Joshua Wong est l’un des leaders du mouvement de protestation hongkongais. Il est devenu l’une des figures du camp pro-démocrate lors de la révolution des Parapluies, durant laquelle il fut arrêté, avec d’autres leaders politiques. En janvier 2018, il est de nouveau arrêté, pour n’être libéré qu’en juin 2019. Par son positionnement politique assez modéré dans le spectre des localistes, il apporte un éclairage sur les grands enjeux de la lutte pour l’auto-détermination à Hong Kong et la constellation de mouvements de protestation. Alors que l’île est au plus fort de son soulèvement contre la Chine, nous choisissons de republier cet entretien réalisé en 2017 afin de donner des clefs pour déchiffrer le paysage des acteurs localistes, et en particulier la vision de Joshua Wong.

Quelle est la vision de votre parti Demosistō ?

À Hong Kong, ce que nous défendons, c’est la démocratie, la primauté du droit, la liberté et l’indépendantisme. Mais par rapport à d’autres partis démocratiques, nous nous spécialisons dans l’activisme des jeunes, la désobéissance civile, ainsi que la lutte pour le droit à l’autodétermination. Les jeunes, l’activisme et la désobéissance civile sont les choses que nous soutenons, parce que nous croyons que si Hong Kong a besoin d’atteindre la démocratie, il est nécessaire pour nous d’avoir plus de gens pour participer à la grève ; les manifestations de rue, la confrontation ou la protestation sont selon nous la seule voie pour atteindre notre objectif.

Nous soutenons aussi l’autodétermination, ce qui signifie que nous espérons que la souveraineté et la constitution de Hong Kong devront être décidées par le peuple de Hong Kong, par référendum. Au siècle dernier, l’avenir de Hong Kong était uniquement dominé par le gouvernement britannique et la Chine. Avec la mise en place du principe « un pays, deux systèmes », cinquante ans de politique ont été gelés pour la période allant de 1997 à 2047. Nous espérons qu’après 2047 nous pourrons organiser un référendum pour laisser au peuple le choix de décider de son avenir, de sa souveraineté et de sa constitution.

Nous nous concentrons donc principalement sur le fait que, dans la politique socio-économique de centre-gauche, nous sommes encore loin d’une société plus libérale et plus égalitaire, loin de laisser plus de gens décider de l’avenir. Dans le cadre de la politique économique de laissez-faire de Hong Kong, nous attendons toujours des allocations universitaires et de retraite, entre autres, et ce sont les raisons pour lesquelles nous luttons.

Sur le plan politique, nous espérons organiser un référendum et nous nous opposons à l’ingérence de la Chine dans les affaires hongkongaises.

Pour réaliser cette vision, quelle est votre stratégie ?

Hong Kong doit parvenir à la démocratie, mais l’objectif est loin d’être atteint : parce que cela signifie que nous devons obtenir une voix par personne aux élections du chef de l’exécutif de Hong Kong et que nous devons échapper à l’emprise du Parti communiste chinois (PCC), qui est le plus grand régime autoritaire du monde. C’est pourquoi il s’agit vraiment d’une bataille de longue durée.

Il y aurait quatre facteurs pour atteindre la démocratie, ou au moins pour se donner une chance de l’atteindre.

Le premier est la stabilité du PCC en Chine continentale. Avec l’accroissement du pouvoir économique au cours des dernières années, il semble que sous l’ère Xi Jinping, le PCC soit en train de parvenir à une plus grande stabilité, et une plus grande stabilité peut entraîner une réduction des pressions permettant à Hong Kong d’obtenir la démocratie.

« Avec l’accroissement du pouvoir économique au cours des dernières années, il semble que sous l’ère Xi Jinping, le PCC soit en train de parvenir à une plus grande stabilité, et une plus grande stabilité peut entraîner une réduction des pressions permettant à Hong Kong d’obtenir la démocratie. »

Joshua Wong

Le deuxième facteur est l’influence de la communauté internationale : Hong Kong est un centre financier mondial, et la Chine compte sur elle comme une position pour faire entrer du capital, elle utilise Hong Kong comme une porte d’entrée pour atteindre un pays étranger ou le monde occidental. Si elle perd sa position de centre financier mondial, la démocratisation de Hong Kong sera soumise à davantage de restrictions et de limitations.

