Le 3 mai au matin, le ministre de l’Intérieur vénézuélien, Néstor Reverol, annonce qu’une tentative d’invasion maritime visant à renverser le gouvernement de Nicolás Maduro a été déjouée. L’après-midi même, un certain Jordan Goudreau, ancien membre des Forces spéciales de l’armée américaine, et Javier Nieto Quintero, ancien membre de la garde nationale vénézuélienne, revendiquent avoir organisé l’attaque. Celle-ci aurait même un nom : l’opération Gideon

Ce scénario n’est pas celui d’un film d’action mais bien le récit des derniers jours au Venezuela. Cet événement a évidemment eu un effet papillon, impliquant le gouvernement vénézuélien, l’opposition accusée d’avoir commandité l’attaque, mais aussi la Colombie voisine soupçonnée d’avoir apporté son soutien et bien sûr les États-Unis, « ennemis publics numéro un » du gouvernement de la République bolivarienne d’où a été revendiquée l’opération.

Le début d’un mauvais film

Tout d’abord, le récit. D’après les dires des autorités vénézuéliennes, différentes vagues de bateaux légers en provenance de Colombie ont tenté de débarquer à la Guaira, au Nord de Caracas, au matin du dimanche 3 mai1. Les mercenaires, principalement des anciens soldats, étaient lourdement armés et auraient eu pour objectif de capturer Nicolás Maduro et ses proches. Parmi les mercenaires de la première vague, huit ont été tués et les autres ont été faits prisonniers. Le lendemain, une autre vague de mercenaires aurait également été faite prisonnière. Le 4 mai, le président Maduro apparaît à la télévision officielle entouré des armes saisies et des photographies des prisonniers menottés au sol sont diffusées.  

Dans l’intervalle, le 3 mai au soir, les commandants de l’opération s’auto-identifient dans une vidéo de revendication.  Il s’agit de Jordan Goudreau, ancien membre des forces spéciales américaines qui dirige une entreprise de sécurité privée en Floride, et de Nieto Quintero, militaire vénézuélien qui a déserté pour renverser le gouvernement de Maduro. Ce dernier affirme avoir sous ses ordres plusieurs centaines de déserteurs vénézuéliens, prêts à s’unir dans la lutte contre le pouvoir central. C’est d’ailleurs l’objectif de sa prise de parole : il appelle l’armée, ses commandants comme ses subalternes, à se joindre à l’opération Gideon pour renverser le pouvoir en place.

Dans la vidéo, les deux hommes assurent que des mercenaires sont également entrés par voie terrestre au Venezuela et qu’ils se battent actuellement au Sud, à l’Est et à l’Ouest du pays. De son côté, l’armée vénézuélienne dit avoir déployé 25 000 soldats dans une opération de défense nationale. Pour les deux camps, ces informations sont à ce jour invérifiables.

Le Venezuela toujours épuisé par ses crises internes

Ces événements soulignent de manière encore plus marquée les difficultés d’un pays affaibli économiquement, politiquement et socialement. Le régime chaviste, qui n’arrive pas à sortir d’une récession économique aggravée par la pandémie mondiale de COVID-19, est toujours au pouvoir bien que décrié. L’opposition, incarnée par Juan Guaidó, président par intérim reconnu par plus de 50 États, ne parvient à unifier le pays. Après plus d’un an de cette double-présidence, la situation politique est au point mort tandis que l’économie s’effondre et que la société se fragmente. C’est d’ailleurs ainsi que Nieto Quintero justifie son recours aux armes, par l’épuisement de toutes les autres options, électorales, démocratiques et politiques pour mettre fin à la « dictature ».

