Ce que l’on commence à appeler la Guerre des onze jours semble toucher à sa fin pour le moment. Comment en sommes-nous arrivés à ce point, et comment cette extraordinaire et assez longue « période de silence », comme le gouvernement israélien préfère l’appeler, s’est terminée ? Était-ce parce que le Hamas a voulu faire un coup de force, ou pour des raisons de politique intérieure israélienne ? Ou peut-être est-ce une combinaison des deux ?
Il faut d’abord dire que ce que l’on définit comme une période de calme pour Israël ne correspond pas à une période de calme pour les Palestiniens. Durant cette période entre la guerre de 2014 à Gaza et la plus récente, on compte des centaines de Palestiniens tués par Israël. Il y avait les manifestations de la Grande Marche du Retour, où des snipers israéliens tiraient sur des manifestants non armés. Cela a duré plus d’un an. En général, à part Gaza, si l’on considère l’ensemble de la situation du contrôle israélien, on constate un système très oppressif qui occasionne de la violence quotidiennement ; les Palestiniens n’ont donc pas le sentiment d’une période de calme. Il s’agit plutôt d’une situation d’oppression continue, ponctuée par des périodes de résistance. Cela fait longtemps que ce conflit dure, notamment à cause de l’énorme disparité de pouvoir entre les deux entités. Les Palestiniens ne sont pas en mesure de faire beaucoup plus, en ce qu’Israël dispose d’instruments considérables pour écraser la dissidence palestinienne. On le constate à présent avec la campagne d’arrestations massives qui se déroule en Cisjordanie et à Jérusalem à l’encontre des individus soupçonnés d’avoir manifesté, comme ce fut le cas avant 1967.
Pour résumer et répondre à votre question, ce conflit est caractérisé par de longues périodes de petites violences quotidiennes, qui ne font pas la une des journaux. Ces violences sont ponctuées par quelques petites représailles palestiniennes de temps à autre, qui n’atteignent pas le niveau de quelque chose qui ressemblerait à une résistance généralisée, ou aux prémices d’une révolte. Alors quand une révolte se produit, les gens se posent toujours la question : « pourquoi cela s’est-il produit maintenant » ?
C’est un accident de camion à Gaza qui a déclenché la première intifada en décembre 1987 et, à ce jour, la raison pour laquelle la première intifada a éclaté à ce moment précis demeure très contestée. Les autorités libanaises avaient expulsé l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) qui était affaiblie. Les conditions économiques ne laissaient pas vraiment deviner qu’il y aurait une intifada à ce moment-là. Souvent, ces événements sont mystérieux.
En ce qui concerne la deuxième intifada, il existe de nombreuses théories sur les raisons pour lesquelles elle s’est produite en septembre 2000, sur la raison de cette provocation particulière que fut la visite de Sharon au Haram esh-Sharif. Nous n’avons pas vraiment d’explication satisfaisante et incontestée. Si nous en avions une, nous pourrions prévoir ces événements, mais personne ne le peut. Il n’existe pas d’analyse qui permette de prédire la date de toute future révolte.
Est-ce que cela invalide la théorie du coup de force de la part d’Israël, motivé en partie par la situation politique intérieure, et par la formation d’une coalition qu’avance par exemple Adam Shatz ?
Je suis profondément sceptique à l’idée que Netanyahou ait délibérément attisé des conflits à Jérusalem dans le but d’atteindre cet objectif politique limité. Si on considère le déroulé des évènements, quels sont les deux épisodes majeurs ayant suscité les manifestations dans les semaines précédant la guerre de Gaza ?
Tout d’abord, il faut dire qu’il y avait déjà une révolte naissante au moment du déclenchement de la guerre de Gaza. Le Hamas n’a pas déclenché cette révolte, il a saisi l’occasion qui s’est présentée. Et quels sont les deux événements qui ont permis de rassembler ces protestations ? Le premier est qu’au début du Ramadan, Israël a imposé aux Palestiniens des restrictions d’accès à la zone de la Porte de Damas. C’est quelque chose que ne fait normalement pas Israël. C’est l’un des principaux espaces publics pour les Palestiniens de Jérusalem-Est, et les manifestations ont commencé à partir de là. Ces manifestations sont devenues de plus en plus importantes, et Israël a fini par répondre par la violence. Dans la semaine qui a précédé la guerre, une bonne partie de la tension à Jérusalem tournait autour de cette question.
