La Paz. Presque un an après le déclenchement de la crise politique en 2019, ayant démontré la fragilité institutionnelle de la Bolivie et la tentation du retour militaire en Amérique latine, aujourd’hui se tient le premier tour des élections générales boliviennes, pour élire le président, le vice-président, les membres de la Chambre des députés et les membres du Sénat. Alors que la formule gagnante peut être élue dès le premier tour avec 40 % des suffrages validement exprimés s’il existe un écart d’au moins dix points de pourcentage avec le deuxième candidat le mieux placé, se pose la question du vote utile et du vote caché, celui qui fait référence au soutien qui ne peut pas se mesurer dans les sondages car perçu comme source de honte en public par celui qui l’exprime. Le candidat du Mouvement vers le socialisme (MAS), Luis Arce, ne serait pas très loin d’éviter un deuxième tour qui serait favorable à l’anti-MASisme. Les yeux se poseront donc plus que jamais sur le Tribunal suprême électoral (TSE), qui aura pour tâche d’éviter que la Bolivie ne s’enfonce dans le penchant à la répétition, dans un week-end où des députés argentins ayant voyagé en tant qu’observateurs ont été détenus à leur arrivée à l’aéroport de La Paz1.

Bien qu’il fût le candidat avec le moins de soutien de la part des organisations sociales et sectorielles du MAS, Luis Arce (57 ans) a bénéficié de l’impulsion d’Evo Morales, son choix s’imposant naturellement sur celui de ces organisations2. Sous prétexte de son appartenance à la classe moyenne blanche et éduquée, malgré sa gestion réussie en tant que Ministre de l’Économie, les organisations préféraient d’abord l’élection de David Choquehuanca, ancien Ministre des Affaires étrangères et d’origine autochtone, en tant que candidat – il accompagne finalement Arce dans la campagne, en tant que candidat au poste de vice-président. Affilié au MAS tardivement, quelques semaines avant la première victoire d’Evo Morales lors des élections de 2005, Luis Arce a parcouru un long chemin au sein de la gauche bolivienne, ayant milité à l’université, par exemple, dans le Parti Socialista-1 (PS-1). 

Carlos Mesa (67 ans), leader de Comunidad Ciudadana, représente l’élite et les classes moyennes traditionnelles des « hautes terres », c’est-à-dire la zone occidentale du pays, dans laquelle se localisent la capitale historique, Sucre, et la capitale administrative, La Paz, qui s’était caractérisé par son développement économique jusqu’aux années 1980, moment où l’industrie minière a fait faillite. Les élites occidentales ayant historiquement gouverné la Bolivie au long des siècles, elles ont su s’adapter aux révolutions populaires et indigènes, d’où son caractère plus modéré et centriste, notamment en comparaison des élites orientales. Ancien président entre 2003 et 2005, suite au renversement du néolibéral Gonzalo Sánchez de Lozada, Carlos Mesa avait refusé fermement de réprimer les manifestations populaires pendant son mandat. Cette décision lui a permis de bénéficier d’une certaine légitimité même au sein des fonctionnaires du MAS, qui l’ont nommé porte-parole officiel de la Bolivie concernant sa plainte devant la Cour internationale de justice à La Haye pour réclamer au Chili un accès souverain à la mer.

À la tête des comités civiques ayant organisé les principales manifestations qui se sont terminées par le coup d’État au gouvernement du MAS, Luis Fernando Camacho (41 ans) s’est érigé en tant que « l’homme ayant battu Evo ». Ses sévères critiques aux élites orientales concentrées à Santa Cruz de la Sierra, considérées selon lui collaborationnistes du régime bolivarien d’Evo en vertu de leur position de bénéficiaires de la croissance économique, ont attiré l’attention du débat public. En exprimant des valeurs traditionnelles (catholicisme et soutien à l’agro-business) mais aussi d’autres qui constituent une nouveauté (le culte à la virilité, l’organisation de groupes de défense et l’anti-institutionnalisme), il aspire à se projeter en tant qu’outsider, augmentant ainsi ses possibilités de devenir le premier cruceño du XXIe siècle à obtenir un soutien de masse dans tout le pays : il incarne la forme contemporaine du populisme latino-américain de droite.

La présidente de facto Jeanine Añez (53 ans) ayant renoncé à sa candidature le 17 septembre, suite à l’effondrement de ses intentions de vote dans un contexte caractérisé par l’enquête pour corruption dans l’achat de respirateurs, ne s’est pas exprimeé quant à un soutien aux deux candidats anti-MASistes. Si le secret du vote, pour diverses raisons sociologiques, a toujours bénéficié au MAS, il reste à savoir s’il y aura, parmi ceux qui soutiennent Luis Fernando Camacho, une redirection des voix vers Carlos Mesa lors de cette journée. 

Sources
  1. Tweet de Leonardo Grosso (député national Frente de Todos), 17 septembre 2020.
  2. Le profil des candidats a été réalisé en résumant l’article de Fernando Molina, « ¿Adónde girará Bolivia ? Radiografía de las elecciones de octubre » publié sur Análisis Carolina le 21 septembre 2020.