Camille de Toledo, Thésée, sa vie nouvelle, Lagrasse, Verdier, 2020
En 2012, Thésée quitte « la ville de l’Ouest » et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d’archives, laisse tout en vrac et s’embarque dans le dernier train de nuit vers l’est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s’obstine. Il refuse, en moderne, l’enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu’à finalement rouvrir « les fenêtres du temps »…
« Tu vois, mon frère,
pour ne pas mourir, j’ai dû entreprendre un voyage
au cœur de la nuit, dans les plis du corps,
dans les strates du temps » (p. 11)
Anne Weber, Annette, ein Heldinnenepos – Annette, une épopée, Stuttgart, Matthes & Seitz, 2020 – Paris, Seuil, 2020
Près de Dieulefit, dans la Drôme, vit Anne Beaumanoir, dite Annette, un petit bout de femme presque centenaire, aux yeux lumineux et à la parole vive. Née en 1923 en Bretagne, élevée dans des circonstances simples, membre de la résistance communiste à l’adolescence, sauveuse de deux jeunes juifs – ce qui lui valut le titre de Juste parmi les Nations –, neurophysiologiste à Marseille après la Guerre, condamnée à dix ans de prison en 1959 pour son engagement aux côtés du FLN… elle est encore aujourd’hui dans les écoles un exemple vivant de l’importance de la désobéissance civile. Anne Weber raconte la vie improbable d’Anne Beaumanoir, dans une biographie qui, pour se hisser à la hauteur de son sujet, réinvente le genre épique.
« La puissance du récit d’Anne Weber rivalise avec la grandeur de son héroïne : il est fascinant de voir à quel point l’antique forme de l’épopée montre ici toute sa fraîcheur. » (Déclaration du jury du Prix du Livre allemand 2020)
Anne Weber est née en Allemagne et vit à Paris. Elle publie tous ses livres dans les deux langues, et les traduit elle-même. Annette a été récompensé par le Prix du Livre allemand (Deutscher Buchpreis) 2020.
Iris Wolff, Die Unschärfe der Welt, Berlin, Klett-Cotta, 2020
Iris Wolff raconte l’histoire mouvementée d’une famille de la région du Banat, dont les liens indissolubles perdurent par-delà les frontières. Un roman sur quatre générations, qui raconte la perte et les nouveaux départs d’une manière poétique et captivante.
« Il y eut l’ardent désir de quelque chose de perdu, l’ardent désir de quelque chose qui n’avait pas été accompli, l’ardent désir de trouver quelque chose, et parfois celui d’en perdre quelque autre. »
Ce roman a été nominé pour le Prix du livre allemand 2020, le Prix du livre bavarois dans la catégorie Fiction 2020 et le Prix littéraire Wilhelm Raabe 2020.
Nicola Lagioia, La città dei vivi (La Cité des vivants), Turin, Einaudi, ottobre 2020
« Nous avons tous peur de jouer les victimes. Nous vivons le cauchemar d’être volés, trompés, attaqués, piétinés. Nous prions pour ne pas rencontrer un meurtrier sur notre chemin. Mais quel obstacle émotionnel devons-nous surmonter pour imaginer qu’un jour nous pourrons être le bourreau ? » Les mots de Nicola Lagioia nous font entrer dans une des affaires les plus brutales de ces dernières années. Un voyage à travers les rues sombres de la ville éternelle, une enquête sur la nature humaine, la responsabilité et la culpabilité, l’instinct de domination et le libre-arbitre. Sur qui nous sommes ou qui nous pourrions devenir.
