Nayib Bukele, président du Salvador depuis juin 2019, a été élu sur une seule promesse forte : mettre fin à la corruption en politique et à la violence dans le pays. Un an après l’arrivée au pouvoir du jeune président, le taux d’homicides quotidien n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la guerre civile en 1992. Présenté comme la principale réussite du début de son mandat, Nayib Bukele attribue ce succès à la seule mise en place de son « Plan Control Territorial » (« Plan de contrôle territorial ») qui est une politique de confrontation armée avec les principaux gangs du pays (la MS-13 et la 18). Or, dans les faits, nulle confrontation entre les forces de l’ordre et les gangs mais bien des négociations secrètes, comme le dévoile ce reportage du média El Faro.
Depuis la publication de ce reportage salué et repris par la presse internationale dans son ensemble, Bukele a déclaré une guerre ouverte aux principaux médias salvadoriens, dont El Faro.
Cet article illustre les rapports à l’oeuvre entre un gouvernement et le crime organisé à l’échelle étatique dans une des régions les plus violentes du monde. Nous l’avons traduit et le publions en deux parties. La première partie est ici.
Les rapports et les hommes cagoulés
Les documents analysés par El Faro comprennent 108 pages tirées des rapports carcéraux des 12 derniers mois des prisons de haute sécurité de Zacatecoluca et de Izalco Fase III. Il s’agit de carnets de bord dans lesquels chaque gardien de service note tout ce qu’il juge pertinent : admissions de nourriture, admissions d’avocats, admissions d’enquêteurs de police, d’ambulances pour aller chercher un détenu. Les gardiens notent l’heure d’entrée et de sortie de chaque visiteur et en font une brève description. Ces documents comprennent des rapports sur les relais entre les gardiens, des tables de comptage des détenus, des plaques des véhicules entrant dans les locaux, ainsi que des signatures des personnes qui les remplissent quotidiennement.
El Faro a fait une analyse minutieuse de ces pages et a omis les détails qui pourraient mettre en danger les gardiens, la police ou les autres employés publics qui y figurent.
Les pages en possession de ce média enregistrent au moins 12 occasions entre le 18 octobre 2019 et le 7 août 2020 où le directeur Osiris Luna entre à Zacatecoluca ou à Izalco Fase III avec des personnes qui refusent de s’identifier ou qui se couvrent même le visage avec des cagoules. Lors de trois de ces visites, il est accompagné par le directeur du Tissu Social, Carlos Marroquín.
Trois des 12 admissions irrégulières ont lieu à Izalco, et neuf à Zacatecoluca. Lors de cinq de ces visites à Zacatecoluca, le groupe d’individus se retrouve avec Diablo de Hollywood ; lors de trois de ces cinq visites, Snyder de Pasadena est également présent. Au total, 20 personnes masquées par des cagoules ont été enregistrées à l’entrée, bien qu’il soit possible qu’une même personne soit entrée plusieurs fois de cette façon.
Les pages n’expliquent pas les questions qui ont été discutées à l’intérieur de la prison, mais les Wilas et les rapports des services de renseignement que ce journal a analysés et qui sont mentionnés dans cette enquête le font. L’ensemble des documents permet également de comprendre le lien entre les événements publics ou les annonces du gouvernement au cours des quinze derniers mois, et le dialogue secret qui a eu lieu entre le gouvernement et les membres des gangs dans les prisons.
Le 21 juin 2019, 20 jours après avoir pris la présidence, Bukele ordonne par Twitter que des mesures extraordinaires soient appliquées dans toutes les prisons du pays pendant deux semaines, jusqu’au 5 juillet. Or le 28 juin, des membres présumés d’un gang détournent un bus de la ligne 202 rempli de passagers à El Congo, Santa Ana, et violent deux femmes. En réponse, Bukele ordonne au directeur Osiris Luna de prolonger indéfiniment les mesures extrêmes : fermeture des magasins, enfermement des personnes 24 heures sur 24, interdiction de visites et des programmes éducatifs et récréatifs.
