Le contexte : un parc nucléaire anglais proche de sa fin de vie

Au Royaume-Uni, l’énergie nucléaire représente environ 20 % de la production totale d’électricité, pour une puissance totale installée de 9 GW. Plus de 85 % de cette puissance correspond aux réacteurs de type « graphite-gaz » avancés (ou advanced gas reactor, AGR) design anglo-saxon développé pendant les années 80s et présent sur 7 des 8 sites nucléaires du pays. La durée de vie initiale de ce type de réacteur est de 30-35 ans et est conditionnée par la dégradation des blocs de graphite formant le coeur, et qui sont irremplaçables. Les mécanismes de vieillissement sous irradiation du graphite sont connus, mesurables et prédictibles, ce qui permet à l’opérateur d’exploiter ce type réacteur au-delà de la durée de vie initiale tant que les critères de sûreté imposés par le régulateur sont respectés1. De ce fait, l’AGR le plus vieux a 43 ans, contre 30 ans pour le plus jeune. La première centrale à être fermée est celle de Hunterston B, en 20222, et les dernières celles de Heysham 2 et Torness en 20303. En parallèle, le pays devrait également abandonner le charbon en 2025. Cela pose un défi considérable en termes de puissance pilotable à remplacer à partir de 2025, pour lequel le Royaume-Uni a misé principalement sur le nucléaire, l’éolien offshore et le développement d’interconnections. 

Difficultés pour financer de nouveau projets nucléaires avec du capital privé

Le dernier réacteur nucléaire connecté au Royaume-Uni est celui de Sizewell B (technologie Réacteurs à Eau Pressurisée (REP)), qui était censé être le premier d’une série de réacteurs REP, mais dont le projet a été abandonné en 1990. En 2006, le nucléaire revient dans l’agenda du gouvernement anglais qui envisage alors la construction de nouvelles centrales à financer essentiellement avec du capital privé, ce choix visant à protéger le contribuable des risques de construction dans un contexte où le nouveau nucléaire manquait de maturité après 16 ans sans nouveau projets. Avec cette stratégie, un total de 12 GW était prévu, pour construction en 2012 sur quatres sites principaux : Moorside, Wylfa, Oldbury et Hinkley Point C (HPC). Aujourd’hui, uniquement le projet de HPC (3.2 GW) continue et est en cours de construction. Les autres ont échoué par l’absence d’acheteurs potentiels ou d’accord avec les autorités anglaises sur le mode de financement.

Le projet de Hinkley Point C consiste à construire deux réacteurs EPR (Evolutionary Power Reactor, faisant partie de la filière des REP) estimés à £18 milliards et financés à hauteur de 66 % par EDF Energy et 33 % par China General Nuclear (CGN)4 au travers de la joint venture NNB Generation Company. Pour sécuriser le projet, le gouvernement anglais a opté pour la réduction des risques associés au marché d’électricité, via un complément de rémunération appelé « Contract for Difference » (CFD), initialement conçu pour financer le développement des énergies renouvelables. Pendant 35 ans, l’électricité produite par HPC sera vendue à 92,5 £/MWh5 (indépendamment des prix d’électricité sur le marché des gros) garantissant un retour sur l’investissement (coût du capital) de 9 %. Dans ce prix, 62£/MWh (67 %) correspondent aux coût du financement avec 36£/MWh (39 %) étant associé à la prime sur le risque de construction6. Un rapport publié par La National Audit Office avait conclu que le prix de 92,5 £/MWh aurait pu être inférieur avec une approche de financement alternative7.

Au cours des négociations du projet HPC, le gouvernement anglais ouvrait la possibilité à la construction de deux EPRs supplémentaires dans le site de Sizewell C (SZC) en fonction de l’avancement du projet de Hinkley Point C (HPC) sans donner aucune indication sur le mode de financement définitif. 

Ce qui change avec le projet Sizewell C par rapport à celui de Hinkley Point C

D’après un article publié par la BBC le 30 Octobre, les gouvernement serait prêt à donner son avis favorable au projet de Sizewell C. Un des modes de financement qui pourrait être envisagé est l’application d’un mécanisme de base d’actifs régulée ou « Regulated Asset Base » (RAB) en anglais. Le modèle « RAB » prévoit que les investisseurs commencent à être rémunérés dès le début de la construction pour l’électricité qui sera livrée plusieurs années plus tard, à un tarif réglementé défini par un régulateur indépendant. Le gouvernement anglais s’attaquerait ainsi pour la première fois aux risques des construction qui seraient transférés en partie aux consommateurs via une augmentation des tarifs. Ce choix serait justifié par le fait que le projet SZC aurait un profil de risques plus favorable que celui de HPC. En effet, les EPRs de SZC vont être une réplique de ceux en cours de construction  sur le site de HPC. EDF Energy estime que cela pourrait conduire à une diminution des coûts de construction de 20 %8. De plus, l’expérience du site HPC montre que certaines activités sont effectuées plus vite (30 % moins de temps) dans l’unité 2 du projet HPC par effet d’apprentissage9. Le SZC s’intégrerait ainsi dans une logique de programme caractérisée par la réplication d’un design et une approche multi-unité10 permettant de diminuer le coût et les risques. Les bénéfices d’une telle stratégie ont été déjà démontrés par le passé dans les programmes nucléaires français et coréen. Plus récemment, une diminution de coût de construction de 60 % a été observée entre la première et la quatrième unité du projet Barakah aux Emirats Arabes Unis. 