En épigraphe, Nicolas Lagioia rappelle avec malice ce propos de Giulio Andreotti : « N’attribuons pas les troubles de Rome à l’excès de la population. Quand il n’y avait que deux Romains, l’un a tué l’autre. »
Eva García Saenz de Urturi, Aquitania (Aquitaine), Planeta, 2020
1137. Le duc d’Aquitaine, la région la plus convoitée de France, est retrouvé mort à Compostelle. Le corps est tout frais, et marqué de « l’aigle de sang », une ancienne torture normande. Sa fille, Aliénor, décide de se venger. Pour ce faire, elle épouse le fils de l’homme qu’elle croit être son assassin : Louis VI le Gros, roi de France. Mais le roi lui-même meurt pendant le mariage dans des circonstances identiques.
Des décennies avant ces deux morts mystérieuses, un enfant sans nom est abandonné dans une forêt par ses cinq mères. Monstre ou saint, le petit survivant finira par devenir l’un des hommes les plus exceptionnels de l’Europe médiévale.
Ce roman a reçu le Prix Planeta 2020.
Vigdis Hjort, Er mor død (Mère est-elle morte), Oslo, Cappelen Damm, 2020
Johana est une artiste qui a passé les trente dernières années aux États-Unis avec son mari et son fil. Après la mort de son mari, elle rentre en Norvège. Que reste-t-il de la vie qu’elle avait laissée derrière elle plusieurs décennies auparavant ? Que peut-elle espérer d’y retrouver ? Comment suturer le passé et le présent ? Le roman nous fait suivre le parcours intérieur de Johanna ainsi que sa tentative de rapprochement avec sa mère. Une fois encore, Vigdis Hjort signe une œuvre captivante et profonde sur un sujet intemporel.
« Un livre profondément choquant, brutalement sincère, et sagement réfléchi. » Inger Bentzrud, Dagbladet
Maria Gabriela Llansol, O sonho é um grande escritor- Livro de horas VII (Le rêve est un grand écrivain – Livre d’heures VII), Lisbonne, Assírio & Alvim, septembre 2020
Ce septième Livre d’heures de Maria Gabriela Llansol, son Livre des rêves, privilégie, malgré sa diversité, un seul registre : il est le dépositaire de l’écriture onirique de l’écrivaine, un miroir de sa « sismographie intime », souvent accompagné de commentaires, tentatives d’interpréter et de contextualiser les rêves, et de nombreux dessins qui semblent naître du rêve ou de l’expérience visionnaire et qui, dans ses carnets, interrompent et prolongent souvent l’écriture. Le rêve, et le besoin de sa fixation et de son interprétation, est ici avant tout l’espace d’une perte et d’une recherche de soi par un sujet qui se pose en permanence sur la scène, allant corps et âme à la rencontre de ses désirs, de ses souhaits, de ses peurs et de ses doutes.
António Lobo Antunes, Diccionario da Linguagem das Flores (Dictionnaire du langage des fleurs), Lisbonne, Dom Quixote, octobre 2020
Le nouveau roman d’António Lobo Antunes, Diccionario da Linguagem das Flores (Dictionnaire du langage des fleurs), a pour personnage principal Júlio Fogaça, un membre éminent du parti communiste portugais dans les années 1930. En vingt-quatre chapitres, dans une écriture disruptive à laquelle Lobo Antunes nous a déjà habitués depuis ses débuts d’écrivain à la fin des années 1970, le lecteur est amené à s’interroger sur la véritable identité de ce protagoniste. Des thèmes tels que le temps, la mémoire et l’identité, chers à l’auteur, sont également présents dans ce roman. Cependant, la véritable pierre angulaire du récit est la découverte d’un livre ancien, qui est à l’origine du titre du roman et d’une surprenante oscillation stylistique entre le portugais d’aujourd’hui et celui du XIXe siècle.
Jacek Dukaj, Imperium chmur (L’empire des nuages), Cracovie, Wydawnictwo Literackie, 2020
Le crépuscule de la culture des samouraïs, la naissance du Japon moderne, la vie, la science et la guerre cohabitent dans le chef-d’œuvre littéraire de Jacek Dukaj, inspiré de La poupée de Bolesław Prus. Dans L’Empire des nuages, récompensé par le Prix Andrzej Żuławski pour la littérature, Dukaj a inclus une multitude de personnages, d’images et d’idées, jusqu’à peindre une fresque tissée de références historiques et littéraires. C’est un roman sur la relation du langage et de l’écriture à la réalité, sur l’illusion du « moi » de l’homme occidental, sur l’errance des sens entre les esprits et les cultures, et sur l’art de la pure expérience de vie.