Le 2 juillet, le président lance la phase II de son plan « Contrôle Territorial », avec lequel il a promis de mettre fin à la criminalité : « Nous allons leur disputer aux gangs l’autre partie. J’ai toujours dit que si 50 membres de gangs sont capturés, ils finissent par en recruter 100. Cela doit changer, c’est le côté positif de notre plan », déclare Bukele lors de la présentation. A ses côtés se trouvait Carlos Marroquín, chargé, en tant que Directeur de la Reconstruction du Tissu Social, de cette deuxième phase, officiellement axée sur le travail de prévention et la politique de la jeunesse. Marroquín a été officiellement présenté comme une pièce indispensable de la stratégie de sécurité publique du gouvernement.
Deux mois plus tard, le 2 septembre 2019, le président Bukele ordonne à Luna via Twitter : « Après que notre pays a connu le mois le moins meurtrier depuis les accords de paix, le directeur @OsirisLunaMeza reçoit l’ordre de lever totalement l’urgence des @CentrosPenales (centres pénitenciers). La tendance à la baisse devrait se poursuivre en septembre. Le président doit tenir sa parole. »
Trois jours plus tard seulement, le 5 septembre, un journaliste d’El Faro écrit à sa source qui avait déjà parlé en août de l’existence de négociations entre les gangs et le gouvernement : « Regarde, le mois a commencé violemment ». Le membre du gang répond par un message vocal : « Si je ne vous l’ai pas dit, alors ? J’avais déjà mentionné tout cela ». Le journaliste écrit : « Hier encore, dix homicides, dont deux dans ta région, à Ahuachapán ». « Je vous ai dit que ça et d’autres choses étaient encore à venir. Le meilleur n’est pas encore arrivé, mais je veux en parler en personne ».
Une rencontre est organisée avec lui le 13 septembre, toujours à San Salvador. Une fois de plus, le membre du gang souligne que les accords avec le gouvernement Bukele se faisaient petit à petit et que, dans l’intervalle, il serait normal de voir certains jours où les homicides augmenteraient, comme une forme de pression de la part du gang. Cependant, il déclare qu’à cette époque il existait déjà une règle pour toute la structure de la MS-13 : « demander la permission au responsable du programme pour commettre un homicide » sous peine d’être puni par le gang, ce qui est très similaire à ce qui s’est passé au début de la trêve de 2012, lorsque un groupe interne de la mara a même été créé, connu sous le nom La Familia ou La Federación, qui était le seul à pouvoir autoriser un homicide.
Le membre du gang était prudent et a insisté sur le fait de réaliser ses révélations au fur et à mesure. Or après cette rencontre, El Faro n’a pas pu lui parler à nouveau par message ou en personne.
Un mois plus tard, le rapport carcéral de Zacatecoluca enregistre une entrée irrégulière à 12h40, le 18 octobre 2019. Un mois et demi s’est écoulé depuis l’assouplissement des mesures et le directeur général Osiris Luna est admis, selon le dossier, accompagné du directeur de Zacatecoluca, Ivan Orlando Rivas, et de « M. Rodriguez, M. Lopez et M. Campos ». Ils disent qu’ils vont au département de « procédures administratives officielles, accès jusqu’au secteur 2 ». Le gardien note ce qui suit : « Seuls les messieurs se sont identifiés par un nom de famille, car le directeur général Osiris Luna leur a permis de le faire ainsi. Il leur a également dit verbalement de ne pas signer le protocole ». Le chauffeur qui conduit ne s’identifie pas non plus. Le cortège repart une heure plus tard, à 13h40.
Deux mois plus tard, le 12 décembre, les services de renseignement de la prison réussissent à intercepter quelques Wilas sortant de la prison d’Izalco Fase III. Elles s’adressent aux homeboys des rues et leur demandent de garder leur calme car « eux, ils se sont déjà rencontrés dans les rues et ont discuté sur le fait que nous devions respecter ce dont on avait parlé avec les gens du gouvernement. Il est également écrit que si le gouvernement ne respecte pas l’accord, « s’ouvrirait toute la valve des meurtres ».
La négociation dans l’ombre : une pratique nouvelle ?
La réduction des homicides par le biais de négociations secrètes avec les gangs n’est pas nouvelle au Salvador. Il n’est pas non plus nouveau que les gangs administrent les chiffres des homicides comme monnaie d’échange dans ces négociations. Ce n’est pas non plus une nouveauté que dans ces conversations, l’un des partis cherche à obtenir des avantages électoraux.
