Premier problème : la reconnaissance des vaccins autorisés dans l’Union mais réalisés à l’étranger

  • 4 vaccins seulement. À l’heure actuelle, le « certificat Covid numérique de l’UE », entré en application dans toute l’Union, mais aussi dans d’autres États européens (Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse, bientôt Saint-Marin et le Vatican), concerne uniquement les quatre vaccins qui bénéficient d’une autorisation conditionnelle de mise sur le marché européen : Pfizer/BioNTech, Moderna, AstraZeneca et Janssen Pharmaceutica SA1. C’est aussi le cas de la plupart des pass sanitaires internes aux États membres. Si une personne vivant dans l’Union a été vaccinée par l’un de ces vaccins et remplit toutes les conditions associées (nombre de doses, délais, etc.), elle peut produire, selon la circonstance, son « certificat Covid numérique de l’UE », ou son pass sanitaire national ainsi que son code QR. Certains États sont également libres d’inclure d’autres vaccins, comme c’est le cas du vaccin russe Sputnik V en Hongrie.
  • Mais cela ne marche pas pour les personnes vaccinées à l’étranger. Quand bien même elles auraient été vaccinées par – mettons, Moderna – à New York ou à Tel-Aviv, car elles n’ont de fait pas de code QR délivré par une assurance maladie européenne. Auparavant, le problème se posait seulement pour le passage des frontières (auquel s’applique le « certificat Covid numérique de l’UE », qui n’a pas vocation à être utilisé dans la vie courante). Au fil des semaines, les polices aux frontières ont commencé à s’adapter (non sans encombre) au problème, et à appréhender les certificats de vaccination étrangers.
  • Le problème va grandir avec l’extension des pass sanitaires. Ainsi que l’ont annoncé plusieurs dirigeants européens récemment – et notamment le président français hier soir –, le pass sanitaire sera progressivement étendu à de très nombreuses activités de la vie quotidienne. Toutes les personnes vaccinées à l’étranger par les vaccins Pfizer/BioNTech, Moderna, AstraZeneca ou Janssen Pharmaceutica SA seront confrontées au quotidien à une absence de code QR, et donc à d’importantes entraves à leur liberté d’aller et de venir – alors qu’elles seront chaque fois dans leur plein droit, et bien vaccinées.
  • Ce problème a commencé à émerger dans l’espace public. Plusieurs Français de l’étranger ont par exemple récemment alerté les autorités sur le sujet2. Il est parfois possible d’aller dans un centre de vaccination pour faire reconnaître son certificat étranger, mais cela reste aléatoire. Le député français (LREM) de la première circonscription des Français de l’étranger, Roland Lescure, a proposé que les personnes vaccinées à l’étranger prennent rendez-vous avec un médecin à leur arrivée en France, qui reconnaîtrait l’équivalence du certificat de vaccination étranger et permettrait l’émission du code QR3. C’est une solution pour l’heure complexe et, si elle paraît concevable pour des Européens de retour dans l’Union durablement, ou des non-Européens s’y établissant durablement, on a du mal à imaginer chaque touriste ou visiteur étranger se livrer à cette pratique. Il en va pourtant du respect du principe d’égalité et de protection des droits entre personnes vaccinées dans l’Union, et personnes vaccinées en dehors de l’Union.

Second problème : la reconnaissance des vaccins actuellement autorisés par l’OMS mais non autorisés dans l’Union

