Key Points
- Une étape importante a été franchie avec la conclusion d’un Accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine, mais le processus est encore long.
- Le succès de l’Accord repose sur deux inconnues : la Chine tiendra-t-elle ses engagements ? les entreprises joueront-elles le jeu ?
- Au total, cet Accord sectoriel ne couvre qu’une partie du rééquilibrage économique nécessaire dans les relations entre l’Union et la Chine.
Le 30 décembre 2020, Ursula von der Leyen, Charles Michel, Angela Merkel, et Emmanuel Macron annonçaient par visioconférence la conclusion d’un Accord global sur les investissements avec la Chine de Xi Jinping, clôturant des négociations initiées dès 2013 (le « CAI » ou l’« Accord »).
Son contenu, récemment dévoilé 1, fait état d’une portée relativement modeste sur un plan technique. Il appartiendra néanmoins clairement aux entreprises européennes, au moyen des outils offerts par l’Accord et des instruments de mise en œuvre effective des accords bilatéraux de la Commission, d’en faire vivre au maximum ses dispositions et de rechercher des solutions constructives, pragmatiques, afin que les engagements de la Chine en matière d’accès à l’investissement sur son territoire deviennent une réalité plus perceptible.
Politiquement, en revanche, l’Accord est aussi conséquent qu’il est techniquement modeste. Conclu dans un contexte géopolitique particulier, il donne à la Chine l’espoir d’améliorer son positionnement dans le rapport commercial triangulaire entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis. Ce n’est pas l’assurance pour la Chine d’éviter des oppositions systématiques UE-États-Unis à son égard, mais l’espoir que l’UE pourrait ne pas systématiquement s’aligner sur les positions américaines 2. Ce coût politique, important pour l’UE, est sans aucun doute une des raisons pour laquelle ses organes sont pris depuis plusieurs mois d’une frénésie de propositions règlementaires visant à discipliner les flux d’importations déloyales, déstabilisantes ou encore ne respectant pas certains principes fondamentaux comme ceux liés aux droits de l’homme. Si ces initiatives s’adressent à tous les pays, personne ne peut nier qu’elles sont essentiellement motivées par la Chine.
1. Une première étape franchie dans un contexte particulier, un processus encore long
Le traité de Lisbonne a conféré à l’Union une compétence exclusive en matière d’investissements étrangers directs (IDE). Il lui revient donc désormais de promouvoir la compétitivité de celle-ci sur les marchés mondiaux grâce à des investissements accrus et à un meilleur accès aux marchés des pays tiers. Cette extension de la compétence donne également à l’Europe une plus grande influence sur les accords en matière d’investissements internationaux, un instrument essentiel dans toute réaction face à la mondialisation.
L’objectif des négociations lancées en 2013 avec la Chine et qui ont abouti à l’Accord qui vient d’être « signé politiquement » était d’abord de remplacer le « patchwork » d’accords bilatéraux d’investissement conclus par les États membres de l’UE, 25 en tout, comprenant des périmètres différents et portant essentiellement sur la protection des investisseurs, sans viser la question essentielle d’accès aux marchés.
En septembre déjà, à la suite d’une visioconférence avec le président chinois Xi Jinping, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déclaré à la presse : « La Chine doit nous convaincre qu’il vaut la peine d’avoir un accord d’investissement ». La Chine semble donc avoir su faire preuve de persuasion, faisant de nouvelles offres et reconnaissant que la conclusion d’un accord sous la présidence allemande offrait une fenêtre d’opportunité qui risquait de se refermer ensuite. Pourtant, si les quatre dernières années nous ont appris quelque chose – le récent accord sur le Brexit, la renégociation de l’ALENA, l’accord de phase 1 entre les États-Unis et la Chine – c’est que les accords de commerce et d’investissement sont davantage que de simples accords techniques entre deux économies. Ils sont de plus en plus devenus des efforts politiques.
