Ces derniers mois ont consacré l’avènement du télétravail, présenté comme un instrument majeur de la résilience de l’économie face à la pandémie. Le maintien des mesures de distanciation sociale, rendu nécessaire par l’évolution incertaine de la situation sanitaire, pourrait ainsi devenir le moteur de la transition numérique. Cela servirait une relance économique plus respectueuse de l’environnement dans la mesure où les technologies numériques pourraient permettre des gains potentiels de 7800 MT de CO2 (15 % des émissions mondiales) grâce à l’optimisation de la logistique, du transport, de la consommation énergétique des bâtiments, etc. 1. Mais si l’on souhaite respecter les objectifs de l’Accord de Paris, il est nécessaire de veiller à ce que ces gains environnementaux ne soient pas annulés par les pollutions générées par les équipements numériques, gourmands en énergie et en ressources.
Une transition numérique, lourde d’impacts environnementaux…
L’intensification des usages du numérique s’accompagne d’une explosion de l’empreinte environnementale du secteur. Selon une récente étude du groupe d’experts GreenIT, en France, le secteur représenterait actuellement 6,2 % de la consommation d’énergie primaire, 10,2 % de la consommation d’eau et 5,2 % des émissions de gaz à effet de serre (contre respectivement 3 %, 0,2 % et 3,7 % à l’échelle mondiale 2). À politique constante, les émissions du secteur numérique français pourraient encore augmenter de 60 % d’ici 2040 3 en raison de l’augmentation du trafic de données, poussée entre autres par la multiplication des équipements terminaux (comme les smartphones, tablettes, et ordinateurs).
Le numérique repose sur l’échange de données – stockées et traitées dans des centres de données – entre terminaux via des infrastructures réseaux (fibre optique, antennes, etc.). La production de ces divers équipements nécessite une forte consommation d’énergie primaire : à l’échelle de la France, cela représente 2,6 % de la consommation annuelle de la France 4. À cela s’ajoutent les pollutions liées à la production de l’électricité nécessaire au fonctionnement des équipements. En France, la consommation électrique du numérique représente 8,3 % de la consommation électrique totale 5. D’après une étude du CNRS, les plus gros centres de données peuvent ainsi consommer jusqu’à 100 MW – soit le dixième de la production d’une centrale thermique – afin de faire tourner leurs serveurs et climatiser les circuits électroniques. Cette consommation s’explique par la volonté de préserver « l’hyperdisponibilité » d’Internet : ainsi, même s’ils sont peu sollicités la nuit, les centres de données continuent de fonctionner, donc de consommer de l’énergie 6. C’est également le cas des box Internet : utilisées quelques heures par jour en moyenne, celles-ci restent allumées en permanence, consommant ainsi l’équivalent de la production de deux à trois réacteurs nucléaires à l’échelle européenne 7.
Une hausse des pollutions limitée par une plus grande efficacité énergétique ?
Il existe un certain consensus autour de la poursuite de l’augmentation du trafic, notamment liée à la généralisation des usages vidéo et des services cloud, donc de l’augmentation de la consommation énergétique des réseaux et des centres de données. Dans un rapport de décembre 2019, le Conseil général de l’économie se veut toutefois rassurant, prévoyant la compensation des nouveaux usages par l’amélioration de l’efficacité énergétique, le déclin des téléviseurs et la saturation du marché des terminaux. Le rapport souligne également les gains énergétiques que permettra la généralisation de la fibre optique, qui consomme trois fois moins que l’ADSL (0,5 W par ligne contre 1,8). Néanmoins, on peut craindre que les progrès technologiques n’entraînent un effet rebond, dans la mesure où l’optimisation des systèmes – la mémoire, le stockage, etc. – favorise de nouveaux usages et entraîne une baisse de la vigilance des développeurs – lesquels, n’étant plus contraints d’économiser les ressources (bande passante, puissance de calcul, stockage), garnissent les applications de fonctionnalités superflues, créant des « obésiciels » particulièrement gourmands en énergie.
L’exemple de la technologie 5G illustre particulièrement bien les inquiétudes qui peuvent exister autour d’un éventuel effet rebond. En effet, si elle présente une meilleure efficacité énergétique que les générations mobiles précédentes, elle implique un renouvellement des équipements terminaux, et surtout pourrait entraîner une multiplication des usages 8 (la vidéo 4K puis 8K, le cloud gaming, la voiture connectée ou autonome, etc.). L’efficacité énergétique même de la 5G commence à être débattue, au moment où les premiers retours d’expérience nous parviennent de Chine. Un récent article du South China Morning Post rapporte ainsi la décision de China Unicom de mettre en en veille certaines stations 5G entre 21 heures et 9 heures du matin pour réduire les frais d’électricité, constatant que ces équipements, beaucoup plus nombreux que les équipements 4G, consommaient 3,5 fois plus d’énergie que leurs prédécesseurs.
La croissance de la consommation énergétique du numérique ne serait donc plus soutenable à long terme et il serait urgent de se tourner vers un modèle de plus grande sobriété numérique. Pour cela, il est nécessaire que la lutte contre les pollutions liées au numérique deviennent partie intégrante des politiques environnementales, dont elle constitue aujourd’hui « l’angle mort » selon le rapport de la mission d’information créée par les sénateurs de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, premiers législateurs à réellement se saisir du sujet. Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat semblent aller dans le même sens puisque 98 % de votes « pour », un ensemble de pistes pour « Accompagner l’évolution du numérique pour réduire ses impacts environnementaux ».
Premières pistes pour une « sobriété numérique »
Les différentes études qui commencent à fleurir sur le sujet soulignent qu’il est encore temps de limiter les dégâts environnementaux du numérique. Cela peut passer par l’augmentation de la durée de vie des équipements en luttant contre l’obsolescence programmée, la mutualisation de certains équipements, la régulation des forfaits et du streaming vidéo ou encore l’utilisation d’énergies renouvelables dans les centres de données.
Mais l’évolution de l’empreinte carbone du numérique dépendra avant tout de la sobriété des usages : il est donc crucial de sensibiliser les utilisateurs sur l’impact de leurs usages et de leur donner la possibilité de limiter leur consommation, par exemple, en leur permettant de refuser certaines mises à jour logicielles, ou en les encourageant à acheter des équipements réparables et faciles à reconditionner. Cela implique la mise en œuvre de grandes campagnes d’information, mais également de programmes de formation.
Si les derniers mois ont mis en évidence le rôle crucial des applications numériques dans la continuité de fonctionnement de la société, ils ont également révélé la volonté des citoyens à voir leurs dirigeants adopter des politiques environnementales plus ambitieuses. Or les études les plus récentes insistent toutes sur la nécessité de freiner l’expansion du numérique dans sa forme actuelle et d’aller vers une « sobriété numérique ». Cette notion doit encore être définie, et il faudra pour cela déterminer ce que l’on attend du numérique, par exemple : le contenu du web doit-il être accessible instantanément et en permanence ? Pourrait-on au contraire envisager des horaires d’ouverture pour certains sites, une limite maximum de visiteurs par mois, etc. ? Autant de questions auxquelles usagers et législateurs devront répondre dans les années à venir.
Sources
- CGEIET, 2019
- The Shift Project, 2020.
- Sénat, 2020, Rapport d’information sur l’empreinte environnementale du numérique.
- Source : Green IT.
- (Green IT)
- eco2.com
- ARCEP, Réseaux du futur, L’empreinte carbone du numérique, 21 octobre 2019.
- ARCEP, Réseaux du futur, L’empreinte carbone du numérique, 21 octobre 2019.