Alors que tous les rideaux sont baissés, la culture paraît essentielle pour surmonter cette période singulière. Une culture, celle du spectacle vivant, est pourtant privée de sa raison d’être : la présence de l’autre. Réduite aux écrans, elle semble comme amputée de son âme, celle qui nous fait tous participer physiquement à cette « conversation de l’humanité » qui panse les plaies et les maux.
Le confinement nous crie aussi une vérité immémoriale : les arts et la culture sont l’expression de notre besoin vital de liberté et de lien social, d’affirmation de notre identité, tout autant que de notre soif de beauté, de rêve et de transcendance. Ils sont ce trait d’union essentiel à nos sociétés qui nous réconforte, et nous accompagne dans la résilience comme dans l’élévation.
Alors que la crise menace d’aggraver les inégalités et nous fait craindre le spectre d’une société toujours plus émiettée, la culture doit être le ciment de notre cohésion, par-delà les barrières sociales et les détresses particulières. Jamais, dans notre histoire récente, la culture n’aura semblé aussi vitale pour la réconciliation de notre société.
Le monde culturel est pourtant, à ce stade, une des premières victimes de la crise. Plongé en pleine incertitude, il attend des réponses gouvernementales justes et coordonnées, face aux innombrables situations d’urgence que connaissent les artistes et ceux qui permettent leur expression. La durée et l’ampleur de la tempête demeurant incertaines, les acteurs de la culture que nous sommes avons besoin de décisions lisibles, pour pouvoir survivre à cette crise, mais également nous projeter dans le monde qui nous attend.
Le ministre de la Culture a déclaré en avril que « la culture aura un rôle majeur à jouer à l’issue de cette crise », ajoutant que « l’Histoire a souvent montré qu’à la sortie des crises il y avait un besoin de réinvestir la culture ». Mais malgré ces intentions publiquement affichées, de nombreux doutes subsistent quant à l’émergence rapide d’une feuille de route cohérente, alors même que depuis de nombreuses années la place de la culture ne semble pas constituer un impératif majeur de nos gouvernements successifs. Une nouvelle voie s’impose, urgente : faire de la culture une brique « essentielle » de la reconstruction de notre société, afin de mieux comprendre le monde dans lequel nous entrons. Réinventons la culture, afin de lui redonner le rôle qu’elle n’aurait jamais dû abandonner.
Voici quelques pistes de réflexion sur les multiples contours que pourrait prendre ce renouveau pour le monde des ensembles et compagnies indépendantes de musique classique.
Pour une fusion de l’art et de l’engagement citoyen
Apparus en 2007, et imaginés comme un prolongement de la Déclaration des droits de l’homme, les « droits culturels » désignent les droits pour chacun d’accéder librement à son patrimoine culturel, de l’entretenir et de l’enrichir, sous toutes ses formes, et dans tous ses particularismes. Ils représentent l’idée que les connaissances, les arts, les sciences, opinions, langues et coutumes, sont les outils essentiels pour permettre à chacun d’élaborer son propre regard sur le monde.
Mais cette notion, si elle commence à s’immiscer dans la société française, ne repose sur aucune base juridique. Régulièrement invoquée dans les discours et manifestes, elle n’est encore qu’une idée, trop rarement appliquée dans les faits. Il est temps de nous en emparer.
La tourmente économique va entraîner une crise qui peut menacer nos sociétés d’éclatement. Comme artistes, voici le temps de poser un certain nombre de questions.
- Cette crise va durablement bouleverser nos modes de vie et travail. Ne devrait-elle pas être vécue comme l’opportunité unique de nous réinventer ?
- Les droits culturels ne pourraient-ils être la base d’une redéfinition en profondeur des politiques publiques, comme du rôle de nos structures (établissements publics, ensembles, orchestres et compagnies françaises, d’initiative publique ou indépendante) ? Alors que cette notion est défendue avec emphase depuis longtemps déjà, la réflexion ne doit-elle pas enfin céder la place à l’action ?
- Ne devrait-on pas inscrire dès aujourd’hui la culture comme l’une des priorités absolues des futures politiques publiques, au même titre que la santé, l’éducation et la réduction des inégalités ? Ne pourrait-elle être la zone de contact entre ces différentes priorités, et permettre de les unifier au sein d’un projet sociétal ambitieux, dont l’éducation artistique serait l’un des fondements ?