L’Union européenne a décidé de sceller l’Accord avec Pékin, tout en soulignant que celui-ci n’était pas de nature à empêcher une coopération étroite avec les États-Unis sur les questions chinoises. La présentation en décembre dernier d’un nouvel agenda transatlantique en témoigne, la Chine y étant de nouveau qualifiée de « rival systémique ». Elle répondait ainsi à l’administration Biden qui soulignait elle-aussi, dès son arrivée, son engagement à travailler avec ses alliés et partenaires pour relever les défis que la Chine présente aux normes et institutions mondiales.
Cela n’a semble-t-il pas suffi pour créer une confusion certaine dans l’administration Biden sur le positionnement réel de l’Union à l’égard de la Chine, et la Chine elle-même semble dans sa communication publique donner l’impression d’avoir forgé une nouvelle alliance avec l’Europe. Il est vrai que la temporalité de la conclusion est plus que particulière : alors que les relations diplomatiques entre l’Union, les États-Unis et la Chine sont marquées par un ensemble de sujets de préoccupations graves et hautement politiques (répression des opposants politiques à Hong Kong, déportation des Ouïgours dans des camps de travail, censure et manque de transparence dans la gestion de la pandémie actuelle) – toutes préoccupations qui ont conduit les États-Unis à prendre des sanctions contre la Chine et ses dirigeants – l’Union européenne décide de conclure un Accord qui marque une dynamique d’ouverture des investissements et une confiance renouvelée avec son partenaire chinois. Pour autant, on ne peut nier que les relations économiques sino-européennes avaient grand besoin d’un nouveau départ. La Chine a accumulé depuis de nombreuses années un retard important dans la mise en œuvre de ses engagements commerciaux, retard notamment pris lors de son accession à l’OMC. On pourrait bien sûr considérer la Chine comme un partenaire de mauvaise foi, mais l’Union européenne, sous l’impulsion de la Chancelière Merkel et du Président Macron, a plutôt choisi une voie pragmatique, permettant de débloquer cette situation et de faire avancer les choses de façon concrète en faveur des entreprises européennes investissant en Chine.
Pour ce qui est de l’entrée en vigueur de l’Accord proprement dit, la route sera encore longue et plusieurs étapes importantes devront encore la précéder.
D’abord parce que le texte actuel n’est pas un texte final, malgré la communication publique importante de part et d’autre. La Commission a indiqué procéder à des révisions techniques dont l’ampleur n’est pas connue. Par ailleurs, l’Accord conclu par le négociateur, à savoir la Commission européenne, doit être ensuite revu par les jurisconsultes puis ratifié, comme tout Traité international, pour acquérir force de loi. Le processus de ratification risque d’être complexe. La Commission a indiqué qu’elle estimait que l’Accord entre dans la compétence exclusive de l’Union européenne telle que définie par le Traité, ce qui implique une ratification limitée au Parlement européen. Au vu d’expériences récentes d’accords conclus par exemple avec Singapour ou le Canada, la question des compétences exclusives ou partagées entre l’Union et les États membres fait débat. Au regard de la jurisprudence de la Cour de Justice, ce qui touche à la protection des investissements est une compétence partagée, donc exige une ratification étendue à tous les Parlements nationaux, avec le risque de blocages et de retards, comme on l’a vu avec l’accord avec le Canada. En revanche, comme les questions relatives à la protection des investissements ont été reportées pour une négociation ultérieure dans l’Accord avec la Chine, on pourrait penser que la ratification soit limitée au Parlement européen, sauf à ce qu’un groupe d’États membres non satisfaits de l’Accord ne démontrent que certaines clauses touchent en fait à la protection des investissements.
Il est clair que dans un cas ou l’autre – ratification par le Parlement Européen ou l’ensemble des 27 Parlements nationaux – le processus donnera lieu à un débat politique sur les enjeux de la relation Europe-Chine qui dépassera largement les questions économiques et commerciales avec le potentiel ou le risque de bloquer indéfiniment sa mise en œuvre. Certains sujets sensibles liés à cet Accord, comme le commerce durable ou les droits de l’homme, devront absolument être « déminés » pour la signature définitive de l’Accord qui devrait intervenir en plein milieu de la présidence française de l’Union européenne, au premier semestre 2022, année d’élections présidentielles en France aussi. La stratégie globale de l’Union européenne vis-à-vis de la Chine devra donc être aussi limpide que possible d’ici 2022. Une stratégie qui conduit l’Europe à ouvrir les portes du dialogue avec la Chine, mais qui entend aussi rester extrêmement ferme sur les flux chinois déloyaux ou déstabilisants en Europe.
