Marta Barone, Città sommersa (La Ville engloutie), Florence, Bompiani, 2020

couverture livre Marta Barone Città sommersa (La Ville engloutie) culture littérature européenne d'Europe italienne fictions d'Europe à lire roman témoignage histoire

Le garçon court dans la nuit d’hiver, sous la pluie, pieds nus, couvert d’un sang qui n’est pas le sien. Appelons-le L.B. et abordons-le à travers les années et les événements qui ont précédé cette nuit-là. Ce qui nous guide, c’est la voix d’une jeune femme abrupte, solitaire, passionnée de littérature. Ce roman est un souvenir et une chronique de la confrontation avec la disparition de son père, avec ce qui reste d’un lien d’enfance presque heureux en tant que fille de parents séparés, situation alors fatalement épineuse, et avec la découverte tardive de l’affaire judiciaire dont il a été protagoniste. Qui était l’inconnu, L.B., le jeune homme toujours du côté des vaincus, le médecin ouvrier toujours aux prises avec quelqu’un à sauver, condamné à la prison pour participation à un gang armé ? Et pourquoi à cette époque – des années avant la naissance de sa fille unique – n’a-t-il jamais voulu parler ? 

Témoignages, archives et dossiers, souvenirs, révélations composent lentement, comme les couches mélangées d’une lanterne magique, le portrait d’une personne compliquée et contradictoire, qui a vécu une époque compliquée et contradictoire. Turin est la toile de fond de la lutte politique quotidienne avec ses efforts et ses joies, de la colère, de l’espoir et de la douleur, et enfin de la violence qui devrait assurer la naissance d’un avenir radieux et qui, au contraire, fait imploser le rêve du nouveau monde en générant déception et ruine. Le roman d’un homme, de ses familles, de ses biens, de sa vie scrutée avec amour et avec honte par une fille pour qui le monde se mesure et se construit à travers la lecture et l’écriture.

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Emanuele Trevi, Due Vite (Deux vies), Milano, Neri Pozza, 2020

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«  La seule chose importante dans ce genre de portraits écrits est de chercher la bonne distance, qui est le style de l’unicité.  » C’est ce qu’écrit Emanuele Trevi dans un passage de ce livre qui, apparemment, ressemble à l’histoire de deux vies, celle de Rocco Carbone et celle de Pia Pera, écrivains morts prématurément il y a quelque temps et liés, au cours de leur brève existence, par une profonde amitié. Trevi décrit leurs natures opposées : celle de Rocco Carbone, enclin à infliger des coups et dominé par les Furies qui le poursuivent sans relâche ; et celle de Pia Pera, enclin à les recevoir, doué d’une âme préhensile et sensible, vulnérable aux illusions. Il en restitue les traits  : la physionomie anguleuse, les traits marqués de la première ; l’air charmant de dame anglaise de la seconde, si séduisante qu’elle éclipse tout regret pour la beauté qui lui manquait. Il montre également la diversité de leurs comportements  : l’obsession de Rocco Carbone pour la simplification, empêtré dans l’enchevêtrement de signes générés par ses Furies  ; l’effronterie timide de Pia Pera qui, dans les années de sa maladie, se transforme en courage et en épure intérieure. Cependant, la bonne distance, le style et la singularité de ce livre ne résident pas dans la tentative impossible de restaurer des existences que les années transforment en murs épluchés par le temps et les intempéries. Ils tournent autour d’un de ces événements ineffables autour desquels tourne la littérature : l’amitié.

Nourrissant des obsessions différentes et irréconciliables, Rocco Carbone et Pia Pera apparaissent, dans ces pages, comme unis par un lien jusqu’au dernier transparent et heureux, ce lien qui se produit lorsque «  Eros, cet infâme idiot oisif, ne vient pas s’en mêler  ».