Un troisième facteur concerne les élections au Legislative Council (LegCo) [élections du conseil législatif, c’est-à-dire les élections législatives de Hong Kong, ndlr].

À l’heure actuelle, nous avons 30 sièges sur les 70 du LegCo [élus au suffrage direct]. Si nous pouvions atteindre 35, ou plus, pour obtenir une majorité, la donne changerait.

Cependant, seule la moitié des sièges est réservée à l’élection directe. L’autre moitié des sièges est contrôlée par le gouvernement chinois. Ainsi, avec le système électoral actuel du LegCo, il est très difficile d’obtenir une majorité, parce qu’à Hong Kong, depuis 30 ans, dans chaque élection directe, le camp pro-démocratie obtient 55 à 60 % des voix, et ce chaque année. Comme seulement la moitié des sièges sont pourvus par élection directe, la démocratie est encore loin de nous…

Le quatrième facteur est le mouvement de confrontation directe, c’est-à-dire la désobéissance civile. Depuis la révolution des parapluies1, nous ne pouvons réaliser aucune réforme politique concrète, mais nous sommes convaincus que si, lors de la prochaine grande grève ou du prochain mouvement, nous pouvons obtenir un boycott de classe, un boycott syndical pour lutter davantage dans la rue, cela pourra augmenter notre pouvoir de négociation. Cependant, je pense que le pouvoir de négociation du camp pro-démocrate n’est pas assez grand pour générer un mouvement plus grand que le mouvement des parapluies. Il se peut donc qu’il faille trop de temps pour générer suffisamment de puissance ou d’influence si l’on veut impulser un mouvement plus important que la révolution des parapluies.

« Il se peut donc qu’il faille trop de temps pour générer suffisamment de puissance ou d’influence si l’on veut impulser un mouvement plus important que la révolution des parapluies. »

Joshua Wong

Est-ce que la jeunesse hongkongaise est toujours votre cœur de cible ?

Tout dépend du stade auquel on se trouve. Une fois que le parti est structuré et lancé, il n’est plus forcément besoin de concentrer tous les efforts sur les jeunes générations. À l’inverse, il faudra s’appuyer sur celles-ci lorsqu’on aura besoin d’un regain d’activisme.

Avez-vous en tête la fin de la période d’autonomie ?

Oui, c’est la principale raison qui nous pousse à nous adresser aux jeunes : après 2047, ils seront toujours en vie ! Et ils pourraient même bien être au milieu de leur vie, à 50 ou 60 ans, et être ceux qui auront le statut social le plus élevé dans notre société. C’est pourquoi il est extrêmement important, d’un point de vue symbolique, de préparer la jeune génération aux objectifs futurs de Hong Kong.

Quelle est votre stratégie de mobilisation pour ces jeunes ?

De manière générale, les réseaux sociaux sont une plateforme utilisée par tout le monde et partout dans le monde lorsqu’on souhaite mobiliser ou donner corps à un mouvement, mener une campagne, ou même faire la révolution. Malgré tout, il y a un revers de la médaille des réseaux sociaux, autant d’aspects positifs que négatifs… Si vous me demandez la stratégie exacte ou concrète, je dirais qu’il y a quelques grands principes pour engager ou renforcer la participation des jeunes. Ce serait principalement : savoir comment mener une campagne média et savoir comment interagir avec la base sur les réseaux sociaux.

Donc vous vous focalisez surtout sur les réseaux sociaux, sans rassemblement dans les universités ?

Avant d’aller dans les universités, il faut s’assurer que le message est passé, a été diffusé et bien diffusé sur les réseaux sociaux, auprès du public qui serait susceptible de venir aux rassemblements.

