Un vent mauvais souffle sur le débat européen. Le souverainisme diffuse son poison chaque jour plus largement, jusqu’à un ancien commissaire. À la veille de la présidence française de l’Union, Emmanuel Macron tente de convaincre le pays qu’il serait le seul européen sincère, et que l’avenir de l’Union européenne ce serait lui ou le chaos souverainiste.
L’Union européenne et notre pays ont droit à un autre débat. Rien ne m’est plus étranger que le souverainisme qu’il soit de gauche, de droite ou d’extrême-droite. Je me bats certes pour « reprendre la maîtrise », sur nos vies, sur la mondialisation libérale, sur l’avenir de la planète, mais contrairement aux souverainistes je suis convaincue que pour cela, notre seul véritable outil, c’est le renforcement et l’autonomie de l’Union européenne.
Depuis 20 ans l’Union est dominée par la droite, construite d’abord sur le marché, soumise aux idées libérales ; elle n’a pas suffisamment protégé les Européens des terribles conséquences économiques et sociales de la crise de 2008. Il a fallu la crise Covid pour qu’enfin les dogmes libéraux s’effondrent et que le pacte de stabilité issu du traité de Maastricht soit suspendu. Ce tournant ne doit pas être une parenthèse ; l’Union européenne a besoin d’un nouveau projet pour retrouver durablement la confiance des citoyens. Ce projet a pour moi un nom : « Vivre mieux » ; il est socialiste et écologiste, et sa mise en œuvre suppose des progrès dans la démocratie européenne.
Pour reprendre la maîtrise : un chemin vers l’autonomie européenne
L’Union Européenne doit agir en urgence dans quatre domaines qui sont autant de tests collectifs.
En matière sanitaire, l’Union doit être capable de produire sur son sol les vaccins, médicaments et dispositifs médicaux dont nous avons besoin. Cela suppose dans ce domaine une approche spécifique qui modifie en profondeur les règles en vigueur en matière d’aide d’État et de droit de la concurrence, et permette ainsi l’investissement public et privé rapide, massif, coordonné.
L’Union doit aller également vers une reconquête industrielle afin de répondre de manière autonome aux besoins fondamentaux des populations, affronter les transitions numériques et écologiques, protéger l’approvisionnement des grandes filières industrielles, et réguler les évolutions erratiques des prix liées aux goulots d’étranglement du commerce international.
L’Union doit mettre en œuvre un véritable correctif carbone à ses frontières, qui empêche la concurrence déloyale et instaure une vérité des prix environnementaux. Elle doit aussi renforcer le contrôle démocratique de ses politiques de concurrence et de commerce international afin qu’elles soient des outils de la défense de ses valeurs et de ses intérêts.
Une Europe plus démocratique
Depuis trop longtemps, les populistes s’attaquent à l’Union en accablant la primauté du droit européen. Mais chacun sent bien qu’une Union au sein de laquelle chaque État membre serait libre de prendre ou laisser tel ou tel sujet, ne serait qu’un bateau ivre. L’ordre juridique qui place à son sommet le droit européen est à la racine de la construction de l’Union. Inverser l’ordre juridique équivaudrait à vouloir sortir de l’Union.
Certes le droit européen peut sembler complexe et de qualité insuffisante mais il faut faire la part des choses entre ce qui viendrait de Bruxelles et les absurdités bien réelles de sa traduction en France dans des règles tatillonnes excessives et souvent évitables. En renforçant la démocratie européenne à l’issue de la conférence sur l’avenir de l’Europe comme le suggère la coalition allemande, la nature du droit européen doit en sortir renforcée.
Je veux faire en sorte que le Parlement partage l’initiative des lois et puisse amender le budget pluriannuel, de manière à éviter que des pans entiers de décisions échappent à son contrôle. Mais je veux aller plus loin. Je propose de permettre au Parlement européen d’avoir le dernier mot dans l’adoption de la loi en pouvant passer outre l’opposition du Conseil à la condition d’obtenir une majorité qualifiée des deux tiers.
Je veux également renforcer les droits citoyens d’interpellation et de contrôle de l’Union et associer les collectivités locales à l’élaboration, au suivi et à la mise en œuvre des politiques européennes. Faire la Loi avec les citoyens, les élus européen et les élus locaux est le meilleur chemin pour améliorer le droit et les politiques européens.
