Key Points
- Si les sanctions prises contre la Russie sont sans précédent, il faut noter les quelques exemptions qui empêchent leur pleine efficacité.
- L’exclusion de la Russie du système SWIFT pourrait engager des mouvements de contournements de celui-ci par de nouveaux instruments dans le monde.
- En revanche les effets massifs du gel par le monde occidental des actifs internationaux de la Banque centrale russe sont à souligner.
L’effet à court terme des sanctions financières est limité. Compte tenu de notre dépendance à l’égard de l’énergie russe, les sanctions n’ont fait qu’augmenter les prix, procurant ainsi davantage de revenus à la Russie. Pour cette même raison – à savoir la dépendance énergétique – l’exclusion des banques russes de SWIFT a également exempté la plus grande banque du pays, la Sberbank, et la Gazprom-bank, la troisième. Cependant, l’effet le plus important est celui exercé sur la réputation et la signalisation : les banques russes font l’objet d’une méfiance locale de la part des déposants, ce qui entraîne un drainage des liquidités. Elles ont été placées sur une liste noire internationale, ce qui les a coupées des marchés financiers internationaux et facilitera l’application des politiques de lutte contre le blanchiment d’argent. En outre, la Russie est en train de devenir une zone interdite aux entreprises internationales. En effet, des groupes de paiement, des banques et des entreprises ont annoncé leur départ. Mais pour produire des effets, il faudra du temps, comme le démontrent d’autres cas de pays sanctionnés, tels que l’Iran. C’est un contraste par rapport à l’effet dévastateur immédiat de la guerre en Ukraine.
Jusqu’à présent, l’Union a annoncé plusieurs vagues de sanctions à l’encontre de banques, d’entreprises et de particuliers russes. Les plus importantes sont :
- L’interdiction de toute transaction avec la Banque centrale russe et le gel de ses actifs à l’étranger, une sanction sans précédent dans l’histoire des banques centrales ;
- L’exclusion d’un groupe de sept grandes banques russes du service de messagerie financière SWIFT ;
- L’extension des mesures à la Banque centrale bélarusse et à son secteur financier, où l’interdiction de SWIFT est limitée à trois banques ;
- Le gel des avoirs dans l’UE d’un groupe de 862 personnes et 53 entités russes.
La déconnexion de ces mêmes banques russes de SWIFT a également été entérinée par les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse et le Japon, puis par l’Australie et le Canada. Il en est de même pour les transactions avec la Banque centrale de Russie. Parallèlement, l’administration Biden a annoncé des sanctions directes contre les banques russes. Mais les exemptions signifient qu’un nombre non négligeable de transactions peuvent se poursuivre et que les banques exemptées de l’interdiction de SWIFT peuvent être utilisées pour effectuer des transactions internationales. C’est encore plus vrai pour le Bélarus, où l’interdiction ne concerne que trois banques sur un total de plus de 25 banques actives, alors qu’il n’y a aucune dépendance énergétique vis-à-vis de ce pays.
La difficulté de réagir de manière adéquate à la guerre en Ukraine a démontré ce que nous savions déjà de manière tacite, à savoir que la Russie est étroitement infiltrée dans le système financier occidental, probablement avec l’intention de rendre toute sanction difficile. Des individus et des entreprises russes détiennent des parts importantes dans des sociétés européennes. Depuis l’adoption des premières sanctions en 2014, à la suite de l’annexion de la Crimée, la Russie savait que la question de SWIFT était sur la table et a cherché des alternatives. Des lignes de communication spéciales pour contourner SWIFT sont désormais susceptibles d’être mises en place entre les banques russes et les institutions financières chinoises, par exemple. Ces réseaux seront étendus à d’autres pays, réduisant ainsi le caractère central de SWIFT et des devises occidentales. L’Inde a également développé son système de messagerie financière structurée (SFMS) et n’a pas encore condamné l’invasion russe. Les banques pourraient même utiliser des canaux de paiement crypto déjà bien développés et qui ne font pas partie de SWIFT. La Commission a déclaré qu’elle suivrait également les paiements crypto, sans autre précision comment elle fera cela. Par ailleurs, les Banques centrales du monde entier étudient la possibilité d’émettre elles-mêmes leurs monnaies numériques, les « Central Bank Digital Currencies » (CBDC) réduisant ainsi le besoin de transactions avec SWIFT. Maintenant que l’exclusion de SWIFT est effectivement utilisée comme une arme politique, on peut s’attendre à ce que le développement d’alternatives s’accentue.
