D’année en année, aux États-Unis, le jour de Christophe Colomb (Columbus Day), célébré le 12 octobre, s’impose de façon de plus en plus importante au centre des débats. De plus en plus de villes des États-Unis choisissent de célébrer la Journée des peuples indigènes comme alternative – ou en plus – de la journée destinée à honorer les voyages de Christophe Colomb.

Les détracteurs de ce changement le considèrent comme un exemple de plus du politiquement correct qui se déchaîne – un autre départ de feu dans la guerre des cultures. En tant que spécialiste de l’histoire des Amérindiens – et membre de la tribu Lumbee de Caroline du Nord –, je sais que l’histoire est plus complexe que cela.

La reconnaissance et la célébration croissantes de la Journée des populations autochtones représentent en fait le fruit d’un effort concerté de plusieurs décennies visant à reconnaître le rôle des populations autochtones dans l’histoire de la nation.

Pourquoi Colomb ?

Le Columbus Day est un jour férié fédéral relativement nouveau. En 1892, une résolution commune du Congrès a incité le président Benjamin Harrison à marquer la « découverte de l’Amérique par Christophe Colomb », en partie en raison de « la foi dévote du découvreur et pour les soins et les conseils divins qui ont dirigé notre histoire et ont si abondamment béni notre peuple ».

Les Européens ont invoqué la volonté de Dieu pour imposer leur volonté aux peuples indigènes. Il semblait donc logique d’invoquer Dieu en instituant une fête célébrant également cette conquête.

Bien sûr, tous les Américains ne se considéraient pas comme bénis en 1892. Cette même année, un lynchage forçait la journaliste noire Ida B. Wells à fuir sa ville natale de Memphis. Et alors qu’Ellis Island avait ouvert en janvier de cette année-là, accueillant des immigrants européens, le Congrès avait déjà interdit l’immigration chinoise une décennie auparavant, soumettant les Chinois vivant aux États-Unis à une persécution généralisée.

Et puis il y avait la philosophie du gouvernement envers les Amérindiens du pays, que le colonel de l’armée Richard Henry Pratt avait si bien exprimé en 1892 : « Tous les Indiens qui sont dans la course devraient être morts. Tuez l’Indien qui est en lui et sauvez l’homme ».

Il fallut encore 42 ans pour que le Columbus Day devienne officiellement un jour férié fédéral, grâce à un décret de 1934 du président Franklin D. Roosevelt.

Il répondait, en partie, à une campagne des Knights of Columbus (Chevaliers de Colomb), organisation caritative catholique nationale fondée pour fournir des services aux immigrants catholiques. Au fil du temps, son programme s’est élargi pour inclure la défense des valeurs sociales et de l’éducation catholiques.

Lorsque les Italiens sont arrivés aux États-Unis, ils subissaient marginalisation et discrimination. La célébration officielle de Christophe Colomb – un catholique italien – est devenue une façon d’affirmer le nouvel ordre racial qui allait émerger aux États-Unis au XXe siècle, un ordre dans lequel les descendants de divers immigrants européens ethniques devenaient des Américains « blancs ».

Le pouvoir des peuples indigènes

Mais certains Américains ont commencé à se demander pourquoi les indigènes – qui habitaient depuis toujours le pays – n’avaient pas leurs propres jours fériés.

Dans les années 1980, la section du mouvement amérindien du Colorado a commencé à protester contre la célébration de la Journée de Colomb. En 1989, des militants du Dakota du Sud ont amené l’État à remplacer la Journée de Colomb par la Journée des Amérindiens. Les deux États comptent d’importantes populations autochtones qui ont joué un rôle actif dans le Mouvement Red Power dans les années 1960 et 1970, qui cherchait à rendre les Amérindiens plus visibles sur la scène politique.

Puis, en 1992, à l’occasion du 500e anniversaire du premier voyage de Christophe Colomb, les Amérindiens de Berkeley, en Californie, ont organisé la première «  Journée des peuples indigènes », un jour férié dont le conseil municipal a rapidement acté l’adoption de façon officielle. Depuis, Berkeley a remplacé sa commémoration de Colomb par une célébration des peuples indigènes.

Les origines de cette fête remontent également aux Nations unies. En 1977, des dirigeants indigènes du monde entier ont organisé une conférence des Nations unies à Genève pour promouvoir la souveraineté et l’autodétermination des indigènes. Leur première recommandation a été « d’observer le 12 octobre, jour de la “découverte” de l’Amérique, une journée internationale de solidarité avec les peuples indigènes des Amériques ». Il a fallu trente ans pour que leur travail soit officiellement reconnu dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en septembre 2007.

Des alliés inattendus

Aujourd’hui, les villes qui comptent une importante population autochtone, comme Seattle, Portland et Los Angeles, célèbrent soit la Journée des Amérindiens, soit la Journée des peuples autochtones. Et des États comme Hawaï, le Nevada, le Minnesota, l’Alaska et le Maine ont également reconnu officiellement leurs populations indigènes avec des fêtes similaires. De nombreux gouvernements autochtones, comme les Cherokee et les Osage en Oklahoma, ne célèbrent pas la Journée de Colomb ou l’ont remplacée par leur propre fête.

Mais vous trouverez également des commémorations dans des endroits moins probables. L’Alabama célèbre la Journée des Amérindiens en même temps que le Columbus Day, tout comme la Caroline du Nord qui, avec une population de plus de 120 000 Amérindiens, est l’État qui compte le plus grand nombre d’Amérindiens à l’Est du Mississippi.

En 2018, la ville de Carrboro, en Caroline du Nord, a publié une résolution pour célébrer la Journée des peuples indigènes. La résolution notait que la ville de 21 000 habitants avait été construite sur des terres indigènes et qu’elle s’était engagée à « protéger, respecter et réaliser l’ensemble des droits de l’homme inhérents », y compris ceux des populations indigènes.

Alors que la Journée de Colomb affirme l’histoire d’une nation créée par les Européens pour les Européens, la Journée des peuples autochtones met l’accent sur les histoires et les peuples autochtones – un ajout important à la compréhension en constante évolution du pays de ce que signifie être américain.

Crédits
Cet article a été originellement publié en anglais sur The Conversation : Why more places are abandoning Columbus Day in favor of Indigenous Peoples Day.