2. Les principaux traits de l’Accord
L’Accord vise d’abord à permettre un meilleur accès des entreprises européennes au marché chinois et à leur offrir des conditions de concurrence plus équitables sur ce marché. Il faudra en revanche encore attendre deux ans avant de découvrir le deuxième pilier de cet Accord qui, une fois l’investissement réalisé, visera à le protéger contre des expropriations ou autres mesures pénalisantes. Ce sera alors le moment où des règles bilatérales au niveau européen prendront la place des 25 traités bilatéraux actuels de protection des investissements conclus entre la Chine et les États membres.
2.1 Garantir un meilleur accès aux marchés
L’Accord contient de nouvelles ouvertures et de nouveaux engagements en matière d’accès aux marchés. En pratique, il s’agit de mettre fin aux restrictions limitant le nombre d’entreprises susceptibles d’opérer dans un secteur spécifique, aux plafonds de participation de capital étranger ou des exigences telles que l’obligation de constituer des co-entreprises avec une société chinoise comme condition pour opérer sur le territoire chinois. Au-delà, l’Accord mérite attention en ce que l’Union européenne a réussi à ce que soit listés un grand nombre d’engagements, inspirés par autant d’expériences négatives rencontrées par les entreprises européennes au cours des vingt dernières années – et autant de clauses juridiques, spécifiques, et donc moins susceptibles d’interprétation, qui peuvent, le cas échéant, être soumis au mécanisme de contentieux bilatéral. Parmi ces clauses, notons l’interdiction des transferts forcés de technologie ou l’obligation de réaliser un certain pourcentage de recherche et développement en Chine.
Si ces concessions chinoises peuvent paraître comme une victoire importante pour l’Union européenne, il faut aussi rappeler que beaucoup de ces clauses avaient déjà été accordées par la Chine dans sa loi sur les investissements étrangers entrée en vigueur en 2020, largement reprise dans l’accord commercial de phase un entre les États-Unis et la Chine. Ainsi, la loi chinoise interdisait déjà les transferts forcés de technologie, accordant le traitement national aux entreprises à capitaux étrangers, et en leur garantissant l’égalité des droits de participation aux appels d’offres pour les marchés publics. De plus, en ce qui concerne l’ouverture progressive de l’accès au marché aux investissements étrangers, la Chine classe depuis 1995 les secteurs en « restreints » ou « interdits » pour l’accès des investisseurs étrangers. Lors de la dernière mise à jour de cette liste négative, celle-ci ne contenait que 34 secteurs. Par ailleurs, certains des engagements d’ouverture du marché pris par la Chine au terme de l’Accord sont déjà couverts par ses réglementations ou politiques nationales et applicables à tous les investisseurs étrangers, y compris dans certains des secteurs clés de l’Accord.
Il reste qu’il est vain de rechercher la « paternité » ultime des concessions faites par la Chine. Le plus important c’est qu’elles existent, et d’ailleurs la Commission européenne a souligné qu’elles seraient applicables à tous les pays membres de l’OMC par application de la clause de la nation la plus favorisée. Mais surtout, pour les entreprises européennes, il était essentiel qu’elles soient « gravés dans le marbre » d’un accord bilatéral unissant l’Union européenne et la Chine et susceptible de faire l’objet d’un règlement des différends bilatéral, qui ne privilégie pas nécessairement l’approche contentieuse, mais la recherche de solutions constructives, par les entreprises concernées, avec le soutien de leurs États respectifs. Car un engagement de la Chine pouvait exister depuis plusieurs années et une entreprise européenne, qui se heurtait à un comportement protectionniste de l’Empire du milieu, n’avait d’autres choix qu’un improbable recours devant une juridiction chinoise ou le déclenchement d’une action quasi-planétaire devant l’OMC.
