Le 14 mars 2004, WrestleMania XX se déroule au Madison Square Garden de New York. C’est l’un des plus importants événements de catch organisés par la WWE (World Wrestling Entertainment), la fédération mondiale de catch, basée aux États-Unis.

Jesse « The Body » Ventura, un ancien catcheur devenu expert en théorie du complot, présente la soirée. Après avoir demandé aux spectateurs de lui indiquer qui interroger, il descend du ring et va trouver Donald Trump, installé au premier rang. À cette époque, Trump n’est qu’un milliardaire passionné de sports de combat, alors que Jesse Ventura vient d’achever sa première et unique expérience politique. À la surprise générale, il avait remporté l’élection de gouverneur du Minnesota en 1998.

Voilà pourquoi Jesse Ventura demande à Trump : « Si je veux revenir en politique, est-ce que je peux compter sur ton soutien moral et financier ? »

À cela, Trump répond, avec sa dialectique habituelle, sortie d’un spot publicitaire : « One hundred percent  ! »

« Vous savez quoi ? » renchérit Ventura, en se tournant vers le public, « Je p nse qu’on aurait besoin d’un catcheur à la Maison Blanche en 2008 ! »

Quinze ans plus tard, devenir président des États-Unis est resté à l’état d’idée pour Jesse Ventura. À sa place, c’est Donald Trump qui a rejoint la Maison-Blanche et est sans doute devenu le plus grand amateur de catch de tous les présidents américains.

Mais le catch n’est pas la seule passion sportive de Trump. Jeune homme, il a joué au football américain et au baseball avant de devenir un golfeur compulsif. Pour lui, le sport n’est pas seulement une passion désintéressée : c’est aussi un business et, surtout, une arme politique.

Pour Trump, le sport n’est pas seulement une passion désintéressée : c’est aussi un business et, surtout, une arme politique.

Dario Saltari

Les liens qu’entretient Trump avec le catch sont bien connus, au moins depuis 2007. À partir de WrestleMania XXIII, s’organise l’auto-proclamée bataille des milliardaires. En janvier 2007, Trump a fait irruption dans une soirée de fans à la gloire de Vince McMahon, le président de la WWE. Il est apparu sur l’écran géant au-dessus du ring et a fait pleuvoir des centaines de vrais billets de banque sur le public. « Vince, tu dis que tu sais ce que le public aime, mais ce n’est pas vrai », lance Trump à McMahon, qui feint l’étonnement. Quelques mois plus tard, les deux hommes s’affrontent presque directement sur le ring, par lutteurs professionnels interposés.

L’enjeu est le suivant : les perdants seront obligés de se faire la boule à zéro. Si vous avez vu la vidéo dans laquelle Donald Trump et Bobby Lashley attachent McMahon à une chaise avant de le raser à la tondeuse électrique, vous connaissez la suite.

En 2013, en raison de l’immense succès de cette bataille des milliardaires, Donald Trump a été intronisé au Hall of Fame de la WWE. Pour reprendre les mots du même McMahon, Trump est alors pour le monde du catch « une institution ».

Le rapport de Trump au sport est en réalité beaucoup plus ancien et profond que cette amusante apparition sur un ring de catch.

Dans une autre vidéo, on peut entendre, le présentateur du Trump Plaza d’Atlantic City annoncer le match de Larry Holmes et de Mike Tyson, qui défend en 1988 sa ceinture de champion poids lourd.

À la fin des années 1980, l’empire immobilier de Trump en est encore à ses balbutiements. En 1983, il a construit à Manhattan, son premier gratte-ciel, la Trump Tower. L’année suivante, il fait son entrée dans le monde du jeu en ouvrant son premier casino à Atlantic City. C’est précisément le Trump Plaza.

Le projet de Trump est de faire de la ville la capitale du jeu, devant Las Vegas. Et la boxe lui semble le meilleur raccourci pour y parvenir.

Pour la rencontre entre Holmes et Tyson, Trump dépense environ 100 millions de dollars, afin d’inviter les célébrités les plus diverses du monde du cinéma et du sport. Mohammed Ali est présenté sur le ring juste avant le début du combat.

