Joe Biden aurait commencé le processus de « vetting  » d’un ticket démocrate avec la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar, ce qui signifie que la campagne pour choisir son vice-président est officiellement ouverte. Ce processus, connu aux Etats-Unis sous le nom de « veepstakes », se déroule à huis clos et désignera une femme, comme l’avait annoncé Biden lors du dernier débat des primaires le 15 mars à Washington. Les sciences politiques suggèrent que l’influence du vice-président dans les choix de l’électorat américain est généralement assez limitée 1, mais le choix de Biden, lui-même ancien vice-président, aura plus important que d’habitude pour deux raisons principales.

Tout d’abord, le choix de la numéro deux donnera des indices sur la stratégie de Biden face à un électorat démocrate segmenté, tant sur le plan idéologique que démographique. Par exemple, une colistière industrielle du Mid-West révélerait une volonté de reconquérir l’électorat blanc de la classe ouvrière passé à Trump en 2016 ; le choix d’une Afro-Américaine ou d’une Latino-Américaine viserait à maximiser la participation de la coalition qui a permis à Obama de l’emporter ; tandis qu’un député démocrate de gauche enverrait un message d’unité à la base de Bernie Sanders. Deuxièmement, étant donné que Biden aura presque 82 ans à la fin de son premier mandat, s’il l’emporte en novembre, le choix de la vice-président équivaut presque à un soutien pour les élections de 2024 où il serait assez probable que la vice-présidente se retrouve en tête de liste.

Le choix d’un vice-président est plus un art qu’une science, et requiert du candidat à la présidence et de son équipe une prise en compte d’éléments variés, de l’affinité personnelle à la compatibilité politique en passant par la complémentarité de leurs domaines de compétence respectifs. Cela dit, on peut essayer de faire une approximation quantitative des qualités de certaines personnalités politiques qui pourraient être sélectionnées par Biden. Dans les graphiques suivants, vingt-quatre personnalités politiques à qui les sondages donnent une chance de gagner les veepstakes sont prises en compte : des personnalités éminentes telles que les sénateurs Elizabeth Warren et Kamala Harris aux options moins connues comme la maire d’Atlanta Keisha Lance Bottoms et l’ancienne procureure fédérale Sally Yates.

Un critère relativement objectif de discrimination est l’expérience politique : de Tim Kaine à Mike Pence, en passant par Joe Biden lui-même, les candidats à la vice-présidence ont souvent (mais pas toujours, comme Sarah Palin) été des politiciens accomplis. Pour quantifier l’expérience politique, des notes ont été attribuées en fonction de la « valeur » de la plus haute fonction occupée (dans l’ordre décroissant : sénateurs, gouverneurs et membres du cabinet, puis membres du Congrès, élus de l’exécutif, maires et les membres des congrès des États) avec l’ajout d’une prime pour le nombre d’années passées dans chaque fonction au cours de la carrière politique, pondérée par la « valeur » de la fonction elle-même.

La figure 1 montre l’expérience politique et l’âge des 24 politiques sur les deux axes : le critère de l’expérience va récompenser les vétérans comme la sénatrice de Washington Patty Murray, au Sénat depuis 1993 et déjà envisagée en 2016, pénalisant des personnalités plus jeunes comme la sénatrice de Californie Kamala Harris et l’ancienne cheffe de la minorité de la Chambre de Géorgie Stacey Abrams. Plus généralement, en raison des obstacles auxquels les femmes noires ont toujours été confrontées pour accéder aux fonctions publiques, les personnalités politiques issues de minorités ethniques ont tendance à être plus jeunes et à avoir moins d’expérience dans les fonctions publiques. Sur le graphique, la taille des caractères et des points est proportionnelle à une autre qualité importante des candidats de la vice-présidence : leur « reconnaissabilité » (name recognition), qui correspond au nombre de résultats que l’on obtient en cherchant leur nom sur Google, a été utilisé comme variable de substitution – en l’absence d’enquêtes sur la question.

Graphique Leonardo CarellaVeepstakes 2020 : Qui sera la vice-présidente de Joe Biden ? Kamala Harris Primaires démocrates élections présidentielles américaines 2020 Trump politique intérieure américaine USA États-Unis Elizabeth Warren
Figure 1

La figure 2 présente les mêmes données, mais avec un code couleur par catégories idéologiques (plutôt génériques et nécessairement subjectives). Le fait le plus intéressant est peut-être que le nom « de gauche » le plus expérimenté n’est pas celui de l’ancienne candidate primaire du parti démocrate Elizabeth Warren, de loin la plus connue de la liste des noms, mais celui de la sénatrice du Wisconsin Tammy Baldwin. Ce n’est pas un hasard si le nom de Baldwin a souvent circulé parmi les partisans de Sanders comme un choix possible pour la vice-présidence, acceptable à la fois par la gauche et par l’establishment démocrate 2.

