Les négociations tumultueuses du Conseil ont heureusement abouti à un accord, qui garantit l’engagement de fonds importants pour les projets du Green deal. En effet, l’accord conserve l’objectif de Charles Michel en amont du conseil de voir consacré environ 30 % des dépenses totales du Cadre Financier Pluriannuel (CFP) et du plan de relance économique, Next Generation EU (NGEU), à l’action pour le climat. Selon les conclusions définitives du Conseil européen, cette allocation « se traduira par des objectifs appropriés dans la législation sectorielles », en respect de l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Le Conseil précise également que lesdits objectifs s’inscrivent dans la réalisation des objectifs climatiques de l’Union d’ici 20301.

Le principe du « do no harm » et l’héritage de l’accord de Paris sont également rappelés comme principes directeurs de l’emploi des dépenses globales de l’UE, au-delà des 30 % dédiés à l’action climatique. L’accord appelle enfin à un suivi efficace des dépenses liées au climat, y compris des rapports et des mesures pertinentes en cas de progrès insuffisants. Il semblerait néanmoins que la procédure de supervision de la juste allocation des dépenses au service des politiques climatique demeure l’apanage de la Cour des comptes européenne, avec la détermination a posteriori de la bonne performance comptable des États membres. Cette analyse, imparfaite parce qu’uniquement ex post, est à l’origine de propositions alternatives, comme la mise en oeuvre « d’éco-conditionnalités » en amont du déboursement des fonds, notamment en appui sur la Taxonomie nouvellement adoptée par le Parlement.

D’autres objectifs issus du Green Deal sont rapportés et maintenus dans les conclusions du Conseil, comme en matière d’agriculture, où 40 % des dépenses de la Politique agricole commune (PAC) devraient être consacrées à la poursuite des objectifs climatiques.

De façon générale, les annonces du Conseil s’inscrivent dans la continuité des engagements qualitatifs du Green Deal : à titre d’exemple, l’accès par les États au Fonds pour la transition juste est au moins en partie conditionné à leur engagement à mettre en oeuvre les politiques pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette conditionnalité, portée par la Commission depuis plusieurs mois, a fait les frais des négociations entre États membres ce week-end, notamment de la part de la Pologne qui reste le seul État membre à s’opposer à un tel engagement. 

Malgré un objectif global de 30 % du budget du CFP et de Next Génération EU dédiés au climat, les montants de nombreux projets ont été amputés, compromettant les ambitions de von der Leyen de décembre 2019. A titre d’exemple, on peut regretter que le fonds pour une transition juste (l’un des trois volets du mécanisme de transition juste, ou MTJ)2 se voie amputé de plus de la moitié de son enveloppe initiale. Annoncé par la Commission à 7,5 milliards en janvier 2020, puis à 40 milliards d’euros dans sa proposition de relance post-COVID-19 (à hauteur de 30 milliards issus du fonds de relance, et de 10 milliards du budget européen), le montant prévu s’élève désormais à 17,5 milliards d’euros, dont 7,5 milliards d’euros au titre du CFP et 10 milliards au titre de l’instrument Next Generation EU. La clé de répartition proposée par la Commission devrait néanmoins être respectée, avec un plafond pour l’allocation à la Pologne à 3,5 milliards d’euros. A titre de rappel, dans la proposition de clé de répartition présentée en mai, le mécanisme prévoyait d’être alloué en priorité à la Pologne (8 milliards d’euros), à l’Allemagne (5,2 milliards), à la Roumanie (4,4 milliards) et à la République tchèque (3,4 milliards).3

Le nouveau montant de dépense prévu pour le Fonds de transition juste constitue un vrai pas en arrière par rapport au signal politique qu’Ursula von der Leyen avait envoyé aux Etats membres au mois de mai : il plaçait la solidarité et la cohésion au coeur de la transition écologique européenne, en rappelant l’importance de sa dimension sociale et territoriale ; il rappelait le rôle de la transition dans la relance post-COVID, un effort financier important mais nécessaire au regard du coût économique et social, inestimable, du changement climatique. De même, la réduction du budget alloué à la recherche (Horizon Europe) est un mauvais signe pour l’innovation nécessaire à l’action climatique.

Compte tenu des investissements nécessaires pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050, estimés à 260 milliards d’euros par an par la Commission dans sa communication de décembre dernier, il convient de questionner, au lendemain du Conseil et de l’enthousiasme légitime qu’il suscite sur le plan politique, sa capacité à mettre en oeuvre les objectifs du Green Deal. A fortiori dans la mesure où les recettes attendues des nouvelles taxes iront au service de la dette du plan de relance, comme la taxe carbone aux frontières et la taxe sur les plastiques à usage unique. Dans quelle mesure est-il politiquement sincère de réduire l’effort européen contre le changement climatique (à l’échelle des programmes cités plus haut) sans visibilité précise sur l’application des 30 % du CFP et du plan de relance à l’action climatique ? La politique climatique ne saurait être l’objet d’un consensus européen sur les recettes qu’elle peut générer, tout en continuant à diviser sur les efforts à consentir pour la mettre en oeuvre. 

Lors de la plénière exceptionnelle de ce jeudi 23 juillet, les parlementaires européens de tous les groupes ont fait part de leur opposition aux coupes budgétaires conséquentes dans le budget européen, dans un contexte où le renforcement de « l’autonomie stratégique » et la réduction des disparités entre États membres sont des nécessités politiques collectives.4