En mars 2012, le gouvernement, alors aux mains du FMLN, a permis la sortie d’une trentaine de dirigeants de la MS-13 et des deux factions de Barrio 18 de la prison de haute sécurité de Zacatecoluca sans l’annoncer et les a emmenés dans des prisons ordinaires, où la communication avec l’extérieur est plus facile et où ils peuvent contrôler leurs structures dans les rues avec moins de difficultés. Quelques jours plus tard, El Faro a révélé cette négociation, connue sous le nom de « trêve » et orchestrée par David Munguía Payés, ministre de la Sécurité et de la Justice du gouvernement de Mauricio Funes. Les résultats, en termes d’homicides, ont été extraordinaires : de 4 371 en 2011 à 2 594 en 2012. L’échange de vies contre des avantages en prison a donné des résultats.
El Faro a également révélé, en 2016, qu’au début de l’année 2014, quelques mois avant l’élection présidentielle remportée par l’éphémère Salvador Sánchez Cerén, le FMLN et Arena avaient tous deux tenté de renégocier les accords antérieurs en échange du soutien des gangs à leurs candidats. Les réunions des leaders des deux partis avec les chefs des gangs ont été enregistrées par des vidéos. Lors de ces réunions, ce ne sont pas des vies qui étaient négociées, mais des votes. Les enregistrements montrent également des paiements en espèces aux membres des gangs, et des promesses de bénéfices économiques.
Mais après les élections présidentielles, Sánchez Cerén a démantelé ces accords et le résultat a été notable : 6 656 homicides en 2015, la première année du gouvernement du nouveau président de gauche devenant la plus violente de l’histoire. Pendant les années de dialogue avec l’État, les gangs ont conservé toute leur capacité meurtrière.
Plusieurs politiciens font l’objet de poursuites judiciaires pour ces offres. Parmi eux, Aristides Valencia et Benito Lara, membres du FMLN, ou Munguía Payés, ancien ministre de la Sécurité et de la Défense. C’est aussi le cas d’Ernesto Muyshondt, actuel maire de la capitale et candidat à la réélection de Arena en 2021. Norman Quijano, actuel député d’Arena, a réussi à éviter d’être jugé car il n’y avait pas assez de voix pour le destituer. Cependant, son mandat de législateur prendra bientôt fin et, avec lui, son immunité. Tous les autres précédemment cités sont en train d’être jugés, plusieurs années après les négociations.
Bukele a fait référence à ces négociations sur son compte Twitter. Le 1er février 2020, après que de nouvelles exigences fiscales ont été émises à l’encontre des politiciens du FMLN et de Arena, le président a tweeté : « Arena et FMLN sont des déchets, ils sont pires que ça. Ils ont négocié le sang de notre peuple. Soyez mille fois maudits ».
Lorsque le président Bukele tweete cela, son directeur de prison, Osiris Luna, est déjà entré au moins quatre fois dans la prison de Zacatecoluca avec des personnes cagoulées ou non identifiées, selon les documents publiés par El Faro. À l’une de ces occasions, comme le rapportent les journaux, Luna est arrivée avec trois personnes anonymes pour rencontrer Diablo et Snyder, les dirigeants du MS-13 qui avaient également participé aux négociations auxquelles Bukele a fait référence dans son tweet.
Le 20 décembre 2019, à 8h15 du matin, toujours en compagnie du directeur Luna, les premières personnes masquées apparaissent dans les documents analysés par El Faro. Avec le fonctionnaire, ils entrent dans Zacatecoluca « trois personnes portant des cagoules, qui ne se sont pas identifiées, n’ont pas passé les portiques de sécurité et n’ont pas subi de fouille corporelle », selon le rapport carcéral. Ils arrivent à bord du pick-up Hilux blanc portant les plaques P803-956 et expliquent qu’ils vont faire « une visite du centre pénitentiaire ». Ils partent à 9h25, selon le registre du garde.