L’effet secondaire positif est la mise sur liste noire du système financier russe, et maintenant aussi bélarus. Jusqu’à présent, les banques et les entités européennes ont fait preuve d’indulgence à l’égard du système financier russe, même si des sanctions limitées étaient déjà en place. D’énormes affaires de blanchiment d’argent ont eu lieu dans l’Union, impliquant des contreparties russes, principalement via les Pays Baltes. Dans l’affaire Den Danske Bank, les procédures de lutte contre le blanchiment d’argent concernant le portefeuille de non-résidents de la succursale estonienne n’ont pas été correctement appliquées. Cela impliquait principalement des transactions de plus de 200 milliards d’euros entre 2007 et 2015 entre la Russie, le Royaume-Uni et des centres financiers offshore. Dans le cas de Swedbank, il s’agissait de transactions dans les filiales baltes d’environ 37 milliards d’euros entre 2014 et 2019. Dans l’affaire ABLV, une petite banque lettone a été liquidée par la BCE en 2018 pour plus d’un milliard d’euros de blanchiment d’argent criminel, provenant principalement de déposants russes. Et ce n’est probablement que la partie visible de l’iceberg, si l’on considère les constructions chypriotes ou maltaises, ou encore l’affaire Wirecard.
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Dans le même ordre d’idées, la BCE a pris ses responsabilités en déclarant la Sberbank défaillante ou susceptible de faire faillite dans le cadre du mécanisme de surveillance unique (SSM). Sberbank Europe, avec son entité basée dans l’Union, plus précisément en Autriche, et ses filiales en Slovénie et en Croatie, ont subi des retraits importants de dépôts et n’ont pas pu être recapitalisées par la société mère, compte tenu des mesures imposées à la Russie. La Sberbank, bien qu’exclue de l’interdiction de SWIFT, est la plus grande banque russe, et était également la plus grande banque russe dans l’UE, avec 13,6 milliards d’actifs et près de 4000 employés. La BCE avait très probablement déjà des doutes sur cette banque et a profité de l’occasion pour la fermer, laissant toutefois un coût de 1 milliard d’euros pour le fonds de garantie des dépôts autrichien. D’autres filiales européennes de Sberbank hors du SSM, comme celles se trouvant en République tchèque, en Hongrie, ainsi que dans les Balkans, sont également en cours de liquidation, les autorités hongroises étant contrariées de ne pas disposer d’actifs pour couvrir les pertes. C’est une question qui revient souvent dans le débat sur la consolidation des filiales bancaires au niveau de l’Union européenne.
Compte tenu de l’évolution de cette guerre, d’autres mesures devront être prises. L’exemption de deux banques russes, dont la plus grande du pays, est une omission énorme, qui permet de contourner l’interdiction de SWIFT facilement. Les autres formes de messagerie et de transactions existantes comme, entre autres, la CBDC qui est déjà utilisée dans certaines parties du monde, constituent une autre forme d’évasion. Par conséquent, une action axée sur de multiples niveaux et plus proportionnée sera nécessaire, avec moins ou pas d’exceptions. Il faudra aussi une action diplomatique impliquant d’autres pays pour limiter les contournements. Mais la clé est le gel par le monde occidental des actifs internationaux de la Banque centrale russe, des grandes sociétés et des particuliers russes.