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Ces 17 et 18 février 2022, l’Afrique et l’Europe se retrouvent pour un sommet de haut niveau, à Bruxelles. L’avenir et le sort du Sahel seront au programme de ces échanges, ainsi que la future coopération entre les deux continents. Quelles sont vos attentes ?
Je tiens à saluer particulièrement la tenue de ce sommet de haut niveau qui va traiter des questions les plus urgentes du moment en matière de coopération entre les deux continents. Il est de notoriété publique que l’Union européenne et l’Afrique sont des partenaires complémentaires de premier plan. Il existe de solides liens entre l’UE et l’UA, notamment sur les questions sécuritaires, migratoires et commerciales. J’ose espérer que les discussions et les réflexions approfondies qui seront engagées déboucheront sur des actions concrètes, comme l’a souligné le Président Macky Sall. Je suis en phase avec lui quand il dit attendre du sommet UE-UA « un partenariat rénové, modernisé et davantage orienté vers l’action ». C’est un moment unique pour hisser le partenariat vers un futur prometteur, bâti sur des relations saines et gagnantes pour que les chefs d’État africains et européens proposent ce que l’on pourrait appeler un « New Deal » entre l’Europe et l’Afrique, pour reprendre la jolie expression d’Achille Mbembe dans les colonnes de votre revue.
Il s’agit de propositions qui touchent évidemment plusieurs volets, dont l’accompagnement et la promotion du secteur privé africain. En tant que responsable de la Délégation générale à l’Entreprenariat Rapide des Jeunes et les Femmes (DER/FJ) au Sénégal, mon plus grand souhait est celui de voir renforcer les financements pour le secteur privé.
Plus concrètement, je m’attends beaucoup à ce que les chefs d’État de l’Union européenne et de l’Union africaine décident de mettre en place un fonds allant de 1 à 5 milliards d’euros, promouvant l’entreprenariat. Une promotion qui peut être faite sur la base de modèles comme le nôtre, celui de la DER/FJ. C’est-à-dire, la mise en place de mécanismes de financement souples et adaptés aux besoins des entrepreneurs : de la dette, de la subvention, de la garantie, du capital risk, mais aussi des bons de souscription et d’action. Après quatre ans d’exercice à la DER/FJ, l’on constate que les entrepreneurs – 25 à 30 millions de jeunes et femmes sur la totalité du continent, travaillant au début dans le secteur informel – ont besoin d’être accompagnés, financés et même formalisés pour passer à l’échelle. Je souligne ici le rôle important du secteur informel dans nos économies. Selon la Banque Mondiale, il emploie près de 90 % de la population africaine, 80 % pour le cas du Sénégal.
Ainsi, les mécanismes qui sont normalement mis en place par les banques classiques pourraient ne pas être adaptés à cette cible.
Qu’en est-il au-delà de la promotion de l’entrepreneuriat ?
Au-delà de l’entrepreneuriat, il existe évidemment d’autres grandes priorités poursuivant le développement économique de l’Afrique. Il s’agit notamment des investissements pour les infrastructures, l’agriculture, les PMEs… des initiatives visant, entre autres, à l’intégration du continent africain. Cette intégration passe avant tout par les rails, les autoroutes et les voies ferroviaires, des éléments qui vont, je l’espère, rapprocher concrètement nos continents. En ce sens, il existe une frontière commune entre l’Europe et l’Afrique, celle du Maroc. Aujourd’hui, par exemple, les camions marocains qui quittent l’Atlas viennent au Sénégal et repartent avec des produits vendus en Europe. Cette interaction entre les deux continents, à travers la Méditerranée et l’Atlantique, devrait être davantage renforcée. Enfin, j’estime que le transfert de compétences, le renforcement des capacités, le transfert des technologies et les programmes d’échanges universitaires sont absolument fondamentaux. Ces derniers peuvent constituer des éléments centraux pour la construction d’un partenariat entre l’UE et l’UA profitable aux deux continents.
