Alors que la crise sanitaire continue de mettre à mal l’ensemble des secteurs de l’économie1, l’annonce non seulement d’un maintien, mais d’un renforcement des engagements climatiques de certains pays, est  un signal fort que la lutte contre la crise climatique est une affaire de longue haleine. Ainsi, le choix du Danemark de construire deux « îles énergétiques » dans la mer du Nord et la mer Baltique d’ici 2030, d’une capacité potentielle maximale de 12 GW (ce qui représenterait une augmentation de 54 % de la capacité éolienne en mer actuelle de l’Europe2) est la confirmation d’une stratégie climatique très ambitieuse. Projetant de diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre de près de 70 % en à peine une décennie, ce projet s’inscrit indubitablement dans l’effort du gouvernement d’initier une relance « verte » du pays, dans la même ligne que les communications récentes du plan de relance de la Commission européenne. 

Le Danemark s’est associé aux Pays-Bas et à la Pologne par le biais de projets d’interconnexions électriques, construites entre les pays et les deux « îles », l’une d’une capacité de 2 GW construite sur l’île danoise de Bornholm, l’autre d’une capacité initiale de 2 GW et pouvant aller jusqu’à 10 GW, construite sur une île artificielle en mer du Nord. Ce projet revêt donc un intérêt régional évident. A terme, l’électricité produite pourrait également servir à la production d’hydrogène, élément-clé pour la décarbonation de l’industrie, mais également prometteur dans de nombreuses innovations en énergie, comme sa conversion en carburant – communément appelée technologie de Power to X.

L’ensemble de ces facteurs, de la coopération européenne aux investisseurs privés prêts à franchir le pas dans des projets à concentration particulièrement élevée en CAPEX, sont des signes indéniablement positifs pour la transition vers l’énergie propre. Cependant, peu nombreux sont les pays et gouvernements voulant ou pouvant se permettre une stratégie climatique et/ou des programmes de relance « verts » aussi ambitieux. De plus, si ces îles énergétiques sont un symbole de l’innovation au service de la décarbonation de l’électricité, l’annonce de mis en place de tels projets  apporte un optimisme non négligeable mais souvent myope de l’ensemble des éléments nécessaires à l’accomplissement d’une transition propre, qui se résumerait à un simple ajout d’énergie renouvelable ; alors que c’est l’ensemble du système électrique, des processus industriels et des comportements de consommation qui devront également s’adapter à cette nouvelle réalité. 

C’est pourquoi il est crucial d’envisager une vision systémique de ces « îles énergétiques » afin de garantir leurs expansions au delà de pays riches, développés et historiquement engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique de l’Europe du Nord. Ainsi, il est important d’une part de rappeler qu’il reste de nombreux  défis autour de l’éolien en mer, notamment quant à la connexion de ces infrastructures aux réseaux de transport continentaux, et d’autre part de signaler que ce secteur, attirant près de 300 milliards de dollars d’investissements à l’échelle mondiale chaque année, fait l’objet d’une attention relativement limitée, alors qu’il est indispensable à la stabilité et la sécurité énergétique, par exemple dans la gestion de la tension des réseaux. 

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Les îles énergétiques sont un point d’amorce excellent à ce changement, avec une coopération inédite avec la Pologne et les Pays-Bas, et son potentiel attractif d’investissement privé et public, même en pleine tourmente économique. Contrairement au contexte énergétique de 2008, pendant la dernière crise économique à avoir frappé les économies nationales, nous disposons  désormais de technologies d’énergies renouvelables compétitives en termes de coûts3. Bien utilisée, la résilience des énergie propres  (qui, à cause d’une forte baisse de la demande en électricité durant le confinement, a pris le dessus face aux énergies conventionnelles dans de nombreux pays comme la Grande-Bretagne)  dans un monde post-COVID-19 est un atout indéniable pour accélérer la tendance. Cependant, la mobilisation de tels investissements pour le climat ne doit pas s’arrêter aux sources d’énergies mais également porter sur les questions de renforcement de la flexibilité du réseau, de stockage d’électricité, de sobriété et d’efficacité énergétique et bien plus encore. 

Faire des investissements dans les énergies propres un élément clé de la reprise économique est un élément essentiel pour une relance réussie, parce que durable. Si le Danemark veut donner l’exemple, le Fonds de relance de l’UE de 750 milliards d’euros vient aussi avec des conditions de relance rigoureuses d’un point de vue environnemental. Au niveau mondial, les contributions nationales déterminées (NDC) des pays fourniraient dans de nombreux cas un cadre politique « prêt à l’emploi » pour le permettre. En effet, ces dernières ont permis la mise en place de « plans climatiques »4 pour l’ensemble des pays ayant ratifié les Accords de Paris, qui fournissent des plans clairs et concrets pour atteindre ces objectifs. Une action collective reste donc plus que jamais nécessaire pour « réussir » une relance économique durable et répondant aux défis de la crise climatique.

Perspectives  :

  • L’annonce de la construction d’îles énergétiques au Danemark est un signal positif dans plusieurs perspectives ; elle confirme la résilience des investissements renouvelables face à la crise et vient renforcer la coopération économique et industrielle entre pays européens
  • Alors que de nombreux projets éoliens ont été reporté à cause du coronavirus, reste à voir si le calendrier de construction sera respecté.
  • Les îles énergétiques s’inscrivent pleinement dans l’objectif de l’UE de décarboner l’économie continentale et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Sources
  1. RAVAL Anjili, Global energy spending to fall $400bn due to coronavirus crisis, Financial Times, May 2020.
  2. HOOK, Leslie, Denmark reinforces green commitment with ‘energy islands’ plan, Financial Times, May 2020.
  3. WALTERS, Jonathan, The power sector and COVID-19 : Planning for a sustainable recovery, World Bank Blogs, June 2020.
  4. WALTERS, Jonathan, The power sector and COVID-19 : Planning for a sustainable recovery, World Bank Blogs, June 2020.