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Marie Landmark, Til slutt blir du selvlysende (À la fin tu brilleras dans le noir), Oslo, Forlaget Oktober, 2020

couverture livre Marie Landmark Til slutt blir du selvlysende (À la fin tu brilleras dans le noir) culture littérature européenne d'Europe norvégienne fictions d'Europe à lire roman autocritique critique modernité technologie écologie

«  Nous allions coucher ensemble et concevoir Emma, et ça allait être bien avec cet ajout, avec un autre être humain plein de ressources, et nous l’avons fait, nous l’avons faite, une autre humaine, parce que le monde tel que nous le connaissions allait durer, nous le pensions vraiment quand il est entré en moi et a laissé ses cellules s’occuper des miennes. »

Hanne est conseillère fiscale par téléphone et vit avec Terje, un agent de sécurité qui aime faire du jogging. Ils habitent dans un immeuble humide d’une grande ville norvégienne où ils mènent une vie ordinaire de jeunes adultes nouvellement installés. Hanne s’intéresse à l’écologie, au climat et à la nature et rêve de laisser une trace significative dans le monde. Bien que Hanne ne sache pas si elle veut contribuer à l’augmentation de la population dans un écosystème déjà limité, et qu’elle ait des doutes sur sa relation avec Terje, le désir d’avoir son propre enfant commence à se faire sentir, et bientôt Hanne est enceinte. Alors que les éléments physiques circulent librement dans l’océan environnant, dans l’utérus en croissance rapide, dans la piscine qu’elle fréquente et dans le climat humide, un désir inhabituellement fort de laisser aller les choses se réveille chez Hanne – celui d’être simplement une partie organique d’un circuit en mouvement, de laisser aller les limites de la vie quotidienne, de changer de forme comme un amphibien ou un fœtus en pleine croissance.

À la fin, tu brilleras dans le noir est un roman ludique et poétique qui examine le paradoxe d’une la planète qui semble être au bord de l’effondrement alors que la vie quotidienne continue, au bord de l’engourdissement.

« Il s’agit en fait presque d’une petite pièce littéraire de chambre sur le climat. Silencieux, mais explosif. Condensé, mais en même temps avec des nerfs brillants qui le relient à la société mondiale qui pousse lentement la terre dans la mauvaise direction. C’est apaisant !… Le conflit central entre la banalisation de la génération parentale et les jeunes guerriers du climat, moralement inattaquables, se déroule comme un courant sous-jacent bouillonnant de joyeuses histoires et d’une (auto)critique dont nous avons cruellement besoin.  » (Karl Emil Rosenbæk, BLA)

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Miroslav Krobot, Nečíst (À ne pas lire), Prague, BizBooks, 2020

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Cet ouvrage du metteur en scène et comédien tchèque Miroslav Krobot est une sorte de collage littéraire qui rassemble des fragments, des réflexions, des nouvelles et des textes divers, sans queue ni tête. Les pensées de l’homme de Krobot y dérivent au gré de personnages et de souvenirs fascinants : l’aventurier tchèque Jan Welzl y côtoie Jack Kerouac, les Rolling Stones ou encore la mère de l’auteur… Quant aux paysages, on navigue entre les splendides montagnes de Bohême du nord et les parcs de la ville d’Olomouc, en passant par les théâtres de Cheb. Rédigés dans un style incomparable, ces récits d’un grand homme du théâtre et du cinéma tchèque ouvrent tout grand les portes de l’imagination et nous invitent à nous y perdre.

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Anna Szabó T., Szabadulógyakorlat. A szerelem és a halál könyve (Exercice de libération. Le livre de l’amour et de la mort), Budapest, Magvető, 2020

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Le livre de l’amour et de la mort. Le troisième recueil de nouvelles d’Anna Szabó T. parle de corps et d’âme, d’avidité et de fanatisme, de plaisir et de manque, des forces admirables et terribles qui habitent l’homme pour se demander comment on peut libérer et apprivoiser ses désirs. Ce qui l’intrigue, c’est le monde des instincts en œuvre dans les bas-fonds de nos vies bien composées, la question de savoir si on peut civiliser la passion, s’il est possible et s’il vaut la peine d’aimer autrement qu’à la vie, à la mort. Les voix de l’excitation farouche et de la passion spirituelle se mêlent à des séquences des tentatives quotidiennes sobres de prise de contact. Passé et présent, réel et irréel se mélangent et se donnent rendez-vous. Le flottement des histoires, les moments d’exaltation et d’apaisement nous bercent comme une musique. Le livre explore les secrets de l’identité et des relations que chacun de nous connaît sans en être forcément conscient.

