Nous avons posé la même série de questions à Yannick Jadot et Éric Piolle, candidats également à la primaire de l’écologie 2021 dont le premier tour débutera le 16 septembre.
Union européenne
EELV se présente souvent comme un parti favorable à la construction européenne. L’êtes-vous ?
Nous sommes non seulement un parti pro-européen mais aussi fédéraliste, cela n’empêche pas pour autant d’avoir une lecture critique du fonctionnement de l’Union Européenne, de dénoncer les errements de sa politique dans un grand nombre de domaines. Nous portons donc une analyse critique de l’Union tout en étant convaincu qu’elle reste incontournable et exige une mobilisation forte pour la faire changer.
Quel bilan tirez-vous de la politique européenne d’Emmanuel Macron ? En quoi la politique européenne que vous souhaiteriez mener se distinguerait-elle ?
Emmanuel Macron a prononcé dès le début de son mandat des discours marquants sur l’avenir de l’Europe (Athènes, La Sorbonne). À la fin de ce mandat, force est de constater que ces paroles n’ont pas été suivies d’effets. Les réformes de la zone euro promises en juin 2018 à Meseberg ont été enterrées, les avancées démocratiques promises avec les conventions démocratiques ou la grande conférence sur l’avenir de l’Union sont visiblement inexistantes.
Je retiens cependant les engagements en matière de neutralité carbone en 2050 obtenus au sommet de Sibiu en 2019 qui sont le résultat d’une coalition menée par la France. C’est d’ailleurs la seule fois ou la France a travaillé collectivement et a osé s’opposer à l’Allemagne pour obtenir finalement son ralliement. C’est sur le fond et sur la forme, le seul succès européen du président.
C’est donc particulièrement décevant de se faire le héraut de l’écologie au niveau européen et « en même temps » de faire voter une la loi Climat et Résilience en 2021 qui ne permette pas de remplir les objectifs de réduction des émissions que nous nous sommes fixés, et qui sont à ce jour en deçà des objectifs européens.
On a beaucoup parlé ces dernières années du concept « d’autonomie stratégique », de « souveraineté européenne » ou de « Commission géopolitique ». Quelle est votre analyse de ces notions ? Quels projets vous paraissent à même de conduire à des avancées ?
Nous ne pouvons plus accepter de dépendre pour notre défense du parapluie américain ou de l’OTAN. Je crois cependant que nous, Françaises et Français, en général et ce gouvernement en particulier, avons une lecture trop étroite de la souveraineté européenne, d’une part en la limitant à un sujet militaire alors que nous avons peut-être davantage besoin d’une force de protection civile européenne que d’un nouveau projet d’avion de chasse européen ; et d’autre part en niant la dimension politique et démocratique de cette question. Nos camarades allemands nous rappellent souvent que si l’autonomie stratégique c’est mener la politique étrangère interventionniste de la France avec les moyens européens et sans contrôle démocratique, ils n’en veulent pas. Je crois que nous ne pouvons donc pas poser la question de la souveraineté européenne sans poser la question de la démocratie européenne. Pour dire les choses très concrètement, il n’y aura pas d’armée européenne tant qu’il n’y aura pas de politique étrangère de l’Union décidée à la majorité qualifiée et comptable devant le parlement européen. Il n’y aura donc pas de souveraineté européenne avec une France bonapartiste.
Quelle relation souhaitez-vous entretenir avec les autres partis écologiques européens, notamment avec le parti vert allemand ?
EELV appartient à la grande famille des Verts Européens. À l’inverse du Groupe Renaissance dans lequel siège LREM, notre groupe n’est pas un pêle-mêle de partis sans vision commune. Le groupe Vert au parlement est uni et soudé. Cela n’empêche pas des divergences d’opinion entre Verts Français et Verts Allemands ou Finlandais, mais je suis convaincu que nous pouvons et devons construire des actions communes. Elles sont nécessaires pour mener une véritable action transnationale en Europe. C’est un terrain que les Verts français ont trop longtemps délaissé et dans lequel je souhaite que nous nous réengagions. Je ferai des propositions dans ce sens au prochain congrès d’EELV.
Malgré les efforts de l’Union pour harmoniser et coordonner la sortie des énergies carbones, des divisions subsistent entre les pays qui se dirigent vers des ENR, ceux qui continuent de financer de nouvelles centrales charbon ou qui défendent le nucléaire. L’Union doit-elle se prononcer sur une harmonisation du mix énergétique des États membres ?