  • Quid des vaccins actuellement non autorisés dans l’Union mais autorisés par l’OMS ? Au-delà des quatre vaccins précités, plusieurs autres vaccins ont été homologués par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais pas encore par l’Agence européenne des médicaments (AEM ou EMA). Cela peut s’expliquer par des raisons scientifiques et sanitaires, lorsque le recueil des données nécessaires n’est pas achevé, ou lorsque l’efficacité contre les contaminations est plus faible (les taux vont de 51 à 84 % pour le chinois Sinovac par exemple4), même si l’OMS les juge efficaces pour l’heure contre les formes graves. Parfois aussi, ces vaccins n’avaient tout simplement pas vocation à être diffusés dans l’Union, qui dispose déjà de toutes les doses nécessaires pour vacciner toute la population.
  • Or, ces vaccins non reconnus dans l’Union sont dominants dans les pays des Sud. Il s’agit essentiellement de vaccins russes, chinois et indiens5. Ceux-ci sont au cœur de la facilité COVAX. Les dirigeants des pays européens n’ont de cesse de se mobiliser pour cette initiative et de financer la production et l’envoi – louable – de doses dans les pays en développement. Le président Emmanuel Macron l’a ainsi rappelé hier. L’objectif est en effet de résoudre l’apartheid vaccinal en cours entre Nord et Sud. Il faut noter que ces doses bénéficient aux citoyens de ces pays, mais aussi aux Européens qui y sont établis : professeurs, entrepreneurs, salariés, militaires, diplomates, etc., et n’ont parfois pas pu mettre les pieds en Europe depuis février 2020.
  • Des vaccinés considérés « non vaccinés ». En raison de la non reconnaissance de ces vaccins (jugés efficaces et fiables par l’OMS) pour l’heure par l’AEM, les personnes vaccinées par ces vaccins sont donc considérées comme « non vaccinées » par la plupart des États membres. Vacciner au forceps des personnes hors de l’Union et ne pas reconnaître par la suite leur vaccin relève d’une contradiction indépassable de la diplomatie européenne du vaccin.
  • Plusieurs AstraZeneca. L’un des plus grands problèmes vient d’ailleurs des différentes versions d’AstraZeneca. Le vaccin est en réalité disponible sous différentes formes, selon son lieu de production. Il est majoritaire pour l’instant dans la facilité COVAX. Le « certificat Covid numérique de l’UE », mais aussi la plupart des pass sanitaires des États membres avec code QR, ne reconnaissent pas ces autres formes d’Astra Zeneca. C’est particulièrement vrai du fameux « Covishield »6 indien, produit par le Serum Institute of India et auquel de nombreux Européens établis à l’étranger ont eu recours, pensant qu’il serait reconnu dans l’Union dans les mêmes conditions qu’AstraZeneca. Les ministres des Affaires étrangères des États membres ont d’ailleurs souvent soutenu une vaccination de ces Européens dans leur pays d’établissement. Aujourd’hui, les plaintes de ces Européens ne cessent pas, et ils se sentent en quelque sorte piégés, ne pouvant pas se faire vacciner une nouvelle fois si jamais ils arrivent à remettre les pieds en Europe7.
  • Cacophonie européenne et rupture d’égalité. Certains États ont bien compris le problème. Ainsi, la Grèce et l’Estonie reconnaissent tous les vaccins qui sont reconnus dans le pays d’origine de la personne arrivant sur le territoire. L’Espagne reconnaît au total huit vaccins. En Irlande, le sénateur Malcom Byrne a soutenu une reconnaissance de tous les vaccins approuvés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS)8. La cacophonie reste pour l’heure la règle dans l’Union. Le ministre irlandais de la Santé a pour l’heure dit qu’il étudiait le sujet, mais n’avait « pas de réponse pour le moment ».
  • Gavi mobilisé. Gavi, l’Alliance du vaccin, qui pilote notamment le dispositif COVAX, a publié dès le 1er juillet une « Déclaration conjointe des membres de COVAX sur l’égalité de reconnaissance des vaccins »9. Il précise : « Toute mesure qui n’autoriserait pas les personnes protégées que par certains des vaccins approuvés par l’OMS à bénéficier de la réouverture des voyages à destination ou en provenance d’une région donnée créerait de fait un système à deux vitesses, qui élargirait encore la fracture vaccinale et exacerberait les inégalités que nous avons déjà constatées dans la distribution des vaccins contre la COVID-19. »
  • C’est la vaccination tout court qui compte. Il est urgent de se vacciner pour freiner aussi rapidement que possible la propagation de cette pandémie mondiale, mais encore faut-il que le respect des droits soit garanti pour chaque personne vaccinée, quelle qu’elle soit, et où qu’elle se trouve dans le monde.