Dimanche 21 février 2021 au soir, Joseph Kabila, celui que l’on n’appelle plus « le Président honoraire » de la République Démocratique du Congo mais « le sénateur à vie », a quitté sa ferme à l’entrée de Lubumbashi1 pour gagner en avion la Zambie et, de là, les Émirats arabes unis. Selon son conseiller Kikaya bin Karubi, il s’agit de répondre à une invitation de longue date et Joseph Kabila ne demeurera à Abou Dabi que trois jours. Monsieur Karubi a été le conseiller diplomatique de Kabila lorsqu’il était président, et aussi un défenseur de Dan Gertler (voir plus loin). Au pouvoir, il voyait favorablement l’entrée du français Pascal Beveraggi dans la filière du cobalt et du coltran, surtout au détriment de l’autre puissance politique et minière du Shaba, Moise Katumbi2. Celui que l’on nomme le Talleyrand congolais avait également apprécié l’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence.

Mais le véritable chef reste Kabila et sa destination, la cité de Dubaï. Celle-ci est un des pivots du système d’accumulation de richesse que la famille Kabila a construit au cours de plus de deux décennies de pouvoir en RDC. En Octobre 2016, le journal belge Le Soir a révélé de quelle manière la Banque gabonaise et française internationale, une banque franco-gabonaise édifiée sur le pactole de la filière de corruption d’ELF, a déposé à la banque FIBA, disparue dans le relooking TOTAL. Lumumba, le petit-fils du père de l’Indépendance qui travaillait à la BGFI de Kinshasa, avait découvert comment la Banque centrale de la RDC transférait des millions de dollars vers le compte des Kabila à la BGFI3. Cette première brèche dans le secret bancaire fut à la base d’une description complète du réseau4 de flux d’argent des Kabila à travers les rapports5 de l’organisation Sentry.

La BGFI en RDC fut, à cette occasion, impliquée dans le financement du Hezbollah à travers les mouvements des comptes de la famille libanaise de Kasim Tajideen6. Né en Sierra Leone, celui-ci a développé en RDC et en Angola un vaste ensemble d’affaires tournées vers le commerce de riz et de volailles congelées. Bien qu’étant des secteurs prospères à Kinshasa, le trafic de diamant et d’or provenant d’Afrique centrale contribue aussi à la fortune de cette famille qui possède une compagnie à Anvers, la Soafrimex7. Un juge d’Anvers condamna d’ailleurs dès 2008 Kasim Tajideen et son épouse à deux ans de prison et à 20 millions d’euros d’amende pour évasion fiscale et trafic de diamants. Ce que Joseph Kabila, ne serait-ce que par la BGFI ne pouvait ignorer8. Si l’on laisse les accusations de financement du terrorisme, le fils Mohamed Tajideen ramène les soupçons à Dubaï d’où il dirige la Murex Real Estate, une société immobilière qui possède des actifs en Afrique et à Dubaï. Dans cette ville, Murex détient une résidence de luxe située dans l’International City China Cluster, un des quartiers les plus exclusifs du monde où le prix du mètre carré bat des records.

Kabila, comme d’autres ex-dirigeants de pays où l’appropriation des ressources naturelles et financières attire un très ancien capitalisme marchand, n’a pas inventé Dubaï. L’émirat réalise depuis longtemps la jonction entre l’Asie et l’Afrique de l’Est, avant même la prestigieuse vitrine de son urbanisme et sa raffinerie géante9 de l’or africain. La banque et les services associés se sont greffés sur les besoins de marchands de matières précieuses qui opèrent sur le souk depuis les années 1940. Ce marché a connu une croissance considérable et abrite aujourd’hui 300 des plus grands joailliers et commerçants mondiaux d’or et de bijoux, dont les diamants. À l’origine, les «  dealers  » d’or viennent d’Iran, d’Inde et de Chine pour y bénéficier de l’exemption de taxes et de la sécurité, des conditions impensables dans leurs pays d’origine. Ils vont poursuivre la remontée de la filière vers les zones productrices, comme la famille de Vinulate Bhimji qui exporte à partir de 2005 près d’une tonne d’or à partir de Bukavu10. Alain Goetz, un belge qui attire l’attention des enquêtes des Nations unies en RDC11, a fait la jonction entre Anvers et Dubaï. Sa compagnie se nomme «  Dubai Agor Ltd  ». Bien qu’il nie importer par cette société de l’or congolais, des documents prouvent qu’il a acheté à Zulfa Karim Panju12, 51.298 kilogrammes d’or brut à travers la Tony Goetz & Zonen Refinery à Anvers. 