Nous n’avons pas la même géographie, les mêmes infrastructures, je ne crois donc pas à une harmonisation des mix énergétiques, je crois à la coordination. Je crois aussi que le marché de l’énergie intégré, indispensable, ne peut se faire dans un cadre purement privé de concurrence, il nous faut des services publics et des infrastructures publiques fortes pour accélérer la transition vers les énergies renouvelables. Je pense utile et même nécessaire que l’Union prennent les décisions règlementaires qui s’imposent à tous : l’interdiction du moteur diesel en 2035, des centrales au charbon en 2030… Et je pense nécessaire que l’Union se prononce sur le mix énergétique, la vitesse de transition et la réduction des émissions de chacun des États membres.
Quel devrait être le prix du carbone aux frontières de l’Union en 2030, 2040, 2050 ?
D’une part, si je pense que taxer le carbone est nécessaire, je ne pense pas que cela soit suffisant. D’autre part, le prix du carbone aux frontières dépend fondamentalement du prix du carbone que nous pratiquerons au sein de l’UE.
Les études récentes suggèrent qu’un prix minimum du carbone compris entre 150$ et 350$ la tonne est nécessaire pour remplir nos objectifs. Nous en sommes loin (en Europe le prix du carbone sur le marché des permis tourne autour de 55 euros et ne couvre pas toute l’économie). Une étude récente de British Petroleum (qu’on ne peut pas vraiment accuser d’être une bande de Khmers Verts) suggère que, compte tenu de l’intensité énergétique du PIB aujourd’hui, la réduction des émissions et de l’activité économique suggère qu’un prix du carbone autour de 1400$ est nécessaire.
Nous sommes donc très loin du compte et il faut bien se rendre compte que sans action suffisante, l’attentisme augmente de manière exponentielle le coût de l’action future.
La France dans le monde
Quel est pour vous l’avenir de la dissuasion nucléaire française ?
La question de la dissuasion nucléaire française est une question aiguë pour les écologistes – historiquement opposés au nucléaire civil et militaire. L’objectif reste le désarmement, j’y reviendrai. La « force de frappe » est aujourd’hui un pilier de notre défense nationale que je souhaite faire évoluer en profondeur et dans trois directions.
D’abord, en la démocratisant : le ou la Présidente de la République doit partager l’autorité sur le feu nucléaire avec le Premier Ministre. Cela n’entamerait ni l’autorité présidentielle et son rôle de garant de la sécurité et du territoire national, ni la crédibilité de la dissuasion, mais renforcerait considérablement le pouvoir symbolique du Premier Ministre et assurerait la continuité opérationnelle de la dissuasion en cas d’empêchement du chef des armées ou du chef du gouvernement.
Ensuite, dans les pas d’une proposition d’Alain Juppé (je sais reconnaître à mes adversaires politiques du mérite quand il est dû) : j’engagerai un dialogue approfondi et patient avec l’Allemagne et le reste de l’Union européenne pour envisager une dissuasion nucléaire européenne concertée. J’aimerais conclure ces discussions par un accord franco-allemand qui serait a minima proche de l’accord dit de Lancaster House liant la France à la Grande Bretagne en considérant qu’une menace sur le territoire de l’un porterait atteinte aux intérêts stratégiques de l’autre.
Enfin, et peut être surtout, comme une majorité de français, je ne me résignerai jamais à un monde gouverné par l’équilibre de la terreur et j’engagerai la France sur la voie d’un désarmement en lien avec toutes les puissances nucléaires dans le cadre du Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) que je souhaite voir progresser (même si cela doit prendre un siècle) au côté du Traité de Non-Prolifération (TNP).
Quel montant la France devrait-elle consacrer à sa défense ?
La France consacre un peu moins de 2 % du PIB à sa défense. La loi de programmation militaire prévoit d’augmenter sensiblement le budget de la défense. Je ne m’y opposerai pas, à condition que cela soit accompagné de réformes.
Après Kaboul, est-ce que la France devrait rester membre du commandement intégré de l’OTAN ?
Kaboul et le désastre afghan ne changent rien à l’opportunité de la France de rester ou quitter le commandement militaire et plus largement l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Mon sentiment est simple, ce traité est un vestige de la Guerre froide et n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui. Je sais qu’il a cependant une valeur symbolique forte pour une partie de nos amis européens et donc je pense qu’il faudra à terme en sortir, peut-être en commençant par le commandement militaire, quand nous aurons suffisamment fait progresser la défense européenne. Cependant, soyons francs, aujourd’hui la France est largement incapable de mener ses opérations militaires sans soutien tactique et aérien américain.
Quel bilan tirez-vous de la crise afghane ? Que feriez-vous si vous étiez au pouvoir ?
Cette crise est un échec patent mais largement prévisible. Nous ne pouvons pas être schizophrène au point de nous féliciter de la décision du Président Chirac et de Dominique de Villepin de ne pas participer à la guerre en Irak et ne pas voir que l’occupation de l’Afghanistan à laquelle nous avons participé procède du même aveuglement.