Dans tous les règlements des prisons, inscrits notamment dans la Loi Pénitentiaire et le règlement général de la Loi Pénitentiaire, il n’y a aucun article ou exception qui permette l’entrée de personnes non identifiées dans les prisons du pays. L’article 8 du règlement général stipule que pour entrer dans une prison, « les visiteurs doivent s’identifier pleinement avec un document contenant une photographie, délivré par les autorités compétentes. »
En effet, l’article 14 A, paragraphe 4, de la Loi Pénitentiaire oblige les agents pénitentiaires à informer le parquet « de tout visiteur appartenant à une organisation interdite par la loi qui participe à des activités liées à des actes criminels, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison ». Une source du système pénitentiaire a expliqué à El Faro que cet article oblige les gardiens, qui sont chargés de surveiller les centres ou de tenir les registres carcéraux, à établir des rapports et à les soumettre au parquet.
Carlos Rodríguez, chef du département de vérification des prisons de la Procuratie pour la Défense des Droits de l’Homme, explique qu’ils sont tenus de respecter des mesures de sécurité strictes lorsqu’ils entrent dans les prisons : « Absolument. Nous devons nous conformer aux règles, nous identifier, passer les portiques et subir la fouille corporelle qui est parfois inconfortable. Nous n’avons pas trouvé d’autre moyen d’entrer sans les protocoles de sécurité. Nous avons même reçu des plaintes du personnel pénitentiaire lui-même, car chaque fois qu’il sort et entre dans la prison, il doit se soumettre à ces contrôles. »
Une négociation illégale
En août 2015, la Cour constitutionnelle a considéré comme organisations terroristes la MS-13 et Barrio 18, dans une décision qui oblige les juges à appliquer uniformément la Loi Contre les Actes de Terrorisme aux membres de ces groupes ainsi qu’à ceux qui en font l’apologie et à leurs financiers. La Cour a également considéré comme « inadmissible » toute négociation avec celles-ci ou des organisations similaires et a précisé quelles activités seraient considérées comme terroristes et lesquelles ne le seraient pas.
Parmi ces activités inacceptables, se trouvent les mécanismes extra-légaux visant à rechercher des accords avec les membres des gangs pour leur accorder des avantages en prison : « N’est pas admissible, sur les bases de l’état de droit constitutionnel, l’utilisation de mécanismes parajuridiques qui impliquent des négociations avec la criminalité en général, et encore moins avec la criminalité organisée, sous des conditions de réduction des taux de criminalité en échange d’avantages qui ne s’inscrivent pas dans le cadre réglementaire pénitentiaire qui informe la finalité de la peine -art. 27 CN.- ; ou en échange d’annuler la validité et l’application de la législation pénale », lit-on dans la sentence.
Un des juges qui a signé cette sentence a expliqué à El Faro ce qui est inadmissible : « Les gouvernements ne peuvent pas légitimer ces groupes ou discuter de choses en dehors de la loi. Une négociation en dehors de la loi peut être un accord sur la baisse des homicides en échange de questions liées aux fêtes organisées par les détenus, par exemple. »
Le nom de ceux à qui le groupe conduit par Osiris Luna rend visite à Zacatecoluca est enregistré pour la première fois lors de la visite suivante, selon les documents obtenus par El Faro : le 9 janvier 2020. Ce jour-là, à 10h, Luna entre dans son « van personnel » avec « trois autres accompagnateurs non identifiés, pour interviewer deux pdl (privés de liberté), Borromeo (Diablo) et Tiberio (Snyder) », indique le rapport. Ils partent à 11h40.
Le lendemain, 10 janvier, un motocycliste, deux gardiens et une infirmière conduisent Snyder dans une voiture institutionnelle à l’hôpital Santa Teresa de Zacatecoluca, « pour une consultation médicale d’urgence » à 16h40. Le registre carcéral indique : « Il a été ordonné par le Directeur Général des Centres Pénitentiaires, Osiris Luna, et le directeur de la prison, l’insp. Juan José Ramírez. Le pdl est admis pour analyse de l’acide peptique et de l’hypertension artérielle ».
Quatre jours plus tard, le 14 janvier, Luna et le directeur de Zacatecoluca retournent à la prison avec « quatre autres personnes cagoulées non identifiées ». Le registre carcéral note qu’à 16h15, dans la voiture P842-331, entrent « le directeur et les trois cagoulés », et dans la voiture P638-554 arrive « un autre cagoulé ». Ils affirment qu’ils vont « interviewer des pdl de différents secteurs » et partent à 17h30. Le véhicule P842-331 est celui qui, selon le document de vente, appartient à Dennis Fernando Salinas Bermudez, Directeur adjoint du Tissu Social.