C’est pourquoi je fais toujours partie du groupe d’étudiants activistes Scholarism2. Nous nommerons différents chefs de groupe pour nous coordonner avec les représentants de l’école. À l’heure actuelle, il y a 300 étudiants qui sont membres ou bénévoles du mouvement Scholarism ; chacun d’eux dans des écoles différentes, c’est pourquoi nous nous coordonnons et nous nous répartissons dans des districts différents. Tout comme les élèves de l’île de Hong Kong, ils sont coordonnés par un chef de file, le chef leur transmet le message, et après coordination et interaction, ils transmettent le message à l’école. C’est ainsi que nous avons organisé les boycotts des élèves du secondaire il y a trois ans.

C’est toujours facile pour nous, étudiants à l’université, de boycotter des jours de cours, parce qu’il nous suffit de ne pas aller à l’université, mais si vous demandez aux lycéens de 14, 15 ou 16 ans de boycotter des cours, on atteint tout de suite une limite, et une pression adverse de la part des parents et des professeurs. La question est donc : comment trouver un équilibre et atteindre les lycéens les plus actifs à travers le pays ? Nous bâtissons un réseau qui pourra faire passer le message à ce public.

Je suis devenu un leader politique, je ne suis plus un activiste étudiant, mais je m’appuie encore beaucoup sur le réseau étudiant.

« Je suis devenu un leader politique, je ne suis plus un activiste étudiant, mais je m’appuie encore beaucoup sur le réseau étudiant. »

Joshua Wong

Connaissez-vous le groupe d’activistes lycéens Studentlocalism ?

Ils nous adressent de vives critiques, parce qu’ils soutiennent l’indépendance de Hong Kong alors que je pense que s’en tenir à soutenir l’indépendance n’est pas un programme… ils soutiennent aussi la révolution par les armes. Lorsqu’on leur demande s’ils s’attendent à être arrêtés, ils répondent que non. Je trouve un peu contradictoire de dire qu’on n’est pas prêts à se faire arrêter par la police au cours d’une grève ou d’une manifestation et de dire en même temps qu’on est pour une révolution militaire.

J’en connais certains qui étaient membres de Scholarism par le passé, mais ils n’ont pas beaucoup d’influence et d’importance sur le terrain.

Vous identifiez-vous au mouvement « localiste », dont les médias parlent beaucoup ?

L’année dernière [2016, ndlr] à Hong Kong, tout le monde prétendait défendre le localisme, même la classe moyenne professionnelle, les activistes radicaux qui défendent les émeutes ou la révolution militaire, tous prétendent défendre le localisme. Et l’étudiant, sans s’attendre à être arrêté, dirait qu’il soutient le localisme et qu’il va à des émeutes, même un député pro-Chine dirait qu’il soutient le localisme.

Ainsi, tout le monde se croit autorisé à définir le localisme, mais personne n’aurait le droit de définir la notion de localisme. Je ne pense donc pas représenter le localisme, et je ne prétends pas faire partie du camp localiste ; c’est cela le problème.

Croyez-vous que Hong Kong a les moyens de devenir indépendante ?

Personne ne sait ce qui se passera dans vingt ou trente ans, nous ne sommes pas aptes à décider de l’avenir de Hong Kong au-delà de trente ans. C’est pourquoi je pense que ce n’est pas le moment d’évoquer cette question.

Et dans un temps plus long, après 50, 60 ans ?

En général, le problème le plus important est de savoir comment décoder la force militaire et je n’en ai aucune idée. Je pense qu’à ce stade, même les militants indépendantistes ne peuvent pas expliquer comment assurer la sécurité de la force militaire pour protéger Hong Kong si Hong Kong devient indépendante. Mais ils n’ont pas de rôle ou d’idée claire à ce sujet.

Comment pouvez-vous vous assurer du contrôle civil hongkongais sur les soldats et l’armée sans aucune attente et sans soutien extérieur ?

D’un point de vue géopolitique, je pense que même si Hong Kong devient indépendante, elle sera toujours confrontée à l’ingérence de la Chine. Je pense donc qu’il est plus important de mettre l’accent sur la façon dont nous pouvons parvenir à une plus grande autonomie pour Hong Kong plutôt que de discuter de l’indépendance ou non de l’île.