Trump était puissamment fasciné par Mike Tyson, qui a d’ailleurs remporté le match en une minute. Et ce n’est pas seulement parce que dans ces années-là, l’ascension du champion semblait sans fin. Une autre raison était que Tyson était et se comportait comme un outsider.

Fils d’une mère violente et enfant battu, Tyson a grandi dans un milieu très pauvre. À l’âge de 13 ans, il avait déjà été arrêté 38 fois. Sauvé par Cus D’amato, un entraîneur de boxe d’origine italienne, Tyson s’est rapidement établi comme l’un des boxeurs les plus violents de l’histoire.

Il arrivait sur le ring sans aucune chanson pour l’accompagner, contrairement à l’habitude des boxeurs, vêtu de short et de chaussures noires, il avait non seulement l’ambition de battre ses adversaires, mais surtout de les mettre K.O. d’un seul coup. En résumé, Tyson apparaissait en mesure de transcender les règles de la boxe, alors même qu’elles visent précisément à discipliner le combat grâce à un code de conduite et à une technique élaborée. Il n’est en fait pas surprenant qu’à la fin, il s’en soit tout à fait affranchi, allant jusqu’à mordre l’oreille de Holyfield en 1997.

Trump n’aimait pas Tyson seulement pour sa violence. Il appréciait son art de l’insulte qui lui permettait de remporter le match avant même qu’il ne monte sur le ring. Trump a même consigné des réflexions à ce sujet dans un livre de 1990, Surviving at The Top.

Trump écrit que, lors de certains de ses premiers combats, Mike avait l’habitude de dire des choses comme « Quand je le frappe, il crie comme une femmelette » ou « Je voulais lui enfoncer le nez dans le cerveau ». S’il savait ses propos ridicules, il espérait que les journalistes reprennent ses attaques et que son prochain adversaire les lise et se sente battu d’avance.

Il est aisé de se rendre compte que ce mode de communication est très similaire à la communication adoptée par Trump en politique. Lui aussi aime insulter ses adversaires et les mots qu’il choisit évoque ceux utilisés par un boxeur dans les jours précédant le combat : « cochon du peuple, dépravé, enfant gâté, imposture, pantin idiot, clown ». En bref, Tyson a non seulement aidé Trump à lancer ses casinos (et donc, de fait, son empire immobilier) mais il a également influencé une partie de sa rhétorique politique.

Et en ce sens, il n’est pas étonnant que Trump se soit ensuite intéressé à un sport de combat encore plus violent, explicite et spectaculaire que la boxe.

Dana White est le président de l’UFC (Ultimate Fighting Championship), la plus importante organisation de MMA (arts martiaux mixtes ou mixed martial arts) dans le monde. Dans cette vidéo, on entend son discours de soutien à Trump lors de la convention républicaine à Cleveland, en été 2016, une des étapes de la course à la Maison Blanche. Si Dana White montre tant de reconnaissance à l’égard de Trump, ce n’est pas uniquement parce que le candidat est un grand fan des arts martiaux mixtes, mais pour une raison bien plus spécifique.

Avant 2001, le MMA était considéré comme à peine supérieurs aux combats clandestins à mains nues. La violence, d’abord utilisée par l’UFC comme un argument de vente de ce sport de combat spectaculaire et non réglementé, avait été signalée dans la presse et par le personnel politique. Dans les années 1990, une véritable « chasse aux sorcières » avait été lancée pour empêcher la diffusion des matchs de MMA.

Le sénateur républicain John McCain avait en particulier inventé le terme de « combats de coqs humaines » et lancé une campagne politique contre le MMA. Pas moins de 36 des États américains l’avaient alors interdit sur leur territoire.