- Les artistes, qui font vivre l’art, en particulier tous les intermittents, doivent être au cœur de ce nouveau projet. Tout un écosystème fragile reposant sur un régime unique au monde, qui se doit aujourd’hui d’être préservé coûte que coûte, au moment même où leur emploi est remis en cause pour les mois qui viennent.
- Après des années d’hésitation politique, où la volonté d’élargir nos publics s’est parfois érigée en dogme voire en prérequis du « droit à la subvention », le temps n’est-il pas venu de faire fusionner projet artistique et action culturelle au sein-même de nos structures ?
- À l’heure où l’on demande aux musiciens d’être aussi médiateurs, ne serait-il pas temps de rappeler avec force que nos compositeurs et leurs œuvres, notre savoir-faire, nos interprétations divergentes et nos prises de risques sont les plus précieux sésames d’une rencontre avec les publics ? Le moment du concert n’est-il pas celui qui peut unir, émouvoir, éduquer, réveiller les désirs et parfois même bouleverser des vies ? Il ne s’agit pas ici de renier ce rôle de médiateur, mais bien au contraire, d’en partager la responsabilité par une collaboration plus étroite, en incarnant ce lien vers l’épanouissement et la quête d’émotion, dont tous les artistes et créateurs détiennent l’alchimie.
Dans l’ambitieuse politique culturelle appelée de nos vœux, notre complémentarité d’artistes avec les programmes préexistants dans les territoires sera le mot d’ordre. Il nous faudra collaborer toujours plus étroitement avec les acteurs locaux (associations, rectorats, enseignants, médiateurs et lieux d’enseignements culturels, musées et compagnies). Les artistes eux-mêmes doivent être au centre de ce rapprochement, et de sa réussite. Il faut que les publics puissent vivre et éprouver l’expérience du concert, pour que la rencontre des mondes ait lieu. Tous les projets de médiation innovants et créatifs qui devront se multiplier ne pourront réussir pleinement qu’à la seule condition d’offrir des modèles d’identification et de désir, capables de susciter des rêves et des vocations.
Pour un nouveau souffle de nos pratiques musicales
Cette crise intervient à une période cruciale de notre histoire récente, et nous pousse à questionner l’avenir de nos pratiques musicales. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la musique classique a bénéficié d’un nouveau souffle dont nous aurons bientôt épuisé la plus grande partie des bénéfices.
Ce renouveau est d’abord passé par un élargissement de nos répertoires, tant vers le passé que le présent. D’une part grâce à de grands compositeurs qui ont participé à la naissance d’un répertoire conséquent, d’Olivier Messiaen à George Benjamin, de Wolfgang Rihm à Peter Eötvös. D’autre part, grâce à la redécouverte et à la mise en valeur du répertoire des « musiques anciennes » qui ont permis la renaissance de tant de chefs d’œuvre du passé, dont la période baroque est la plus emblématique. Désormais, Paris et d’autres grandes villes françaises proposent chaque soir une offre pléthorique de concerts, des premières polyphonies médiévales jusqu’à la création contemporaine, des mises en scène classiques et conventionnelles jusqu’aux projets scéniques les plus audacieux et multidisciplinaires.
Cet élargissement du répertoire a été rendu possible par la naissance d’un grand nombre d’ensembles et de compagnies de toute taille, souvent spécialisés, qui ont profondément enrichi la connaissance et la lecture de notre patrimoine mais aussi largement diversifié les styles d’interprétation musicale. Sont alors nés de multiples courants d’interprétation, des approches sonores et rhétoriques complémentaires, parfois divergentes mais toutes convaincues que le dialogue entre la société contemporaine et les œuvres du répertoire est et sera toujours fécond. Les politiques de décentralisation ont accompagné cette effervescence en ouvrant de nouvelles salles de concert et de spectacles pour offrir des contenus exigeants à un public plus large. De nombreux festivals ont jailli un peu partout sur nos territoires et participent grandement à la vie de nos ensembles. La pratique en amateur a connu un développement inédit, et les conservatoires et écoles de musique ont su incroyablement s’ouvrir aux nouveaux horizons proposés par les instruments d’époque ou la création contemporaine.