En conséquence, l’effet combiné d’une diminution des coûts de construction et des conditions de financement plus favorables (coût du capital plus faible) pourrait conduire  à un coût du MWh du projet SZC de £40-60 MWh11 dans un scénario sans dépassements du budget et de délais de construction majeurs.

Très récemment le gouvernement anglais a évoqué aussi la possibilité participer directement au financement du projet SZC pour limiter la présence de la Chine dans des infrastructures critiques12. Cela pourrait améliorer davantage les conditions de financement et permettre d’attirer plus de capitaux privés.

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Grosse puissance ou SMRs ?

Juste une semaine avant l’annonce sur le projet SZC, un article dans le Financial Times  indiquait que les gouvernement anglais travaillait sur plan d’investissement à hauteur de £2 milliards pour accélérer le développement du design domestique de SMR proposé par l’entreprise Rolls-Royce (le UK SMR de 440 MWe). Cette entreprise, à la tête d’un consortium de 9 industriels, aimerait construire 16 réacteurs de son UK SMR  d’ici à 2050 sur plusieurs sites au Royaume-Uni.

Les SMRs sont en train d’attirer l’attention des gouvernements et industriels suite au difficultés rencontrées par de grands chantiers nucléaires dans les pays de l’OCDE. Sa petite taille facilite la simplification, standardisation et modularisation du design et ouvre la possibilité à une construction dans un environnement plus prédictible en usine, diminuant une partie des risques associés à sa construction. Par ailleurs, vu sa taille, ils seraient aussi plus abordables. Cependant, la réduction des économies d’échelle nécessite un déploiement en série pour les rendre économiquement viables qui n’est pas envisageable avant 2030 étant donné le niveau actuel de maturité de cette technologie.

D’après les estimations de Rolls-Royce, la première unité du UK SMR13 pourrait coûter £2.2 milliards et entrer en fonctionnement en 2029, avec des économies possibles à partir de la 5ème unité pour atteindre £1.8 milliards14. Ces plans, néanmoins, ne permettent pas de faire face au défi du système électrique anglais à partir de 2025. C’est pourquoi la stratégie SMR du gouvernement se place sur le long term et est complémentaire à celle de la grosse puissance nucléaire. La question sur les gros réacteurs n’est pas tant quand il convient de décider la construction des nouvelles unités, mais plutôt quand il faudra arrêter d’en construire, soit parce l’option SMR est plus économique, soit parce que leur grande taille les rend inaccessibles à certains emplacement ou applications. De plus, il existe de fortes synergies industrielles entre ce deux voix technologiques, et tout progrès permis par la construction de nouvelles centrales à grosse puissance facilitera le déploiement de la technologie SMR. 

Les détails de la stratégie nucléaire du Royaume-uni  (SMRs et grosse puissance) devraient être devoilés dans un livre blanc à la fin du mois de novembre. 

Des nouvelles perspectives en Europe, avec une intervention plus importante des États dans le financement du nouveau nucléaire

A un an à peine de la C0P26 qui devrait se tenir à Glasgow, le Royaume-Uni enverrait ainsi des signaux clairs en faveur du développement du nouveau nucléaire dans la transition énergétique. Des nouvelles opportunités commencent aussi à dessiner en Europe. Des pays comme la Finlande, La République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie et la Pologne seraient déterminés à construire des nouvelles centrales. La Pays-Bas a exprimé récemment son intérêt par l’option du nouveau  nucléaire15. En France, la possibilité de construction 6 EPRs pour un coût €47.2 milliards16 est en train d’être étudiée par le gouvernement, avec une décision à venir en 2021-2022 en fonction de l’avancement du projet de Flamanville.

