Key Points
- Une analyse de la géographie du scrutin de dimanche révèle clairement que le président sortant a pu compter sur le soutien de Paris et des agglomérations (sans leurs centres), ainsi que de ses bastions du nord-ouest qui l’ont plébiscité dès le premier tour.
- L’élection d’Emmanuel Macron aurait cependant été impossible sans le report des nombreux électeurs des régions les plus marquées à gauche ainsi que d’une partie des zones rurales.
- Sa base électorale est faible, voire très faible, dans un grand nombre de territoires qui se sont massivement abstenus (outre-mer, Corse, mais aussi près d’un quart des communes de l’hexagone).
- Marine Le Pen peut quant à elle compter sur un électorat très favorable, fidèle dans un petit nombre de communes, qui représente cependant une part réduite de la population.
Le second tour du scrutin présidentiel français révèle un territoire politiquement morcelé. Avec la rédaction des Bulletins des élections de l’Union européenne, nous vous proposons un premier bilan de la géographie électorale de ce scrutin-clef.
Une analyse en clusters des résultats combinés des deux tours
L’analyse qui suit considère les résultats des différentes communes de métropole, de Corse, et des quatre territoires d’outre-mer disposant d’un conseil régional ou territorial (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion) aux deux tours de scrutin.
À partir des résultats du premier et du second tour combinés, ainsi que de l’abstention et du nombre de votes blancs et nuls, une analyse de données automatisée 1 permet de dégager six groupes de communes aux caractéristiques bien différentes : six archipels français.
Dans ce qui suit, les scores sont tous donnés en pourcentage des inscrits et non des exprimés, afin de mesurer le soutien réel aux différents candidats au sein de l’électorat.
1. La ruralité partagée
Dans plus de dix mille communes représentant seulement 13 % de la population, les scores d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen sont proches au second tour, avec une abstention assez basse. Le président sortant, mené par Marine Le Pen le 10 avril, l’emporte cette fois d’une courte tête.
2. Les bastions du Front
Les bastions historiques du Front national devenu Rassemblement national dans le quart nord-est de la France ne représentent certes que 5 % des électeurs inscrits, mais leur comportement électoral aux deux tours a été très spécifique : Marine Le Pen y a dépassé de loin ses concurrents, l’abstention y est restée en-deçà de la moyenne nationale et le score de Mélenchon y a été faible au premier tour, au contraire d’autres territoires à la sociologie populaire. Dans ces communes, près d’un électeur inscrit sur deux est allé voter pour la candidate du RN au second tour.
Le territoire couvert est important dans le quart nord-est, comme le montre le « zoom » ci-dessous.
3. Les espaces urbains et l’ouest macronistes
Regroupant 26 % des inscrits dans seulement 15 % des communes, les grandes agglomérations et l’Ouest ont fourni à Emmanuel Macron une partie importante de son électorat du premier et du second tour. Les reports de voix au second tour lui ont également été très favorables dans ces zones, lui permettant d’obtenir plus de vingt points d’avance sur sa concurrente dimanche 24 avril.
Le deuxième « archipel » le plus peuplé contient également le seul territoire politiquement homogène à l’échelle de la métropole, couvrant le nord de la Vendée, l’est de la Loire-Atlantique, l’ouest du Maine-et-Loire et la région rennaise. Ailleurs, Emmanuel Macron s’impose surtout dans les grandes agglomérations privées de leurs centres (sauf Paris) et de leurs banlieues populaires, comme ici à Toulouse :
4. Les outre-mer et la Corse en colère
Les reports de voix « protestataires » de Jean-Luc Mélenchon vers Marine Le Pen ont principalement concerné les outre-mer, dont le comportement électoral à été extrêmement caractéristique et marqué par une très forte abstention. La Corse a également fortement plébiscité la candidate nationaliste au second tour. Avec une abstention de plus de 40 % aux deux tours et seulement 20 % des inscrits s’exprimant en faveur du président sortant le 24 avril, ces territoires ont envoyé à Paris un net message de mécontentement.
5. Les périphéries en rupture
Le vote RN au second tour a également constitué l’option privilégiée dans un groupe de communes majoritairement plus éloignées des principaux centres urbains, ou situés sur la façade méditerranéenne. Au premier tour, le vote Mélenchon y avait été relativement faible. Regroupant 19 % des inscrits pour 21 % des communes, l’abstention y a été moins forte que dans les outre-mer, mais s’est toutefois maintenu aux deux tours à un niveau élevé (de l’ordre de 25 %).
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6. Les terres de gauche en barrage
Constituant l’« archipel » le plus peuplé des six, les communes marquées à gauche des centres urbains (hors Paris), de la France méridionale, de l’est parisien et de Bretagne ont largement contribué à la victoire du président sortant le 24 avril. Là où Jean-Luc Mélenchon s’était largement imposé au premier tour, l’abstention et le nombre de bulletins blancs ou nuls se sont certes fortement accrus au second tour (+ 3 points pour l’abstention, +6 points pour le seul vote blanc), mais le report de l’électorat global vers Emmanuel Macron a été très net : au second tour, l’avance de LREM sur le RN a été de l’ordre de 10 points des inscrits, contre seulement 2 points au premier.
Un territoire morcelé
L’observation des différents groupes de communes aux environs de Lille et de Paris révèle l’importance des clivages infrarégionaux. Au centre de Lille, marqué à gauche (cluster 6), succède une agglomération macroniste (cluster 3), des périphéries tendant au vote RN (cluster 4), des zones de campagne (cluster 1) et finalement les anciens bassins miniers gagnés à Marine Le Pen (cluster 2).
Autour de Paris, la capitale et sa banlieue ouest macroniste (cluster 3) s’oppose classiquement à une banlieue est ayant plébiscité Jean-Luc Mélechon (cluster 6), jusqu’à atteindre à la périphérie francilienne quelques communes rurales (cluster 1) et surtout un grand nombre de zones plus périphériques peu mobilisées et favorables au RN (cluster 4).
À l’exception du nord-ouest, des outre-mer, de la Corse et, dans une certaine mesure, de l’Île-de-France, le passage à l’échelle locale est indispensable pour comprendre les dynamiques de cette élection.
En résumé, on retiendra que le président sortant a pu compter sur le soutien de Paris et des agglomérations (sans leur centre), ainsi que de ses bastions du nord-ouest qui l’ont plébiscité dès le premier tour, mais que son élection aurait été impossible sans le report des nombreux électeurs des régions les plus marquées à gauche ainsi que d’une partie des zones rurales. À l’inverse, sa base électorale est faible, voire très faible, dans un grand nombre de territoires qui se sont massivement abstenus (outre-mer, Corse, mais aussi près d’un quart des communes de l’hexagone). Marine Le Pen peut compter sur un électorat très fidèle dans un petit nombre de communes, qui représente cependant une part réduite de la population ; elle profite surtout d’une dynamique positive dans les zones périurbaines, où le risque de l’abstention est cependant très élevé – au risque de s’exposer, comme cette fois, à l’opposition durable d’une partie plus peuplée et mobilisée des territoires métropolitains.