Quel est votre regard sur l’article d’Achille Mbembe, publié récemment dans le Grand Continent, où ce dernier invite à sortir d’une vision apolitique du développement – ou plus précisément, comme l’a cité le Président Macron ce mercredi à Station F à « passer d’une approche apolitique et techniciste de l’aide au développement à une nouvelle approche, celle qui pourra donner un sens, construire un projet, un cap à une relation qui vivait dans le passé » ?
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et d’attention la pièce de doctrine publiée par Achille Mbembe. Bien évidemment, sa réflexion peut servir à alimenter le dialogue entre l’Union européenne et l’Union africaine. Monsieur Mbembe propose l’implication de l’Union européenne dans le soutien à l’innovation et à la démocratie en Afrique, compte tenu des enjeux qu’il représente. Comme vous le savez, la construction de la paix et de la démocratie en Afrique constitue une ambition majeure pour l’UA. Mais au-delà de la gouvernance démocratique, d’autres questions d’ordre stratégique autour du rééquilibrage des relations entre les deux continents sont inscrites à l’agenda. Je pense que les Présidents Macron et Sall ont très bien présenté cela.
On a pu parler d’une « doctrine Macron », qui consisterait dans la priorisation de l’axe euro-africain dans la stratégie de politique externe de l’Union. Est-ce que cette vision pourrait-être partagée par les Africains ?
Comme je l’ai déjà dit, le partenariat entre l’Europe et l’Afrique doit avant tout être inscrit dans le cadre d’une dynamique gagnant-gagnant. Par exemple, en promouvant le secteur privé de part et d’autre, en créant des opportunités d’investissements pour les entreprises européennes en Afrique et d’investissement et d’exportation en Europe pour les entreprises africaines. Ceci va évidemment de pair avec la question de la migration, qui devrait être, à mon avis – et comme demandé par les entrepreneurs, les jeunes, les étudiants, les universitaires ou encore le secteur privé – traitée en partant d’une plus grande et plus flexible circulation des personnes et des biens. Cela impliquerait une plus grande flexibilité et une plus grande facilité dans l’obtention des visas pour un court, moyen et long séjour, afin de permettre aux entrepreneurs, aux scientifiques et, plus généralement, aux Africains, de se rendre en Europe et d’en revenir dans les meilleures conditions. La difficulté d’obtenir un visa bloque les Africains, les renferme. Ceci est d’autant plus vrai pour celles et ceux qui se trouvent en Europe et qui sont découragés de faire l’aller-retour. Le résultat en est qu’ils ne rentrent plus en Afrique.
Je partage donc la vision du président Emmanuel Macron, qui, dans sa perspective européenne, voudrait renforcer l’axe euro-africain, en en faisant une des priorités d’action externe de la politique étrangère de l’Union européenne. Il s’agit de renforcer un partenariat Europe-Afrique qui, il faut le rappeler, est parfois mis à mal face aux partenaires émergents de l’Afrique, désormais solides, comme la Chine, la Russie, la Turquie et les autres pays asiatiques.
La proposition d’une coopération renouvelée entre les deux continents, telle que défendue par le Président français, sous-entend la promotion, entre autres, de partenariats publics-privés destinés à attirer les investisseurs mondiaux. Ce mécanisme n’est pourtant pas exempt de critiques. Les économistes Daniela Gabor et Ndongo Samba Sylla estiment qu’il s’agirait d’une « bombe à retardement budgétaire » pour les pays Africains. Êtes-vous en phase avec cette vision ?