Toujours est-il que l’opération a alimenté le conflit ouvert entre les deux présidents. D’un côté, Caracas a immédiatement accusé Guaidó de connivence avec l’ennemi. Le gouvernement de Maduro affirme détenir des preuves de la contratation de l’opération par l’opposition. De l’autre côté, Guaidó a contre-attaqué lors de la session virtuelle de l’Assemblée du mardi 5 mai en dénonçant la tentative de diversion du gouvernement qui monterait en épingle l’opération pour étouffer les crises réelles qui épuisent le pays. Un des fondements de cette accusation est notamment la mutinerie de la prison de Los Llanos du vendredi 1er mai qui a causé la mort de 47 détenus selon les autorités locales2. La cause de ce soulèvement durement réprimé est l’absence de nourriture dans la prison, symptôme de la détresse économique dans laquelle se trouve le pays tout entier.

L’épicentre d’un jeu géopolitique complexe

En plus de nourrir les querelles politiques internes du pays, l’événement a d’emblée eu une dimension internationale. En cause notamment les États-Unis, ouvertement hostile au gouvernement chaviste. Le récent renforcement de l’alliance entre Donald Trump et le président colombien Iván Duque a encore crispé les relations avec le Venezuela sur un échiquier géopolitique déjà explosif. 

Dans ce cadre, l’opération Gideon, orchestrée depuis la Floride par un ancien green beret, et à laquelle ont participé deux américains, a forcément été perçue par Caracas comme une attaque directe conduite par les Etats-Unis. Peut-être soucieux d’éviter un rapprochement malheureux avec l’épisode de la Baie des Cochons, le président Trump a très vite nié tout lien avec l’opération. Il reste que les origines de cette opération restent éminemment troubles. 

Bien que Trump et Duque aient nié toute implication dans l’événement, ces déclarations  n’ont pas empêché Maduro de dénoncer une « escalade » à l’encontre de son pays et l’existence d’une coalition pour l’évincer.  Son discours s’appuie sur différents événements et éléments :

En mars 2020, la justice américaine a officiellement accusé le président du Venezuela de narcoterrorisme et a offert des millions de dollars pour sa capture3.

En avril, la cinquième phase de l’opération internationale « Orion » a été lancée. Cette opération, mise en place par 25 pays et menée par les États-Unis, lutte contre le narcotrafic en mer des Caraïbes. Elle consiste en une surveillance multimodale (maritime et aérienne) du trafic de stupéfiants dans la zone, principalement en direction des États-Unis. Alors que cette opération ne vise explicitement aucun pays « émetteur », l’accusation de narcoterrorisme oriente bel et bien cette lourde opération vers le Venezuela4.  

Le voisin colombien, avec qui les relations se sont détériorées, participe aussi à mettre la pression sur Maduro. Le président colombien Iván Duque, grand allié politique de Donald Trump, se montre très investi dans l’opération Orion5 et considère publiquement  le régime vénézuélien comme dictatorial. Enfin, bien que le président colombien nie toute implication avec l’affaire Gideon, le fait que les déserteurs vénézuéliens se soient entraînés sur le sol colombien et soient passés par la frontière terrestre colombo-vénézuélienne n’arrangent pas les relations diplomatiques entre les deux pays.

Au Venezuela, Guaido gang ela bataille diplomatique

Perspectives :

  • S’il est probable que l’opération Gideon n’est pas de suite et qu’elle ne soit pas le foyer d’une insurrection militaire d’ampleur majeure, il faut tout de même noter que le conflit entre les États-Unis, soutenus par la Colombie, et le Venezuela, est de moins en moins larvé.
  • Bien qu’elle nie toute implication dans l’opération Gideon, l’administration Trump apparaît sur l’offensive tandis que le gouvernement de Maduro maintient une posture défensive. Par ailleurs, si le président des États-Unis a nié toute implication américaine dans cette opération, il ne l’a par ailleurs pas condamnée ce qui continue de tendre la situation entre l’administration chaviste et celle américaine.
  • Pour sortir de l’impasse autrement que par le recours à la force armée, Washington a demandé en mars à Juan Guaidó de faire un pas en arrière si cela permettait de mettre en place une Assemblée constituante. Guaidó a accepté et a invité Nicolás Maduro à accepter la proposition de la communauté internationale.
  • Refusant toute forme d’ingérence, surtout américaine, Caracas campe pour le moment sur ses positions.