Sur l’ensemble de la population palestinienne, seulement 38 % vit au sein des Territoires palestiniens1. Le reste est éparpillé, réparti au travers le monde à la suite des vagues d’émigrations massives que les territoires ont connu. La plus célèbre, l’exode suivant la guerre arabo-israélienne de 1948, appelée par les Arabes la « nakba » (النكبة – la catastrophe) a vu plus de 700 000 habitants, soit la moitié de la population palestinienne de l’époque, fuir ou être expulsés vers d’autres terres, à la fois déplacés internes mais aussi réfugiés dans les pays voisins, Jordanie et Liban en tête2. Le phénomène fût si massif qu’il a donné naissance à l’UNRWA, l’agence onusienne s’occupant des réfugiés palestiniens. Une des conséquences de ce départ, est la naissance d’une identité basée sur le droit au retour, la possibilité de pouvoir retrouver les terres abandonnées il y a plus de 60 ans. Mais si la majeure partie de celle-ci vit dans les pays environnants, elle est aussi très présente en Europe, Royaume-Uni en tête, en Amérique latine et en Amérique du nord.

La diaspora palestinienne est unique en son genre : constamment alimentée par le flux d’images en provenance de Jérusalem et des villes palestiniennes sur les réseaux sociaux et chaînes de télévisions arabes, la communauté transnationale imaginée a développé, aux liens basés sur une identité, une mémoire partagée sur un commun exil3. Soutenant ouvertement la souveraineté de la nation palestinienne, elle est aujourd’hui impliquée dans les affaires économiques des Territoires palestiniens, notamment par l’envoi de fonds vers ceux-ci, et par les investissements de quelques entrepreneurs ayant fait fortune à l’étranger.

Historiquement, la diaspora était aussi au cœur du projet politique palestinien : pendant plusieurs décennies, la chaîne de commandement de l’Organisation de Libération de la Palestine était externalisée à Amman, Beyrouth puis Tunis. Les principaux clans locaux étaient largement financés de l’extérieur par les membres de leur famille ayant émigré, notamment dans le Golfe4. Pourtant, avec la création de l’Autorité palestinienne, la prise de décision politique s’est recentrée en Cisjordanie, plaçant progressivement les Palestiniens de l’étranger à la marge de celle-ci.

L’affaiblissement des liens entre diaspora et pouvoir politique palestinien n’empêche pas la mobilisation intensive de cette première. La seconde intifada et les guerres successives à Gaza ont notamment permis à la « cause » palestinienne d’obtenir un écho important à travers le monde, relayée localement par les différents groupes de la diaspora présents dans de nombreux pays. Et si le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) s’est construit sur ces racines, la mobilisation internationale des Palestiniens ne s’y limite pas5. S’appuyant notamment sur le respect des droits humains, du droit international et de la dénonciation du statut d’occupation des Territoires palestiniens, les réseaux de la diaspora entendent peser sur les gouvernements si possible, mais surtout sur les opinions publiques, souvent plus réceptives à ces problématiques. Aux États-Unis, les campus universitaires américains se font la caisse de résonance de voix qui portent, à l’image de celle de Noura Erakat, activiste, avocate des droits humains et professeure à l’université George Mason (Washington D.C.) Dans la même lignée, un groupe de réflexion indépendant et transnational, « al-Shabaka » a été créé en 2013 par des intellectuels palestiniens à l’étranger, se donnant pour mission « d’éduquer et de favoriser le débat public sur les droits de l’homme et l’autodétermination des Palestiniens dans le cadre du droit international »6.

La récente normalisation des relations entre Israël et nombre de pays arabes sonne comme une défaite pour l’Autorité palestinienne, qui voit nombre de ses « alliés » lui tourner progressivement le dos. De plus en plus rares sont ainsi les voix s’élevant pour remettre en cause ces accords et dénoncer la politique menée par le gouvernement israélien. À Ramallah, le président Mahmoud Abbas a fait état de son impuissance face à des événements qui semble le dépasser, le plaçant en position de spectateur de la disparition progressive, mais quasi-inéluctable, des perspectives de création d’un État palestinien. L’image renvoyée est un saisissant contraste entre le crépuscule d’un raïs synonyme de la fin d’une époque, et la jeunesse et vitalité de nombres de militants « Propalestiniens » dans les pays anglo-saxons.

Alors que la « rue » arabe reste très majoritairement hostile à la normalisation des relations avec Israël, l’arrivée d’un président démocrate à la maison Blanche devrait stopper le processus enclenché, même s’il ne faut pas s’attendre à un revirement complet de situation sur la question7. Cependant, au sein du parti démocrate, l’effet du « lobby » des organisations propalestiniennes n’a pourtant jamais été aussi visible, avec l’émergence à gauche de figures comme Rashida Tlaib, d’origine palestinienne. Celle-ci, membre du même courant que la très populaire Alexandria Ocasio-Cortez, est résolument opposée à la politique menée par le gouvernement de Netanyahou dans les Territoires palestiniens. Rashida Tlaib symbolise parfaitement cette diaspora palestinienne active politiquement et de plus en plus audible dans le paysage politique international.

Si les élections nationales annoncées pour mai et juin de cette année ont lieu dans les Territoires palestiniens8, il y a fort à parier qu’il ne sera pas question de la diaspora palestinienne autrement que pour rappeler la volonté de défendre son droit au retour. Il est aussi assez certain que du côté israélien, aucune concession ne sera faite sur cette question, dès lors que des discussions pourraient avoir lieu entre les deux gouvernements sur le sujet. Pourtant, alors que tout parait jouer contre la solution à deux États et la reconnaissance des droits palestiniens, l’une des seules perspectives d’espoir pour ceux les soutenant vient de l’étranger, de ceux-là même qui ne seront pas en mesure de voter aux élections palestiniennes, et qui ne seront pas représentés dans les instances élues.

Les dirigeants palestiniens seraient bien inspirés de s’en rendre compte, et enfin de développer les voies de communication et de coordination avec la diaspora, aujourd’hui très limitées. Cette dernière pourrait profiter de relais institutionnels pour mieux se structurer, restant aujourd’hui assez fragmentée, et pour agir de façon décentralisée et autonome de pays en pays. Pour cela, il est néanmoins évident qu’une évolution des mentalités est nécessaire au sommet de l’appareil étatique, aujourd’hui paralysé dans sa propre inertie.

Sources
  1. Labadi, Taher,  “The Palestinian Diaspora and the State-Building Process”, Arab Reform Initiative, 5 Décembre 2018.
  2. Davis, Rochelle ; Kirk Mimi, Palestine and the Palestinians in the 21st Century, Indianapolis : Indiana University Press, 2013.
  3. Hanafi, Sara, “Reshaping geography : Palestinian community networks in Europe and the new media”, Journal of Ethnic and Migration Studies, 2005 ; 31(3), 581–598.
  4. CHOREV-HALEWA H., Networks of Power in Palestine : Family, Society and Politics Since the Nineteenth Century, London : Bloomsbury Publishing, 2019, p.229-245.
  5. Davis et Kirk, op.cit.
  6. Voir  : https://al-shabaka.org/en/
  7. Hincks, Joseph “What a Biden Presidency Might Mean for the Israeli-Palestinian Conflict”, Time, 19 Octobre 2020
  8. Al-Jazeera, “Uncertainty as Palestine’s Abbas announces elections”, 17 Janvier 2021.