2.2 Renforcer le level playing field
L’Accord contient aussi des engagements destinés à promouvoir des règles du jeu équitables (level playing field) au bénéfice des entreprises européennes (qui se voient accorder un « traitement national ») et une plus grande transparence de la règlementation des subventions et des licences. Parmi ses dispositions visant à assurer les règles du jeu équitables, l’Accord présente un article destiné à la réglementation et à la transparence des subventions, avec une large couverture de secteurs de services. L’Accord adopte la définition des subventions de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (ASCM) et ne s’applique pas aux subventions pour la pêche et les produits de la pêche ni pour les services audiovisuels. Une annexe précise les secteurs auxquels s’appliquent les engagements en matière de transparence des subventions : services aux entreprises, services de communication, services de construction et services d’ingénierie connexes, services de distribution, services environnementaux, services financiers, services liés à la santé, services liés au tourisme et aux voyages et transports et prestations de service. Cet article dispose que les Parties doivent publier des informations sur les objectifs, la base juridique, la forme, le montant et le bénéficiaire de chaque subvention. Ces engagements de transparence devraient entrer en vigueur au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur de l’Accord.
Force est cependant de constater que sous des termes parfois quelque peu différents, les obligations reprises dans le CAI en matière de transparence des subventions pour l’investissement étaient similaires à certaines dispositions de l’OMC applicables à la Chine depuis 2001 qui n’avaient jamais été mises en œuvre correctement jusqu’à aujourd’hui. On peut penser notamment aux obligations de notification des subventions dans le domaine des marchandises, une procédure qui est restée lettre morte depuis 2001. En outre et surtout, si l’on tient compte du fait que la Chine a réussi à exclure les subventions du champ d’application du règlement des différends, on peut affirmer qu’en matière de contrôle des subventions octroyées par le gouvernement chinois sur son territoire, l’Accord reste de portée extrêmement limitée.
2.3 Encourager un commerce durable
La lutte contre le travail forcé et la nécessité d’engager la Chine à adhérer aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) et aux instruments de protection de l’environnement ont été un enjeu majeur pendant les négociations du CAI. Aux termes de l’Accord, la Chine s’engage, par exemple, à continuer à élever le niveau de protection de l’environnement et du travail. Elle ne doit pas non plus affaiblir la protection dans ce domaine afin d’attirer des investissements étrangers, et les disciplines en matière d’environnement ou de travail ne peuvent pas constituer une restriction à l’investissement étranger déguisée. Plus précisément, la Chine s’engage à mettre en œuvre efficacement la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’Accord de Paris. Elle accepte également de mettre en œuvre efficacement les conventions de l’OIT qu’elle a déjà ratifiées et accepte de travailler pour la ratification d’autres conventions fondamentales de l’OIT, en particulier les conventions no. 29 et 105, qui portent sur le travail forcé.
Sur ce point, les engagements chinois sur le climat et le travail sont probablement sans précédent dans le cadre d’un accord bilatéral. Il reste toutefois que les engagements dont il s’agit, s’appuient essentiellement sur des clauses de “best efforts” et surtout que, comme les subventions, la Chine a obtenu que ces dispositions ne soient soumises qu’à un processus de consultation en cas de désaccord, mécanisme sans aucune portée contraignante. On peut donc raisonnablement penser que le salut des entreprises européennes concernées dans ce secteur passera aussi, et peut-être avant tout par l’utilisation des outils juridiques autonomes de l’Union européenne, en particulier ceux qui sont en gestation comme le « devoir de diligence » (Commissaire Reynders) et le « régime mondial de sanctions de l’UE en matière de droits de l’homme » qui visera les personnes et entités responsables (participantes ou associées) à des violations ou d’atteintes graves dans le domaine des droits de l’homme et sanctionnant des acteurs étatiques et non étatiques.
3. La Chine respectera-t-elle ses engagements ?
Le bilan de la Chine en matière de respect de ses engagements commerciaux est pour le moins médiocre, certains pourraient même opter pour un qualificatif plus sévère. L’État chinois continue de diriger l’économie et le commerce, et ce malgré ses propres déclarations, et engagements de transformer son économie en économie de marché. Depuis son accession à l’OMC, les membres de l’Organisation ont poursuivi de multiples efforts pour pousser la Chine à respecter ses engagements. Ils n’ont pas entraîné de changements significatifs dans l’approche chinoise de l’économie et du commerce.