Le 4 février à 18h30, Osiris Luna entre de nouveau dans Zacatecoluca avec quelqu’un qui masque son identité. Dans la voiture P841-810, un automobiliste transporte Luna et « un autre individu avec une cagoule non identifié. Ils partent à 19h35. »
Six jours plus tard, le 10 février, le Directeur Adjoint de Tissu Social, Bermudez, réapparaît. On peut en déduire, d’après la façon dont le rapport est écrit dans le journal, que le gardien reconnaît le fonctionnaire bien qu’il porte une cagoule. Ils entrent à 8h45 dans le véhicule P337-539, conduit par Luna. Puis, on peut lire : « avec le Directeur Adjoint du Tissu Social et son compagnon, tous deux portant des cagoules et ne s’identifiant pas. Ils viennent faire un tour dans le centre pénitentiaire ». Ils partent à 10 heures du matin.
En mars, il y a trois visites avec des personnes non identifiées. Le Directeur Luna fait partie de tous les cortèges. Lors de deux d’entre elles, il rend visite au Diablo de Hollywood, la figure la plus célèbre de la ranfla depuis plus de 20 ans, et dans l’une d’entre elles, il est accompagné d’un autre membre du gang de la clica Iberias, auquel White appartient également. Le 4 mars, à 13h, Luna entre à Zacatecoluca accompagné de quatre policiers non identifiés pour interroger Diablo. Il est noté que le marero retourne dans son secteur à 14h40. Sept jours plus tard, le 11 mars, entre 15h35 et 17h55, Luna se trouve à l’intérieur de la prison de Zacatecoluca avec un nouveau groupe qui comprend également le directeur adjoint de la prison de l’époque, Elmer Mira, qui a été renvoyé fin juillet sans explication publique. Son poste est désormais occupé par Carlos Aparicio.
Aparicio est un autre homme en qui Carlos Marroquín a confiance. Il a travaillé comme Coordinateur de la Réintégration Sociale à la Direction du Tissu Social.
Selon l’article 20 de la Loi Pénitentiaire en vigueur, les directeurs généraux adjoints doivent remplir les conditions suivantes « être Salvadorien de naissance ; posséder un diplôme universitaire lié au travail pénitentiaire ou des connaissances en matière d’administration pénitentiaire, entre autres”. Selon son CV, Aparicio n’a pas de diplôme universitaire, à l’exception d’un diplôme délivré en 2013 par l’Institut Biblique Bétel Assemblées de Dieu qui l’accrédite comme « diplômé en théologie ».
Le gouvernement de Nayib Bukele a remplacé Mira, qui selon son CV, disponible sur le site web de Centro Penales, est diplômé d’une licence en sciences juridiques « et a assisté à des cours sur la gestion des détenus et le contrôle des clés dans les prisons, sur l’administration pénitentiaire et la criminologie, ainsi qu’à un cours supérieur de gestion pénitentiaire », par Aparicio, un homme de l’entourage de Marroquín qui ne répond même pas aux exigences minimales de la loi.
Luna et Mira arrivent le 11 mars dans un véhicule pénitentiaire officiel, tandis que « quatre personnes non identifiées » entrent dans un véhicule sans plaque d’immatriculation. Les rapports indiquent qu’à cette occasion, l’entourage est entré dans la salle d’audition vidéo pour parler avec Diablo, Snyder et un troisième détenu : Pablo Renderos. El Faro a trouvé dans les archives que Pablo Antonio Renderos Cruz, connu sous le nom de Bad Spirit ou Gato, de la clica Iberias, a été condamné à 35 ans en 2007 suite à une affaire de regroupement illicite et d’homicide volontaire.