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János Hay, A cégvezető (Le Chef d’entreprise, roman), Budapest, Európa, septembre 2020

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«  Le chef d’entreprise pensait qu’il avait une chance de cocu quand il avait viré son ex-femme et il a trouvé une nouvelle nana. C’est lui qui savait toujours prendre la bonne décision, c’est lui qui savait toujours comment être au bon moment au bon endroit. Il a pris la bonne voie de la croissance. Investissements immobiliers, cabinet de conseil en finance, bureaux à louer. Il savait toujours prévoir la suite et tenir l’entreprise sur la voie du développement. Les trente dernières années ne parlaient que de lui, il était partout où il fallait être, il a trouvé les petites et les grandes combines, et s’il était nécessaire, il était capable de passer par le trou d’une aiguille. Il était, pour lui-même, le héros du temps dans un temps qui n’avait même pas de héros.

Tu te demandes ce que tu as à faire avec lui ? N’importe qu’en réalité tu aies une entreprise ou tu n’en aies pas. Tu es toi aussi un chef d’entreprise car tu diriges la personne que tu es. Le chef d’entreprise est le livre de ta vie. Il s’agit de toi et de tes amis, tes proches, tes camarades de classe, tes enfants et tes parents. Le chef d’entreprise est le livre de tes bonnes et mauvaises décisions, de tes objectifs et de tes hésitations, celui de tes actions et de ton impuissance. »

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Rui Nunes, O Anjo Camponês. [Pardais, Deus, Ossos] (L’Ange Paysan [Moineaux, Dieu, Os]), Lisbonne, Relógio D’Água, février 2020

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«  L’ange est sans entretemps, ne l’a pas eu, ne l’a pas, ni ne l’aura. Il a toujours su ce qu’ils appelaient le fils de Hilde, ils l’appelaient ragoût, ils l’appelaient poule mouillée, il n’avait pas de nom, et il reste toujours sans lui, mort, ils lui rendront celui que le baptême lui a donné :
dans la crypte de Rosenheim, l’omission se réduira à une ligne entre deux dates.
L’ange a vieilli.
Empaillé.
Ou : mes yeux l’ont-ils vieilli  ? »

Le grésillement des moineaux éclate. Un, deux, trois, quatre, cinq coups. Et le corps est dessiné, de l’imperceptible à l’imperceptible, jusqu’à la révélation : c’est mon corps : une merde de corps, l’eau renversée sur le plateau de marbre de la table de chevet, le verre sale qui éteint la lueur de l’annonciation  :

Ramper
«  L’incertitude de Dieu, l’incertitude de la mort.
[le présent est la grande fiction de la certitude].
Mes pieds glissent toujours dans le temps. Un déséquilibre, la chute brutale, pourtant, seuls les anges les ont connus, eux qui, poussés par la colère de Dieu, sont devenus rampants. Et ainsi ils ont découvert les signes de l’expulsion : la terre, les pierres et les pieds des hommes, la merde des chiens, le vol court des pigeons, savoir comment le déséquilibre survient, comment ne pas tomber, et en quoi cela est une condamnation. Comme c’en est une de ne pas mourir. La proximité nauséabonde. De l’éternité. »

Un compte-rendu de ce livre a paru dans ces colonnes.

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Gonçalo M. Tavares, O Osso do Meio (L’os moyen), Lisbonne, Relógio D’Água, Novembre 2020

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Peut-être un ton, des livres avec des tons (couleurs, agressivités, vitesses) et non des genres littéraires. Un ton, celui-ci : comment le mal, l’excitation, la passivité, la violence circulent-ils à travers les nombreux sols de la terre ? L’histoire se déroule dans une période d’après-guerre, dans un mouvement collectif de gueule de bois.

C’est un livre où le milieu est là, juste au début, et reste là jusqu’à la fin. Trois hommes et une femme, surpris à un moment des leurs vies violentes et (presque) heureuses. Le bonheur a de nombreuses variantes et certaines ne sont pas bénignes. Kahnnak, Albert Mulder, Maria Llurbai, Vassliss Rânia, trois hommes et une femme. Un livre dur et triste. 