Cette approche continue d’imposer des coûts importants à ses partenaires commerciaux, allant jusqu’à la déformation systématique de secteurs critiques de l’économie mondiale tels que l’acier et l’aluminium, dévastant les marchés des pays industrialisés. La Chine continue également d’empêcher la concurrence étrangère de secteurs précieux de son économie, en particulier les secteurs des services. Dans le même temps, la Chine entretient une politique agressive d’investissement à l’étranger, intervenant au nom de ses entreprises dans les nouveaux secteurs et pays émergents de l’économie mondiale.
Sur le papier, l’Accord conclu représente donc une avancée importante, compte-tenu du contexte rappelé ci-dessus. Ainsi, dans les secteurs où des engagements en matière d’accès aux marchés ont été convenus, la Chine ne pourra pas imposer de limitations au nombre d’entreprises pouvant exercer des activités économiques, à la valeur totale des transactions, au nombre total nombre de personnes à employer, ni restreindre ou exiger la constitution d’une coentreprise ou d’une entité juridique spécifique comme condition pour opérer. De plus, l’Accord prévoit une interdiction de forcer les transferts de technologie.
Pour autant, l’Accord n’a de valeur que s’il est mis en œuvre de façon effective par la Chine. Et au vu de l’expérience, il est permis de s’interroger sur ce point, tant il est vrai que le respect de ses dispositions implique un bouleversement du système de chinois de contrôle sur l’économie. Or, la Chine ne prendra pas de mesures qui remettraient en cause sa stabilité sociale ou économique. De ce fait, autant les dispositions de l’Accord qui visent à la conformité aux mesures touchant au contrôle de l’économie et au respect des normes environnementales et sociales sont peu contraignantes, autant celles visant à l’accès au marché, qui ne mettent pas en cause le système politique et économique chinois, sont fermes et potentiellement efficaces pour les entreprises.
D’une part, s’agissant du contrôle des subventions promis dans l’Accord, la Chine a jusqu’à présent refusé de prendre des mesures efficaces dans ce domaine. Elles sont comme une extension du pouvoir du Parti et soutiennent à bout de bras les entreprises publiques défaillantes, ou le développement agressif d’entreprises sur les marchés domestiques ou d’exportation.
Par exemple, bien que la Chine se soit engagée à ouvrir les services de paiement électronique aux fournisseurs étrangers dans le cadre de son accession à l’OMC, elle a maintenu des restrictions, tandis qu’une entreprise d’État (SOE), China’s Union Pay, bénéficiant d’un accès exclusif au marché intérieur, a construit un réseau des services de paiement électronique dans 179 pays. L’ouverture de ces services aux investisseurs étrangers dans l’Accord ne résultera donc vraisemblablement pas dans une meilleure concurrence tant la position monopolistique de l’entreprise d’État est établie aujourd’hui.
D’autre part, l’Accord inclut des dispositions relatives à l’environnement et aux conditions de travail. Il requiert l’adhésion aux protocoles de base de l’OIT, y compris le droit de créer des syndicats, la négociation collective et l’interdiction du travail forcé. La Chine ne s’engage qu’à faire les meilleurs efforts pour y aboutir mais cette promesse n’est guère crédible, étant donné le mauvais bilan de la Chine sur ces questions.
Dans ces conditions, pour assurer que l’Accord ne reste pas lettre morte, le mécanisme essentiel est celui qui permet de régler des différends et c’est l’un des objectifs avérés de l’Union européenne dans tous les récents accords commerciaux qu’elle a conclu de mettre en place des processus permettant une application de sanctions efficaces ou de mesures correctrices si nécessaire.