Aujourd’hui, l’Afrique présente une croissance économique élevée avec de réelles opportunités. Les perspectives de croissance économique sont prometteuses. Les possibilités d’investissement et le potentiel à exploiter restent immenses. Mais pour que la croissance économique d’une Afrique qui accuse déjà beaucoup de retard soit durable et soutenue, les investissements dans les infrastructures demeurent essentiels. Plus généralement, cette croissance devrait être associée à de nouveaux et de meilleurs services publics afin de contribuer à la transformation structurelle de l’économie du continent. De ce point de vue, les partenariats public-privé pourraient jouer un rôle majeur dans la mesure où les fonds privés sont essentiels pour le développement du continent. Au-delà du secteur privé régional, l’Afrique, avec 2 % seulement des flux mondiaux d’investissements directs étrangers, devrait davantage susciter l’intérêt des investisseurs étrangers dans le cadre des PPP. Les exemples de réussite des PPP existent un peu partout en Afrique ; or si plusieurs avantages sont offerts par ces derniers, il faut reconnaître qu’ils font l’objet de plusieurs critiques (instabilité budgétaire, dissimulation de l’emprunt public, influence des marché financiers, contrats complexes, négociations confidentielles, etc.). Il faudrait donc renforcer le cadre juridique en matière de PPP pour une meilleure efficacité, et bâtir des PPP d’égal à égal.
Parallèlement au sommet UA/UE, la Présidence du Sénégal de l’Union Africaine vient de commencer. Le Président Macky Sall a souligné la nécessité de répondre aux urgences sanitaires et économiques du continent, dans l’esprit d’une « Afrique émergente ». Qu’espérez-vous de la Présidence sénégalaise et comment allez-vous y contribuer ?
Le Président Macky Sall a pris la Présidence de l’Union Africaine le 1er février 2022. L’organisation communautaire peut désormais compter sur son leadership. En effet, notre Président a acquis une grande crédibilité au plan international, le Sénégal représentant un modèle de démocratie et de stabilité en Afrique, et en particulier en Afrique de l’Ouest. Pour nous, il s’agit évidemment d’un moment symbolique fort, dans la mesure où le début du mandat du Président Macky Sall à la tête de l’UA coïncide avec le Sommet UA/UE.
La Présidence UA de Macky Sall a mis en avant et s’apprête à aborder plusieurs enjeux dont la question de la stabilité économique et financière, la question des Droits de tirage spéciaux (DTS), la question de la sécurité, du climat, sans oublier l’importante problématique liée à la jeunesse ; laquelle renvoie forcément à la formation, l’emploi, et plus particulièrement, l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, l’Afrique présente la population la plus jeune au monde, 70 à 75 % de la population ayant entre 12 et 25 ans. Avec le dividende démographique qui va replacer l’Afrique comme le continent de l’avenir, les Etats africains doivent être suffisamment préparés pour ne pas rater ce grand rendez-vous avec l’histoire. Il faut absolument trouver des emplois à ces jeunes, des formations et des financements pour que leurs projets voient le jour. C’est bien dans le but de promouvoir l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes, pour faire de ces couches de notre société des acteurs autonomes et indépendants de l’économie africaine que le Président Macky Sall a créé la DER/FJ en 2018.
Le modèle de la DER/FJ a suscité l’intérêt de la Directrice générale du Fond Monétaire International (FMI), du Président de la Banque Africaine de Développement (BAD) et d’autres personnalités. Comment comprenez-vous un tel engouement ?
Nous avons en effet reçu d’importants encouragements au niveau international, notamment de la part du FMI, de la BAD – un de nos premiers partenaires financiers, ou encore de personnalités européennes comme la Commissaire Vestager. Nous avons surtout gagné la confiance de nombreux partenaires, y compris de nombreux bailleurs internationaux, à l’instar de la BAD que je viens de citer, de l’Agence Française de Développement (AFD), du Fonds international de Développement Agricole, du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), de la Fondation Bill et Melinda Gates… – et des Partenaires Techniques et Financiers du Sénégal. Ces derniers nous accordent leur confiance en connaissance de cause. Ils ont été convaincus de l’efficacité et de la viabilité du modèle de la DER/FJ dont les résultats sont, à eux seuls, assez éloquents. Depuis le lancement de nos activités, il y a quatre ans, nous avons octroyé plus de 188 220 crédits à plus de 153 514 bénéficiaires, pour un total de 80 milliards de francs CFA [environ 122 millions d’euros].
Le succès du modèle DER semble principalement reposer, d’un côté, sur la diversification des services que vous offrez et, de l’autre, sur la proposition de différents montants des financements.