« Pensez à l’inspiration silencieuse qui traverse l’âme d’un enfant quand il ou elle voit pour la première fois un arc-en-ciel, un éléphant, un avion. »
Paweł Huelle, Talita, Cracovie, Wydawnictwo Znak, 2020
Talita koum (« Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! ») : l’histoire biblique de la résurrection de la fille morte de Jaïre est le point de départ d’histoires hypnotiques sur l’amour et l’échec, le désir et l’envie, le péché et l’espoir du rachat. Un monde apparemment distant, mais intemporel, prend vie ici, saturé d’émotions frissonnantes et de conflits. Le ton cristallin, le langage irréfutable et la maîtrise de la construction narrative placent Paweł Huelle parmi les écrivains contemporains les plus originaux. Talita montre le pouvoir extraordinaire et séducteur des histoires et permet de croire à nouveau au pouvoir purificateur de la littérature.
« Les récits de Huelle sont plongés plus profondément dans la tradition que presque toute notre prose contemporaine. » (Jan Kott)
Madame Nielsen, Lamento, Copenhague, Grif, 2020
« Au fond de ce qui aurait dû être notre vie, comme le noyau ardent au fond du globe qui tourne, il y avait le désir, la force la plus grande de toutes qui avait au temps sans temps de l’état amoureux dissous chaque différence et chaque frontière entre nous, et qui au présent, lentement, imperceptiblement, jour après jour, nuit après nuit, se transformait et devenait maligne, un noyau de plutonium dont l’irradiation sombre nous illuminait avec nos vies et, semblable aux abords de Tchernobyl, nous rongeait de l’intérieur, jusqu’à ce que nous – comme les gens qui dans les premier jours, les premières semaines après la catastrophe qu’est également l’amour s’étaient promenés les bras nus en se doutant de rien, sans protection comme les enfants au soleil du printemps – eussions commencé nous-mêmes à rayonner et un beau jour affreux ne fussions plus qu’une peau sèche, grisâtre, grêle comme du parchemin ; cette peau tomba et s’envola pour rayonner dans le monde. »
Riad Sattouf, L’Arabe du futur 5, Paris, Allary Éditions
Le cinquième tome de la géniale bande dessinée autobiographique de Riad Sattouf. À la fin du tome précédent, son père s’est enfui en Syrie avec son plus jeune frère, Fadi. Tandis que sa mère utilise tous les recours légaux pour récupérer son fils, Riad poursuit son exploration de cet âge pénible qu’est l’adolescence et se réfugie dans le paranormal. Il devient copain avec les exclus de sa classe, qui lui font lire Lovecraft, et rencontre Anaïck, la femme de sa vie. Grâce au dessin, il arrive à se faire – un peu – respecter. Mais il a du mal à trouver sa place, partagé entre l’envie d’être comme les autres et sa mauvaise conscience venue de Syrie, qui se rappelle à lui à travers les voix de son père et de ses cousins…
Mircea Cărtărescu, Nu striga niciodată ajutor (Ne jamais crier à l’aide), Bucarest, Humanitas, 2020
Connu à l’étranger surtout pour ses romans Orbitor et Solénoïde, traduits en plusieurs langues (en français par Alain Paruit chez Denoël et par Laure Hinckel chez Noir sur Blanc), Mircea Cărtărescu a été, avant tout, un poète. Il a débuté en 1980 avec le recueil Phares, vitrines, photographies (Faruri, vitrine, fotografii), suivi par Poèmes d’amour (1983), Tout (1985), Le Levant, poème épique (1990), L’Amour (1994) et Rien (2010). Après une pause éditoriale d’une décennie, son retour à la poésie est sans doute l’événement littéraire le plus remarqué de cet automne en Roumanie, malgré la qualité inférieure des vers par rapport aux recueils précédents, selon certains critiques. Si sa poésie de jeunesse était très ornée, presque baroque, et ludique, dans l’esprit de la « génération 80 », dont il a été un membre proéminent, Mircea Cărtărescu a viré ensuite vers une poésie minimaliste, épurée et plutôt négative. Ses premiers recueils était marqués par une vitalité vibrante et titanesque, tandis que dans les deux derniers présentent une voix fatiguée et désemparée. Ne jamais crier à l’aide est, paradoxalement, le cri d’aide d’une voix poétique écrasée et désespérée, qui ne parvient plus à convoquer la force vitale et rédemptrice des mots.
