Une solution totalement inédite est finalement sortie de l’interminable Conseil européen des 17,18, 19 et 20 juillet derniers. Pour la première fois de son histoire, de manière massive, la Commission européenne va emprunter sur les marchés 750 milliards d’euros pour les redistribuer aux États sous forme de prêts et de subventions, levant ainsi une dette commune à l’ensemble des États-membres. Pour parvenir à cette solution historique, l’ambiance des quatre jours et quatre nuits de négociations a été décrite comme tout particulièrement délétère. Des camps comme jamais cohésifs – ‘frugaux’ vs ‘dépensiers’ – se sont confrontés lors d’une guerre de tranchées sans merci. Sur les terrasses et dans les salles de réunion de l’Europa, le building bruxellois réservé aux réunions du Conseil européen, des mots furent échangés et la solidarité s’est payée au prix fort.1 

Cela n’aurait pas été si grave si la première victime de ces négociations houleuses n’avait été l’ambitieux plan de relance de la Commission lui-même. A l’occasion de ces tractations tendues, d’importantes coupes sombres ont en effet été opérées en matière de transition énergétique, de santé, de recherche ou encore de verdissement de l’agriculture par rapport aux propositions initiales de Mme Von der Leyen.

C’est le clan des ‘frugaux’, composé des Pays-Bas, de l’Autriche, de la Suède et du Danemark, qui, au nom de l’intérêt de ses concitoyens, a obtenu cette baisse générale des montants du plan de relance. Et l’on a pu noter que le plus âpre de leurs négociateurs, le néerlandais Mark Rutte, était aussi le chef de gouvernement européen, dont les élections générales étaient le plus proches, toute l’Union payant de sa poche l’agenda politique personnel du leader du parti libéral batave.  

Plusieurs voix se sont élevées pour trouver inadmissible ces contingences alors que l’Europe panse ses plaies et doit se relever d’une crise économique à venir sans précédent. La capacité, ainsi laissée à quatre petits Etats, ne représentant pas même 10 % de la population de l’Union, d’amputer sérieusement un plan de relance nécessaire, souhaitée par la majorité des 27 Etats-membres est apparue à peine concevable.

La réaction épidermique à ce blocage inacceptable a été de proposer «  l’abolition  » du principe de l’unanimité au Conseil européen pour éviter le véto de tel ou tel Etat2. Pourtant, l’unanimité est prévue dans les traités de l’Union européenne afin de garantir la souveraineté des États en ce qui concerne les décisions majeures de l’Union, un État, fut-il petit, ne devant pouvoir subir, au nom de sa souveraineté, une décision prônée par une majorité d’Etats opposée. 

Abolir l’unanimité au Conseil européen, très bien. Mais quelle solution alternative lui préférer  ? La majorité qualifiée ou une super majorité qualifiée des 4/5ème des États semblent peu envisageables car, dans les faits, elles n’éviteraient pas ce type de blocage et n’a aucune chance de rallier…l’unanimité. 

Une manière différente de ‘cadrer’ ce problème implique de constater froidement que le contournement de l’unanimité n’est vraiment nécessaire que dans les cas où les souverainetés sont susceptibles d’être sérieusement mises en cause par les décisions prises au Conseil européen. On pourrait alors se servir de ce que le tribunal de Karlsruhe, appelle dans son arrêt Lisbonne de 2009 «  les domaines particulièrement sensibles pour la capacité d’autodétermination démocratique d’un État constitutionnel  ». 

Dans ces domaines si cruciaux pour un État démocratique, il s’agit de constater que les accords d’homme à homme, de chef de l’exécutif à chef de l’exécutif, sont insuffisants pour engager la Nation. Afin de renforcer la légitimité de ces accords solennels, d’engager ce qu’a de continu la Nation, il conviendrait d’y associer l’autre organe qui la représente dans les démocraties représentatives  : les parlements nationaux des États membres. 

Du reste, lundi, alors que des négociations si tendues se déroulaient entre chefs d’État et de gouvernement au sein du Conseil européen, les parlements nationaux sont entrés par effraction au cœur de la négociation. Le président du parlement hongrois, Laszlo Köver s’est en effet adressé à son homologue néerlandais en appelant à «  un dialogue entre Parlements nationaux ». 

De fait, plusieurs solutions pourraient être proposées afin de redonner, dans ce type de négociations, leur place légitime aux représentants de la Nation, que sont les parlements nationaux. 

On pourrait imaginer par exemple que les projets de décision défendus par une majorité qualifiée d’États lors d’un Conseil européen, portant sur une matière décisive dont la liste aurait été arrêtées précédemment (ou sur l’initiative de la Commission européenne ou du Parlement européen) feraient l’objet, en cas de blocage, d’un vote solennel des Parlements des 27 États membres, dans un délai raisonnable. Ici, le plan de relance franco-allemand, soutenu par une majorité qualifiée d’États, aurait pu faire l’objet d’un vote de ce type. De même en ce qui concerne les décisions à venir sur les ressources propres de l’Union. Les résultats des votes pour ou contre le plan de relance ou pour ou contre telle ou telle ressource propre au sein des 27 parlements nationaux seraient additionnés à hauteur de la proportion de citoyens européens que chaque parlement représente, obtenant ainsi un résultat parlementaire transnational européen. 

Cette solution aurait l’avantage de sortir de l’Europe intergouvernementale mortifère en favorisant le développement d’une Europe parlementaire plus démocratique et davantage transnationale. Elle donnerait une légitimité formidable aux deals ainsi réalisés, négociés par les exécutifs nationaux au sein du Conseil européen mais discutés et votés par les parlements nationaux offrant ainsi à voir aux opinions publiques européennes un espace politique européen et permettant l’européanisation des parlementaires nationaux  !