La stratégie est plus importante que la discussion idéologique. Si vous demandez à n’importe quel prodige de Hong Kong s’il est en faveur de l’indépendance, il vous répondra oui, mais si vous lui demandez si c’est le moment de l’indépendance, il vous dira non, parce qu’il sait que nous n’avons aucun levier de négociation.

« La stratégie est plus importante que la discussion idéologique. Si vous demandez à n’importe quel prodige de Hong Kong s’il est en faveur de l’indépendance, il vous répondra oui, mais si vous lui demandez si c’est le moment de l’indépendance, il vous dira non, parce qu’il sait que nous n’avons aucun levier de négociation. »

Joshua Wong

Le problème fondamental à Hong Kong, c’est que tous les gens qui sont d’accord sur l’indépendance ne sont pas ceux qui sont sont vraiment prêts pour l’indépendance, mais ceux qui espèrent que la Chine n’interviendra plus et ne causera plus de tort à Hong Kong.

Je pense donc que la bonne question n’est pas de savoir si les gens soutiennent l’indépendance, mais bien s’ils veulent que la République populaire de Chine disparaisse de leur quotidien.

Selon différents sondages, 20 à 30 % des jeunes générations soutiennent l’indépendance, mais je pense que parfois cela ne veut pas dire grand chose, parce que ce n’est pas vraiment une demande politique, c’est juste une réaction émotionnelle.

Y a-t-il d’autres localistes avec lesquels vous êtes en accord ?

Bien sûr, je dirais que j’ai des points communs avec certains, mais s’il y en avait un avec lequel j’étais tout à fait d’accord, qu’il soit localiste, pro-démocrate ou pro-Pékin, j’aurais déjà rejoint son parti, et je n’aurais pas créé le mien.

Mais je dirais qu’en général les partis localistes, comme Youngspiration, sont confus dans leur stratégie. Si vous dites que vous soutenez la révolution ou que vous prétendez que c’est le moment de faire la grève, pourquoi n’avez-vous pas été arrêtés au cours des trois dernières années ? Et pourquoi n’avez-vous été impliqués dans aucun mouvement de désobéissance civile ? Comment pouvez-vous dire que vous êtes prêts pour l’évolution ?

Pensez-vous qu’ils manquent d’organisation et d’ambitions claires ?

Oui.

Dans le spectre des localistes hongkongais, vous considérez-vous comme un modéré ?

Oui. Il est évident que, comparé aux autres, je suis le plus modéré. Mais je pense que la politique n’est pas ce qui a à voir le plus directement avec des réactions émotionnelles. Même si, rhétoriquement, on dit qu’il est temps de faire la révolution, qu’il est temps d’aller au contact et de mettre en échec le PCC, cela n’a aucune implication sur la méthode. Être plus ou moins radical dépend du mouvement et de l’idéologie qui le sous-tend. Donc oui, je suis plus modéré qu’eux. En terme de confrontation ou de manifestation je suis bien sûr plus progressiste que, par exemple, Youngspiration. Ils ne peuvent pas rester inactifs. Et peu importe que Yau et Baggio aient été disqualifiés, aucun député n’a été arrêté depuis trois ou quatre ans.

Je pense que si l’on veut comparer modérés et radicaux, il faut s’accorder sur les termes : cela dépend de ce qu’on appelle un modéré et de ce qu’on appelle un radical. L’avantage est qu’on peut se présenter comme un modéré, tout en ayant une idéologie radicale ou jusqu’au-boutiste. Ainsi, à Demosistō, nous considérons que les Hongkongais doivent décider de la constitution de Hong Kong : dans le contexte actuel, c’est l’idéologie la plus radicale.

Ce n’est pas nous qui parlons de People’s Re-fucking of China et je ne pense pas que c’est parce qu’on emploie cette expression ou qu’on joue à ce genre de jeu au LegCo qu’on est radical.

En quel sens ne vous identifiez-vous pas aux partis démocratiques traditionnels ?

Simplement parce qu’ils soutiennent la ligne suivante : un pays, deux systèmes. De notre côté, nous souhaitons l’autodétermination. C’est pourquoi nous renforçons l’obstruction parlementaire au sein du LegCo ; de leur côté, ils assurent le soutien au gouvernement et la stabilité du LegCo. Donc la différence entre eux et nous est assez claire.