«  Toute construction prend la forme de la peur et de l’obéissance ; l’ingénierie est une science biologique, dialogue entre animaux dont la technique permet de faire des choses matérielles dans le monde, d’ajouter des élévations et des puits profonds à la surface naturelle  : on creuse et on monte, on augmente le champ des possibles de la chute et de la vision surplombante d’un stratège.  »

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Emmanuel Carrère, Yoga, Paris, P.O.L., septembre 2020

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Yoga est l’histoire d’un livre sur le yoga et la dépression. Sur la méditation et le terrorisme. Sur l’aspiration à l’unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n’ont pas l’air d’aller ensemble, et pourtant : elles vont ensemble. 

«  Carrère lui-même écrit que Yoga sera intéressant surtout pour ceux qui ont lu ses autres livres, et il ne fait aucun doute que c’est le cas. Non seulement parce que, centré comme il l’est sur Carrère, il suppose un intérêt pour sa personne et une familiarité avec ses écrits passés ; mais surtout parce qu’à bien des égards, Yoga semble être le point d’aboutissement du chemin d’autofiction commencé avec L’Adversaire. C’est une expérience radicale à laquelle sa machine littéraire, qu’il a affinée pendant vingt ans, a été soumise. Comme ses lecteurs l’ont découvert, c’était une machine très puissante, capable de générer du savoir et de l’émerveillement ; et elle était, ou semblait, extrêmement ductile, capable de s’adapter avec la même agilité et la même élégance aux contenus les plus disparates — autobiographiques ou non.

Carrère y a mis une histoire brûlante. La machine a fondu. Voilà le résultat, peut-être le plus intéressant, que Yoga laisse au lecteur. La découverte des zones d’ombre conduit à réévaluer la lumière.  » (Vincenzo Latronico, Le Grand Continent, compte-rendu à retrouver par ici.)

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Camille de Toledo, Thésée, sa vie nouvelle, Lagrasse, Verdier, 2020

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En 2012, Thésée quitte « la ville de l’Ouest » et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d’archives, laisse tout en vrac et s’embarque dans le dernier train de nuit vers l’est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s’obstine. Il refuse, en moderne, l’enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu’à finalement rouvrir « les fenêtres du temps ».

«  Tu vois, mon frère,
pour ne pas mourir, j’ai dû entreprendre un voyage
au cœur de la nuit, dans les plis du corps, 
dans les strates du temps  » (p. 11)

«  Le labyrinthe de Thésée, sa vie nouvelle, est peut-être un palimpseste de l’histoire de l’Europe, d’une Europe des nations qui défait et décompose. […] Ici, le prénom Thésée s’est petit à petit imposé. Il disait, par le mythe, ce que le livre dans son ensemble tente d’accomplir : une enquête sur la peur généalogique, où l’on cherche à dévisager un monstre.  » (Conversation avec Camille de Toledo, Le Grand Continent.)

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Anne Weber, Annette. Eine Heldinnenepos, Berlin, Matthes & Seitz, 2020

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Près de Dieulefit, dans la Drôme, vit Anne Beaumanoir, dite Annette, un petit bout de femme presque centenaire, aux yeux lumineux et à la parole vive. Née en 1923 en Bretagne, élevée dans des circonstances simples, membre de la résistance communiste à l’adolescence, sauveuse de deux jeunes juifs – ce qui lui valut le titre de Juste parmi les Nations –, neurophysiologiste à Marseille après la Guerre, condamnée à dix ans de prison en 1959 pour son engagement aux côtés du FLN… elle est encore aujourd’hui dans les écoles un exemple vivant de l’importance de la désobéissance civile. Anne Weber raconte la vie improbable d’Anne Beaumanoir, dans une biographie qui, pour se hisser à la hauteur de son sujet, réinvente le genre épique. 

Anne Weber est née en Allemagne et vit à Paris. Elle publie tous ses livres dans les deux langues, et les traduit elle-même. Annette a été récompensé par le Prix du Livre allemand (Deutscher Buchpreis) 2020.

