Alors que l’attention des gouvernements est tout entière attachée à la gestion de la crise sanitaire, économique et sociale, ceux-ci auraient tort de se détourner de la lutte contre le terrorisme. Le Grand Continent vous donne les pistes pour comprendre les grandes tendances qui affectent le terrorisme mondial en mai 2020 :

1 – Les réactions des groupes terroristes à la pandémie et leurs interprétations

  • Le terrorisme d’ultra-droite a largement mis en avant des interprétations complotistes de la crise qui abondent dans son sens. Selon le lieutenant Rodde, surtout aux États-Unis, « les explications antisémites accusant Israël […]  sont fréquentes. Certains militants expliquent également la crise sanitaire par une conspiration fomentée par les élites du Nouvel Ordre Mondial contre le peuple ».1 Ces interprétations se sont accompagnées d’un fort racisme anti-chinois. Le terrorisme d’extrême-droite poursuit son déploiement en Europe et aux États-Unis, comme l’avait déjà montré l’attentat de Hanau en février 2020.2
  • Les groupes djihadistes ont progressivement changé de vision de la crise. Pensant d’abord que l’arrivée du covid en Chine puis dans l’Iran chiite était une punition divine contre la répression chinoise des Ouïghours, la progression de la pandémie a commencé à inquiéter Daech qui a appelé à respecter les gestes barrières et éviter d’aller en Europe dans son journal Al-Naba3. Le thème de la vengeance divine est omniprésent sur les réseaux, de même que la figure du libérateur « Mahdi » qui accompagne le mythe de la fin du monde.4
  • L’ultra-gauche a également vu dans cette crise l’affirmation d’un État policier omniprésent, ce qui a été redoublé par le développement d’applications de suivi des personnes contaminées par le COVID-19. L’incendie de l’institut de télécommunications Heinrich Hertz de Berlin s’est inscrit dans cette veine.5

2 – La reconfiguration des groupes terroristes pendant la crise

  • La crise sanitaire a déstabilisé les forces de l’ordre, parfois occupées à faire respecter le confinement en priorité, et les organisations chargées de la lutte contre le terrorisme, ce dont ont pu profiter certains groupes. Ainsi, les forces internationales ont déserté l’Irak dès mars6 et des modifications sont envisagées dans les troupes mobilisées au Sahel78. Dans ce contexte, plusieurs attaques terroristes n’ont pu être déjouées et le terrorisme n’a pas disparu depuis mars 2020 : par exemple la tentative d’attentat contre un hôpital du Missouri par un suprémaciste blanc le 24 mars 2020, l’attentat islamiste du 4 avril 2020 à Romans-sur-Isère en France, la préparation d’attentats au nom de l’État islamique par des Tadjiks en Allemagne interpellés le 15 avril, une multitude d’attentats au Moyen-Orient (de l’État islamique à Kaboul, à Taji) ou au Sahel (de Boko Haram au Tchad et au Nigéria), au Niger ou encore au Mozambique par un groupe islamiste.9
Crises régionales au Sahel, Niger
  • Si ces attentats restent moins nombreux qu’en période « normale » (si cette expression a un sens), les groupes terroristes de toute nature profitent de la crise pour tirer des enseignements et identifier des pistes d’action. « Pour les terroristes, la crise actuelle constitue également un cas d’étude idéal pour connaître les menaces et les effets des méthodes de guerre atypiques et pourrait ainsi les inciter à adopter des attaques innovantes, telles que les perturbations de l’approvisionnement en nourriture ou en médicaments et autres fournitures sanitaires » écrit Annelies Pauwels.10
  • Pendant la crise, les terroristes recrutent. Alors que la désinformation pullule sur les réseaux sociaux, des milliards de personnes confinées chez elles constituent un terreau propice à l’identification de nouvelles recrues. Par exemple, au Sahel notamment, Al-Qaïda a poussé des individus à utiliser ce temps solitaire pour se convertir à l’islam11. De plus, des messages  circulent sur les réseaux de l’ultra-droite américaine qui incitent à remplir des bouteilles de liquides corporels (spray bottles) s’ils sont infectés par le coronavirus pour les répandre dans des lieux fréquentés par les élites, les juifs ou les musulmans.12

3 – Quel terrorisme après la crise ?