On ne construit pas un État, des institutions et une démocratie par l’occupation militaire.
En Afghanistan, les Américains ont dépensé 1 000 milliards de dollars dont 130 milliards pour soutenir une armée corrompue et seulement une trentaine pour le développement économique, l’éducation et le soutien à la société civile. Il ne faut pas s’étonner que, face à cet échec, les Talibans trouvent un terreau fertile.
Y voyez-vous un lien avec l’intervention militaire de la France au Sahel ? Que souhaiteriez-vous faire si vous étiez au pouvoir ?
Nous sommes intervenus en janvier 2013 pour empêcher la prise de Bamako. L’opération Serval était sans doute nécessaire et menée à bien rapidement par les forces spéciales françaises (au passage, opération qui a été rendue nécessaire par la déstabilisation de la Libye et de toute la sous-région dans laquelle nous portons une responsabilité lourde).
Depuis, notre présence, par l’opération Barkhane (à partir de 2014) n’est pas une source de stabilisation, c’est une source de mobilisation de groupes extrémistes qui s’appuient sur des conflits profonds et historiques entre groupes nomades, groupuscules islamistes et pouvoir central. Si nous n’ouvrons pas les portes d’un dialogue politique entre ces forces, nous quitterons le Mali comme les Américains quittent l’Afghanistan aujourd’hui.
La diplomatie de l’anthropocène
Sur quels terrains se joue selon vous la nouvelle géopolitique du climat ?
Tout l’enjeu est de faire de la question climatique, un sujet de coopération internationale et un objet pour les institutions multilatérales. L’accord de Paris a été une première étape importante dans ce sens, qu’il va falloir concrétiser.
Il faut également se préparer à ce que le sujet climatique devienne un sujet conflictuel et donc avoir les moyens diplomatiques, économiques et peut-être même de maintien de la paix cohérents avec notre ambition climatique.
Si la diplomatie climatique fonctionne, nous pouvons avoir à la fois la stabilité et la transition climatique. Si elle échoue, nous devrons sans doute l’imposer par des mesures coercitives (taxe carbone aux frontières, révisions des accords commerciaux, interdiction de certains produits et/imports).
Pensez-vous que la Chine est en train de devenir une puissance écologique ? Son modèle vous semble-t-il souhaitable ?
La Chine nous a longtemps dit qu’elle ne pouvait avoir les mêmes normes environnementales que nous car c’était une économie émergente. Aujourd’hui les Chinois émettent plus par tête que les Européens. C’est un problème sérieux. Je crois que la Chine peut devenir une puissance écologique mais elle n’en prend pas encore le chemin malgré l’engagement fait l’année dernière par le Président Xi d’atteindre la neutralité carbone en 2060. Mais je ne veux pas sous-estimer la puissance de mobilisation et de planification chinoise. On a vu le rôle que la Chine a joué par exemple dans l’industrie renouvelable avec le solaire ou l’éolien en dominant très rapidement ces technologies et la chaîne de valeur industrielle qui l’entoure. La Chine peut donc être un acteur clef de la transition écologique mondiale. Il le faudra de toute façon.
Êtes-vous favorable à l’extension du domaine du droit international sous l’égide de l’ONU ? Soutenez-vous, par exemple, l’adoption d’un traité de non-prolifération des énergies fossiles ? Faut-il contribuer à la création d’une force d’intervention écologique sous l’égide de l’ONU ?
Oui, nous devons clairement trouver le chemin d’un cadre international pour empêcher que toutes les réserves d’hydrocarbures connues soient exploitées. Je pense qu’un traité de non-exploration est important mais qu’il ne réussira que si le développement des énergies alternatives progresse également. Le droit seul ne peut pas tout. Il nous faudrait aussi une force internationale d’intervention sur les lieux de catastrophes climatiques. Elles sont de plus en plus nombreuses et dévastatrices. Les pays seuls ne pourront plus gérer.
Notre dernière question porte sur votre vision de la théorie de l’État et de la souveraineté. Est-ce que la souveraineté westphalienne peut coexister avec l’urgence climatique ?
Je pense que l’État westphalien, surtout en Europe, est un objet en pleine mutation. Je ne pense pas qu’on puisse défendre l’émergence d’une démocratie européenne transnationale comme je le fais et considérer le cadre stato-national comme un cadre indépassable.
La dimension supranationale de la question climatique renforce encore davantage ce nécessaire dépassement, mais c’est un processus. Aujourd’hui, nous devons bien sûr nous appuyer sur le pouvoir réglementaire régalien des États pour avancer.