«  Je n’ai pas toujours conscience de la façon dont les deux langues s’interpénètrent dans mes livres ; c’est simplement qu’en vivant dans cet espace mental plus large qu’ouvrent deux langues, il m’arrive d’ouvrir des portes et de laisser entrer un brin d’allemand dans une maison française ou une goutte de français dans un Haus allemand. » (Conversation avec Anne Weber, Le Grand Continent)

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Luisgé Martín, Cien noches (Cent nuits), Madrid, Anagrama, novembre 2020

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Cien noches est une fable morale prise dans un roman policier et scientifique qui enquête sur l’amour et l’infidélité. Un roman érotique et noir qui explore les formes que prennent les mensonges.

Environ la moitié des êtres humains avouent être sexuellement infidèles à leur partenaire, mais l’autre moitié dit-elle la vérité, ou ment-elle ? Il n’y a qu’une seule façon de le prouver : enquêter sur leur vie grâce à des détectives ou à l’espionnage électronique. C’est l’expérience anthropologique que propose ce roman : enquêter sur six mille personnes sans leur consentement pour produire enfin des statistiques fiables sur les comportements sexuels dans nos sociétés.

Irène, sa protagoniste, cherche dans la sexualité les secrets de l’âme humaine. Cette jeune femme voyage de Madrid à Chicago pour étudier la psychologie à l’université, et là, loin de sa famille, elle commence à analyser de manière presque scientifique les hommes qu’elle rencontre et avec lesquels elle couche. Son regard froid et investigateur change lorsqu’elle tombe amoureuse de l’Argentin Claudio, qui porte en lui un secret douloureux et dont la famille a un passé sombre lié à l’histoire de son pays.

Cent Nuits explore les différentes formes d’amour – certaines radicales et extrêmes – et les différents comportements sexuels – certains tout aussi radicaux et extrêmes. Le roman enregistre la loyauté, l’infidélité, les désirs inavouables, les tabous, les demi-vérités et les tromperies qui entourent nos relations. C’est à la fois un roman de réflexion sentimentale, d’enquête érotique et de poursuite policière d’un meurtrier qui n’a laissé aucune trace de son crime.

«  Cien noches est l’hybridation parfaite d’un roman à thèse et d’un conte de fées. Luisgé Martín est plus Luisgé Martín que jamais ; l’amour romantique et les années de formation, la fidélité affective et la promiscuité coupable évoquent le conflit entre l’érotisme caduc et la persistance des affections, ainsi que l’impossibilité de vivre le plaisir alors que le plaisir est vécu dans la pure joie de la littérature. Parlons de ce roman. C”est la meilleure chose qui puisse arriver avec un livre : que son écriture soulève des questions dont nous devons parler.  » (Marta Sanz)

Ce roman a reçu le Prix Herralde 2020.

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Amalie Smith, Thread Ripper, Copenhague, Gyldendal, août 2020

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Thread Ripper est une histoire sur le tissage, une histoire à plusieurs pistes. On y trouve une tapisserie numérique, en même temps qu’on voit se tisser une histoire d’amour et une histoire de vie. Il s’agit d’Ada Lovelace, qui a écrit sur la technologie informatique pendant la première révolution industrielle, soulignant la connexion entre l’ordinateur et le métier à tisser.

Thread Ripper sont les notes d’une tisserande écrites à l’aube de la quatrième révolution industrielle, où la biologie et le logiciel se rencontrent. Il s’agit du tissu nerveux, du tissu végétal, du tissu des images sur les écrans, du tissu onirique de l’amour, du tissu ADN des familles et du tissu de rayonnement des télécommunications. Et des “bugs” qui peuvent entrer dans les textiles numériques.

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Ida Holmegaard, Look, Copenhague, Rosinante, février 2020

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Look est un livre sur les vêtements, le textile, la mode et la lecture. Sur les uniformes serrés et les beaux costumes incommodes, sur le tweed de J.D. Salinger et la mousseline d’Emily Dickinson,  sur les pulls en angora moelleux et doux et les chemises blanches tendres. C’est aussi un livre sur la création et la recréation du genre, sur le pouvoir, l’amour et le travail. Il s’agit de lire et d’être lu. Il s’agit du tissu entre nous et le reste du monde.

