Des élections nationales ont lieu en octobre en République tchèque. Quels en sont les enjeux ? 

L’enjeu principal est de savoir si le gouvernement actuel de l’oligarque populiste Andrej Babiš et son bloc politique resteront au pouvoir. Autour de cette histoire, cinq partis d’opposition ont formé des blocs de coalition : un bloc conservateur, et un bloc libéral dirigé par les Pirates. À l’heure actuelle, ces trois blocs ont des chances similaires de remporter l’élection et pourraient obtenir des scores compris entre 20 et 25 % selon les sondages. La question de savoir si Babiš peut rester au pouvoir reste donc indéterminée. C’est une course très serrée. Cette question cache des défis tels que le climat, Covid-19, et la relance, qui devraient être plus importants. 

Une autre question est celle de la subsistance des partis de gauche au Parlement après les élections. Les communistes et les sociaux-démocrates se situent tous deux autour du seuil des 5 %. S’ils devaient se retirer du Parlement, les Pirates seraient la force la plus à gauche, même s’ils se considèrent comme centristes. 

Quelle est la place des Verts tchèques dans ce paysage et quels sont leurs principaux objectifs ? 

Au début, nous avons essayé de coopérer avec d’autres partis pour nous concentrer sur l’élimination de Babiš. Cependant, nos négociations avec les Pirates n’ont pas abouti à un accord. Les Verts ont également eu des discussions avec les sociaux-démocrates, mais ces derniers ont décidé d’emprunter une voie plus conservatrice et antilibérale. Les sociaux-démocrates les plus progressistes se sont d’ailleurs retirés de leurs listes. 

Les Verts ont donc choisi de faire cavalier seul et de se concentrer sur l’inscription des questions climatiques, écologiques et de l’égalité des sexes à l’agenda politique. Aucun autre parti, y compris les partis progressistes, ne place les droits et la situation socio-économique des femmes en tête de ses priorités. Nos chances d’être élus sont minces, de sorte que notre stratégie consiste à nous concentrer sur ces deux sujets et à nous positionner comme ceux qui posent les questions qui comptent. 

Vous avez dit que les questions environnementales et climatiques ne sont pas très présentes dans la campagne. Quelle forme prend le débat lorsqu’elles sont abordées ? 

Les populistes aiment particulièrement utiliser la question climatique dans leur programme anti-européen. L’industrie tchèque est très dépendante de la construction automobile et de nombreuses personnes sont employées dans les chaînes d’approvisionnement des constructeurs automobiles allemands. Le discours du parti de Babiš consiste donc à dire « ne vous inquiétez pas, nous allons protéger l’industrie » dans le cadre d’une guerre culturelle plus large qui inclut les voitures, la consommation de viande et l’Europe. Bien sûr, le fait que l’industrie automobile favorise de plus en plus la mobilité électrique n’a pas d’importance dans ce discours. L’industrie est probablement plus progressiste que la plupart des politiciens conservateurs et populistes sur ce point.

Ainsi, une Europe lointaine devient associée à un changement culturel lié à la politique environnementale ? 

Le discours tourne autour de la façon dont les politiques environnementales représentent des « expériences de style socialiste » pour forcer les Tchèques à changer contre leur gré. Cela fait remonter les mauvais souvenirs de l’expérience de la Tchécoslovaquie avec le socialisme. Ils affirment que les mesures environnementales rendront les Tchèques encore plus pauvres et laisseront des gens sans emploi.  

Certains points sont pourtant pertinents. Par exemple, de nombreuses villes tchèques disposent d’un système de chauffage central. Les propositions actuelles de l’Union concernant l’expansion du modèle d’échange de quotas d’émission dans le cadre du corpus de propositions « Fit for 55 » vont augmenter le prix de l’énergie pour ces systèmes de chauffage. Il est important que les propositions de la Commission européenne ne les mettent pas en danger. Mais nous n’avons toujours pas de véritable débat sur la manière d’adapter ces politiques au contexte tchèque. 

Les Verts tchèques prônent l’action environnementale tout en étant pro-européens. Comment faites-vous pour ne pas prendre parti dans cette guerre culturelle ? 

Nous essayons d’éviter cela. Une étude récente de l’université de Brno a montré que les gens sont beaucoup plus disposés à accepter les politiques climatiques que ce qui peut transparaître dans les médias et les partis politiques. L’étude a révélé que le grand public est ouvert aux politiques climatiques et au débat sur le climat, mais que les citoyens manquent souvent de connaissances et d’informations. Les Verts tchèques essaient donc de se positionner en tant qu’experts capables d’apporter les bons sujets sur la table.