Un pic dans les décès
Le 25 avril, un autre événement important a lieu qui échappe à ce registre carcéral dans les livres des prisons de haute sécurité : Bukele ordonne un nouvel état d’urgence dans la prison, après une augmentation des homicides qui, au plus fort de la pandémie, ont laissé plus de 50 cadavres en trois jours. Avril, avec 145 homicides, a été le mois le plus violent de l’année 2020. L’ordre est repris par ses subordonnés, et le dimanche 26 avril, le directeur Luna a tweeté : « Plus de cellules avec une même bande, nous avons mélangé tous les groupes terroristes dans la même cellule, dans tous les centres de sécurité pénale. L’Etat se respecte ! » Le même jour, Bukele poste de nouveau un message controversé sur son réseau social : « L’usage de la force létale est autorisé en cas de légitime défense ou de défense de la vie des Salvadoriens. »
Différents médias et organisations de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Watch, ont dénoncé les images diffusées par le gouvernement, dans lesquelles on voyait des centaines de prisonniers assis, les jambes entrelacées, sans aucune distance de sécurité. En réponse à ces critiques, Bukele tweete le 30 avril : « C’est incroyable l’ampleur du soutien international dont bénéficient les maras. Les organisations qui se taisent lorsqu’elles voient les Salvadoriens être démembrés, crient au scandale parce que nous leur retirons leurs privilèges. Nous n’avions pas tort lorsque nous avons dit qu’il s’agissait d’une organisation criminelle internationale. »
Mais deux semaines seulement après ce tapage, le 13 mai, les mystérieux visiteurs conduits par les responsables du gouvernement Bukele retournent en prison.
Le libre enregistre que dans la Phase III d’Izalco « l’entrée d’Osiris Luna est observée par des caméras » à 16h25 de l’après-midi, en compagnie de « M. Marroquín » et de « huit autres personnes ». Le livre enregistre qu’ils « entrent par leurs propres moyens », sans révéler leur identité, et qu’ils disent qu’ils vont « s’inscrire au module ». Rien dans les protocoles de la Direction du tissage social ne permet de conclure que l’enregistrement des modules dans les prisons de sécurité maximale est une des fonctions de Marroquín, et rien dans le règlement des prisons ne justifie l’entrée sans enregistrement des personnes à cette fin.
Le lendemain, 14 mai, et avec le même argument de « surveillance des modules », à 8h42, « nous avons observé par des caméras » que deux véhicules sans plaques d’immatriculation entrent dans la prison d’Izalco. Le registre indique que Luna et « sept accompagnateurs non identifiés entrent dans la prison”. Ils partent deux heures plus tard, à 10h41.
El Faro n’a aucun enregistrement d’arrivées de personnes cagoulées en juin ou juillet, mais plutôt jusqu’à la visite du 7 août, qui a été consignée dans des rapports de renseignement validés par la Direction générale des prisons elle-même.
Il y a trois autres inscriptions dans les registres concernant des personnes non identifiées lorsqu’elles accompagnent Luna. Toutes les visites ont lieu à Zacatecoluca, mais les images de ce registre ne mentionnent pas la date. Sur l’une d’elles, cinq personnes portant des masques de ski entrent. Sur une autre, à 12h20, cinq personnes entrent à nouveau, sans s’identifier. A cette occasion, les gardiens notent : « Il est important de mentionner que deux téléphones portables institutionnels ont été saisis. »
Il y en a une autre où Luna arrive avec trois personnes qui ne s’identifient pas et vont parler avec Diablo et Snyder. Il est également rapporté que des fonctionnaires pénitentiaires entrent dans la prison pour laisser des vêtements et des draps à Diablo et Snyder, « sur ordre du supérieur », ainsi que pour déplacer, « sur ordre du directeur », Elmer Canales Rivera, alias Crook, un autre des dirigeants connus de la ranfla historique de la MS-13 dans la trêve de 2012.
Une visite de plus rompt avec ce que nous disent les autres documents. Il n’y a pas de date non plus, mais une page du journal télévisé indique qu’à 16h25, le directeur du centre se présente à Zacatecoluca avec Luna et « quatre compagnons non identifiés, venus interviewer des pdl » : Carlos Alberto Rivas Barahona (Chino Tres Colas du gang de la 18 Sureños), Douglas Geovany Velásquez Navas (Payaso de la 18 Sureños) et Carlos Ernesto Mojica Lechuga (Viejo Lin de la 18 Sureños). Les documents indiquent que la conversation a lieu dans la « salle n°6 » et dure une heure, mais rien n’est révélé quant à son contenu.