Un pacte pour vivre mieux et réduire les inégalités : réussir notre changement de modèle
Le pacte de stabilité est mort, il serait absurde de le ressusciter. L’Union a comme chaque pays, besoin de sérieux économique, mais les niveaux de dette, de déficit des comptes publics, ou d’inflation, ne peuvent être les seuls critères du pilotage des politiques européennes et nationales. Une nouvelle gouvernance économique, sociale et écologique de l’Union devrait être la grande priorité de la présidence française.
Ainsi le « semestre européen », procédure de dialogue entre l’Union et chaque État membre, n’a pas de sens si les critères restent exclusivement financiers et conduisent à préconiser des réformes libérales, celles qui ont mené l’Union dans l’impasse et ruiné la confiance des citoyens. Je propose de remplacer le pacte de stabilité par un pacte de progrès combinant des objectifs économiques et financiers adaptés à la situation de chaque pays et huit critères donnant une traduction concrète au « vivre mieux » que j’appelle de mes vœux : l’espérance de vie en bonne santé, le niveau de la pauvreté, le niveau du chômage et de l’emploi, les objectifs de 3 % du PIB consacrés à la R&D et d’élévation du niveau de formation, les inégalités entre femmes et hommes et toutes les formes de discriminations, l’état des milieux naturels et de la biodiversité, les émissions de gaz à effet de serre, le développement des services publics.
Il s’agit ainsi de faire de l’humain et de la planète les nouvelles priorités politiques de la construction européenne, de donner la primauté à la lutte contre les inégalités, sociales et géographiques. Cela implique notamment de mener une véritable politique de convergence sociale, en renforçant la politique de cohésion territoriale, de s’assurer de l’existence d’un revenu et de salaires minimum cohérents dans chaque pays, d’éradiquer la pauvreté des enfants, des jeunes et des personnes âgées. Nous avons aussi besoin d’une mise en œuvre plus exigeante de la transition écologique de l’Europe, avec des objectifs précis et un calendrier par pays, et une révision écologique de toutes les politiques européennes – en premier lieu la politique agricole commune.
Il n’y a pas de nouveau chemin commun possible sans respect de l’État de droit dans tous ses aspects. Il n’y a pas de place pour la démocratie illibérale en Europe. Faute de respecter les droits humains fondamentaux, l’indépendance de la justice, la liberté des médias, les États visés doivent être financièrement sanctionnés.
Il n’y a pas d’ambition européenne possible sans doter l’Union de ressources propres, car son budget ne doit plus être essentiellement construit sur la base de contributions nationales. La taxe sur les transactions financières et sur les géants du numérique, la contribution carbone aux frontières et des fractions suffisantes de la TVA et de l’impôt sur les sociétés doivent rapidement devenir les ressources principales de l’Union.
Défense, migrations, énergie : trois moments de vérité pour les Européens
Les nouvelles menaces ne sont pas d’abord militaires ou conventionnelles mais visent les dimensions sanitaire, numérique, industrielle, énergétique, et se doublent de tentatives récurrentes de déstabilisation. Nous avons des intérêts communs à défendre, ils doivent être explicités dans une doctrine stratégique sans laquelle tout débat sur la défense et la sécurité européenne est dénué de sens.
Si elle veut être crédible à l’échelle mondiale, l’Europe doit commencer par parler d’une seule voix au sein de l’ONU et au sein de l’OTAN, mener ensemble toutes les opérations extérieures dès leurs prémices, au-delà du fonds européen de défense construire une politique commune industrielle, de recherche et d’innovation dans la défense comme dans le spatial, mettre en commun nos politiques d’aide au développement, renouer avec une ambition culturelle en investissant ensemble dans le monde dans les lycées et universités, les centres culturels, les médias, et en assurant la promotion de la diversité culturelle et du multilinguisme.
L’Europe est une terre de migration, nous devons l’assumer. L’Europe est la patrie des droits humains ce qui lui confère des devoirs, nous devons le revendiquer. L’Europe est multiculturelle, pluri-religieuse, et dans bien des pays, métissée, nous devons le reconnaître. Le marché du travail européen, du fait de notre démographie, a besoin de nouveaux arrivants, nous devons l’admettre.