«  J’écris ce texte vêtue d’une chemise d’homme. Les boutons sont sur le côté droit afin que la main droite puisse facilement atteindre la poitrine et saisir une arme. Mais je n’ai pas d’arme sous ma chemise, je peux juste atteindre mon rythme cardiaque. Calme-toi, calme-toi, mon cœur, pourquoi es-tu si pressé ?  »

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Jānis Joņevs, Tīģeris (Le Tigre), Riga, Dienas Grāmata, 2020

La parution du premier roman de Jānis Joņevs Jelgava 94 (Mansards, 2013, traduit en français sous le titre Métal, Gaïa, 2015) reste un phénomène sans équivalent dans la littérature lettone depuis le retour à l’indépendance. Récompensé par de nombreux prix, traduit dans plus d’une dizaine de langues, adapté au cinéma par Jānis Ābele (2019), le roman largement autobiographique qui retrace l’adolescence de Jānis et de sa passion pour le Metal dans la période trouble des années quatre-vingt-dix, a suscité une vague de sympathie qui ne se tarit pas vraiment en Lettonie. Or, sept années sont passées, et si Joņevs n’a pas disparu de la scène culturelle locale – au théâtre notamment –, il n’avait rien publié depuis son coup de maître de 2013.

Repoussant à plus tard l’épreuve redoutée du deuxième roman, il est de retour avec un recueil de nouvelles intitulé Tīģeris (Le Tigre), que la critique a très largement salué. Composé comme un ensemble de quatorze nouvelles (flanqué d’une introduction et d’une conclusion), le livre affiche une cohérence thématique forte. Joņevs a déclaré vouloir explorer les rapports complexes et ambivalents que nous entretenons avec « le réel » – les mauvais tours qu’il nous joue, les arrangements divers que nous prenons vis-à-vis de lui : fuite vers le rêve, affabulation, extrapolation, mystification, ruse et tricherie. Cauchemars et hallucinations. Semblants et faux-semblants. Roublardises et forfanteries. Impostures. « Quand mon chat dort, dit Joņevs, il rêve qu’il est un tigre. »

Ce projet initial va décider des choix génériques qui mobilisent, selon la question posée, tantôt les codes du récit de rêve, tantôt ceux du conte philosophique, de l’absurde, de la nouvelle fantastique voire de la science-fiction. Il semblerait que le jeune écrivain qui du jour ou au lendemain s’est retrouvé propulsé au rang d’ambassadeur des lettres lettones ait voulu se donner le temps de jouer un peu, faire un pas de côté, tenter quelques « exercices de style », élargir sa palette, délimiter son territoire pour prévoir le coup d’après. Lauris, Solans, Ervīns – un écrivain procrastinateur, un « créatif » en panne d’inspiration, un critique musical en quête de génie, un plumitif timide incapable d’avouer sa flamme à la caissière de la supérette du coin –, le personnage principal de chaque nouvelle présente d’évidentes parentés avec le Jānis de Jelgava 94. On retrouve aussi avec bonheur, la plupart des ingrédients qui font l’univers caractéristique de Joņevs : sa mélancolie désillusionnée, son humour, ses dialogues ciselés et son sens de la formule, son attention aux détails, son goût pour les atmosphères nocturnes et enfumées des bars de Riga, son refus de l’esprit de sérieux et des idées trop nettement arrêtées. Au-delà du plaisir immédiat que procure cet ensemble jubilatoire, on s’attardera sur la réflexion qui traverse le recueil, poignante par son honnêteté et sa lucidité, sur le rôle de l’écrivain letton d’aujourd’hui, son rapport à sa culture lettone et plus largement à la culture européenne.