Or, à ce stade, il apparaît que sur les deux points sensibles ci-dessus – le contrôle des interventions financières de l’État dans l’économie et les engagements environnementaux et le droit du travail – les mécanismes destinés à garantir la mise en œuvre des engagements pris au regard des interventions financières de l’État dans l’économie ou en matière sociale et environnementale ne sont pas contraignants. Dans les deux cas, il est exclu d’utiliser le mécanisme de règlement des différends prévu par l’Accord, qui permet le cas échéant à une des parties de prendre des mesures correctrices. Ce qui implique que pour les dispositions les plus sensibles de l’Accord, les seules voies de recours sont des consultations ministérielles et le bon vouloir des parties.
Ceci est peu rassurant au regard de l’expérience passée et un peu paradoxal quand on compare cette situation avec l’accord Brexit qui vient d’être conclu, où nos voisins britanniques sont soumis à la menace de sanctions rapides, dissuasives et efficaces en cas de non-respect de l’Accord sur ces questions précises. L’impression curieuse est donnée d’être plus flexible avec la Chine qu’on ne l’est avec le Royaume-Uni.
Pour autant, l’Accord prévoit un processus de règlement des différends digne de ce nom pour les dispositions relatives à l’accès au marché qui n’a rien à envier à celui qui peut exister dans d’autres accords de commerce et investissement récents de l’Union européenne (Canada, Corée du Sud, Japon, …).
De manière assez classique, ce mécanisme de règlement encourage d’abord les Parties à résoudre les différends en engageant à des consultations. Les parties peuvent également opter pour la médiation. Si les Parties ne parviennent pas à une solution convenue d’un commun accord, la Partie requérante peut demander l’établissement d’un panel d’arbitrage. Les arbitres seront sélectionnés par les deux Parties, à choisir sur une liste préparée par le Comité d’investissement, crée par l’accord. L’arbitrage se déroule comme les mécanismes de règlements des différends État-État présents dans la plupart des accords d’investissements ou de commerce modernes. Les arbitres doivent rendre un rapport intermédiaire dans les 120 jours et le rapport final au plus tard 180 jours après la composition du panel. Les décisions doivent être acceptées sans conditions par les Parties, mais ne doivent pas créer de droits ou d’obligations pour les personnes physiques ou morales. L’Accord prévoit également aux Parties la possibilité d’appliquer des mesures temporaires en réaction au non-respect de la sentence arbitrale, parmi lesquelles des représailles croisées – violation dans un secteur, suspension des droits / obligations dans un autre. La suspension des obligations sera temporaire et supprimée dès que la Partie mise en cause notifiera les mesures qui prouvent la conformité avec la décision du panel. Le texte prévoit aussi que lorsqu’une mesure particulière a prétendument violé une obligation en vertu du CAI et une obligation équivalente en vertu d’un autre accord international comme l’OMC, la partie plaignante peut choisir le forum de sa préférence.
4. La réussite de l’Accord suppose que les entreprises le « fassent vivre »
Pendant des années, lorsqu’une entreprise européenne se heurtait à une législation chinoise protectionniste ou discriminatoire, son premier réflexe était souvent d’évoquer la question de manière « politique » avec ses propres autorités politiques, la chambre de commerce européenne en Chine ou d’autres instances. Les entreprises européennes doivent désormais apprendre à mettre en œuvre les dispositions de l’Accord sur l’accès au marché, en prenant l’initiative de stimuler le règlement des différends auprès de la Commission européenne. Faut-il le répéter, pas nécessairement pour aller au contentieux, mais pour utiliser toutes les palettes offertes par l’accord permettant de trouver une solution constructive avec la Chine.
En effet, si les États sont à la manœuvre pour négocier les accords, ce sont les entreprises qui sont à la barre pour les faire appliquer. Pour ce faire, elles doivent se tourner vers Bruxelles et la DG Commerce pour notamment sensibiliser le « Chief Trade Enforcer Officer » (CTEO) et obtenir de ses services, en cas de violation de l’Accord, l’engagement du système de règlement des différends, conçu non pas comme le contentieux avant tout, mais comme la solution constructive avant tout ! C’est particulièrement vrai pour un pays comme la Chine qui privilégie rarement le conflit dans la solution des litiges. Le mécanisme de règlement des différends de l’Accord qui n’envisage le contentieux que comme solution ultime est donc à cet égard le bienvenu, sous réserve que les entreprises européennes ne fléchissent pas et intègrent l’Accord et son règlement des différends « multifacettes » dans leurs stratégies commerciales à l’exportation, autrement dit le droit au service des exportations.
