• Après un été 2020 où la frontière himalayenne partagée avec la Chine au nord-ouest du pays fut au cœur de l’actualité, ce sont les frontières orientales de l’Inde qui retiennent l’attention en ce début de printemps 2021.
  • D’abord parce que le Premier ministre indien, Narendra Modi, a entamé le 26  une visite au Bangladesh à l’occasion du 50e anniversaire du lancement du mouvement de libération nationale dans ce qui était encore le Pakistan oriental et au succès duquel l’Inde apporta un concours décisif fin 1971. Une visite qui coïncide avec les campagnes électorales qui déroulent dans deux États de l’Union indienne frontaliers du Bangladesh  : le Bengale occidental et l’Assam. Dans le premier cas, le Bharatiya Janata Party espère arriver au pouvoir dans un État qui n’a plus été gouverné par le parti dominant au niveau national depuis 1977 lorsque les communistes indiens sont arrivés au pouvoir à Calcutta. Ils y sont restés jusqu’en 2011 avant de céder la place à l’actuelle ministre en chef, Mamata Banerjee du Trinamool Congress Party, un parti régional. En Assam, le BJP, qui a conquis l’État en 2016, compte bien être reconduit aux affaires. Dans les deux cas, les sentiments envers la minorité musulmane, dont les rangs ont été grossis au fil du temps par un afflux de migrants bangladais, est un facteur de polarisation électorale. L’adoption par New Delhi de la loi sur la citoyenneté qui a ouvert la voie à la naturalisation de migrants bangladais non-musulmans pourrait aussi jouer sur le choix du vote.
  • La situation au Myanmar (Birmanie), qui jusqu’en 1937 était une province de l’Inde britannique, est un autre objet de préoccupation avec un début d’exode de Birmans fuyant la répression brutale menée par l’armée depuis le coup d’État du 1er février.  L’Inde n’a pas adhéré à la convention de Genève de 1951, ni au protocole de 1967, relatifs au droit d’asile, et ne dispose pas davantage d’un cadre légal national de protection des réfugiés. Toutefois, New Delhi a eu par le passé une attitude plutôt libérale à l’égard des populations réfugiées, respectant le principe de non refoulement, notamment pour les Tibétains. Dans le cas des musulmans Rohingyas fuyant les persécutions au Myanmar, le gouvernement des nationalistes hindous ne fut cependant pas mécontent que, malgré 1640 km de frontière commune, ce soit le Bangladesh qui ait à gérer l’installation de quelque 800 000 d’entre eux sur son territoire. On estime à 40000 le nombre de Rohingyas présents sur le sol indien dont 6 500 à Jammu (nord-ouest de l’Inde). Leur appartenance confessionnelle ne jouent pas en leur faveur dans une période où les musulmans peuvent être perçus comme un risque sécuritaire.
  • Début mars, 200 de ces Rohingyas ont été arrêtés à Jammu en vue d’une déportation qu’il restera difficile à mettre en œuvre. Le nouvel afflux de Birmans lié au coup de force des militaires de Naypyidaw est de nature différente.  Plus de 1000 Birmans, dont des membres des forces de sécurité refusant d’avoir à ouvrir le feu sur les manifestants, ont déjà fui dans l’Etat indien voisin du Mizoram en franchissant la rivière Tiau qui court sur une partie des 400 km de frontière commune. Le ministre en chef du Mizoram, Zoramthanga, président du Mizo National Front, a adressé une lettre le 18 mars au Premier ministre indien demandant l’octroi de l’asile à ces réfugiés politiques.
  • Répondant manifestement à une consigne du ministère de l’Intérieur, le gouvernement du Manipur, autre État de l’Union indienne frontalier du Myanmar, a émis une circulaire le 26 mars se prononçant contre l’accueil et l’ouverture de camps pouvant accueillir des réfugiés birmans, avant finalement d’annoncer son annulation trois jours plus tard et s’engager à prendre des mesures humanitaires. Les Chins du Myanmar partagent une parenté avec les ethnies Mizo (Mizoram) et Kuki (Manipur). Déjà en 1988, lors de la sanglante répression des militaires birmans contre le mouvement pour l’instauration de la démocratie, plusieurs Chins, ainsi que d’autres réfugiés, avaient fui au Mizoram et au Manipur où ils furent accueillis avec le soutien tacite des autorités de New Delhi.
  • La situation au Myanmar plonge New Delhi dans l’embarras. Car, si le ministère des Affaires étrangères a bien exprimé sa profonde inquiétude et le souhait de voir la démocratie restaurée,  les autorités du pays sont traditionnellement opposées aux sanctions internationales et réticentes à prendre position sur des événements intérieurs dans un pays tiers, notamment lorsque cela a trait aux droits de l’homme avec la question du Cachemire en filigrane. Le 27 mars, l’Inde, en la personne de son attaché militaire, fut un des huit pays étrangers à être représenté au défilé militaire célébrant les forces armées birmanes, le jour même d’une répression particulièrement sanglante. New Delhi ne souhaite surtout pas plonger un peu plus le Myanmar dans les bras de la Chine après s’être employé ces dernières années à offrir aux dirigeants birmans une alternative à une sur-dépendance envers Pékin.  Ainsi l’Inde a développé avec son voisin oriental une coopération militaire (un protocole d’accord en matière de défense fut signé en 2019), vendu de l’armement et conduit des exercices conjoints, tout en s’engageant à financer des projets de développement d’infrastructure. Le Myanmar a une indéniable importance stratégique pour New Delhi, non seulement parce que, historiquement la poreuse frontière commune a été traversée par des mouvements insurrectionnels tribaux, mais aussi parce que le Myanmar est le point d’accès terrestre à l’Asie du sud-est, une aire géographique remise à l’honneur avec la «  Act East Policy  » annoncée par le gouvernement Modi en 2014, relance de la «  Look East Policy » des années 1990.  Il sera intéressant de voir comment New Delhi jongle entre impératifs stratégiques liés à la volonté de contrer la Chine et devoir d’assistance humanitaire.