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Santa Remere (texte) et Elīna Brasliņa (illustrations), Mūsējās – 50 pasakas par Latvijas sievietēm  (Les Nôtres. 50 contes à propos de femmes de Lettonie), Riga, Ascendum, 2020

Ce fut à Riga l’un des débats les plus vifs de l’été 2020 : comment pouvait-on sous-entendre que Tatjana Ždanoka serait des « nôtres » au même titre que les quarante-neuf autres femmes emblématiques de l’histoire lettone choisies pour figurer dans un album destiné à la jeunesse,  parmi lesquelles Aspazija, la poète révolutionnaire, figure tutélaire du premier État letton indépendant,  Vaira Vīķe-Freiberga, la charismatique présidente qui a réinstallé en majesté la Lettonie au sein de la « famille européenne » ou encore Elīna Garanča, la divine mezzo-soprano que s’arrachent les plus grandes scènes du monde ? Tatjana Ždanoka, cette scientifique communiste, députée au Soviet suprême de la RSS de Lettonie qui a voté en 1990 contre le rétablissement de la démocratie, la « pied rouge » soupçonnée d’accointances poutiniennes dont la présence au Parlement européen est le plus souvent perçue par l’opinion lettophone comme une infamie ? Des nôtres ? Quel message cherchait-on à faire passer par une telle provocation ?

Le livre de Santa Remere et Elīna Brasliņa est un projet d’éducation féministe : verser dans l’espace public une vaste palette de récits de vie de femmes pour offrir en partage des références ou des modèles auxquels les jeunes pourront s’identifier. Ce faisant, elles invitent à une réappropriation du féminisme en le réinscrivant dans une « herstory » lettone (à partir du XIXe siècle), étonnement riche en personnalités féminines fascinantes pour leur audace et leur liberté. 

Chaque personnalité est introduite par son seul prénom (le nom complet est donné en index), lequel donne son titre à un texte bref composé comme un jeu avec les codes du conte et de la littérature jeunesse – calibré en quelque sorte pour la lecture du soir –, et qu’accompagne en vis-à-vis un portrait coloré, délicat et malicieux d’Elīna Brasliņa, l’une des illustratrices les plus douées et les plus productives de la jeune génération.

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Ioana Pârvulescu, Prevestirea (La Prédiction), Bucarest, Humanitas, 2020

Image couverture compte-rendu CR Prevestirea Ioana Parvulescu art culture littérature livre Bible poésie poète punition divine jugement fin du monde environnement humanité

Une prédiction qui change les hommes. Un livre sur la façon dont le bien et le mal peuvent arriver simultanément, sur les gens ordinaires, qui ne savent pas distinguer leur main gauche de leur main droite, et sur les individus compliqués, qui se croient les élus de Dieu. Sur les histoires qui rendent justice et injustice, sur les pères et le Père, et sur une fille sagace, qui ne laisse pas l’histoire mourir. Un livre où l’amour vient sans y être invité, comme partout dans le monde. Un roman à suspense, sur la grande aventure de l’homme qui essaie de trouver un sens à sa vie.

Pour la première fois dans la littérature roumaine moderne, un roman réécrit de façon réaliste une page de l’Ancien Testament : l’histoire du prophète insoumis Jonas. Un monde vibrant, aux personnages originaires du village de Jonas ou rencontrés sur le navire qui le porte vers Ninive, la cité éclatante tirée des Mille et une nuits. Le monstre des eaux et les monstres de la terre n’y manquent pas.

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Deniz Otay, Fotocrom Paradis (Photochrome Paradis), Cluj-Napoca, OMG Publishing, 2020

« Photochrome Paradis est un recueil de vers magnifiques. La voix de l’écrivaine, sorte de Siri épiphanique, m’a troublé. Après la lecture, je suis resté avec une étrange nostalgie pour des choses que je n’avais jamais vécues. Je n’ai plus envie de dire des choses intelligentes ou théoriques. Magnifiques. » (Ștefan Baghiu)

« Sur la plage avec des presque-amis
à des conversations légères
portant sur des régimes et des jeûnes
revigorants,
je laisse le soleil et la brise
faire leur travail –
délivrance organique vers le paradis
en ce moment,
tout ce que je suis
j’ai le pouvoir de dissoudre »

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Mikołaj Grynberg, Poufne (Confidentielle), Wołowiec, Wydawnictwo Czarne, 2020