On constate que le moment où cela s’est produit coïncidait avec celui où Netanyahou avait un mandat pour former un gouvernement. Il espérait alors faire entrer dans sa coalition l’un des partis politiques dirigés par des Palestiniens d’Israël. À ce moment-là, il n’avait aucun intérêt à rendre sa propre coalition encore moins accueillante, ou à perdre le soutien éventuel des Palestiniens d’Israël à son gouvernement.
Parallèlement, le deuxième événement concernait les affaires judiciaires relatives à l’expulsion des Palestiniens de Sheikh Jarrah, pour être remplacés par des Juifs utilisant les lois racistes en vigueur permettant aux Juifs d’obtenir des propriétés datant d’avant 1948 à Jérusalem, tandis qu’elles interdisent aux Palestiniens de le faire. Ces mesures s’inscrivent dans le contexte d’une politique israélienne globale, menée depuis des décennies, qui consiste à « judaïser » les zones palestiniennes, et plus particulièrement Jérusalem-Est et les quartiers proches de la vieille ville de Jérusalem. Toute la vieille ville de Jérusalem a été conquise en 1967 et est toujours occupée. Il y avait donc un véritable mouvement de manifestations contre ces expulsions, mais ce sont les décisions de la Cour Constitutionnelle attendues autour de ces dates qui ont porté cette question au premier plan.
C’est la Cour qui a déterminé la date des procès, et non le gouvernement Netanyahou. Ce processus était en cours depuis longtemps, avant qu’il n’y ait la moindre possibilité d’influencer le calendrier des procès ; une fois les manifestations contre les expulsions forcées à Sheikh Jarrah déclenchées, le procureur général d’Israël a assuré le report du procès afin qu’il n’ait pas lieu le jour de la fête de Jérusalem, qui est une fête ultranationaliste marquée par le défilé des Israéliens à la porte de Damas, dans le quartier musulman de la vieille ville. Chaque année, ils crient « Mahomet est un cochon » et « Mort aux Arabes », et les résidents palestiniens se cachent dans leurs maisons tandis que les commerçants palestiniens ferment leurs magasins. La possibilité que ce procès ait lieu le même jour que ce moment de grande tension dans la ville effrayait le gouvernement israélien. En définitive, le gouvernement a préféré reporter l’affaire plutôt que de prendre le risque d’attiser les tensions pour aider Netanyahou, ou former un gouvernement alternatif.
Je pourrais vous donner d’autres exemples, mais l’essentiel est que nous n’avons pratiquement aucune preuve pour soutenir l’idée qu’il y avait un plan délibéré pour utiliser le conflit pour empêcher la formation du gouvernement, ou peser sur les négociations de coalition..
Cela revient à votre première question : il existe en effet de très nombreuses raisons ou causes potentielles pour qu’une révolte survienne à tout instant. On étouffe Gaza depuis 15 ans, et les Palestiniens de Jérusalem vivent dans ces quartiers qui sont lentement judaïsés de cette manière depuis des décennies. À Jérusalem, les violences de la police des frontières israélienne envers les résidents palestiniens sont des phénomènes omniprésents. Lorsque l’on cherche à savoir pourquoi ces événements ont lieu, on cherche souvent un catalyseur immédiat. Toutefois, la vraie cause fondamentale est un ensemble de politiques qui durent depuis des décennies, et non un calcul particulier du Premier ministre.
Tournons-nous vers la réaction internationale à ces événements. La réaction des États-Unis a été relativement modérée par l’administration, avec les blocages habituels à l’ONU, mais avec toutefois un niveau surprenant de nouvelles voix critiques à l’intérieur des États-Unis. Que pensez-vous de cette évolution ? S’agit-il d’un changement d’attitude des États-Unis à l’égard d’Israël ou simplement d’une rupture au sein du parti démocrate ? Est-ce que nous assistons aux prémices d’une nouvelle politique américaine à l’égard de cette région, ou est-ce trop optimiste ?