Je veux donc travailler à des politiques de migration et d’asile réellement communes et organisées autour de deux piliers. D’abord le respect de nos obligations internationales et de nos valeurs (protection internationale, respect des droits, accueil réparti et solidarité entre États membres), ensuite une maîtrise collective des canaux de migration : régulation des flux, contrôle des frontières, lutte contre les trafiquants, création de voies légales de migration. Nous devons aussi rapidement prendre en compte l’impact des enjeux climatiques globaux sur les migrations environnementales qui toucheront notre continent à brève échéance.
La question de l’énergie est un double stigmate de l’échec européen d’Emmanuel Macron. Au moment même où l’Union est frappée par une hausse rapide du prix de l’énergie, liée aux déséquilibres du marché mondial et aux manipulations de la Russie, la France et l’Allemagne sont entrées dans une confrontation brutale, tant sur la réforme du marché de l’énergie que sur le mix énergétique de l’Union et la place du nucléaire.
Je partage la nécessité de réformer le marché de l’énergie : découplage entre le prix électricité et celui du gaz, solidarité européenne dans les achats et la gestion de stocks stratégiques notamment. Mais je veux aller plus loin et notamment taxer les super profits des groupes énergétiques afin de financer le soutien aux énergies renouvelables et au pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires. Je ne soutiens pas la demande de la France de classer le nucléaire et le gaz naturel dans la « taxonomie » européenne. Il s’agit là d’énergies de transition dont nous aurons besoin pendant encore de nombreuses années mais qui ne peuvent pas être classées dans la « finance verte ». Celle-ci doit être intégralement tournée vers les énergies renouvelables et les leviers de la transition énergétique : rénovation énergétique du bâti, réseaux électriques et stockage, hydrogène…
Des priorités claires pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE)
La présidence française ne peut se contenter d’assurer la continuité de la gestion des dossiers en cours ; elle doit donner une nouvelle impulsion à la construction européenne, et ne dispose que de trois mois utiles pour agir avant la campagne présidentielle. Je regrette qu’Emmanuel Macron n’ait pas, au nom de l’intérêt de la France et de l’Europe, demandé à décaler la présidence française et de la confier aux nouveaux dirigeants issus des urnes. Il a préféré ses intérêts personnels et électoraux, cela ne le grandit pas.
À partir du 1er janvier 2022, la France devrait avoir comme priorité de donner une nouvelle impulsion à la construction européenne autour de sujets concrets, qui répondent aux inquiétudes des Européens. Lancer une « Union européenne de la santé » autour de la sécurité sanitaire et des grandes priorités de santé publique. Tourner la page du pacte de stabilité et construire un agenda européen pour vivre mieux, social et écologique : défense de la dignité humaine, salaire et revenu minimum, lutte contre la pauvreté, droits des femmes et droit à l’avortement ; mise en œuvre encore plus volontariste du pacte vert. Cet agenda doit s’accompagner d’une nouvelle gouvernance économique européenne qui facilite l’investissement et s’appuie sur de nouveaux critères de bien-être. Enfin, enclencher une conférence européenne sur la sécurité de l’Europe et sa place dans le monde pour définir ensemble une doctrine stratégique commune et protéger les Européens.
À ce programme de travail très ambitieux, je propose pour la France un dernier chantier majeur, qui semble avoir échappé au Président de la République : la construction d’une véritable citoyenneté et d’un espace public européen. Le formidable réseau des jumelages, des maisons de l’Europe, du monde associatif, ce mouvement profond de fraternité et de dialogue qui est le cœur de notre identité a été délaissé et mérite désormais un nouveau soutien.
Trop souvent arrogante et donneuse de leçon, la France doit se donner comme mission de découvrir, comprendre, partager, de prendre à bras le corps la formidable diversité de l’Europe, pour bâtir des passerelles, animer un dialogue et une reconnaissance mutuelle, faire vibrer l’esprit de fraternité et d’égalité, sans lequel il n’y aura ni citoyenneté européenne, ni unité dans la diversité.