Dès le début, nous avons pris conscience de l’importance de la diversification. Pour cela, nous proposons une offre intégrée d’accompagnement aux entrepreneurs, afin de maximiser leurs chances de succès. Nous avons ainsi institué la politique des 3F (Formalisation, Formation et Financement). Comme leur nom l’indique, la Formalisation (l’accompagnement sur l’immatriculation et la contribution à l’inclusion financière) et la Formation (le renforcement de capacités, le mentorat, les ateliers, entre autres) sont des services supplémentaires et de nature différente par rapport à ceux du Financement. Ils sont absolument essentiels si l’on prend compte la structure de nos sociétés qui, comme je le disais auparavant, sont, pour la plupart, fondées sur le travail informel. De même, nous avons mis en place plusieurs produits de financement phares, à travers trois guichets différents de financement (de 10.000 FCFA [c’est-à-dire 15 euros] à plus de 300 millions de FCFA [environ 457.000 euros], afin de répondre de la meilleure manière possible aux besoins de toutes les couches de la population.
Pouvez-vous présenter un type de guichet de financement ?
Le premier guichet, avec des financements inférieurs à un million de FCFA [environ 1525 euros], est destiné aux couches les plus vulnérables, dont il faut promouvoir l’autonomisation économique. Un de nos programmes-phares, ou en tout cas le plus réussi, est le Nano Crédit, qui rentre dans cette catégorie, avec un montant qui va de 10.000 FCFA [15 euros] à 300.000 FCFA [456 euros], remboursables sur une durée de trois mois, voire six pour les plus hauts financements. Il s’agit d’un instrument extrêmement efficace qui a été conçu pour inclure celles et ceux qui étaient généralement exclus du système financier classique. Il doit son efficience au fait d’avoir, comme point d’ancrage, les marchés traditionnels, les quais de pêche, les quartiers… Nos premiers promoteurs ont ainsi été les bénéficiaires eux-mêmes, notamment des femmes particulièrement satisfaites de notre service, qui ont poussé leurs collègues des autres fédérations et des coopératives à essayer et adopter le Nano crédit.
Votre approche contribue ainsi à la création d’un véritable écosystème entrepreneurial et à la structuration de chaînes de valeurs qui touchent plusieurs secteurs, de l’agriculture à l’artisanat, en passant par la pêche, l’élevage ou encore les services…
Il est fondamental pour le développement soutenable de notre pays et, plus généralement, de notre continent, de structurer et de renforcer des chaînes de valeurs, au niveau national et régional. Pour ce qui de notre approche de la structuration des chaînes, nous avons mis en œuvre un ensemble d’activités centrées sur les filières porteuses (le sel, l’anacarde, le lait, les cuirs et peaux, le riz…), afin de mettre en place des écosystèmes durables et respectueux de l’équité territoriale. Cela va de pair avec la facilitation de l’accès au financement et la satisfaction de la demande du marché. Une approche intégrée par un de nos programmes phares, le PAVIE (Projet d’Appui et de valorisation des Initiatives Entrepreneuriales), vise à intervenir sur les maillons essentiels des différentes chaînes de valeur à fort potentiel de l’économie sénégalaise afin de lever les obstacles structurels à leur performance. Au-delà de l’accompagnement et du financement de moyens techniques pour améliorer la qualité et la quantité des produits, il s’agit, entre autres, de promouvoir la fédération des producteurs concernés et les relations contractuelles entre les acteurs des différents maillons de la chaîne, en vue d’accroître, de manière collective, leurs avantages concurrentiels et de permettre une meilleure distribution de la valeur ajoutée. À ce jour, nous avons financé plus de 12 650 initiatives entrepreneuriales dans le cadre de ce volet.
Un des volets prioritaires de la DER/FJ est l’accompagnement du secteur numérique. Pouvez-vous expliquer votre démarche et votre stratégie pour le futur, afin d’accélérer le processus de digitalisation des sociétés et des activités économiques sénégalaises ?