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Une belle prose personnelle raconte l’histoire d’une famille juive marquée par une longue ombre d’histoire. En suivant le narrateur, nous découvrons des scènes de la vie quotidienne, pleines de tendresse et d’humour, parfois difficiles, remplies d’expériences de maladie et de perte. Ici, le passé peut être un fardeau, mais aussi une source de rires libérateurs, où l’ironie et l’amour nous permettent de faire face à un héritage amer. Le protagoniste, autrefois petit garçon, fils et petit-fils, aujourd’hui père et mari, observe le destin de sa famille et se demande : quelle vie suis-je en train de vivre ?

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Łukasz Staniszewski, Małe Grozy (Petites Trouilles), Cracovie, Wydawnictwo Literackie, 2020

Pleines de sensualité, des histoires surprenantes et originales, qui créent une image réaliste et en même temps magique de Varmie – un microcosme régi par des pulsions, des désirs et des envies, où la seule façon de satisfaire l’appétit effréné de vivre est de trouver l’unité avec la nature, même en dehors de la moralité.

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Vahur Afanasjev, Õitsengu äärel (Au bord de la floraison), Kasepää, Vemsa, 2020

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Révélé en 2017 avec Serafima et Bogdan, saga familiale tragi-comique sur les vieux-croyants russophones du lac Peïpous, l’écrivain estonien Vahur Afanasjev (né en 1979) a publié cette année un riche et foisonnant roman d’anticipation qui joue avec les genres et les registres. En 2028, un astéroïde menace d’anéantir la civilisation. La fin du monde est-elle vraiment inéluctable ? Dans cette atmosphère d’apocalypse, seuls quelques individus échappent à la résignation générale et tentent d’infléchir le cours des choses. Parmi eux, les membres d’une riche et brillante famille lettone-estonienne et un milliardaire sud-africain excentrique. En parallèle à cette course contre le temps pour sauver la planète, de multiples fils narratifs s’entrecroisent, qui éclairent l’évolution des principaux personnages et abordent de nombreuses thématiques actuelles, depuis le harcèlement sexuel jusqu’au mouvement écologique, en passant par la cancel culture et le rôle des « influenceurs » des réseaux sociaux. Avec ce roman à facettes, Vahur Afanasjev place un miroir devant notre civilisation et nous demande : comment en sommes-nous arrivés là et où pouvons-nous trouver la force de continuer ?

«  Celui qui a revêtu une fois un costume de super-héros ne pourra jamais s’en débarrasser complètement.  »

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Joan Sfar, La Chanson de Renart, Paris, Gallimard Jeunesse, 2020

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Quand Joann Sfar s’empare du Roman de Renart… la philosophie, la magie et l’heroic fantasy s’invitent dans ce récit classique du Moyen Âge. Dans un Moyen Âge mâtiné de fantasy, Renart, voyou malicieux et célèbre menteur, est embarqué dans de nouvelles aventures. Accompagné de son fidèle compère, le loup Ysengrin, cet éternel bouc émissaire rencontre Merlin l’Enchanteur… et endosse un costume qui n’est pas le sien : il doit sauver le monde d’un désastre imminent ! Avec pour décor un terroir provençal où règne la magie et où les kabbalystes, les sorciers et les dieux grecs trouveront bientôt leur place, Joann Sfar rend hommage de manière inédite au récit médiéval devenu mythique. 

Joan Sfar mêle ici une subtile réécriture du roman médiéval à des accents pervers et ironiques, qui ne sont pas sans résonance avec une année 2020 jalonnée de troubles sanitaires et d’inquiétudes mondiales.

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Crédits
Cette sélection a été composée grâce à Andrea Apostu (roumain), Nicolas Auzanneau (letton), Teresa Bartolomei (portugais), Antoine Chalvin (estonien), François Hublet (allemand), Ildikó Józan (hongrois), Vincenzo Latronico (italien), Benoît Meunier (tchèque), Mathieu Roger-Lacan (français), Lilian Munk Rösing (danois), Marlena Wilczak (polonais), Inger Wold Lund (norvégien).