Il est sans doute trop optimiste de dire que nous sommes au début d’une nouvelle politique américaine dans la région. Les législateurs démocrates, qui dénoncent aujourd’hui Israël comme un État d’apartheid, témoignent d’une évolution très significative qui s’est produite beaucoup plus rapidement qu’attendue. Je ne veux pas minimiser l’importance de cette évolution, mais il est vrai qu’ils ne constituent qu’une petite minorité parmi les démocrates. L’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) elle-même – et je ne parle même pas du groupe J-Street, qui est bien à droite – est de plus en plus perçue comme une organisation pro-Likoud et pro-Républicain. Même si elle cherche à éviter cette image et à se présenter comme une organisation bipartisane favorable à l’alliance américano-israélienne, elle a encore une énorme influence sur les démocrates.
Je ne veux pas exagérer l’influence de ces législateurs. À chaque session du Congrès, un projet de loi présenté par Betty McCollum propose que les États-Unis examinent la politique israélienne de détention des mineurs palestiniens, sans réclamer une réduction de l’aide ou quoi que ce soit. Même cette mesure, qui ne réclame toujours pas une réduction de l’aide américaine à Israël, n’a aucune chance d’être adoptée par le Congrès.
Cela dit, les démocrates qui s’expriment ainsi à propos d’Israël bénéficient d’une énorme popularité. Alexandria Ocasio-Cortez est l’une des politiciennes les plus populaires du pays et représente un segment croissant du parti démocrate. Le rapprochement entre la question palestinienne et la justice raciale aux États-Unis est de plus en plus évident et je ne pense pas que cela va disparaître ; je pense au contraire que ce phénomène va continuer à prendre de l’ampleur. Cela ne transformera pas la politique américaine demain, mais est-ce le début d’un changement à l’avenir ? Absolument.
Pour revenir à la politique et à l’action des États-Unis, l’administration américaine a bloqué pendant un certain temps la communication de l’ONU et a retardé l’appel à un cessez-le-feu, même si celui-ci a fini par avoir lieu. Estimez-vous que cela a eu un impact sur la politique israélienne ? Ou les actions militaires ont-elles pris fin parce que l’armée israélienne avait atteint ses objectifs ? Que penser de l’influence des États-Unis sur les actions militaires israéliennes ?
Je crois que si les États-Unis choisissent de l’exercer, ils ont un énorme pouvoir sur Israël. Dans cette situation en particulier, les États-Unis ont permis à Israël de prendre tout son temps et de faire ce qu’il voulait à Gaza. Les États-Unis ont bloqué les efforts aux Nations unies pour accélérer la fin des combats, comme vous venez de le dire. Cela dit, je ne pense pas qu’Israël voulait particulièrement que le conflit dure plus longtemps ; et il est possible que la discussion tant attendue entre Biden et Netanyahou – quelques jours avant ou la veille – ait contribué à accélérer un peu le cessez-le-feu. Mais plus généralement, la réalité est qu’Israël n’avait aucune envie d’envahir Gaza avec des forces terrestres. Je l’affirmais déjà très tôt au cours du conflit, à la suite de quoi on a commencé à le souligner avec dérision, parce qu’Israël a laissé entendre à une partie de la presse étrangère qu’il s’agissait déjà d’une invasion terrestre le lendemain de mon interview ; mais cela était un mensonge. Cette invasion n’a pas eu lieu parce qu’Israël est extrêmement réticente à l’idée d’entrer dans la bande de Gaza, de perdre de nombreux soldats et d’avoir d’autres soldats enlevés, ce qui forcerait ensuite à procéder à un humiliant échange de prisonniers. Israël est également très réticente à sacrifier des soldats à Gaza alors qu’elle n’a aucune intention d’y rester, tout comme de tenter de remplacer le Hamas à Gaza et d’y rester suffisamment longtemps pour installer un autre acteur.
Je ne pense pas qu’ils y parviendraient de toute façon, mais la politique israélienne à l’égard de Gaza est de laisser le Hamas au pouvoir parce qu’il n’y a pas d’autre alternative réelle, à part une occupation israélienne sans fin. Comme Israël ne veut pas se retrouver à Gaza, il lui reste la politique de l’étouffement, de sorte que la population a tout juste le nez quelques millimètres hors de l’eau pendant que le Hamas – infiniment plus faible qu’Israël – construit lentement son armement en vue d’une nouvelle offensive au cours des prochaines années.