Qu’en est-il de HKI (Hong Kong Indigenous) et HKNP (Hong Kong National Party) qui sont encore plus radicaux ? En quoi sont-ils différents de vous ?

Je dirais que HKNP est plus à droite. Ils réclament que tout continental ou immigrant étant arrivé à Hong Kong après 1997 soit renvoyé en Chine. Ils prétendent qu’il est temps de faire une révolution militaire, mais ils n’ont jamais organisé de manifestation ou de désobéissance civile structurée. Ils prétendent donc être très radicaux d’un point de vue rhétorique, mais si vous regardez leurs actions ou lisez l’actualité, je ne crois pas que vous pourrez trouver trace de la moindre action organisée par HKNP. Ils se contentent de distribuer des tracts dans la rue et de faire des communiqués de presse. À tel point qu’on a commencé à l’appeler le parti HKSP (le Hong Kong Statement Party).

Pour ce qui concerne le HKI, ils sont en effet plus radicaux. Ils ont par exemple organisé les émeutes des « boulettes de poisson ».

Mais après la fin des élections, il ne s’agit pas seulement d’une fragmentation dans le camp anti-chinois ou pro-démocratie, c’est une fragmentation grave dans tout le camp localiste. Edward Leung est maintenant à Harvard. Lors d’une entrevue accordée en novembre dernier, il s’est dit déçu de la stratégie utilisée par Youngspiration dans le dossier de la prestation de serment. Même si j’ai appuyé cette dernière, je ne suis pas d’accord pour transformer la Chine en Cheena3.

On lui a demandé pourquoi il n’avait pas organisé de protestation contre la disqualification, et il a répondu : « Si j’organise une protestation et que je suis arrêté, je serais gardé en prison jusqu’à ce que le procès [pour les émeutes des boulettes de poisson de 2016, ndlr] commence, soit en janvier 2018. J’ai peur d’être gardé en prison avant le début du procès. C’est ma limite. »

Les gens ont alors été choqués, et lui ont légitimement demandé : « Vous dites que c’est l’heure de la révolution, alors pourquoi avez-vous peur ? »

C’est le problème des localistes, ils prétendent simplement que les manifestations pacifiques et la désobéissance civile sont inutiles et qu’il est temps de faire la révolution. Mais même s’ils tiennent ce genre d’affirmation ou de position, ce n’est pas eux qui sont prêts à agir.

Par exemple, j’admets que je ne suis pas prêt pour la révolution, parce que je ne suis pas prêt à rester en prison pendant 10 ans. C’est pourquoi la seule chose que je peux faire est la désobéissance civile. Mais pour eux, cela est inutile, ils disent qu’il est temps de combattre la police, d’organiser la révolution, d’attaquer les banques, etc. Après cela, si vous leur demandez si quelqu’un des groupes localistes est prêt à diriger à nouveau un mouvement en 2017, ils gardent le silence. Parce qu’ils se rendent compte qu’ils n’ont pas les moyens de payer le prix nécessaire pour des émeutes ou une révolution.

C’est pourquoi, maintenant qu’Edward Leung a quitté Hong Kong, plus personne ne se soucie d’HKI.

Personnellement, je pense à l’indépendance de Hong Kong ou à toute idéologie radicale, mais ce qui compte est ce que vous dites de votre bouche et comment vous pouvez les mettre en œuvre.

« Personnellement, je pense à l’indépendance de Hong Kong ou à toute idéologie radicale, mais ce qui compte est ce que vous dites de votre bouche et comment vous pouvez les mettre en œuvre. »

Joshua Wong

Vous vous définiriez donc comme plus pragmatique, par rapport à eux, qui seraient des idéalistes ?

Je ne pense pas qu’il soit idéaliste de dire ce qu’on ne peut pas faire. Non, je ne pense pas que ces actions qu’ils ne peuvent pas organiser représentent un idéal.

Leur mouvement n’est-il qu’une réaction émotionnelle ?

Oui, absolument.

