Ramallah. Le 4 avril dernier, un entretien téléphonique exceptionnel entre le chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, et le premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammed Shtayyeh, fait courir les rumeurs d’un réchauffement des relations entre les deux mouvements. Portant avant tout sur la situation sanitaire inquiétante à Gaza face au Covid-19, cette discussion fait suite à l’ouverture de nouveaux canaux de communication entre les deux parties, inaugurés à l’occasion du plan de paix proposé en janvier par Donald Trump1. L’opposition de l’ensemble de la classe politique palestinienne à celui-ci avait alors laissé imaginer la possibilité d’une unification des forces. Mais cette dernière est restée lettre morte, comme l’illustre le refus du Hamas de participer à une nouvelle réunion le 13 mai contre le plan d’annexion israélien.2

Serpent de mer politique, les tentatives de réconciliation entre Hamas et Fatah rythment la vie des Territoires palestiniens. Parce que nécessaire à la naissance d’un Etat palestinien et permettant de légitimer les acteurs palestiniens sur la scène internationale, l’unité apparaît comme un élément clé préalable à toute tentative de résolution du conflit israélo-palestinien. Depuis juin 2007 et la prise de la bande de Gaza par le Hamas, cette perspective semble cependant irréaliste. En mai 2011, au cœur des printemps arabes et fragilisés par des manifestations, Hamas et Fatah annoncent la signature au Caire d’un premier accord d’unité. Celui-ci prévoit la tenue d’élections sous six mois, mais peu d’actions se joignent ensuite à ces promesses. Un nouvel accord pour l’organisation de ces élections en février 2012 à Doha n’y fait rien. Les propositions d’élections disparaissent progressivement du discours politique3. Le 23 avril 2014, fragilisés par une situation économique désastreuse des deux côtés, Hamas et Fatah annoncent depuis Gaza un nouveau pacte valant obligation de respecter ceux signés en 2011 et 2012. Cette fois-ci, un gouvernement d’union nationale est formé. Mais après près d’un an de gouvernement commun et sans réunification territoriale, la chute de celui-ci en juin 2015 entraîne un retour au statu quo. Plus récemment, fin 2017, le Fatah et le Hamas concluent un accord en vue de la tenue d’élections nationales avant fin 2018, censées permettre une sortie de l’impasse. Celui-ci n’a toujours pas été appliqué, les annonces se succédant sans élections à l’horizon4. Systématiquement, les réconciliations inter-palestiniennes finissent par échouer, par manque de volonté politique, mais aussi en raison de désaccords profonds entre courants antagonistes. 

Alors pourquoi le retour de ce sujet dans l’arène politique locale  ? Simplement car l’addition d’évènements concomitants pourraient provoquer une unification contre des adversaires communs. Plus que jamais, le pouvoir de Mahmoud Abbas est fragilisé, alors que les rumeurs sur sa succession vont bon train. La tenue des élections promises depuis longtemps pourrait apparaître comme un moyen de montrer sa bonne foi, et à défaut sauver ce qui peut l’être pour le parti présidentiel qu’est le Fatah5. Face à lui, les dirigeants du Hamas multiplient les appels à l’unité et aux élections, autant par rhétorique que par volonté de profiter d’une période jetant le discrédit sur les partisans d’une solution négociée. L’implication de parties tierces favorables à un rapprochement, comme le Qatar tentant de se positionner en médiateur ou l’Union Européenne principal soutien financier des Palestiniens,6 contribue à créer un environnement propice à un tel évènement. Mais l’élément le plus complexe au cœur de possible négociations serait la remise du contrôle sur Gaza par le Hamas à l’Autorité palestinienne. Si avec la crise humanitaire actuelle dans la bande sous blocus, une telle hypothèse pourrait fournir une porte de sortie pour un Hamas n’ayant pas réussi à relever les défis économiques et humains dans le territoire, la probabilité qu’un tel évènement arrive reste très faible.  

