Amérique, années Trump
Quatre ans après, Trump a-t-il changé la pratique du pouvoir aux États-Unis ?
« Journalistes, analystes, historiens peinent à trouver la bonne focale ».
Dès la première page, les auteurs, correspondants depuis 2014 de l’AFP à la Maison Blanche et du quotidien Le Monde à Washington, se disent groggy des scènes inédites auxquelles ils assistent dans leur suivi quotidien du mandat présidentiel de Donald Trump. Difficile de se positionner, parfois même de lire et de comprendre l’actualité de la société américaine, devenue celle de son chef d’État et de ses nombreux coups d’éclat, depuis 2016. L’impression qui demeure est celle d’une opinion divisée, entre une base électorale solide et des détracteurs rendus acerbes, tant le personnage Trump s’est imposé dans le paysage médiatique, américain et mondial.
L’ouvrage de Jérôme Cartillier et Gilles Paris relate une succession de bouleversements dont l’actualité encore brûlante empêche d’adopter le recul nécessaire pour analyser ce mandat présidentiel et les événements qui lui sont associés.
Dès le prologue, le champ lexical est clair : « tournant », « secousse », « choc », déflagration », « tempête »… Ces quatre années de mandat présidentiel sont lues à travers un seul homme, dont les excès sont décrits comme une véritable catastrophe naturelle.
N’est-il pas alors ironique que Donald Trump lui-même rejette toute responsabilité humaine face au phénomène de changement climatique, récemment illustré par de violentes catastrophes sur le territoire américain : incendies de forêt sur la côte Ouest ou encore ouragans dans le Sud. Mais cette problématique majeure ne représente qu’un des bouleversements socio-politiques – et économiques – du mandat Trump. La liste est longue : politique migratoire, tensions raciales, question de l’accès aux soins, dégradation des relations diplomatiques, dérégulation, législation sur les armes et d’autres encore. Chaque événement, chaque situation, a résonné dans les médias, par la voix du Président lui-même. Si Donald Trump dénonce régulièrement l’hostilité de la presse, il alimente les débats et les réactions médiatiques de façon volontaire et assumée. Les meetings et les tweets à répétition sont ses premières armes : ils servent le show continu, énergique et décalé, fascinant et provocateur.
La communauté internationale se tend et se détend au gré de ses messages. La politique étrangère de Donald Trump pourrait se résumer à son slogan : America First. Dès 2016, il affiche l’ambition de renverser l’ordre international dont la globalisation est, selon lui, contraire aux intérêts nationaux. Cela se traduit, au cours de son mandat, par des retraits successifs de traités et d’accords internationaux majeurs : le Président des États-Unis rompt ainsi avec le multilatéralisme de l’après-guerre et la politique de son prédécesseur et va à l’encontre d’une diplomatie américaine fondée sur un système d’alliances. Dès juin 2017, il se retire de l’accord de Paris sur le climat signé par 196 parties. Plus tard, en mai 2018, les États-Unis sortent de l’accord sur le nucléaire iranien.
L’une de ses ambitions majeures est le rééquilibrage de la balance commerciale avec l’Europe et surtout avec la Chine. Dans cette perspective, il s’oppose à la Russie et aux projets de gazoducs Nordstream 2 et Turkstream en affichant la volonté de vendre plus de gaz aux européens et de conserver la place de premiers producteurs mondiaux de pétrole et de gaz des Etats-Unis en 2018.
Autre fait marquant de ce mandat : le désengagement américain au Moyen-Orient. Trump joue sur la lassitude de l’Amérique, engagée dans de nombreuses interventions militaires qui ont épuisé les américains par leurs coûts humains et financiers. Le nationalisme porté par le Président des Etats-Unis vise à rendre sa grandeur à l’Amérique. Il a recours au levier puissant de la « nostalgie », qui touche particulièrement ses électeurs, notamment issus des régions désindustrialisées du territoire américain : la Rust Belt.
Par la même occasion, Donald Trump cherche à se tourner vers une zone géographique stratégique : l’Asie. En témoigne son rapprochement avec la Corée du Nord dont la séquence à la frontière des deux Corées doit marquer l’Histoire. Les Etats-Unis assument également une compétition frontale avec la Chine. Début 2018, Donald Trump se lance dans une guerre commerciale avec Pékin en augmentant les droits de douane sur de nombreux produits importés de Chine. L’objectif est bien de réduire le déficit commercial qui s’élève à 419 milliards de dollars en 2018 et de pallier la menace chinoise qui pèse sur la suprématie technologique américaine.