C’est pourquoi je pense qu’Edward Leung a utilisé le populisme et qu’il est maintenant condamné par les gens qui ont cru au populisme. Et il pense que c’est de sa faute… Edward Leung est celui que je respecte le plus parmi les localistes, parce qu’il sait au moins reconnaître ses limites. Il ne fait pas partie de ceux qui réclament la révolution sans rien faire.

Pensez-vous qu’un retour de Leung soit possible dans un futur proche, et qu’il puisse reprendre le combat ?

Non, car il risquerait quatre à cinq ans de prison s’il revenait.

Vous sentez-vous Chinois aujourd’hui ?

Je suis Chinois d’un point de vue ethnique, mais je ne suis pas un citoyen chinois. Je suis Chinois culturellement, mais pas politiquement.

Pensez-vous que la présence chinoise à Hong Kong (tourisme et immigration) puisse être un problème ?

Oui, c’est un problème pour Hong Kong, mais le principal problème de Hong Kong est l’inégalité sociale.

L’école est un bon exemple. De mon point de vue, il est indifférent que de plus en plus de gens de Chine viennent à Hong Kong : les écoles de Hong Kong ne sont déjà pas assez grandes pour les étudiants de Hong Kong !

Donc selon vous, la présence chinoise est à l’origine d’inégalités plus importantes à cause d’une mauvaise gestion du gouvernement ?

Oui, et particulièrement la manière dont Hong Kong soutient le marché et refuse d’augmenter les dépenses publiques et le budget pour améliorer le système de santé, le droit du travail, la lutte contre le mal logement, etc.

On a donc toujours la plainte « localiste » selon laquelle les continentaux peuvent demander des logements sociaux. Mais selon moi, le problème plus fondamental n’est pas de savoir s’il y a des continentaux à Hong Kong, ou même si la Chine existe, ou si le PCC disparaît tout de suite, ce sont les logements sociaux à Hong Kong en général. Parce que le gouvernement refuse toujours de construire plus de logements, et que le prix de la location est trop élevé, même plus élevé que dans d’autres villes ailleurs dans le monde.

Je pense donc que c’est une perspective vraiment différente. On ne peut pas simplement expliquer chaque problème social ou économique en remettant la faute sur la Chine. Parfois, cela est dû à la politique économique du gouvernement du Hong Kong.

Votre objectif de long terme est-il de remplacer les partis démocratiques ?

L’année dernière, lorsque nous avons fondé notre parti, on nous a demandé si Demosistō espérait devenir une troisième voie dans la société ; parce que la troisième voie est le positionnement politique qui grandit aujourd’hui dans différents pays, un peu comme les Verts aux États-Unis. Toutefois, Demosistō ne s’attend pas à devenir la troisième force.

Sources
  1. La « révolution des parapluies » a été un important mouvement de protestation de la jeunesse hongkongaise, qui s’est déroulé entre septembre et décembre 2014. Durant près de trois mois, des sites centraux du territoire, tel Admiralty, sont occupés par des milliers de personnes exigeant un suffrage universel intégral et s’opposant au principe de pré-sélection du chef de l’exécutif hongkongais par Pékin.
  2. Scholarism est un groupe étudiant pro-démocratie initié en 2011 par Joshua Wong (alors âgé de 14 ans) pour s’opposer à une réforme scolaire visant à mettre en place un programme d’« éducation morale et nationale » perçu comme pro-communiste. Scholarism joue ensuite un rôle central dans le Mouvement des Parapluies en 2014. Joshua Wong et quelques autres décident de mettre fin à Scholarism en 2016 pour lancer le mouvement Demosistō.
  3. « Chee-na », « Cheena », « Shina » ou encore « Zhina » sont des retranscriptions de 支那, une expression japonaise autrefois utilisée pour désigner la Chine. Étant donné son association au Japon et à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ce terme est désormais perçu comme violemment insultant.
Crédits
Cet entretien a été réalisé à Hong Kong par Édouard Guigue le 20 février 2017, dans le cadre de son mémoire Le « localisme » à Hong Kong : une radicalisation de la jeunesse autour d’enjeux politiques et identitaires.