Notre ambition est de faire du Sénégal un hub numérique de référence en Afrique de l’Ouest. Pour cela, nous avons mis en place un Fonds de Soutien à l’Innovation et au secteur numérique (FSI-N). À l’heure actuelle, plus de 192 startups et TPME innovantes bénéficient de notre accompagnement et de nos financements. Par rapport aux autres secteurs d’activité, celui du numérique présente une particularité. Il était beaucoup plus difficile pour les projets innovants de trouver des financements étant donné leur pourcentage de chances de réussite, plus faible. De plus, nous avons mis à disposition de l’écosystème numérique sénégalais et international le DER Innovation Hub (ou « D-Hub »), qui est un espace servant de cadre de référence et de lieu de rencontres. Et nous venons de lancer la construction du Centre Mohammed Bin Zayed pour l’innovation et l’entreprenariat (MBZ). Ce Centre a pour vocation de devenir une référence africaine dans le domaine de l’accélération du développement de l’écosystème numérique et des startups.
Toutes ces initiatives peuvent être résumées en une stratégie de développement du numérique compréhensive, touchant justement à la construction d’écosystèmes et de réseaux d’acteurs-clé dans le développement de l’innovation et des synergies technologiques. Cela se fait avec le développement de clusters forts et dynamiques, couvrant plusieurs secteurs (e-santé, agritech), la mobilisation de fonds pour démultiplier l’impact des actions menées et l’institution de partenariats internationaux avec des écosystèmes d’innovation étrangers. Je souligne, de ce point de vue, l’importance et la pertinence de cette vision dans la perspective du Sommet UA/UE. Parallèlement à ce que l’on trouve en Europe, avec des projets politiques comme la « start-up nation » promue par le président Emmanuel Macron ou avec des initiatives privées, le secteur du numérique est en expansion sur tout le continent africain. Ainsi, l’institution de partenariats entre les différents hubs et start-ups présents sur les deux continents est un très bon exemple de coopération. J’ai d’ailleurs participé, ce mercredi, à une table ronde à la Station F, hub numérique français par excellence, autour de la thématique « Investir ensemble, pour une nouvelle alliance entre l’Afrique et l’Europe ». J’espère que cet évènement pré-Sommet aura un écho au Sommet lui-même.
D’après votre expérience, quelles pistes de solutions préconisez-vous pour améliorer l’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest ?
Partons des solutions au niveau national. Il faudrait, avant tout, renforcer l’écosystème entrepreneurial, en créant un environnement propice : en mobilisant davantage de financements dédiés à l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes et en promouvant des incubateurs d’entreprises au niveau local, ainsi que des structures d’accompagnement pour les entrepreneurs. Ensuite, il faudrait simplifier et alléger les procédures administratives de création d’entreprise, en mettant en place un système d’accompagnement personnalisé et un suivi des entrepreneurs naissants. Le tout devrait s’accompagner notamment de la création de richesses dans les différents secteurs d’activités, en premier lieu le secteur agricole.
Ces initiatives vont de pair, d’une part, avec l’amélioration de l’employabilité des jeunes, qui passe évidemment par le développement de la formation et de l’éducation pour les entrepreneurs, avec des contenus adaptés aux besoins du marché du travail. D’autre part, il faudrait davantage se diriger vers une économie formelle, avec la connexion, par exemple, du secteur informel avec les marchés porteurs, en accroissant le niveau de financement des projets et la productivité dans le secteur.
Pour le volet ouest-africain, il faudrait instituer un fonds dédié à l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes, et créer une synergie d’actions entre les États – notamment entre les incubateurs, accélérateurs et autres espaces de travail collaboratif. Cela pourrait aller de pair avec la mise en place d’un marché unique pour l’entrepreneuriat au niveau ouest-africain, à travers l’abolition des contraintes financières liées à la mobilité, au financement du séjour ou encore à la prise en charge… J’ajoute d’ailleurs que certains de nos projets phares déjà cités, dont le PAVIE et le MBZ, ont une vocation sous-régionale.
Est-ce que l’encouragement de ce type d’intégration sous-régionale irait de pair avec une exportation du modèle de la DER dans les autres pays ? Pensez-vous que ce modèle soit réplicable dans et au-delà de l’Afrique de l’Ouest ?