À l’opéra enfin, l’intégration progressive d’une nouvelle génération de metteurs en scène, souvent venus du théâtre, du cinéma, de la danse ou encore des arts plastiques et numériques, a permis d’interroger et de renouveler notre approche du répertoire opératique et plus récemment de l’oratorio. Cela constitue un apport indiscutable dans le renouvellement des lectures, et dans un réel élargissement des publics.
Pour autant, peut-on croire que la musique classique pourra continuer à éclairer nos sociétés sans avoir à se réinventer ?
S’il est évident que la musique classique s’est enrichie depuis 50 ans, et que de nouvelles générations portent désormais des répertoires et questionnements audacieux, cette satisfaction ne doit pas masquer que trop peu d’œuvres fondatrices touchant les grands enjeux contemporains voient le jour chaque année. À l’opéra, où sont les mythes de notre temps ? Qui sont les nouveaux Orphée ? Sous quels traits les dieux de l’Olympe descendent-ils dans nos villes ? L’épreuve que traverse aujourd’hui l’humanité interroge précisément nos dieux, nos démons, nos héros, nos mécaniques tragiques ou comiques… Il nous faut encore des compositeurs, des librettistes, des artistes et des structures de tous bords, pour les peindre et les donner à voir !
Malgré la multiplication des salles, des structures et des initiatives, la réalité est que trop souvent encore, on programme les mêmes spectacles, pour les mêmes publics, dans les mêmes îlots culturels. Cette situation, fruit d’habitudes sociales et d’un certain confort à se reposer sur des pièces « balisées », doit aujourd’hui nous inciter à repenser nos projets et notre implication territoriale.
D’autres signaux doivent encore nous alerter. Si de nombreuses œuvres de qualité restent à découvrir, l’élargissement du répertoire du passé tend à se tarir, l’interprétation et les identités sonores ont tendance à se standardiser. En parallèle, les salles dédiées à la musique classique voient leurs budgets de plus en plus contraints et, en région, les lieux multidisciplinaires ont de moins en moins de moyens et de propension à faire confiance à la musique classique. Fait plus alarmant encore, notre politique culturelle ne semble plus en mesure d’accompagner l’émergence et le développement des ensembles de la jeune génération.
Enfin, les contraintes budgétaires poussent trop souvent nos producteurs à se tourner vers des valeurs sûres du répertoire et des interprètes médiatisés, en nous faisant courir le risque d’un appauvrissement culturel « marchandisé ». Il est urgent de rendre à l’offre culturelle la possibilité de susciter le désir, plutôt que de laisser la sécurité financière et le consommateur démuni décider seuls de l’avenir de la création. Le souffle unique de quête, d’ouverture et d’expérimentation que la musique classique a connu ces cinquante dernières années se voit désormais clairement menacé, dans un avenir où la volonté de prise de risques et l’acceptation des polémiques, indispensables à tout art, semblent de moins en moins possibles.
Ainsi, les politiques culturelles à venir ne devraient-elles pas encourager plus encore et redonner des moyens bien plus importants à la création artistique sous toutes ses formes, de l’exploration renouvelée du répertoire passé, à la création d’œuvres et de formes nouvelles ? Le temps semble venu de promouvoir une articulation plus créative entre œuvres du passé, vérités intemporelles et grands enjeux contemporains.
Écologie et territoires : les musiciens ne sont pas des oiseaux de passage
Les artistes et leurs expressions sont souvent considérés comme les premiers baromètres des bouleversements de nos sociétés. Si la fracture de notre pays est avant tout sociale, elle est aussi culturelle et territoriale. À ce titre, l’époque interroge sur le mode de vie de nos musiciens comme sur l’enracinement de nos ensembles. Il nous faut confronter les changements profonds de notre société à ceux qu’ils impliquent dans la pratique musicale elle-même. L’indispensable rayonnement international de nos artistes n’est pas le tout, et doit s’accompagner d’une volonté claire de renforcer notre ancrage territorial. Investir nos territoires bien au-delà des structures identifiées, à la rencontre des populations urbaines ou rurales, tels sont les enjeux majeurs qui s’offrent à nous aujourd’hui.
Dans le même temps, la parenthèse imposée par le confinement semble accélérer une prise de conscience élargie des problématiques environnementales. Le monde de la musique classique peut-il se permettre de l’ignorer ? N’est-ce pas le moment, pour nous aussi, de remettre à plat toutes nos pratiques, pour accompagner cette transition vers une époque plus respectueuse de nos ressources communes ?