À la fin des années 1990, l’UFC semblait donc mort et condamné à organiser ses événements loin des grands centres comme Las Vegas, New York et Atlantic City. Le MMA paraissait destiné à rester un phénomène de niche. Entre 2000 et 2001, Trump décida cependant de manière délibérée d’ouvrir le Taj Mahal, l’un de ses casinos les plus importants situé à Atlantic City, aux événements de l’UFC. Il sauva ainsi le mouvement tout entier.

Le MMA paraissait destiné à rester un phénomène de niche. Entre 2000 et 2001, Trump décida cependant de manière délibérée d’ouvrir le Taj Mahal, l’un de ses casinos les plus importants situé à Atlantic City, aux événements de l’UFC. Il sauva ainsi le mouvement tout entier.

Dario Saltari

À partir de ce moment, s’est enclenchée l’irrésistible ascension du MMA qui a fini par remplacer la boxe comme sport de combat dominant.

Trump et McCain se sont croisés de nouveau pendant la primaire républicaine de 2016. Au cours de celle-ci, Trump a démontré ses qualités en matière de combat verbal1

« Si McCain est un héros de guerre, c’est parce qu’il a été capturé. J’aime les gens qui n’ont jamais été capturés », a-t-il un jour déclaré en référence aux cinq années passées par McCain dans les geôles ennemies pendant la guerre du Vietnam.

Il n’est donc pas étonnant que l’UFC, comme la WWE, ait fait entrer Trump dans son Hall of Fame, avec le titre de « visionnaire ». D’autre part, si l’UFC est aujourd’hui une industrie représentant plusieurs milliards de dollars, c’est aussi grâce à Trump. Pour sa part, il n’a jamais profité économiquement de son intuition. Au contraire, dans les années suivantes, il a parié contre le succès de l’UFC en investissant vainement dans Affliction Entertainment, une entreprise concurrente qui a arrêté ses activités en 2009.

Sa démarche ne peut donc être lue qu’en termes politiques : avec le succès de l’UFC, Trump trouve en fait une autre occasion de montrer que l’establishment politique et intellectuel ne sait rien de ce que les Américains veulent vraiment.

Trump a également utilisé le MMA une fois devenu président. En octobre 2018, le combattant Derrick Lewis, après avoir assommé le Russe Alexander Volkov, a déclaré dans la rituelle interview d’après combat qu’il avait reçu un appel de Trump avant de monter sur l’octogone. « Il m’a dit que je devais battre ce fils de pute russe car Poutine nous faisait mauvaise presse », a dit Lewis.

Mais il reste un sport que Trump aime plus que tout, plus que le catch, plus que la boxe, plus que le MMA : c’est le golf.

S’il existe une tradition établie de présidents américains amateurs de golf, il faut remarquer que Donald Trump est peut-être le plus grand joueur jamais arrivé à la Maison Blanche. Non pas le plus fort mais le plus grand, au sens qu’il est certainement celui qui a passé le plus d’heures à jouer au golf pendant son mandat. C’est déjà paradoxal, car l’un des leitmotivs anti-Obama de la campagne de Trump était que le président sortant avait passé trop de temps à jouer au golf au lieu de s’occuper des problèmes du pays.

Mais il y a quelque chose de plus paradoxal encore : le temps et les efforts que Trump déploie pour vanter son talent au golf. Il n’y a pas d’entretiens, sur aucun sujet, où Trump n’évoque pas ses meilleurs coups, les trophées gagnés et ses meilleures figures réalisées sur le green.

Il y a deux choses en particulier que Trump tient toujours à rappeler : il a gagné les championnats de 18 clubs différents et il a un handicap de -2,8, un score incroyablement élevé pour un amateur de plus de 70 ans. Comme on peut s’en douter avec Trump, tout n’est pas tout à fait vrai.

Tout d’abord, Trump possède la plupart des clubs dans lesquels il joue. Il est le propriétaire ou l’exploitant de 19 clubs de golf dans le monde, y compris aux États-Unis, en Écosse, en Irlande, en Indonésie et aux Émirats arabes unis. Ces clubs représentent environ 2 % de ses immenses actifs immobiliers.