En effet, ce qui est à notre sens essentiel de retenir, c’est que les entreprises européennes ne doivent pas être effrayées par la nature « étatique » de ce règlement des différends. Au contraire, avec le retour du politique dans l’économie, ce type de règlement des différends est progressivement en train de devenir la norme dans le contexte de nombreux accords bilatéraux. Ce qu’une entreprise peut faire de mieux pour résoudre des litiges dans ce genre d’accord c’est (i) de déposer une argumentation robuste démontrant l’illégalité d’une mesure chinoise avec l’accord et (ii) de chercher, en lien avec la Commission européenne une solution constructive avec la Chine. Cette recherche interviendra sous la menace d’une décision de Panel qui, ayant un caractère horizontal, pourrait être beaucoup plus pénalisante pour la Chine. Elle préférera en effet, comme de nombreux États, une solution mutuellement acceptable susceptible de modifier sa réglementation à la marge, plutôt qu’une modification plus drastique de sa réglementation.
Bien sûr, pour qu’une solution constructive émerge, encore faut-il que le risque de la sanction (dans le cadre d’une Panel bilatéral) existe. Si la Chine sait que l’Europe n’a pas les moyens juridiques ou la volonté de faire sanctionner une pratique par l’adoption de contre-mesures permises à l’issue du Panel bilatéral, cette faiblesse retirera aux entreprises concernées toute motivation, et à la Chine toute incitation de rechercher des solutions constructives. Or à cet égard, il est clair que l’Europe puissance s’exprime désormais dans de nombreuses réglementations autonomes de la Commission, en particulier dans la modification du règlement de 2014 (« enforcement regulation ») qui permet de renforcer les pouvoirs de la Commission lorsqu’un pays tiers partie ayant un accord avec l’Union ne le respecte pas. Ce règlement va en effet permettre d’adopter des mesures de rétorsion, pas uniquement dans le secteur visé par la violation (par exemple le commerce des marchandises), mais aussi en l’étendant au commerce des services ou de la propriété intellectuelle. C’est en ce sens un texte complémentaire et essentiel au règlement des différends mis en place par l’Accord.
5. Le CAI : une partie seulement du rééquilibrage progressif des relations économiques avec la Chine
En parallèle à l’ouverture du dialogue avec la Chine, l’Europe se veut dans le même temps extrêmement ferme sur les flux chinois déloyaux ou déstabilisants en Europe. Cette réalité nous invite à comprendre que l’Accord n’est qu’un aspect du rééquilibrage des relations économiques que l’Union européenne souhaite mener avec la Chine. Ce rééquilibrage se traduit aussi par la multiplication au cours des derniers mois de propositions de règlementations autonomes permettant de protéger un marché unique innovant et concurrentiel, en disciplinant davantage nos relations avec les pays tiers, au premier rang desquels la Chine.
5.1 Contrôle des investissements
Suite aux inquiétudes croissantes concernant l’acquisition d’entreprises hautement stratégiques à travers l’Europe, en particulier par les investisseurs chinois, les États membres se sont chacun efforcés de protéger leurs technologies et leurs infrastructures, sans pour autant qu’une approche européenne coordonnée. L’Union a de son côté introduit une législation entrée en vigueur en octobre 2020, destinée à renforcer la coopération et la coordination entre les États membres et la Commission européenne 3. Les États membres devront désormais notifier à la Commission les cas soumis à leurs procédures nationales de contrôle des investissements. Des avis sont alors émis sur les investissements ou rachats proposés qui doivent ensuite être pris en compte par l’État membre dans lequel l’investissement a lieu.