  • Le terrorisme pourrait changer de cibles et se tourner précisément vers les docteurs, les soignants et les établissements médicaux. C’est ce que déclarait Gilles de Kerchove, coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme dans une note interne du 7 mai et analysée par Associated Press. Viser ces cibles permettrait ainsi de générer un « choc massif dans la société »13. La tentative d’attentat par voiture piégée d’un suprémaciste blanc le 24 mars, visait par exemple initialement « une synagogue, une mosquée ou un lycée afro-américain »14, avant de s’orienter vers un hôpital du Missouri.
  • Le bioterrorisme, encore assez rare, pourrait se développer. Le SARS-CoV-2 est sans ambiguïtés d’origine naturelle, mais la simple possibilité d’élaborer en laboratoire un agent biologique dont la propagation atteindrait une telle ampleur pourrait intéresser certains groupes terroristes. Le secrétariat du Comité contre le terrorisme du Conseil de l’Europe a ainsi soulevé cette hypothèse début avril.15
  • Comment l’Europe réagira-t-elle ? Inquiet de la résurgence possible du terrorisme qui pourrait tirer profit de la désorganisation des sociétés et États européens, Gilles de Kerchove a annoncé sa volonté d’outrepasser le cryptage des messages sur les réseaux sociaux pour les forces de l’ordre, dans une lettre adressée à divers groupes de travail du Conseil des ministres de l’UE, mise à disposition du Spiegel. Une proposition qui pose question au sujet du respect de la vie privée des utilisateurs.16
Sources
  1. Lieutenant (RO) Alexandre Rodde, “Covid-19 et terrorisme : analyse de la menace dans un contexte de pandémie”, Note du CREOGN, avril 2020.
  2. Le Grand Continent, “Comprendre le terrorisme d’extrême droite. 10 points sur l’attentat de Hanau”, 20 février 2020.
  3. Aitor Hernández-Morales, “ISIS tells terrorists to steer clear of coronavirus-stricken Europe”, Politico.eu, 15 mars 2020.
  4. Nikita Malik, “Self-Isolation Might Stop Coronavirus, but It Will Speed the Spread of Extremism”, Foreign Policy, 26 mars 2020.
  5. Elyamine Settoul, “Les radicalisations au temps du Covid-19”, The Conversation, 28 avril 2020.
  6. Courrier international, “Le coronavirus vide l’Irak de ses troupes internationales”, 26 mars 2020.
  7. Julie Coleman J.D., LL.M, “L’impact du coronavirus sur le terrorisme au Sahel”, International Centre for Counter-Terrorism, 16 avril 2020.
  8. Gesine Weber, “Task Force Takuba : vers un engagement européen robuste dans la région du Sahel”, Le Grand Continent, 31 mars 2020.
  9. Pippa Allen-Kinross, “It is not true that worldwide terrorism has stopped while western countries fight Covid-19”, Fullfact.org, 23 avril 2020.
  10. Annelies Pauwels, “How Europe’s terrorists take advantage of the pandemic”, EU Observer, 29 avril 2020.
  11. Julie Coleman J.D., LL.M, “L’impact du coronavirus sur le terrorisme au Sahel”, International Centre for Counter-Terrorism, 16 avril 2020.
  12. Nikita Malik, “Self-Isolation Might Stop Coronavirus, but It Will Speed the Spread of Extremism”, Foreign Policy, 26 mars 2020.
  13. David Rising, “EU official warns of extremists exploiting virus outbreak”, Associated Press, 13 mai 2020.
  14. Lieutenant (RO) Alexandre Rodde, “Covid-19 et terrorisme : analyse de la menace dans un contexte de pandémie”, Note du CREOGN, avril 2020.
  15. Conseil de l’Europe, Salle de presse 2020, “Pandémie de Covid-19 : le secrétariat du Comité contre le terrorisme met en garde contre le risque de bioterrorisme”, 6 avril 2020
  16. Patrick Beuth, “Der Anti-Verschlüsselungs-Koordinator”, Der Spiegel, 13 mai 2020.