Asunción. Dans le cadre de la crise sanitaire, l’État paraguayen a eu l’intention d’offrir une réponse (insuffisante, certes) à la crise économique imminente projetée avec la mise en place de mesures de confinement, ainsi que des aides aux salariés et aux PME. Si la vague d’infections massives n’a finalement pas eu lieu, et le nombre de cas n’a pas été supérieur à 1100, avec 11 morts, depuis le 21 mars (date du premier décès), le prêt de 1,43 milliards d’euros, contracté par l’État pour financer les politiques contre les effets de Covid-19, a mis sur le devant du débat politique l’inévitable discussion sur la « réforme de l’État ». 

Le Paraguay est un pays avec un faible taux d’imposition (13,8 %)1, une infrastructure insuffisante (pas de système ferroviaire pour le transport ou le fret, pas de compagnie aérienne nationale ni d’autoroutes à plusieurs voies à l’échelle nationale) et un système de santé déficitaire, ayant des spécialistes uniquement dans certaines grandes villes, la plupart du pays se caractérisant par des déserts médicaux. Cependant, certains acteurs politiques et sociaux, pour la plupart issus de la droite et des classes dominantes, structurent leurs discours autour de la surdimension supposée de l’État paraguayen, critiquant l’inefficacité des entreprises publiques d’eau et d’électricité, et adoptant une proposition de privatisations, et d’une idée plus générale de « réduction de l’Etat ».

C’est ainsi qu’à travers de différents partis politiques, médias et organisations patronales, la campagne sur la « réforme » a repris, celle-ci étant une demande qui émerge de temps en temps, promue par divers acteurs liés aux organisations patronales, dont le parti Patria Querida2, l’Union Industrielle du Paraguay3 ou le ministre des finances Benigno López45. La principale activité de ces acteurs est la vente et l’offre de services à l’État, phénomène connu sous le nom de « captation de l’État », concept initialement développé par Hellman, Jones et Kauffman6, et souvent décrit dans le cas paraguayen comme une réalité historique datant de l’époque coloniale7. Dans un pays doté d’un marché d’une taille limitée, et avec une consommation, dans beaucoup de cas, de survie (liée aux bas salaires, issus de l’économie informelle), l’équation la plus rentable reste souvent celle de vendre des produits et offrir de services à l´État. Ce schéma a été développé depuis l’après-guerre8 de 1870, lorsque de milliers d’hectares de terres publiques ont été répartis entre les mains d’une oligarchie naissante qui s’opposait au Président Francisco S. López9.

Quand des voix sur la réforme de l’État se soulèvent de la part des acteurs mentionnés, il s’agit souvent de vouloir réduire le nombre de fonctionnaires publics, même si celui-ci ne soit pas, en moyenne, plus élevé que dans d’autres pays de la région, et même si 72 % des dépenses publiques10 se dirigent vers des secteurs fondamentaux comme l’éducation, la santé, la sécurité et la justice. Le vice-président de la République, Hugo Velazquez, impliqué dans des affaires de corruption liées à Itaipú11, a affirmé que la « démonopolisation » – à lire, privatisation- de l’Administration Nationale de l’Électricité12 devait être une réalité dans le cadre de la réforme de l’État à venir13.

Bénéficiaires historiques des activités étatiques, notamment grâce à la production de produits et services offerts à l’État, les classes dominantes soutiennent aujourd’hui sa réduction, avec l’objectif d’affaiblir ses capacités de contrôle, et de « capturer » les secteurs encore sous son contrôle, comme par exemple la production, transmission et distribution de l’énergie électrique, une des plus grandes richesses du pays, témoignée par la centrale hydroélectrique d’Itaipú.

En somme, pour les acteurs cités, la « réforme de l’État » implique le soutien d’une réduction des capacités d’un État qui peine à satisfaire les services de base dont il est responsable. Avec un taux de pauvreté de plus de 20 %, un taux d’informalité de 71 %14, et un nombre infini de tâches à accomplir pour parvenir à un développement plus équitable, il est difficile de concevoir la débilitation de l’État comme une solution viable. S’il est vrai qu’une réforme doit avoir lieu, celle-ci doit permettre à l’État paraguayen de pouvoir combattre l’informalité, de favoriser la création de nouveaux emplois de qualité, de combattre la déforestation et les effets du changement climatique, entre autres.

Que ce soit de la part du gouvernement de Mario Abdo, ou de certains partis de droite et organisations patronales, la réforme de l’État à venir semble être plutôt un euphémisme pour faire allusion à une initiative néolibérale au XIXe siècle dont l’objectif est d’approfondir la « capture » de l’État déjà en cours par les classes dominantes.

Sources
  1. OCDE, Estadísticas tributarias (2019).
  2.  Afirman que reforma del estado debe ser definido en tres meses, La Nación, 08 avril 2020.
  3. UIP pide terminar con el “carnaval” de dinero público, 5 Dias, 27 avril 2020.
  4. Hacienda señala necesidad de reforma del Estado para hacer frente al 2021, Ultima Hora, 06 avril 2020.
  5. Le parti Patria Querida est une organisation politique fondée en 2003 qui se revendique de droite et qui compte entre ses rangs plusieurs hommes d’affaires. L’Union Industrielle du Paraguay est une organisation patronale qui regroupe des entreprises industrielles du pays. Benigno López, l’actuel ministre des Finances, est connu pour ses positions liées à la reduction de la taille de l’État.
  6. HELLMAN, Joel, JONES, Geraint et KAUFMANN, Daniel (2000), Seize the state, seize the day : state capture, corruption and influence in transition, World Bank Policy Research Working Paper.
  7. IBARROLA Rodrigo, Paraguay capturado, Téreré Complice, 16 décembre 2019.
  8. La guerre de la Triple-Alliance fut un conflit armé entre 1864 et 1870 qui opposa le Paraguay à l’Argentine, au Brésil et à l’Uruguay.
  9. Francisco S. López fut le président du Paraguay entre 1862 et 1870, tué au combat. Une partie de l´élite foncière du pays s’opposait à sa présidence en raison de ses politiques étatistes qui réservaient très peu d’espace au libre-échange et aux secteurs qui n’étaient pas proches de la famille López.
  10. IBARROLA, Rodrigo, Empleados públicos, los culpables “perfectos” de una crisis plagada de mentiras y análisis mediocres, Téreré Complice, 27 avril 2020.
  11. BENITEZ Carlos, De la menace d’impeachment a la méthode “colorado” pour résoudre un problème politique, Le Grand Continent, 10 septembre 2020.
  12. L’Administration Nationale de l’Électricité (ANDE) est l´organisme de l’État qui se charge de l’opération du système de transmission et distribution de l’énergie électrique, ainsi que d’une partie de la production.
  13. Ejecutivo impulsará ley para desmonopolizar ANDE, ABC Color, 5 juin 2020.
  14. BM : Paraguay está entre los países con mayor nivel de empleo informal, Última Hora, 18 février 2019.