Dès l’annonce de la conclusion de l’Accord, la Commission européenne a indiqué de façon claire, qu’elle n’abandonnait pas à l’égard de la Chine les instruments de contrôle des investissements qui viennent d’être mis en place et que la signature de l’accord ne signale en rien un abaissement de ces contrôles à l’égard de la Chine. En effet, l’Accord prévoit de façon explicite la faculté pour chacune des parties d’exercer ses droits d’examen et de contrôle des investissements de l’autre partie en fonction de la législation en vigueur. On peut donc s’attendre à une montée en puissance de l’usage du nouvel instrument européen d’examen des investissements parce qu’il est nouveau, mais aussi parce que l’accord qui vient conclu devrait résulter dans un accroissement des investissements chinois en Europe.
L’accent sera mis sur la technologie, que les gouvernements européens généralement considèrent comme liée à la sécurité nationale, et notamment ce qui touche à l’intelligence artificielle, les matériaux avancés et la cryptographie. La technologie Internet mobile de cinquième génération (5G) est un exemple non réussi de coordination européenne en ce domaine. Alors que les tensions géopolitiques s’intensifient entre les gouvernements occidentaux et Pékin, les restrictions à l’investissement affecteront clairement les entreprises chinoises. Le malaise de nombreux gouvernements européens face à l’implication de l’État chinois dans des industries stratégiques est croissant, de même que la pression politique des USA pour réduire l’accès chinois aux nouvelles technologies.
5.2 Contrôle des aides d’État étrangères
Le rééquilibrage des relations UE-Chine est également attendu en 2021 sur le sujet du contrôle des aides d’État étrangères. C’est même sujet qui devrait conduire à un très fort lobbying au cours de l’année. En effet, contre les subventions étrangères et notamment chinoises, les entreprises européennes peuvent utiliser tout d’abord les instruments de défense commerciale, en particulier ceux qui permettent de s’attaquer aux distorsions commerciales résultant d’interférence de l’État chinois (anti-dumping et anti-subventions). Mais ces instruments ne visent pour l’instant que le commerce des marchandises. Il y a actuellement un trou béant dans la réglementation européenne, contre par exemple les entreprises chinoises présentes sur le marché européen et qui seraient subventionnés directement ou indirectement par l’État chinois dans leurs acquisitions ou la participation à des marchés publics. C’est la raison pour laquelle la Commissaire Vestager a déjà proposé un Livre blanc sur le sujet et proposer rapidement une proposition de règlement 4.
Conclusion
Beaucoup a été dit sur le CAI depuis sa publication.
On retient d’abord que le multilatéralisme est en panne. On ne mettra pas autour de la table de sitôt, même si cela reste l’objectif à terme, 164 pays pour moderniser et renforcer des règles insuffisantes et mal mises en œuvre, ce qui est une source permanente de tensions, notamment celles sur les subventions industrielles. Le bilatéralisme, dont le CAI est un bon exemple, permet de pallier aux déficiences actuelles du multilatéralisme.
Il faut dans le même temps mesurer les limites de cet Accord qui est contraint par l’asymétrie entre les systèmes chinois et européens, par exemple sur les subventions industrielles et le commerce durable. C’est la raison pour laquelle notamment l’UE doit continuer à construire en parallèle une politique réglementaire autonome permettant d’instaurer des disciplines qui vont au-delà de ce qu’elle peut négocier bilatéralement ou a fortiori multilatéralement.
Enfin, dans leurs relations avec la Chine, les entreprises européennes – selon leurs positionnement et intérêts – doivent à la fois s’engager résolument dans la mise en œuvre de l’Accord pour améliorer l’accès au marché chinois, ce avec la Commission européenne et leurs gouvernements. Dans le même temps, ils doivent faire usage, quand cela est nécessaire des instruments autonomes de l’Union européenne. C’est de cette manière que la stratégie de rééquilibrage de l’Union vis-à-vis de la Chine sera une stratégie gagnante.
Sources
- Les principales mesures prévues par l’Accord sont disponibles en anglais sur le site de la Commission européenne : https://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=2237
- L. Van Middelaar, « Accord UE-Chine : l’Amérique est-elle encore en position de redevenir le leader du monde libre ? », Le Grand continent, 12 janvier 2021.
- Règlement (UE) 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.
- Voir le Livre blanc sur les effets de distorsion causés par les subventions étrangères au sein du marché unique : https://ec.europa.eu/france/news/20200617/subventions_etrangeres_marche_interieur_fr