Cobalt, tantale, niobium ou encore indium sont autant de métaux que nous utilisons au quotidien à travers les appareils qui nous entourent. A l’instar du magnésium, utilisé pour l’automobile, du strontium dans le domaine médical, ou du vanadium utilisé dans les alliages pour l’aéronautique, notre dépendance vis-à-vis de ces matériaux est aujourd’hui plus importante que jamais. Pourtant, leur volume disponible sur terre est limité, alors que leurs usages vont croissant dans un marché à présent mondial et où la concurrence s’est accrue de manière exponentielle. Dans ce contexte, l’Union européenne établit depuis 2011 et met à jour tous les trois ans la liste des matières premières critiques (qui ne sont pas tous des métaux rares) nécessaires à son économie. Cette année, ils sont 30 à être listés parmi une cinquantaine de candidats1.

Fait nouveau, le lithium entre dans cette liste, et non sans raison. En effet, le lithium est un métal critique à plus d’un titre : nécessaire à la fabrication des batteries, du  verre et des céramiques mais aussi à la métallurgie, il est au cœur de la stratégie industrielle européenne et de facto de sa transition énergétique. S’il est extrait en Europe, il est pourtant envoyé à l’étranger pour être transformé avant d’être utilisé sur le continent. Signe d’une dépendance technologique évidente vis-à-vis de l’espace extra-européen, le lithium devrait, dans le futur, être au cœur du programme de recyclage européen avec un objectif de satisfaction de 80 % de la demande locale dès 2025 « à partir de sources européennes ». Pourtant le lithium n’est pas le seul métal critique à l’approvisionnement transformé majoritairement à l’extérieur des frontières de l’UE : dans une note parue en 20182, l’OCDE juge ainsi que l’UE dépend de 75 % à 100 % des importations pour la plupart des métaux, mettant en péril l’ensemble des stratégies industrielles et économiques à un moment où la transition énergétique requiert un changement d’usages pour se tourner des matières premières fossiles, comme le pétrole ou le charbon, vers ces mêmes métaux critiques incontournables parmi certaines technologies bas-carbone.

Deux briques stratégiques : une alliance industrielle sur les métaux et le recyclage de ceux-ci pour contrer les monopoles étrangers

Plus globalement, la Commission souhaite aujourd’hui développer une stratégie industrielle plus résiliente en conférant au recyclage une place centrale. Cela passerait notamment par la création d’une alliance industrielle pour les matières premières afin de renforcer l’autonomie stratégique du continent, à l’instar de celle d’’Airbus portant sur les batteries lancée cette année. Cette alliance d’entreprises devrait notamment « accroître la résilience de l’UE dans la chaîne de valeur des terres rares et des aimants » en tant que « enjeu vital pour la plupart des écosystèmes industriels de l’UE ». Cette brique stratégique semble être la clé de voûte de la reconquête de l’autonomie européenne et ce dans l’ensemble des domaines nécessitant des matières premières. Elle s’inscrit dans le cadre du Green Deal présenté en décembre dernier et qui comprend une « stratégie pour l’industrie de demain », plus sobre en carbone et une production relocalisée . La crise de la Covid-19 n’a, dans ce cadre, qu’accéléré la tendance en démontrant la fragilité des chaînes de valeur dont certains maillons stratégiques sont localisés en-dehors de l’Europe3.

L’économie circulaire, mentionnée par le Green Deal, devra elle aussi permettre à l’Europe de compter sur ses propres forces et ainsi alléger le poids de la dépendance étrangère dans son économie. Dans ce contexte, un renforcement de la R&D pour permettre la substitution par d’autres métaux moins critiques et la mise en place de circuits courts seront essentiels pour préserver la ressource autant que possible. Un cadre dédié sera mis en place à partir de 2021 dans le contexte du programme Horizon 2020. Des soutiens supplémentaires seraient également nécessaires afin d’encourager le développement et la commercialisation de ces produits bas-carbone sous la forme d’éventuels Contrats de Différences ou d’un système de certification de matériaux recyclées à l’échelle européenne. En effet, seule une stratégie complète autour du recyclage permettra son développement économique ainsi que sa survie à long terme.

Enfin, il est intéressant de noter que l’Europe est particulièrement dépendante de quelques grandes puissances, à l’image de la Chine, de la Russie ou encore des Etats-Unis, qui pourvoient un large volume de métaux stratégiques comme le bismuth, le béryllium ou encore le palladium. Une dépendance qui se transforme en faiblesse alors que Washington veut se retirer de l’OMC et bouleverser les règles du commerce mondial, que les relations avec la Russie ne sont pas au beau fixe après l’empoisonnement d’Alexeï Navalny et que Pékin étend son influence via les nouvelles routes de la soie. Autant de signaux envoyés à Bruxelles appelant une réaction rapide afin de limiter et de lutter durablement contre cette dépendance structurante pour son économie.

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La Chine en particulier apparaît comme le principal fournisseur de terres rares auprès de l’UE avec près de 98 % de son approvisionnement cette année, une raison supplémentaire de se défaire de ce monopole. Notons enfin que les fournisseurs de l’Union européenne sont répartis géographiquement mais que la plupart de ceux-ci sont situés dans des pays dont les normes environnementales sont critiquables : Chine, Brésil, Indonésie ou encore Russie. Au-delà des enjeux économiques et géopolitiques, le critère environnemental n’est plus à négliger à l’heure de la transition énergétique.

Finalement, pour l’Europe, cette liste de métaux critiques, couplée à la stratégie d’indépendance construite par la Commission, démontre une volonté forte d’affranchissement des pays tiers. Cependant, à mesure que croît la concurrence sur le marché des métaux, d’autres pays aiguisent aussi leurs appétits sur ces mêmes ressources, pouvant ainsi alimenter les tensions autour de celles-ci. Il convient donc de noter que cette liste de métaux ainsi que la stratégie qui lui est adjointe, n’est utile que si l’Europe se donne les moyens de se battre pour obtenir ses matières premières et les recycler ensuite dans un cercle vertueux pour l’environnement. Une volonté politique, couplée à une vision économique de long terme apparaît comme le duo gagnant d’une Europe au chevet de ses ressources et connaisseuse de ses faiblesses.

Perspectives 

  • La mise en place d’un suivi régulier des métaux stratégique est un signal fort envoyé à l’industrie européenne de la part de la Commission. Cependant, au-delà d’établir des listes, il s’agit de prendre des mesures fortes pour préparer le continent à la raréfaction des ressources ;
  • Le Green Deal prévoit un volet industrie ainsi qu’un autre sur le recyclage et l’économie circulaire, deux piliers qu’il faudra faire marcher main dans la main afin de maintenir à flot l’industrie européenne ainsi que son dynamisme économique ;
  • Enfin, les enjeux stratégiques de dépendance vis-à-vis de l’extérieur sont ici trop importants pour être ignorés par Bruxelles. Le long terme invite à la réflexion quant à la raréfaction des ressources et aux mouvements géopolitiques qui pourraient s’ensuivre.