« Les différences majeures entre les deux mouvement laissent peu de doute quant à la possibilité d’une telle unification »


Les différences majeures entre les deux mouvements, tant idéologiques que programmatiques, laissent peu de doute quant à la possibilité d’une telle unification. D’un côté, le Fatah, qui se veut dans la droite lignée des mouvements nationalistes laïcs arabes, a abandonné depuis plus d’une décennie la lutte armée, tandis que sa plateforme programmatique met l’accent sur la non-violence et le recours à la communauté internationale afin de défendre les «  droits fondamentaux  » des Palestiniens7. De l’autre, le Hamas est issu de la confrérie des Frères musulmans. Si son positionnement a évolué depuis sa création en 1987, il n’en reste pas moins tenant d’une radicalité mélangée à un discours religieux faisant référence à la loi islamique (Sharia) et frôlant parfois avec l’antisémitisme, rejetant l’OLP et les accords d’Oslo autant que l’abandon de la lutte armée. La pratique de leur pouvoir les différencie tout autant. Quand la politique du Hamas à Gaza repose sur une mainmise autoritaire, une opacité revendiquée et un «  islamisme soft  »8, l’Autorité palestinienne gouverne la Cisjordanie en suivant dans les grandes largeurs les «  conseils  » de la communauté internationale la finançant, alliant ainsi un libéralisme économique affirmé à une rhétorique pro-démocratique, même si cette dernière cache mal ses tendances autoritaires et la permanence des réseaux de pouvoirs claniques. Pour Tareq Baconi, analyste à l’International Crisis Group, un tel constat illustre bien que malgré leur affaiblissement partagé et la crise économique traversée, l’«  absence de réconciliation est avant tout un problème d’ordre idéologique  ».9

A ce titre, les soutiens internationaux des mouvements politiques palestiniens viennent en majorité souligner les différences entre Hamas et Fatah. Ils illustrent la difficulté d’envisager une réconciliation inter-palestinienne se concrétisant à court ou moyen terme. Au sein du Hamas, le bureau politique prenant les décisions les plus importantes est divisé entre plusieurs «  pôles  » géographiques tentant chacun d’influencer le reste du mouvement. Le soutien iranien de longue date du Hamas contribue à renforcer le pôle de Gaza, ayant ces dernières années pris le dessus dans le processus de décision interne (alors que le pôle extérieur, plus «  modéré  » est réputé proche du Qatar), ainsi que les brigades Al-Qassam engagés dans la «  résistance  » à Israël10. Si le Hamas a une position différente de l’Iran sur certains sujets comme la guerre en Syrie, il paraît complexe de le voir dans un futur proche cumuler soutien financer iranien essentiel à sa subsistance, et reconnaissance d’Israël et surtout des accords d’Oslo, prérequis des occidentaux à leur soutien à l’Autorité palestinienne (et à la survie de cette dernière). En face, tant que les principaux bailleurs de l’Autorité palestinienne, Etats du Golfe et Européens en tête, boycottent le Hamas et voient d’un mauvais œil sa possible arrivée au pouvoir, Ramallah ne pourra prendre le risque d’un accord inter-palestinien entraînant un arrêt de l’aide internationale, comme ce fut le cas après les élections de 2006 ayant porté le Hamas au pouvoir11. Cela d’autant plus qu’il est dans l’intérêt premier d’Israël d’empêcher un tel rapprochement et l’unification de ses opposants, déployant donc de nombreux efforts pour discréditer totalement le Hamas auprès des soutiens internationaux de Mahmoud Abbas. Aux intérêts particuliers et soutiens de politiques spécifiques par tel ou tel mouvement se doublent des justifications régionales, entrant dans un cadre plus large. Les oppositions grandissantes entre Israël et donc Etats-Unis d’un côté et Iran de l’autre, ou encore entre Arabie Saoudite et Qatar, rivaux du Golfe, ne restent pas sans conséquences dans les Territoires palestiniens. Celles-ci contribuent à expliquer les pressions centrifuges sur le Hamas et l’Autorité palestinienne, et l’impossibilité pratique d’une réconciliation12