Il est certain qu’il y aura un autre conflit à Gaza, qu’Israël maintiendra le siège de Gaza tant que le Hamas y sera présent, et que le Hamas va à nouveau développer son arsenal en vue du prochain combat. Je ne veux pas dire que la seule raison pour laquelle le Hamas se bat est le siège de Gaza. C’est l’une des raisons, mais ce n’est pas comme n’importe quel endroit dont Israël se retire. Gaza est toujours sous contrôle extérieur, ils ne vont pas tout à coup cesser d’être des nationalistes palestiniens ou de se soucier de l’occupation accrue de la Cisjordanie, ou du contrôle extérieur de Gaza, ou de la discrimination à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël. Il existe une cause nationale palestinienne, et les affrontements à Gaza, même si on retire le siège de l’enclave, font partie intégrante du mouvement national palestinien.
Selon vous, cette guerre de onze jours a-t-elle renforcé la position du Hamas dans la politique palestinienne ?
On ne peut absolument pas nier le fait que le Hamas a énormément été renforcé non seulement par la guerre de Gaza, mais aussi par les événements du mois passé. On attribue aujourd’hui la popularité croissante du Hamas à la guerre de Gaza, mais je le constatais déjà à Jérusalem bien avant la guerre de Gaza, lors des manifestations qui ont eu lieu dans les semaines ayant précédé la guerre. Il y avait énormément de gens qui scandaient le nom de Mohammed Deif, le chef de l’aile militaire du Hamas, et contre Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne et de l’OLP – qui est membre du parti Fatah – en grand nombre à Jérusalem. Depuis des années, la crédibilité d’Abbas et des dirigeants de l’AP à Ramallah est faible, mais elle n’a jamais été aussi faible. Le Hamas est désormais considéré comme un défenseur des Palestiniens de Jérusalem, et il est considéré comme un parti qui n’a pas abandonné la cause nationale de la libération, contrairement aux dirigeants de Ramallah.
On a évoqué les États-Unis, mais comment voyez-vous la réaction européenne ? Certains, comme Benjamin Haddad, estiment que l’Europe devient pro-israélienne ; on a vu le drapeau israélien flotter au-dessus de la Chancellerie en Autriche, on l’a vu arboré par la CDU en Allemagne, et on constate à travers l’Europe un soutien important au droit d’Israël à l’auto-défense. Est-ce que vous avez l’impression que si la politique israélo-américaine évolue, la politique israélo-européenne va dans le sens opposé ?
Je voudrais préciser que je ne me considère en aucun cas comme un expert des relations entre l’Union européenne et Israël. Mais à mon avis, oui, on constate globalement un renforcement des liens entre l’Europe et Israël et oui, aux États-Unis, on constate le contraire. Bien que personne ne touche aux 3,8 milliards de dollars d’aide, pour la première fois, Israël n’est pas un sujet de consensus bipartisan. De plus en plus, le fait d’être pro-Israël est associé au parti républicain, et on observe un clivage majeur entre les démocrates progressistes et centristes à ce sujet – et je pense que cette tendance ne fera que s’accentuer.
Je tiens à préciser que je ne suis pas non plus un expert de l’opinion publique européenne, mais il me semble constater certaines contre-tendances : par exemple, et comme l’on a pu le voir à Londres il y a quelques jours, l’énorme participation à l’un des plus grands rassemblements pro-palestiniens jamais vus. Et il y a d’autres signaux venant d’Europe, comme la déclaration sur l’apartheid du ministère français des Affaires étrangères. La situation en Europe me semble mitigée, mais je partage l’idée générale de votre question, que les liens avec l’Europe semblent se renforcer.
Pour en revenir à la situation sur le terrain, un élément qui semble différent avec cette révolte par rapport à la précédente est aussi la flambée de violence à l’intérieur d’Israël, entre Juifs et Arabes israéliens dans des villes qui étaient autrefois mixtes, et où la cohabitation était plutôt banalisée. Avez-vous l’impression qu’il s’agit de quelque chose de nouveau et de profond ? Et est-ce que ça signifie quelque chose pour le potentiel d’une solution à un seul État, qui semble être la solution préférée de beaucoup en Israël ? Est-ce que la violence que nous avons observée rend cette solution caduque ?
Tout d’abord, il faut dire que l’événement politique le plus important qui s’est produit le mois dernier, avec les manifestations à Jérusalem et la guerre à Gaza – même si le nombre de morts était beaucoup plus faible – est de loin celui que vous décrivez. Ces manifestations à grande échelle de citoyens palestiniens d’Israël ont choqué un très grand nombre de Juifs israéliens.