Bien entendu, même s’il ne s’agit pas de faire un copier-coller. Ce qu’il faudrait surtout, ce serait proposer et adapter le modèle DER en fonction des besoins et des conformités des autres pays. Nous avons d’ailleurs déjà participé à huit initiatives d’assistance technique et de partage d’expérience avec des pays voisins. Nos amis mauritaniens sont sur le point de mettre en place le Nano crédit, comme celui déployé par la DER. Le partage d’expertises à l’échelle locale pourrait évidemment favoriser la création d’un écosystème entrepreneurial transrégional fort, avec le renforcement conséquent des chaînes de valeurs régionales.
Pour le reste, nous avons recueilli le souhait de la Directrice du FMI ainsi que celui du Président de la BAD, de voir le modèle de la DER répliqué dans les pays d’Afrique couverts par les deux institutions, au-delà de la sous-région ouest africaine. Néanmoins, un partage d’expertises et de connaissances pourrait être envisagé aussi avec d’autres régions du monde, comme l’Amérique latine. Pour cela, nous appelons à un renforcement du dialogue multilatéral et des plateformes d’échanges entre pairs. Heureusement, des institutions de ce type existent déjà, comme le Centre de développement de l’OCDE. À mon avis, il serait intéressant de créer ou renforcer des plateformes multilatérales, représentatives et agiles à la fois, visant des thématiques spécifiques et inhérentes à des pays différents – des pays en développement à ceux de l’OCDE, incluant, évidemment, ceux de l’Union européenne. Encore une fois, de la matière à réflexion pour le Sommet.
Reprenons un point que vous avez déjà souligné, relatif aux migrations. Environ 12 % du PIB sénégalais provient des remises de la diaspora. Il en est de même pour beaucoup d’autres pays africains. Comment inclure cette donne et exploiter au mieux ces ressources ?
Nous avons lancé en novembre dernier à Dakar, et cette semaine à Paris, le Fonds Diaspora de la DER/FJ, en partenariat avec le Ministère des Affaires Étrangères. L’objectif est de mobiliser les compétences de la diaspora au service du développement local et d’encourager les investissements des Sénégalais de l’extérieur dans leur localité d’origine. En effet, 9,3 % des transferts des émigrés sont destinés à l’investissement (principalement l’immobilier), contre 90.7 % pour les dépenses courantes de leur famille. Il s’agit donc d’encourager nos compatriotes à faire du cofinancement, de la manière la moins risquée possible, en réorientant une partie de leurs transferts vers un investissement productif ciblant les secteurs-clefs de notre économie. De même, il faut soutenir la réinsertion des Sénégalais qui souhaitent revenir dans leur pays.
En ce sens, comment la promotion de l’entrepreneuriat en Afrique se conjuguerait avec des initiatives de partenariats pour la mobilité des compétences ?
Je prône évidemment une facilitation de la mobilité croisée entre l’Europe et l’Afrique, afin de promouvoir les talents africains, notamment dans les domaines de l’entrepreneuriat, de l’éducation, de la recherche, de l’innovation, de la culture ou du sport. Ce serait possible avec la mise en place d’une « carte bleue » européenne, qui contribuerait à la mise en œuvre d’une « mobilité circulaire positive » d’un continent à l’autre. Pour y avoir bien réfléchi, c’est une dynamique qui peut évidemment se déployer par la création d’entreprises à cheval entre les deux continents et par la promotion de l’entrepreneuriat, alimentée par une main d’œuvre africaine jeune et qualifiée. Il est également crucial que les étudiants deviennent plus mobiles, dans un monde où l’employabilité est plus « élevée » dans les secteurs porteurs (numérique, big data, ingénierie, agriculture, développement durable). Il est bien possible de créer des doubles diplômes ou des centres de formation pour des compétences spécifiques – liées, par exemple, au secteur numérique. Enfin, en ce qui concerne le Sommet UA/UE et le changement de récit et de perception de l’Europe envers l’Afrique, il faudrait avant tout partir d’une question de vocabulaire : il est temps de remplacer le terme de migration par celui de mobilité.