Il faut rassembler des données hétérogènes, des savoirs et des profils qui se parlent rarement pour donner forme, pendant la crise, au monde qui viendra après. Le Groupe d’études géopolitiques publie aujourd’hui, dans le cadre des publications de l’Observatoire géopolitique du Covid-19, sa troisième note de travail qui fait le point et émet les premières hypothèses dans les perspectives et les transformations de la pandémie sur l’économie du travail, signée Cyprien Batut, avec un avant-propos de l’économiste OCDE Andrea Garnero.
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L’impact du Covid-19 sur le monde du travail : télémigration, relocalisation, environnement
L’une des conséquences du confinement sera peut-être, à travers la création de nouvelles habitudes et non pas une révolution technologique, la généralisation du télétravail. Attention cependant, cette révolution ne sera celle que d’une minorité de travailleurs, principalement des cadres et des métiers relativement privilégiés.
Cette note tente d’en envisager les conséquences :
- Elles sont d’abord environnementales. On peut s’attendre à une diminution des trajets réguliers ou ponctuels pour motif professionnel. Le résultat immédiat en serait une baisse des émissions à de gaz à effet de serre, dont l’effet du confinement sur la qualité de l’air dans les villes européennes n’est qu’un avant-goût. Attention cependant, le télétravail n’est pas neutre environnementalement parlant non plus, les infrastructures de réseau qui le rendent possible sont également polluantes.
- L’émergence du télétravail a ensuite le potentiel d’introduire un nouvel acteur sur le marché du travail : le « télémigrant », selon les termes de l’économiste Richard Baldwin. Alors que les travailleurs qualifiés ont jusqu’ici été protégés des effets de la mondialisation, la donne pourrait changer, de nombreux freelancers compétents, notamment issus des pays du Sud, étant dorénavant capables de rentrer en compétition avec eux. Mais cette ouverture est peut-être une opportunité, en effet les économies françaises et européennes sont en manque structurel de travailleurs qualifiés dans de nombreux domaines. Les télémigrants sont la chance de démocratiser l’accès à certains services encore trop peu répandus, en particulier dans les plus petites entreprises : programmation, comptabilité, formation, etc… Si les télémigrants augmentent plus vite la taille du gâteau qu’ils n’en divisent les parts alors leur arrivée sera fera sans heurts.
- Enfin, le télétravail en décorrélant lieu de vie et lieu de travail pour une partie de la population pourrait changer la forme même des villes et les dynamiques des inégalités spatiales. D’un côté, le télétravail représente pour une partie des cadres urbains la possibilité de se relocaliser là où la vie est moins chère et probablement plus agréable. De l’autre, la taille maximale d’une ville dépend de la taille de son marché du travail et, en quelque sorte, de la réponse à cette question : « À combien d’emplois puis-je accéder en une heure de transport ? ». Le télétravail explose cette limite et pourrait donc au contraire accentuer la concentration de l’activité dans quelques villes, concentrant les services pour les travailleurs les plus qualifiés. Le précédent de la révolution Internet aux États-Unis va plutôt dans ce sens.
Faute de temps, beaucoup d’autres aspects ont été mis de côté et sont tout aussi importants. Une future politique du télétravail qui encouragerait ou non son développement devra aussi les prendre en compte.