L’enjeu est donc complexe, et devra passer par l’élaboration d’un nouveau pacte environnemental. L’intensification de notre rôle d’acteurs territoriaux, comme le maintien de nos fonctions d’ambassadeurs culturels à l’extérieur de nos frontières, ne pourront se faire sans considérer la nouvelle donne écologique. Le pacte que nous devons sceller n’aura de sens que s’il s’accompagne d’un développement accru de nos projets de proximité en parallèle de nos projets internationaux les plus ambitieux, dont nous devrons désormais être capables de justifier le coût écologique. Ceux-ci devront ainsi s’enrichir d’actions culturelles locales innovantes, pensées en complémentarité avec nos projets de concerts et spectacles, et qui participeront ainsi tout autant au dialogue interculturel qu’au rayonnement de notre projet artistique et à son impact sur les publics visités.
Faire des nouvelles technologies nos alliées
Le confinement et l’arrêt de la quasi-totalité de notre économie ont eu pour conséquence un événement symbolique : la vente de disques physiques est à l’arrêt. Différents labels entrevoient dès aujourd’hui la mort pure et simple du disque physique et réfléchissent à un renouvellement du modèle, tout du moins pour le secteur de la musique classique. En parallèle, émergent sur la toile d’innombrables expériences numériques et technologiques, parfois non conventionnelles et extrêmement créatives, continuant d’élargir les possibilités d’interaction avec nos publics. La liste serait longue, mais l’urgence planétaire accélère la prise de pouvoir vertigineuse du monde numérique.
Le numérique et les nouvelles technologies ne représenteraient-ils pas pour nous, musiciens classiques, une opportunité d’interaction et de démocratisation unique ? Les captations de concerts et de spectacles sont déjà nombreuses et de grande qualité, et des premières initiatives innovantes de l’utilisation de l’outil numérique voient le jour un peu partout ; mais ces quelques semaines nous rappellent que le terrain de jeu du numérique est infini, qu’il s’ouvre à nous, et que nous devons nous en emparer avec plus de conviction, de créativité et de volonté d’expérimenter. Il est un moyen unique d’accéder à des publics éloignés ou empêchés. À nous aussi de combattre la fracture numérique, par exemple en déployant des projections de concerts en direct dans des déserts culturels, mais où précédemment aura été créé par nos musiciens un lien physique et réel autour de la musique.
En parallèle, il est primordial de faire naître d’indispensables garde-fous au risque de faire oublier que l’expérience fragile, physique, spirituelle, sensible et cognitive du concert est irremplaçable. À nous d’utiliser l’outil numérique, non pour remplacer cette communion d’une valeur sans égale, mais surtout pour sensibiliser à notre art et susciter le désir de nos spectacles,en développant de nouvelles formes de projets artistiques qui lui soient dévolus spécifiquement. N’ayons pas peur également de nous saisir des questionnements sur l’Homme augmenté et des potentielles utilisations futures de l’intelligence artificielle. L’outil numérique doit ainsi être défini comme une extension de notre art, et non comme une simple prothèse artificielle. Déployons cet outil virtuel, faisons de lui un allié, afin de donner toujours plus de valeur au spectacle vivant.
Changer d’échelle : vers une Europe de la culture engagée et transparente
Ailleurs en Europe et dans le monde, les mesures prises par les gouvernements pour soutenir le secteur font naître de profondes inégalités de traitement des acteurs de la culture. Si certains pays, tels l’Allemagne, font de la culture une priorité avec un plan de sauvegarde ambitieux, d’autres la relèguent au dernier rang des sauvetages nécessaires.
Dans une perspective où les frontières extra-européennes pourraient être closes pour longtemps, réfléchir à notre avenir à l’échelle du continent semble une nécessité absolue. Les réseaux de coopération culturelle européenne l’ont d’ores et déjà écrit dans une lettre commune à la Présidente de la Commission européenne. La simple « flexibilité » annoncée des programmes de soutien de l’Union aux projets culturels ne saurait être une réponse suffisante.
L’Union Européenne doit s’engager dès maintenant pour la culture en la plaçant en haut de l’échelle de ses priorités, par des investissements ambitieux et une clarification des processus d’attribution de ses dotations et programmes de soutien. La question extrêmement technique de l’harmonisation fiscale européenne pour le secteur culturel doit aussi être tranchée, pour permettre à tous les acteurs de repartir à égalité dans une Europe fragilisée et toujours plus concurrentielle.