Pour ces derniers et pour le monde entier, ainsi que pour les Palestiniens, c’est une première après plus de sept décennies de tentatives de fragmentation du peuple palestinien, et de mise en place de différentes séries de restrictions afin d’affaiblir le mouvement national palestinien – soumettant les habitants de Gaza à un siège, plaçant les résidents de Cisjordanie dans trois catégories différentes d’administration israélienne avec différents niveaux d’autonomie, mais où Israël pénètre quand même tous les jours.
Cette fragmentation a obligé les Palestiniens à mener chacun de ces combats seuls, et ce que nous avons vu avec les manifestations dans l’État d’Israël d’avant 1967, ce sont les citoyens palestiniens d’Israël et du monde entier.
Et cela a des conséquences considérables sur la façon dont on envisage le conflit, et sur les solutions que l’on juge appropriées, si l’on considère ce conflit principalement – et c’est ainsi que la diplomatie européenne traite le conflit israélo-palestinien – comme étant lié à l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza… Les Palestiniens contestent et remettent en cause ce modèle en annonçant qu’ils ne forment qu’un seul peuple, et que la Cisjordanie et Gaza ne sont qu’un élément, et pas forcément le plus important.
Et si j’envisageais le conflit de cette manière, et que je disais « il y a 7 millions de Juifs entre la rivière et la mer, et il y a environ 7 millions de Palestiniens entre la rivière et la mer, et des millions d’autres qui sont empêchés d’entrer dans le territoire et qui font partie de la diaspora », pourquoi la bonne solution pour ce système, où il n’y a qu’un seul État souverain d’Israël qui contrôle tous ces quatorze millions de personnes, est-elle la répartition où nous donnons à la moitié des gens 22 % du territoire ? Pourquoi la bonne solution est-elle que pour l’une des parties, le groupe dominant, il reste uni dans un seul État ? Et que pour l’autre partie, le groupe dominé, on continue la fragmentation en les plongeant dans un État palestinien sans vraie souveraineté, mais qu’on continue à appeler État, et en leur donnant un statut minoritaire dans l’État d’Israël ? Personne ne pourrait considérer cette situation comme une bonne résolution du conflit, ou comme une résolution qui a beaucoup de chances de réussir.
Pour conclure, l’Europe semble s’éloigner timidement de la solution à deux États sans le dire. Les États-Unis se sont davantage engagés, mais ne sont pas sur le point d’adopter une nouvelle politique d’engagement. Il semble donc improbable que nous progressions vers une solution à deux États, et la situation que vous avez décrite montre que les espoirs de certains en Israël pour une solution à un État disparaissent également. Nous nous retrouvons donc en quelque sorte sans feuille de route. Nous n’avons pas de feuille de route vers une solution à deux États, ni même vers une solution à un État qui semble avoir été invalidée par les événements récents. Alors, cela signifie-t-il le statu quo pour plus longtemps ?
La réponse courte est : oui. La prédiction la plus sûre est le maintien d’un système de domination des Palestiniens par les Juifs israéliens pour une durée indéterminée. Une solution à deux États n’est nulle part à l’horizon, et une solution à un État n’est pas non plus à l’horizon. Après tout, il existe une différence de pouvoir énorme entre les parties. Les Juifs israéliens auront donc une influence énorme et disproportionnée sur le résultat final, et ces derniers sont fermement opposés à un État unique avec l’égalité.
S’il s’agit d’un État unique similaire au statu quo actuel, c’est une autre histoire. Et donc, la prédiction la plus sûre est que nous allons continuer à connaître cette situation avec des explosions de violence et de contre violence pendant un certain temps. Et je pense que ce qui est nouveau, c’est que, de plus en plus, les gens commencent non seulement à le reconnaître, mais à le dire à voix haute. En effet, les alliés d’Israël ne peuvent vraiment pas justifier leur soutien à cette situation. Il est possible de soutenir une situation si l’on croit vraiment qu’elle est temporaire, et que l’on pense qu’elle sera résolue par un résultat juste, quel que soit ce résultat. Mais le problème n’est pas d’avoir deux États ou un seul. Le problème est qu’il n’y a pas de fin en vue à ce système de domination, et que tous ceux qui sont alignés avec Israël sont dans une position délicate, parce qu’ils soutiennent de manière explicite un système grossièrement et durablement oppressif et c’est, je pense, ce qui est nouveau dans le moment que nous vivons.