En réaction à ces actes de rupture, le Président américain se heurte néanmoins aux contrepouvoirs, au sein du Congrès et de sa propre administration. À titre d’exemple, Donald Trump qui voulait se rapprocher de la Russie, lourdement sanctionnée par l’administration Obama après l’annexion de la Crimée, a dû accepter un durcissement de la politique américaine à l’égard du Kremlin, considéré comme une menace par l’ensemble de la classe politique.
Pour les auteurs, une mouvance permanente semble caractériser ce mandat : rien ne serait pérenne. Ils recensent ainsi la stratégie d’implantation à long terme du programme politique républicain. Donald Trump et les républicains ont marqué de leur empreinte la Cour suprême en y faisant nommer les juges Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et très récemment Amy Coney Barrett. 218 juges fédéraux ont également été nommés après avoir été sélectionnés par des groupes conservateurs. Jeunes, pour la plupart, ils pourraient défendre le programme républicain pendant de nombreuses années et constituer ainsi un héritage important du Président Trump.
L’autre donnée solide de ce mandat présidentiel est le socle électoral de Donald Trump. Cet électorat s’inscrit dans un ancrage territorial fort : la Rust belt d’une part, les plaines de l’ouest, à la frontière mexicaine d’autre part. La vague de dérégulation républicaine s’est traduite par des mesures permettant à Trump de créer de nombreux emplois pour son électorat. Il a notamment supprimé des lois environnementales et relancé les centrales électriques ou encore les sites d’extraction de pétrole et de gaz. Donald Trump est un business man dont la conception des choses semble avant tout transactionnelle. Il fidélise son électorat mais cet effet économique pourrait n’être que temporaire.
Par ailleurs, la crise du coronavirus a poussé le Président américain dans ses retranchements et montré les limites de sa stratégie d’occupation du terrain public et médiatique. Dans la gestion de cette crise, sa prise de conscience très lente s’ajoute aux difficultés démographiques et de santé publique. Trump a minimisé l’épidémie pendant de longues semaines. Les auteurs cataloguent l’enchaînement de tweets rassurants du Président, du 24 janvier au 13 mars, date de déclaration de l’état d’urgence national. Ce retard s’est doublé d’annonces maladroites à l’international : les États-Unis ne financeraient plus l’OMS, le virus proviendrait directement d’une erreur dans un laboratoire chinois à Wuhan. Ce dernier message de Donald Trump a suscité une polémique internationale. Mais là encore, Trump ne fait-il pas preuve d’un certain instinct politique vis-à-vis de son électorat ? Pointer du doigt la Chine, ennemi historique des États-Unis, en pleine crise épidémique permet de détourner le regard, voire d’orienter la colère d’une partie de la population américaine vers le virus et son origine, plutôt que sur la gestion gouvernementale de la crise et un bilan économique désastreux de 30 millions de chômeurs – soit un taux historique de 16 % de la population américaine.
La crise du Coronavirus n’est pas la seule épreuve de la fin de ce mandat. Jérôme Cartillier et Gilles Paris constatent autant de dégâts politiques et sociétaux à travers deux épisodes majeurs et inédits : le combat inhérent à l’impeachment et l’onde de choc provoquée par la mort de George Floyd et le mouvement de protestation Black Lives Matter.
Amérique années Trump permet, au moment fort de l’échéance présidentielle, une revue claire et structurée du mandat de Donald Trump et des événements marquants de ces dernières années, dont les impacts dépassent largement le territoire américain. C’est bien l’homme que l’on suit à travers cet ouvrage, selon une progression descendante : allant de l’occasion saisie aux épreuves et aux rendez-vous manqués, sans oublier les ruptures et l’indéniable solitude. La mention d’une « victoire à la Pyrrhus », associée à l’impeachment dans cet ouvrage, évoque des pertes lourdes : trop lourdes peut-être pour finalement éviter la chute. Si Donald Trump ne rassemble pas, la capacité à rassembler d’un candidat paraît illusoire, tant les États-Unis sont aujourd’hui divisés. Qui plus est, le bilan provisoire de ce mandat amène à se demander si Trump n’a pas davantage révélé que déclenché l’ensemble de ces déstabilisations.
Jérôme Cartillier et Gilles Paris en concluent que « La pratique du pouvoir n’a pas changé Trump. C’est l’inverse qui s’est produit » : le sens de cette proposition reste à interroger sur le long terme.