Pour le financement de futurs projets nucléaires, la participation de l’État et d’autres mécanismes de régulation du marché sera clé. Par exemple, pour l’expansion de la centrale de Dukovany, l’opérateur tchèque CEZ est parvenu à un accord avec le gouvernement pour obtenir de l’État un prêt sans intérêts ainsi que le rachat de l’électricité du projet à un prix fixe1718. En Pologne, le gouvernement pourrait racheter la filiale nucléaire de l’électricien PGE afin de se préparer pour un plan d’investissement de €40 milliards pour la construction de 6-9GW à horizon 204319. La France travaille aussi sur plusieurs scénarios avec une intervention importante de l’État (54 %) pour le financement de 3 paires d’EPRs. Plusieurs modalités de partage des surcoûts avec EDF et des valeurs de CFD associées sont envisagées, et un scénario alternatif de financement intégral par l’État est en train d’être approfondi20. En parallèle, l’Elysée continue à négocier avec la Commission Européenne le projet Hercule de restructuration d’EDF qui prévoit un filiale « Bleu » 100 % publique intégrant les actifs nucléaires et le possible renouvellement du parc. La réforme du mécanisme ARENH fait partie de ces négociations dont le résultat pourrait influencer le scénario de financement final à retenir.
De son côté, les autorités européennes affirment ne pas s’opposer aux pays qui voudraient parier sur l’atome pour son avenir énergétique21. Par contre, elles ne vont pas le soutenir non plus avec la technologie nucléaire étant aujourd’hui exclue des mécanismes comme la Taxonomie sur la Finance Verte et les Just Transition Funds

Perspectives 

  • Après l’échec des projets nucléaires de Moorside et Wylfa, le Royaume-Uni continue à soutenir le nouveau nucléaire et envisage des mécanismes de financement alternatives pour sécuriser le projet de Sizewell C ainsi qu’un soutien direct pour le developpement d’une filiere SMR domestique sur le long term.
  • Ce pays enverrait ainsi des signaux politiques clairs à faveur du rôle du nouveau nucléaire dans la transition énergétique. En Europe, des nouvelles opportunités se dessinent aussi dans des pays comme la Finlande, La République Czech, la Hongrie, la Bulgarie et la Pologne. En France une décision sur le renouvellement du parc nucléaire est attendue en 2021-2022 en fonction de l’avancement du projet de Flamanville
  •  Le rôle de la régulation du marché et des governments sera clé pour le financement (et donc le coût final) de ces projets très capitalistiques dans un contexte où les autorités Européens excluent la technologie nucléaire des principaux mécanismes de financement au niveau Européen.
Sources
  1. A noter que cette technologie diffère complètement de celle présente en France et dominant dans le monde entier : les réacteurs d’eau légère, plus concrètement d’eau pressurisée (REP). La durée de vie initiale de cette technologie est de 40 ans conditionnée essentiellement par l’intégrité de la cuve. Avec une gestion du vieillissement de la cuve adéquate, ce type de réacteurs peuvent opérer jusqu’à 60 ans ou même 80 ans comme approuvé par le régulateur américain dans certains réacteur aux Etats Unis
  2. Reuters, Aout 2020, UPDATE 2-EDF to close UK Hunterston B nuclear power plant by Jan 2022
  3. The Guardian, Fevrier 2019, Fate of UK’s nuclear plants in doubt over ageing infrastructure
  4. La condition de la participation chinoise dans le projet de HPC est la construction de 2 unités du design chinois Hualong One dans le site de Bradwell B. Ce design se trouve à la dernière phase du processus de certification du design mené par le régulateur anglais. Le premier Hualong One, l’unité 5 à la central de Fuqing, a entré en criticité en Octobre 2020 et il a été construit en 5 ans
  5. £ de 2012
  6. Reuters events, Septembre 2020, UK looks to cut new build costs by almost a third by 2030
  7. National Audit Office, Juin 2017, Hinkley Point C
  8. WNN, Janvier 2018, EDF Energy Expects 20 % costs savings for Sizewell C
  9. BBC, Novembre 2020, New nuclear plant at Sizewell set for green light
  10. Construction de plusieurs réacteurs identiques dans un même site. Cela  permet de mutualiser les coûts et de maximiser l’effet d’apprentissage avec le même personnel qui répète des tâches identiques parmi plusieurs unités.
  11. BBC, Novembre 2020, New nuclear plant at Sizewell set for green light
  12. NucNet, September 2020, Government Could Take Stake In Sizewell Nuclear Project, Says Report
  13. Rolls-Royce, UK SMR
  14. Financial Times, Octobre 2020, Downing St considers £2bn support for mini nuclear reactors
  15. WNN, X, Ducth ministers presents report on new nuclear
  16. Le Contexte, Novembre 2020, Les scénarios de l’État pour financer six nouveaux réacteurs nucléaires
  17. Sous réserve de l’approbation de ce mécanisme par la Commission Européenne (CE).
  18. NucNet, Juillet 2020, Government And ČEZ Sign Agreements For Planned New Unit At Dukovany
  19. NucNet, October 2020, PGE decarbonisation plans do not include nuclear
  20. Aussi à négocier avec la CE
  21. Euractiv, October 2020, Brussels ‘won’t stand in the way’ of new nuclear plants, says EU climate chief