Les politiques climatiques ne devraient pas être considérées comme un danger pour nos emplois mais comme une opportunité stratégique pour faire de la République tchèque un pays dont l’économie génère plus de valeur ajoutée et qui peut dépasser le statut de fournisseur de l’Allemagne. Pousser le débat vers ce récit plus prospectif est, cependant, un combat difficile. Un grand nombre d’individus se disent « nous n’avons pas besoin des Verts, les Pirates sont assez proches ». Mais les Pirates manquent d’expertise sur les questions climatiques, et ce n’est pas une priorité pour eux. S’ils en faisaient une priorité un jour, nous n’aurions peut-être pas besoin des Verts, mais ce n’est pas le cas pour le moment.

Les populistes aiment particulièrement utiliser la question climatique dans leur programme anti-européen.

Michal berg

Les Pirates n’ont donc pas adopté l’agenda vert ?

Dans une certaine mesure, si, mais l’identité même des Pirates est la lutte pour la liberté. Ils veulent éviter les restrictions et ne veulent pas imposer leurs décisions aux citoyens. Ils se présentent comme faisant de « l’écologie sans idéologie ». Mais en fin de compte, les politiques environnementales nécessitent certaines restrictions. 

Les Pirates ont quelque peu perdu leurs racines subversives fondées sur la réforme du droit d’auteur et la légalisation des drogues. Ils se positionnent désormais comme un parti fourre-tout, pro-européen et libéral, mais aussi très favorable au marché libre. Pour cette raison, la question du climat peut être problématique pour eux et ils l’abordent d’une manière différente de celle des Verts. Il en va de même pour l’égalité des sexes. Il existe également des différences politiques, à commencer par le soutien des Pirates à l’énergie nucléaire et leur préférence pour une action fondée sur des choix personnels.

Les Pirates ont quelque peu perdu leurs racines subversives fondées sur la réforme du droit d’auteur et la légalisation des drogues. Ils se positionnent désormais comme un parti fourre-tout, pro-européen et libéral, mais aussi très favorable au marché libre.

Michal berg

Quelle est votre lecture du positionnement de la République tchèque sur la scène politique européenne ? Vous avez mentionné les liens étroits avec l’industrie allemande. La politique actuelle du pays est également souvent associée aux autres pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne et Slovaquie). Est-ce exact ? 

La politique étrangère tchèque a deux visages. Nos politiques européennes tentent de s’aligner sur celles des autres pays du groupe de Visegrád mais, en fin de compte, le Premier ministre Babiš accepte généralement tout ce qui se dit à Bruxelles. Sur le plan interne, Bruxelles est souvent critiquée pour ses décisions, mais la République tchèque n’est ni têtue ni indépendante comme peuvent l’être la Hongrie et la Pologne. Si l’on considère l’Europe dans son ensemble, la Tchéquie a des difficultés à construire des alliances stratégiques avec des pays de toute l’Union sur des questions spécifiques. Elle s’en tient aux pays du groupe de Visegrád alors qu’un alignement sur les pays scandinaves, les pays baltes ou d’autres pays servirait mieux nos intérêts.

Du point de vue des Verts, sans la pression européenne et une approche commune des politiques climatiques, en tant que pays, nous ne ferions rien. Les Verts européens et les Verts au Parlement européen critiquent souvent les propositions finales sur des questions telles que la politique agricole de l’Union ou la législation européenne sur le climat pour leur manque d’ambition, et bien sûr, ils ont raison. Mais du fait du positionnement tchèque, nous, les Verts tchèques, nous trouvons dans une position difficile où nous devons défendre les politiques européennes qui sont critiquées par les Verts européens. 

Dans quelle mesure collaborez-vous avec les Verts des pays voisins et de toute l’Europe ?  

Nous avons des contacts assez personnels avec les Verts polonais qui sont dans une situation comparable à la nôtre. Historiquement, nous avons une forte coopération avec les Verts autrichiens, principalement au niveau local. Les gens de Brno vont à Vienne, ceux de Prague ont des partenaires à Innsbruck. Nous avons également de bons contacts avec les Verts de Saxe en Allemagne, qui opèrent à une échelle similaire. Ils font partie de gouvernements régionaux et les ministres verts se rendent assez régulièrement à Prague. Nous essayons de coopérer sur des questions telles que les mines de charbon à la frontière germano-tchèque et ils nous ont également aidés dans nos campagnes.

Qu’il s’agisse de l’influence des partis verts ou des tendances progressistes de la politique urbaine dans la région, la politique de vos voisins a-t-elle une incidence sur la politique tchèque ? 

Dans toutes les capitales de Visegrád – et maintenant à Zagreb aussi – les maires sont libéraux, mais cela n’a pas tellement d’effets sur la politique du pays. Le gouvernement tchèque imite parfois les politiques d’Orbán mais, pour être honnête, l’approche nationaliste ne passe pas aussi bien en Tchéquie. Je ne vois pas non plus une trop grande influence du côté polonais.