Intérêts contradictoires comme divergences politiques entre les soutiens internationaux créent un rapport de force constant dans lequel la difficulté de réalisation de n’importe quel action politique est décuplée. Le temps qui passe et la normalisation de l’occupation israélienne jouent dramatiquement contre les intérêts palestiniens. Hamas et Autorité palestinienne, affaiblis, impopulaires et souffrant d’une légitimité érodée, semblent incapables de répondre à l’immense défi que représente l’occupation israélienne. L’Union Européenne et ses Etats membres, souvent les plus attachés au respect du droit international et à la création d’un Etat palestinien, continuent de « parler la langue d’Oslo »13, sans vouloir admettre qu’elle est déjà morte, et se révèlent incapable d’en apprendre une nouvelle dépassant les dispositifs existants de l’aide à l’Autorité palestinienne, les rendant impuissants politiquement. Partout ailleurs, la question palestinienne semble reléguée au second plan des préoccupations politiques, noyée par l’activisme diplomatique israélien, à l’image de la normalisation progressive de ses relations avec les Etats du Golfe. Alors qu’une fracture idéologique claire divise les mouvements politiques palestiniens, les perspectives de réconciliation paraissent illusoires, et celles d’une solution à deux Etats respectant les accords d’Oslo impossibles, au moins à moyen terme. Les scénarii imaginables s’avèrent assez sombres, entre statu quo politique empêchant toutes avancées et situation économique et humanitaire désastreuse en Cisjordanie et surtout à Gaza.

Face à l’annexion Israélienne de la vallée du Jourdain, dont le début du processus est prévu pour le 1er Juillet, les mouvements politiques palestiniens, que ce soit le Hamas ou le Fatah par la voix de Mahmoud Abbas, agitent le spectre de la violence. Et si l’Autorité palestinienne a rendu effective depuis le 19 mai la fin de sa coopération sécuritaire avec Israël, l’absence de stratégie et d’agenda communs aux acteurs palestiniens souligne leur impuissance, s’en remettant à l’efficacité très hypothétique des pressions étrangères pour contrecarrer les plans du gouvernement Netanyahou. 

Sources
  1. Ahmad Melhem, “Can fight against COVID-19 unite Palestinians ?”, Al-Monitor, 20 avril 2020
  2. COLLOT Giovanni, Cartographier les réactions internationales au Plan de Trump pour le Moyen-Orient, Le Grand Continent, 30 janvier 2020
  3. Michael Bröning, Political Parties in Palestine : Leadership and Thought, Londres : Palgrave Macmillan, 2013, p.25-27
  4. Martin Kear, Hamas and Palestine, the contested road to statehood, Abingdom-on-Thames, Routledge, 2019, p.210-240
  5. Laurent de Saint Perier, «  Palestine : Mahmoud Abbas affaibli, malgré la réconciliation avec le Hamas  », Jeune Afrique, 22 novembre 2017
  6. Anne Le More, International Assistance to the Palestinians after Oslo, New York City : Routledge editions, 2010, p.88-94
  7. Michael Bröning, The Politics of Change in Palestine, state-building and non-violent resistance, Londres : Pluto Press, 2011, p.56-88
  8. Bjorn Brenner, Gaza under Hamas. From Islamic Democracy to Islamist Governance, London : I.B. Tauris & Co. Ltd., 2016, p.141-200
  9. Entretien réalisé par l’auteur de cet article avec Tareq Baconi, 17/04/2020, par téléphone
  10. Leila Seurat, Le Hamas et le monde, Paris : CNRS éditions, 2015, p.213-216
  11. Dimitris Bouris, The European Union and Occupied Palestinian Territories, New York City : Routledge, 2014, p.50-58
  12. A ce titre, voir par exemple  : Houriya Ahmed et Julia Pettengill, “Regional Actors and the Fatah-Hamas Unity Deal : Shifting Dynamics in the Middle East ?”, London : Henry Jackson Society, 2011
  13. Expression empruntée à Piotr Smolar, dans Mauvais juif, Paris : L’Equateur, 2019