• L’Eswatini, ou eSwatini en swazi (anciennement nommé Swaziland), est un petit royaume enclavé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique. Peu connu en Europe, il dispose d’une place singulière dans l’environnement géopolitique du continent africain : il s’agit de la dernière monarchie absolue d’Afrique et du dernier pays du continent à soutenir Taïwan. La majorité des pouvoirs sont entre les mains du roi Mswati III, et les partis politiques sont interdits, les élections au parlement se faisant selon un système tribal. Le pays est relativement riche et dispose d’une économie diversifiée, mais les inégalités sont importantes avec un roi qui menant un train de vie fastueux et une part importante de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Tous ces éléments font de l’Eswatini un pays discret, voire fermé sur certains aspects, où la presse est contrôlée (les médias sont très peu nombreux, certains sont contrôlés directement par le roi), ce qui a renforcé depuis plusieurs années les mouvements en faveur de la démocratie. 
  • La dernière protestation d’ampleur dans le pays fut une grève de fonctionnaires en 2019. Suite à des manifestations, le gouvernement a promulgué la semaine dernière une mesure d’interdiction de celles-ci, ce qui, allié avec un couvre-feu de 18h à 5h sous couvert de lutte contre la propagation du Covid-191 (l’Afrique australe est en pleine troisième vague de la pandémie), aurait aggravé la situation depuis le mardi 29 juin. Ce même jour l’accès à Internet a été coupé dans tout le pays, compliquant d’autant plus le suivi de la situation. Toujours le 29 juin certains médias et groupes protestataires ont affirmé que le roi aurait fui le pays, ce qui a aussitôt été démenti par le Premier Ministre. Face aux manifestations, le gouvernement swazi a immédiatement réagi en faisant appel à l’armée pour maintenir l’ordre, ce qui aussi contribué à la montée des violences de la part des manifestants. Ces derniers n’hésiteraient pas à s’en prendre aux forces de l’ordre et à attaquer des commerces2 (prioritairement ceux en lien avec la monarchie), qui ont été obligés de fermer à cause des manifestations. Les mouvements pro-démocratie parlent de 200 à 250 blessés3.
  • Il semble encore difficile de déterminer quelle évolution pourrait prendre la crise en Eswatini. La monarchie est pour le moment toujours parvenue à se maintenir sans faire de grandes concessions malgré les contestations de plus en plus importantes des mouvements pro-démocratie. La crise sanitaire, qui a vu la mise en place de mesures de restriction des libertés comme celle du couvre-feu, a probablement exacerbé la critique populaire à l’égard de la monarchie absolue. Si le Parti Communiste du Swaziland a affirmé qu’il s’agissait d’un « moment crucial dans la longue lutte pour se débarrasser de la monarchie autocratique », l’importance de la figure du roi dans ce pays permet de douter de la chute de la monarchie.
  • Il faut noter que la plupart des mouvements protestataires demandent à ce que la démocratie soit instaurée en Eswatini, et non la république. Il est donc plus probable que si le régime cède, ce soit dans le sens d’une monarchie constitutionnelle, au sein de laquelle le roi aurait des pouvoirs limités. Si un tel scénario se produit, le cas du Lesotho peut éclairer sur l’évolution possible de l’Eswatini. Il s’agit aussi d’un royaume enclavé au sein de l’Afrique du Sud centré sur une ethnie très majoritaire, mais dont le régime est une monarchie constitutionnelle. Ce pays manque de stabilité et la politique y est monopolisée par certaines personnalités qui en profitent pour promouvoir leurs intérêts aux dépens de ceux du pays à long terme.
  • Contrairement au Lesotho, l’Eswatini est un pays riche en Afrique australe. Si le pays s’enfonce dans une période d’instabilité, cela pourrait désorganiser certains secteurs de l’économie comme l’industrie forestière, ce qui appauvrirait certaines parties de la population et favoriserait l’émergence de groupes criminels. Fait peu connu, l’Eswatini est aussi un grand producteur de cannabis qui est très apprécié dans ses pays voisins, l’Afrique du Sud et le Mozambique, dont les capitales sont à moins de 5h de route du pays. Si ce secteur était perturbé par des troubles, cela pourrait avoir des conséquences pour les franges de la population sud-africaine et mozambicaine concernées, comme l’augmentation du prix.
  • Quelles seraient les conséquences pour la région si les troubles en Eswatini continuaient, voire s’aggravaient ? Le pays le plus directement concerné est l’Afrique du Sud, puissance régionale, qui fait partie de la même union douanière que le royaume, et qui y a de nombreux intérêts économiques. Il faut se souvenir qu’en 1998 l’Afrique du Sud était intervenu militairement au Lesotho pour ramener le calme dans ce pays. Même si les interventions militaires ne sont plus la priorité du gouvernement sud-africain (qui est dans une phase de diminution du budget alloué à la défense), la proximité de l’Eswatini avec Pretoria pourrait soulever l’intérêt de l’opinion publique et des décideurs sud-africains beaucoup plus rapidement que pour d’autres conflits plus éloignés dans la région, comme le Cabo Delgado au Mozambique. Une Afrique du Sud préoccupée par l’Eswatini serait plutôt une bonne nouvelle pour Maputo qui reste réticente au projet de Pretoria d’intervenir en Cabo Delgado sous mandat de la SADC.
Sources
  1. Eswatini : le roi Mswati III soupçonné d’avoir fui le pays en pleine révolte pro-démocratie, Jeune Afrique, 30/06/2021.
  2. Matthew Hill, Banks Shut, Phones Cut Amid Eswatini Anti-Monarchy Protests, Bloomberg, 01/07/2021.
  3. Chad Williams, eSwatini ‘in autopilot mode, citizens are taking over the country’, Swaziland Solidarity Network says, IOL, 29/06/2021