Exploitée par Uniper, la centrale à charbon de Datteln 4 (1100 MW) est décrite par l’exploitant comme « efficace, flexible, fiable ». Trois adjectifs qui résument finalement les enjeux entourant la sortie du charbon en Allemagne.

Efficace. A l’heure du marché EU-ETS, le rendement des centrales à charbon devient clé afin de contrer la présence grandissante des centrales à gaz. La notion de fuel switch, indiquant le moment où, sur le réseau, une centrale à gaz est préférée à une centrale à charbon, est devenue majeure pour les exploitants fossiles et leur trésorerie. Afin de maintenir la compétitivité des installations charbonnées, un haut niveau de rendement est nécessaire. Dans le cas de Datteln 4, Uniper indique que le rendement globale de la centrale est « au-dessus de 45 % » ce qui pourrait lui assurer une place rentable pour les prochaines années face à un parc gazier dont les rendements individuels varient généralement autour de cette valeur. Cela dépendra ensuite du «  clean dark spreads »1 et de sa valeur. Selon Argus Media2, la rentabilité de la centrale pourrait cependant être menacée selon la variation de cet indicateur. De plus, la centrale est qualifiée de CHP pour Combined Heat Power, indiquant de la cogénération et justifiant ce rendement élevé quand les centrales traditionnelles ont des rendements variant autour de 35 %. Coût du combustible mis à part, seule une haute valeur du prix de la tonne de CO2 pourra permettre à la centrale de perdre en rentabilité. L’établissement d’un prix plancher du charbon est une idée qui est revenue plusieurs fois sur le tapis mais qui a souvent était balayée par l’Allemagne3. Cette dernière a en effet trop à y perdre au niveau de ses industries lourdes fortement consommatrices d’électricité et dont les factures augmenteraient de manière importante, créant un manque à gagner en terme de  compétitivité. Des coûts de combustible bas et stables4 (l’Allemagne n’a plus de mines de charbon ouvertes mais seulement des mines de lignite), associés à une efficacité croissante et à des consommateurs proches intéressés par une production importante d’énergie ont mené l’Allemagne sur une voie de dépendance vis-à-vis de cette énergie dont ils ont aujourd’hui bien du mal à se défaire.

Flexible. La pénétration accentuée des énergies renouvelables (ENR) sur le réseau allemand, et en particulier de l’éolien offshore (7.5 GW installés en 2020 avec un objectif à 15 GW en 20305), a bousculé le réseau de transport allemand. Afin de compenser les moments de faible production de la part des ENR, le réseau national allemand se doit de s’adapter en permanence et de disposer de sources flexibles et pilotables. Or, l’arrêt d’une tranche fossile coûte souvent plus au producteur que la réduction temporaire de sa production puis son rattachement de nouveau au réseau. Un avantage que les centrales fossiles, à l’échelle du réseau électrique et hors considérations économiques, ont longtemps conservé via leur vitesse de retour à pleine puissance. Pourtant, la multiplication des sources décarbonées vient aujourd’hui mettre à mal cet avantage alors que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) décrit l’éolien offshore comme un moyen de production en « semi-base ». Notons aussi que les centrales à gaz sont particulièrement flexibles à l’heure du développement d’autres technologies, à l’instar du gaz vert (dont l’Allemagne est le premier producteur européen6) et du développement de l’hydrogène. Plus globalement, du point de vue industriel, les entreprises ne sauraient fonctionner que lorsque le vent souffle ou le soleil brille et c’est pourquoi la stabilité du réseau (en attendant le stockage à grande échelle) est un enjeu prioritaire pour le secteur secondaire qui représente 27.5 % du PIB Allemand en 2018 (contre 16.9 % en France à la même date)7. La création d’interconnexions entre pays membres est certes cruciale mais ne garantit pas pour autant l’arrivée du bon nombre d’électrons au bon moment.

Fiable. Enfin, la disponibilité des unités de production d’énergie est un paramètre à prendre en compte afin d’assurer la présence sur le réseau ainsi que des revenus au propriétaire de la centrale. Le temps de maintenance des unités est donc lié à la rentabilité de celles-ci. Si les centrales nucléaires françaises peuvent tourner 18 mois sans arrêt (soit 7 % de leur temps total d’exploitation), ce temps peut tourner à 5 % pour les centrales à charbon8. La multiplication de leur nombre et de leur mise en fonction à des dates différées assurent de plus au réseau une stabilité de fonctionnement.

Plus généralement, c’est une image de stabilité que l’Allemagne travaille : stabilité politique mais aussi économique en tant que moteur de l’Europe. Le slogan « Deutsche Qualität » n’est pas que le reflet d’une marque mais aussi de tout un pays au travail et sur lequel la fiabilité de l’Europe et de son économie vu de l’étranger repose en partie.

Malgrés les incertitudes, le charbon allemand est condamné à s’éteindre en 2038 au profit d’autres sources de production. Se poseront alors la question des actifs échoués ainsi que du paiement de la facture d’une unité mise en fonction puis arrêtée prématurément. Si la Commission européenne a doté l’Allemagne de la deuxième part la plus importante du mécanisme de transition juste9 (avec 5,152 mds €10), cela souligne en creux les efforts nécessaires au pays pour s’arracher de son addiction au minerai noir. Cependant, la route vers la neutralité carbone semble encore longue et pavée d’incertitudes alors que la date de 2050 a été fixée par la Commission européenne dans son Pacte vert.

Perspectives  :

  • La mise en fonctionnement de la centrale Datteln 4 est un mauvais signal envoyé au climat, bien qu’elle puisse être la dernière pour le pays avant la sortie totale du charbon, prévue pour 2038
  • La présence à moyen terme sur le marché de moyens fossiles n’est conditionné qu’au niveau de fuel switch, et donc à l’efficacité des centrales à charbon face au gaz, dont les productions augmentent constamment
  • A long terme, 2038 semble bien loin pour le climat alors qu’un objectif de neutralité carbone a été fixé à 2050 par le Commission européenne
Sources
  1. Le Clean dark spread, exprimé en €/MWh, représente la différence entre le prix de vente de l’électricité en heure de pointe et le prix du charbon utilisé pour la génération de cette électricité, corrigé du rendement énergétique de la centrale au charbon
  2. German Datteln 4 coal unit to launch amid tight spreads, Argus media, 26 mai 2020
  3. LARAMÉE DE TANNENBERG V., CO2 : pourquoi l’Allemagne craint le prix plancher – Journal de l’environnement, Journal de l’environnement, 26 juin 2017
  4. En raison d’une abondance particulièrement élevée de la ressource et d’une tradition industrielle ancienne, mais également de la portée symbolique du charbon dans l’histoire économique allemande, et du caractère sensible de la fermeture de mines dans certaines régions de l’Est de l’Allemagne.
  5. German offshore wind power – output, business and perspectives, Clean energy wire, 27 avril 2020
  6. En 2017, ce sont 4550 MW de biogaz qui sont installés sur 9331 unités en Allemagne selon l’Association allemande du biogaz.
  7. Databank, Banque Mondiale
  8. FAKHRY R., The Myth of the 24/7/365 Power Plant, NRDC, 13 février 2019
  9. MORGAN S., Number crunching on expanded Just Transition Fund continues, Euractiv, 28 mai 2020
  10. Questions and answers on the Just Transition Mechanism, Commission européenne, 28 mai 2020