Mais tout n’est pas seulement une question de richesse. Selon Trump, posséder un grand club de golf confère beaucoup de pouvoir. C’est certainement vrai si l’on suit USA Today qui estime que Trump, dans ses clubs, rencontre non seulement des chefs d’État et des ministres, mais aussi des chefs d’entreprises et des lobbyistes. Ces derniers paient des centaines de milliers de dollars pour adhérer aux clubs afin de s’entretenir directement avec le président.

Posséder les clubs dans lesquels il joue donne cependant à Trump un pouvoir encore plus subtil. Rick Reilly revient dans son livre Commander in Cheat sur l’époque où il a personnellement joué avec Trump. Celui-ci lui a révélé comment il a réussi à gagner tant de trophées  :

« Chaque fois que j’ouvre un nouveau club de golf » aurait déclaré Trump « je joue le match d’ouverture et en fait le premier championnat du club. Et voilà comment je deviens le premier champion du club ! ».

Reilly a ensuite interviewé des dizaines de personnes qui, au fil des ans, ont joué au golf avec Trump. Selon eux, Trump triche toujours : pendant les parties, pour les gagner, et même après les parties, pour gonfler ses scores et passer pour un meilleur golfeur qu’il ne l’est vraiment. Selon Reilly, « Donald Trump triche comme Michael Phelps nage ».

La seule chose qui compte, c’est d’atteindre son but par tous les moyens. En d’autres termes, gagner. Et s’il y a une chose qui est encore capable de faire la part entre gagnants et perdants, c’est bien le sport.

Dario Saltari

Ce rapport au golf est intéressant à plusieurs titres. Il confirme premièrement que pour Trump, la frontière est floue entre la réalité et la fiction. De plus, Trump a transféré son amour pour les sports de combat, où la victoire et la défaite sont claires et nettes, à un sport où la valeur la plus importante est celle de la loyauté.

Au golf, il n’y a pas d’arbitre. Les joueurs sont tenus d’être les plus honnêtes possibles lorsqu’ils marquent leurs points. Trump, pour sa part, est appelé Pelé par les caddies d’un des clubs où il a joué, car il est du genre à donner des coups de pied dans les balles atterries dans l’herbe haute pour les faire revenir dans le fairway, c’est-à-dire sur la bonne voie…

L’anecdote la plus intéressante du livre est rapportée par un homme qui a joué avec Trump au club de Winged Foot (État de New York), celui-là même où l’actuel président est surnommé Pelé.

« C’était un samedi matin et Trump était très sympa, raconte-t-il, « mais à un moment donné, il me dit : « Tu vois ces deux-là ? Ils trichent. Mais je triche aussi. Et je m’attends à ce que tu triches aujourd’hui aussi parce que je veux les battre”. »

« Je pense que Donald croit profondément que vous allez toujours le tromper », ajoute-t-il, « et si tout le monde triche, rien n’est interdit. »

La conception déformée du golf qui est celle de Trump en dit long sur son succès politique. Si le président n’a pas de scrupule à tordre les règles en sa faveur ou à mentir constamment, c’est notamment parce que, dans sa conception du monde qu’il partage avec ses électeurs, tout le monde le fait, les Républicains comme les Démocrates.

La seule chose qui compte, c’est d’atteindre son but par tous les moyens. En d’autres termes, gagner. Et s’il y a une chose qui est encore capable de faire la part entre gagnants et perdants, c’est bien le sport.

Cela, Trump l’a très bien compris.

Sources
  1. C’est au monde du sport que Trump a emprunté la pratique du trash-talking, qui consiste à déstabiliser son adversaire en le rabaissant par des mots. Mohamed Ali l’avait élevé au rang d’art avant les matchs de boxe ; le basketteur NBA Kevin Garnett en a également fait sa marque de fabrique ; même le fondateur d’Apple, Steve Jobs, était réputé pour l’utiliser comme méthode de management. En pratiquant le trash-talking, Trump peut donc compter sur un phénomène qui est désormais ancré dans la culture populaire.
Crédits
Ce texte est tiré du podcast Trame de Dario Saltari pour Fenomeno.