Ștefan Manasia, Cronovizorul (Le Chronoviseur), Iași, Polirom, 2020
Fa Ying, une pêcheuse thaïlandaise, commence son voyage spirituel le long d’un fleuve moribond. Ariel Jolie est une reine aztèque : elle part connaître la gloire à Budapest, la capitale moderne des films X. Enfin, Edi est un garçon hors du commun, de la famille des initiateurs : dans une ville de l’Est, il voit Requiem pour un massacre au cinéma et découvre la révélation, au même moment que Bruno Farhadi, la star grunge de Seattle, qui lutte contre la dépression et ses pulsions suicidaires. Tous ces sujets sont traités par un écrivain divorcé, retiré dans une casemate ornée de plantes et de poissons tropicaux, à l’instar du jeune Harold Smith de Twin Peaks, reclus dans une serre d’orchidées.
« La prose de Ștefan Manasia est tout aussi difficile à classer que sa poésie : autofiction réaliste déviée dans un discours hypnagogique, narration paranoïaque, dystopie aux accents écolos, faux traité sur la cohabitation de l’humain et du non-humain dans le même biotope, toutes ces dimensions composent un livre expérimental, qui ne peut pas être digéré par tous les lecteurs. Mais dont la littérature roumaine d’aujourd’hui – trop rarement dédiée à ce genre de projets – a encore besoin. » (Alex Goldiș)
György Spiró, Sajnálatos események – Két tragédia közjátékkal Kádárról (Événements regrettables – Deux tragédies avec un intermède sur Kádár), Budapest, Scolar, 2020
« J’ai écrit deux tragédies et un intermède sur l’histoire hongroise de la seconde moitié du 20ème siècle. Pour les composer, j’avais besoin de plusieurs décennies de travail d’historiens et d’archivistes, je leur suis reconnaissant. J’ai été vraiment ébahi d’apprendre tout ce qui s’est passé à l’époque où j’ai vécu. J’ai dû faire face à des revirements incroyables que j’ignorais alors que j’avais connu personnellement certains de leurs protagonistes. Il fallait reconnaître que ces figures de notre histoire ne sont pas moins intéressants que celles de Shakespeare et, finalement, je ne fais pas autre chose qu’écrire la version moderne de la moralité Everyman du Moyen-Âge anglais. J’ai cherché à rendre au mieux le texte des rapports, des mémoires et des journaux intimes. J’espère que ces pièces seront un jour représentées sur scène. En attendant je vous conseille de les lire comme un seul et même roman d’aventure morne et ténébreux. » György Spiró
« RÁKOSI – Je dois reconnaître qu’une exécution peut être une expérience bouleversante même à un camarade expérimenté et même quand on pend des traîtres. Nos camarades roumains ont trouvé une solution bien adaptée. Ils ont abattu Pătrășcanu à travers le judas de sa cellule bien après le verdict. Il pensait déjà qu’il allait être gracié… Mais permettez-moi tout de même d’appeler ça une solution lâche. » (Extrait de la scène XV)