Cette prise de position tranchée, enjeu de solidarité européenne, devra contraindre tous les États membres à inclure la culture dans leurs différents programmes de relance, afin d’éviter la fragilisation, voire la disparition de certains pays de la carte culturelle européenne. La période actuelle est une occasion presque inespérée de regarder en face des réalités masquées jusqu‘ici par une vie culturelle européenne fascinante, riche et foisonnante. Avant d’être une économie, l’Europe est une culture, elle-même constituée d’une addition de cultures. L’heure est venue de l’affirmer avec force.
Au cœur de l’épreuve, l’opportunité d’un élan inédit
Pour le secteur culturel comme pour tant d’autres, la crise que nous traversons est une catastrophe. Mais passées la sidération et l’urgence de mesures garantissant la survie de la totalité de nos acteurs, il est temps de nous retrousser les manches, pour à la fois survivre aujourd’hui, et rêver demain. Nous ne pouvons pas seulement nous contenter d’attendre des jours meilleurs. Si la tempête devait durer des mois, ou ne jamais s’arrêter complètement, nous devons choisir dès aujourd’hui le cap que nous voulons tenir. Et nous avons besoin de la puissance publique pour nous assister dans la manœuvre.
La première question vitale que soulève la période qui s’annonce est celle de l’emploi de nos artistes. Les salles étant vides, le système de l’intermittence ne fonctionnera plus. Il semble aujourd’hui indispensable de conjuguer les mesures d’activité partielle mises en place avec la possibilité de généraliser l’intermittence, et ce jusqu’au retour total de l’activité culturelle lui-même suspendu à la réapparition du public dans les salles.
Le soutien que nous appelons n’est pas seulement matériel. Il est créatif. Il ne s’agit pas seulement de compenser une perte de ressources. Il s’agit d’en créer de nouvelles. D’ici quelques jours ou semaines, nous allons tous désirer nous remettre au travail, dans des conditions d’exercice bouleversées par les nouveaux protocoles sanitaires. Pour quel travail ? Nos salles de répétition ne seront plus les mêmes, comme les salles de concert, demain, ne seront peut-être plus les mêmes. Nous devons penser notre place dans ce nouveau monde, comme les moyens de nous y exprimer. S’agira-t-il de nous produire dans des salles au public plus restreint ? Plus petites ? Plus nombreuses et dispersées sur le territoire, pour permettre à chacun de les atteindre avec des déplacements limités ? Et nous, que voudrons nous dire de notre art à cet autre public, dans ce nouveau contexte ? Que devons-nous lui dire dès aujourd’hui ?
L’heure n’est pas à préparer un éventuel « retour à la normale », en attendant que la crise passe. L’heure est à repenser notre place dans le monde de demain, et mieux encore : à la créer. Bien plus qu’un indispensable chèque, ce sont les moyens de cette ambition que nous demandons. L’assistance à la création et à l’initiative artistique. L’accès facilité à de nouveaux espaces repensés. Ce que nous demandons, c’est une ambition affirmée et partagée par tous les décideurs, financeurs, fondations et mécènes, fonctionnaires, élus nationaux et locaux : mettre la culture au cœur de la sortie de crise. En tant que secteur économique mais avant tout pour ce qu’elle est. Une expression.
Depuis le début de cette période trouble, bien des familles se sont paradoxalement rapprochées, malgré l’éloignement, en trouvant le temps de se dire ce qu’elles ne se disaient plus, notamment grâce aux nouvelles technologies. C’est exactement le schéma qui doit nous inspirer. Notre public est loin ? Allons à sa rencontre sans attendre, sur internet, à la télévision, avec des méthodes repensées, surprenantes, innovantes, et des projets permettant la rencontre de différentes expressions artistiques. Osons dire que nous nous manquons. Dessinons le bonheur de nos futures retrouvailles. Générons-en l’attente.
Créons, inventons, imaginons, repensons. Partageons, soyons ambitieux et tenaces. Mais nous ne pourrons pas réussir seuls. C’est pourquoi nous appelons aujourd’hui la puissance publique, mais aussi les médias, de service public ou non, à partager notre audace. Que les intentions laissent place aux actes. Plus que jamais, ayons confiance en notre musique et en nos musiciens pour initier de nouvelles pulsations.