D’autres connaissances du monde des ressources minérales  sont bien connues de Joseph Kabila et liées à Dubaï comme Benny Steinmetz et Dan Gertler13. Les acheteurs d’or et de diamant implantés dans les comptoirs en RDC, pour bénéficier complètement de l’exemption de taxes, se réclament de leur siège social dans les Émirats arabes unis. Il est devenu plus profitable de passer par Dubaï pour réexporter diamant et or vers la Suisse, l’Inde ou même Anvers. De la production aux débouchés, le centre des transactions passe par Dubaï.

En 2015, Joseph Kabila et ses proches ont appliqué ce schéma triangulaire au numérique en contractant avec une société belge pour la réalisation de coûteux passeports biométriques. C’est la compagnie installée dans le petit émirat de Ras Al Khaimah et appelée LRPS qui recevra 60 dollars pour chaque passeport. Le contrat lie le gouvernement congolais et  Semlex en Belgique. LRPS est enregistrée dans les ÉAU et donc les noms des propriétaires restent secrets. Mais Reuters14 a pu découvrir que LRPS est détenue par Makie Makolo Wangoi, proche de Kabila. Celui-ci dans le havre du Golfe se trouve à l’abri des contraintes et représailles que le durcissement de son successeur poussé par les États-Unis et conseillé par Tony Blair pourrait susciter. Pression peut-être plus insidieuse et plus convaincante, il garde dans la place financière off-shore de Dubaï la clé de nombreux coffres.

Sources
  1. Capitale de la province du Shaba, ex Katanga.
  2. Plus les jours passent, plus le bras de fer judiciaire opposant les sociétés Astalia Investment Limited de l’homme d’affaires congolais Moïse Katumbi, et Octavia Limited du Français Pascal Beveraggi se poursuit. Dans un arrêt rendu le 24 décembre 2020, la Cour de cassation a donné raison à l’ex-gouverneur du Katanga (sud-est de RD Congo), condamnant Octavia Limited au paiement des dommages et intérêts pour réparation de tous préjudices confondus en termes de perte subie et manque à gagner, évalués à 70 millions de dollars US, à la société Astalia. In https://www.financialafrik.com/2020/12/25/rdc-la-cour-de-cassation-donne-raison-a-moise-katumbi-dans-son-proces-contre-pascal-beveraggi
  3. Africa’s Whistle-blowers” – The African Crime & Conflict Journal.
  4. The Sentry • TheSentry.org Fonds clandestins : La banque secrète d’investissement de la famille Kabila, mai 2019 (août 2019 pour la traduction française).
  5. TerroristsTreasury_TheSentry_October2017_final.pdf-
  6. Tajideen and his brothers Ali and Husayn were subject to US sanctions, as were entities under their control. Despite this, and despite warnings from BGFIBank DRC employees, the financial ties between the bank and the sanctioned parties reportedly remained intact. Subsidiaries of Ovlas Trading, owned by Kassim Tajideen, would make transfers through BGFIBank DRC to subsidiaries of Congo Futur, managed by Kassim’s non-sanctioned brother, Ahmed Tajideen. Both Ovlas Trading and Congo Futur are under US sanctions. Ibid.
  7. Subsequently, the company and its subsidiaries appeared to mask the real activity, a trade-based money laundering operation that used under-invoicing and documentary fraud, by moving diamonds with food goods. Rumors still circulated that the businesses were suspicious as the brothers gained political clout with DRC President Joseph Kabila via Kabila’s brothers.In this case, the brothers looked to attach themselves to a kleptocratic leader drawn to enriching himself. Of course, this attracted negative media stories.In Dino Mahrani, “Exclusive : Congo under scrutiny over Hezbollah business links,” Reuters, March 16, 2012.
  8. Ibid.
  9. Emirates Gold and Al Ghurair Giga Gold Refinery.
  10. The Congo Golden Web, the Southern Africa Resource Watch (SARW), 2014.
  11. The UN’s 2014 Group of Experts report found that 98 % of gold was being smuggled out of Congo, the majority of it being taken to Uganda and sold on through Dubai.
  12. The Congo Golden Web, the, op.cit.
  13. Après une enquête de cinq ans, les allégations de corruption de fonctionnaires ont révélé que Gertler était la figure de proue de la société au Congo, aux côtés de Kabila et de son aide maintenant décédé, Katumba Mwanke, qui ont reçu plus de 100 millions de dollars de pots-de-vin. Barnabe Kikaya Bin Karubi, le principal conseiller diplomatique du président, a déclaré : « Pour nous, une attaque contre [Gertler] est une attaque contre le Congo. Les affaires de M. Gertler sont légitimes. Il paie ses impôts, apportant une bonne contribution à notre gouvernement en termes monétaires ». Och-Ziff, à l’inverse, a publiquement plaidé coupable et a accepté une amende de 412 millions de dollars US. L’affaire était singulière en ce qu’elle poursuivait le fonds spéculatif plutôt que l’origine des minéraux.
  14. https://www.reuters.com/investigates/special-report/congo-passports