Nous espérons que le poids des Verts allemands dans la coalition contribuera à façonner la politique tchèque. Les industries tchèque et allemande sont fortement interconnectées et les changements qui s’y produisent auront une influence sur la Tchéquie. Les élections allemandes ont lieu deux semaines avant les élections tchèques et nous, les Verts tchèques, voulons profiter de la montée des Verts en Allemagne. Cela peut parfois se retourner contre nous, comme lorsque les journalistes comparent nos difficultés à leurs succès, mais c’est toujours un bon miroir pour nous. L’Allemagne et la Tchéquie sont des sociétés très différentes, il est donc logique que les partis n’occupent pas les mêmes places.

Les industries tchèques et allemandes sont fortement interconnectées et les changements qui se produisent là-bas auront une influence sur la République tchèque.

MICHAL BERG

En ce qui concerne la politique mondiale, comment le débat sur la place de l’Europe dans le monde est-il perçu d’un point de vue tchèque ? 

La question de la Chine a été très présente ces dernières années car les sociaux-démocrates tchèques ont des rapports importants avec cette influence de la Chine en Europe. De nombreuses entreprises ont reçu des investissements chinois, notamment des brasseries et des manufactures. Ces investissements étaient accompagnés de la promesse de nouvelles opportunités et de nouveaux marchés, mais celle-ci ne s’est finalement pas matérialisée, et de nombreux investissements ont depuis été discrètement retirés. La perception du public est que la Chine a essayé de s’imposer comme un acteur important en République tchèque, mais qu’elle n’a pas tenu ses promesses. Toutefois, la question de la Chine tourne seulement autour d’intérêts économiques. La Russie est dans le même temps perçue comme une menace plus importante, pour des questions de sécurité plutôt que pour des préoccupations économiques. 

Une partie de la scène politique tchèque entretient toujours des liens étroits avec la Russie, parfois via les sociaux-démocrates et, bien sûr, à travers les communistes. Le sentiment pro-russe dans certains milieux, y compris autour du président, reste un problème et le public tchèque est l’un des plus influencés par la Russie dans l’Union. Cette année a été marquée par un incident diplomatique autour de l’explosion d’un dépôt de munitions en 2014, liée à des agents russes, qui a conduit à l’expulsion de certains diplomates de l’ambassade de Russie à Prague. L’effet a été d’affaiblir les forces pro-russes bien qu’elles soient toujours présentes.  

Un autre débat géopolitique en République tchèque est de savoir si nous, Tchèques, appartenons à l’Ouest ou à l’Est. Les conservateurs aiment à dire que la République tchèque est un pays occidental. Mais cela n’a qu’un sens symbolique. Les pays occidentaux ont généralement des démocraties fortes, des politiques fortes en matière de droits de l’homme, l’égalité du mariage, des politiques climatiques plus ambitieuses, et ainsi de suite. Mais les conservateurs s’opposent à tout cela. Le débat géopolitique sur le clivage Est-Ouest manque ainsi de contenu politique réel et crédible lorsque nous l’examinons en ces termes. C’est un récit qui ne signifie pas grand-chose dans la vie quotidienne des gens. 

Le sentiment pro-russe dans certains milieux, y compris autour du président, reste un problème et le public tchèque est l’un des plus influencés par la Russie dans l’Union.

MICHAL BERG

Les Verts soutiennent une plus grande intégration dans les structures européennes car, politique par politique, c’est mieux que notre approche tchèque indépendante. Presque tout ce qui a été discuté au niveau européen serait bénéfique du point de vue des Verts. Nous sommes la force la plus pro-européenne et fédéraliste de la scène politique tchèque, et cela inclut la monnaie commune mais aussi le renforcement du pouvoir de l’Union sur les gouvernements nationaux. 

Les Verts ont l’intention d’utiliser leur plateforme pour influencer le débat autour des élections d’octobre. Mais pour l’avenir, quelles sont, selon vous, les priorités des Verts tchèques ? 

Ces élections sont importantes car les résultats détermineront notre réception ou non des financements publics et leur stabilité. C’est vraiment important pour le développement des Verts tchèques dans les années à venir. Il y aura des élections locales en 2022 et les Verts tchèques ont déjà un grand nombre de conseillers et quelques maires, c’est donc une chance de faire de la vraie politique et de façonner les choses sur le terrain. Certains membres ont perdu leur motivation au niveau national mais sont beaucoup plus engagés au niveau local. Nous devrons nous appuyer sur notre base locale active une fois les élections nationales passées. 

La question stratégique à plus long terme est de savoir s’il existe un moyen de coopérer avec les sociaux-démocrates progressistes pour construire un mouvement progressiste de gauche plus fort. Peut-être que les différences culturelles rendront la chose impossible et que nous devrons développer l’agenda vert de manière indépendante, mais c’est une question sur laquelle nous nous concentrerons.

Crédits
Cet entretien fait partie d'une série que nous publions en partenariat avec le Green European Journal sur les verts en Europe.