gouverner seul en France, on finit par croire que l’on peut également gouverner seul en Europe. La question clé est maintenant de savoir si le gouvernement allemand est disposé à répondre à ces appels audacieux et s’il est également prêt à mettre la France face à ses contradictions et aux angles morts de sa réflexion notamment sur le fédéralisme, sur la démocratisation de l’Union, sur le transfert réel du pouvoir aux institutions européennes Nous devrions avoir  une idée de la dynamique déjà au Conseil européen de juin (23/24 juin).

Comptez sur moi. Merci beaucoup.

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