Graphique Leonardo CarellaVeepstakes 2020 : Qui sera la vice-présidente de Joe Biden ? Kamala Harris Primaires démocrates élections présidentielles américaines 2020 Trump politique intérieure américaine USA États-Unis Elizabeth Warren
Figure 2

Un troisième critère de classification est l’avantage que les candidates pourraient représenter en raison de leur État d’origine : c’est-à-dire l’importance de l’État dans lequel la candidate à la vice-présidence, pour des raisons biographiques et politiques, peut permettre de faire la différence. Il est possible de quantifier cela en s’interrogeant sur la probabilité que l’Etat associé à une candidate soit un « état du point de bascule » des élections de 2020. Par exemple, l’État du point de bascule en 2016 était le Wisconsin : si Hillary Clinton avait remporté le Wisconsin et tous les États dans lesquels son écart de voix avec Donald Trump était plus faible (la Pennsylvanie et le Michigan en l’occurrence), elle aurait remporté la présidence.

En général, l’indice récompense les États qui sont à la fois marginaux et substantiels du point de vue du collège électoral, comme la Floride et la Pennsylvanie. La probabilité a été calculée pour 2016 par le site web de Nate Silver FiveThirtyEight et est représentée sur l’axe logarithmique vertical dans la figure ci-dessous. 3

Graphique Leonardo CarellaVeepstakes 2020 : Qui sera la vice-présidente de Joe Biden ? Kamala Harris Primaires démocrates élections présidentielles américaines 2020 Trump politique intérieure américaine USA États-Unis Elizabeth Warren
Figure 3

De ce point de vue, le meilleur choix serait une candidate représentant la Floride – comme la députée Val Deming – ou les États du Midwest : la gouverneur du Michigan Gretchen Whitmer, la sénatrice Baldwin ou la sénatrice Klobuchar. D’autres choix stratégiques possibles reviendraient aux candidats des États du sud-ouest – Nevada, Nouveau-Mexique et Arizona – ou de la Géorgie, dans le sud-est, un État traditionnellement républicain mais où les démocrates ont fait des progrès remarquables au cours de la dernière décennie. Pour le reste, le critère de l’« État de bascule » pénalise les représentants de la Nouvelle-Angleterre, solidement démocrates, tels que les sénatrices Gillibrand (New York) et Warren (Massachusetts).  

Graphique Leonardo CarellaVeepstakes 2020 : Qui sera la vice-présidente de Joe Biden ? Kamala Harris Primaires démocrates élections présidentielles américaines 2020 Trump politique intérieure américaine USA États-Unis Elizabeth Warren
Figure 4

Enfin, un indice composite de la « vice-présidence » est représenté dans la figure 4, composé à parts égales des valeurs normalisées des trois critères de l’expérience, la reconnaissabilité et du lien avec un éventuel état clé. 

Les femmes politiques qui obtiennent des scores élevés pour les trois indicateurs – Klobuchar, Whitmer et Baldwin – occupent les trois premières places de l’indice composite, suivies par Warren, qui a de loin le profil le plus « reconnaissable » : ces noms circulent depuis des mois. Mais d’autres femmes politiques pourraient être envisagées, comme l’ancienne gouverneure de l’Arizona Janet Napolitano et la sénatrice du Nevada Catherine Cortez-Masto, moins célèbres que d’autres car elles n’ont pas participé aux primaires démocrates, mais qui pourraient également être décisives en 2020. 

Comme nous l’avons dit, cette approche présente des limites certaines puisque la décision ne peut se réduire à de simples mesures quantitatives. En outre, il est difficile d’établir objectivement dans quelle mesure et comment d’autres variables, comme l’appartenance à une minorité ethnique ou l’orientation idéologique, peuvent influencer le choix. Mais lorsque le nom sera connu, vraisemblablement d’ici la date de la convention des démocrates, le 17 août, cet exercice de quantification des avantages politiques des potentielles vice-présidentes pourra nous aider à comprendre rétrospectivement, le choix qui aura été fait. 4

Crédits
Cet article a été originellement publié en italien sur le site de Youtrend : 28 mai 2020, Leonardo Carella, Veepstakes 2020 : chi è in corsa per il posto di vice di Biden : https://www.youtrend.it/2020/05/28/veepstakes-2020-chi-e-in-corsa-per-il-posto-di-vice-di-biden/