Yangon. Il y a près d’un mois, la Birmanie1 était absente des statistiques internationales sur l’épidémie du Covid-19. Depuis, au silence des premiers temps a succédé une volonté de transparence de la part du gouvernement birman. Ce qui s’est traduit par une déferlante de chiffres et statistiques sur la page du Ministère de la Santé et des Sports dédiée au Covid-192 : les diagrammes s’accumulent, les informations concernant l’âge, le lieu de résidence, le passé médical de chacune des personnes contaminées sont diffusées et mises à jour quotidiennement. À l’heure actuelle, le bilan est de 150 cas confirmés, dont 6 personnes décédées et 27 guéries.

Cependant cette frénésie statistique achoppe sur la question des moyens de dépistage, le vrai nerf de la guerre. 7 700 tests ont été réalisés à ce jour, ce qui place la Birmanie à la dernière place parmi les pays d’Asie en matière de taux de dépistage, derrière tous ses voisins tels le Bangladesh, le Laos, l’Inde, et très loin derrière la Thaïlande.3

C’est alors qu’entrent en scène les acteurs internationaux, et parmi eux un voisin avec lequel la Birmanie partage plus de 2 000 kilomètres de frontière : la Chine4. Le régime chinois n’a pas tardé à apporter son aide : dès le 27 mars, soit quatre jours après l’annonce du premier cas en Birmanie, la Chine envoyait 5 000 masques chirurgicaux et 200 000 masques jetables5, suivis rapidement d’autres envois de matériel de protection. À cette aide matérielle s’est ajoutée une aide humaine, la Chine envoyant une équipe de douze experts médicaux à Yangon, accueillis à leur arrivée par le Ministre de la Santé du gouvernement birman au cours d’une cérémonie officielle, très relayée par les journaux birmans, et par la page Facebook de l’ambassade de Chine en Birmanie. 

Cette aide humanitaire doit-elle être analysée comme une opération de soft power6 ? Dans ce cas, la Chine ne serait pas la seule à vouloir étendre son influence, les États-Unis ayant apporté une aide de 1,8 million de dollars, et l’Union européenne de 5,4 millions de dollars pour lutter contre l’épidémie en Birmanie. Mais ce qui différencie l’aide humanitaire fournie par la Chine des autres, c’est d’une part le contexte des relations sino-birmanes dans lequel elle s’inscrit, et d’autre part les acteurs impliqués.

Analyse géopolitique de l’aide chinoise

En premier lieu, il importe de saisir le contexte et l’histoire des relations de voisinage unissant la Chine à la Birmanie. Le resserrement des relations sino-birmanes a fait suite aux critiques internationales sur la situation de l’État Rakhine. Les 17 et 18 janvier derniers, au cours de la visite officielle effectuée par le président chinois Xi Jinping dans la capitale birmane, plusieurs accords ont été signés, concernant des projets phares dans la stratégie des Nouvelles routes de la soie souhaitée par Pékin7 : la construction d’un chemin de fer reliant le nord au centre de la Birmanie (de Muse à Mandalay), la création d’une zone économique spéciale (ZES) dans le port en eau-profonde de Kyaukpyu, et la création de trois ZES dans les Etats Kachin et Shan. La Chine n’est pas indifférente à la position géographique stratégique de son voisin : relier la province du Yunnan à l’océan Indien, c’est pour la Chine l’assurance de pouvoir importer ses hydrocarbures par un autre corridor économique que le délicat détroit de Malacca. La Birmanie peut devenir « la Californie de la Chine », analyse l’historien birman U Thant Myint8, offrant aux régions reculées de la Chine un accès à la mer par cette côte ouest. L’enjeu est donc de taille pour Pékin, qui souhaite ajouter à sa toile économique la maille décisive de la Birmanie.

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Source  : NIkkei Asian Review

Or si l’on étudie plus en détails les acteurs impliqués dans l’aide humanitaire fournie par la Chine, il apparaît que nombre d’entre eux sont des acteurs publics, entreprises ou administrations, impliqués dans les projets des Nouvelles routes de la soie9. Deux exemples notables sont à relever : la State Power Investment Company, impliquée dans le projet très controversé du barrage de Myitsone, a donné 140 000 $ au Ministère des affaires étrangères birman pour aider à la lutte contre le Covid-19. Quant à la ville-préfecture de Baoshan située dans le Yunnan, elle a fourni au gouvernement de la région du Kachin (située dans le Nord de la Birmanie) l’équivalent de 36 500 $ de masques chirurgicaux, thermomètres. Ce sont les mêmes autorités qui ont signé l’accord de création d’une ZES à Myitkyina, capitale de l’État Kachin, un projet critiqué pour son manque de transparence, et qui inquiète les résidents craignant une confiscation de leurs terres. Dans les deux cas, les projets sont controversés et en suspens. Soutien humanitaire et intérêt économique paraissent donc ici très proches, formant un faisceau d’intérêts convergents pour ces acteurs chinois. 

À l’heure où certaines voix s’élèvent pour dénoncer la « culpabilité morale »10 du régime chinois dans la propagation de l’épidémie, le moment est donc stratégique pour la Chine. Se joue, entre autres, l’avenir des Nouvelles routes de la soie chinoises en Birmanie, un avenir qui n’est pas cousu de fil blanc et qui, comme l’ensemble des éléments qui gravitent autour du projet pharaonique chinois, soulève bien des inquiétudes.11

Sources
  1. En 1989, le gouvernement militaire a rebaptisé le pays en modifiant le nom anglais jusqu’alors utilisé “Burma” en “Myanmar”. Le terme “Birmanie” reste en France le terme officielle et l’usage le plus répandu
  2. Ministry of Health and Sports, Republic of Myanmar, ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ( ? ? ? ? ?- ? ?) Surveillance Dashboard (Myanmar), 29 avril 2020
  3. Données Worldometer
  4. Pierre Sel – EastIsRed, “Point sur le Covid-19 en Chine : à la recherche de la stabilité”, Le Grand Continent, 27 avril 2020.
  5. Embassy of the People’s Republic of China to the Republic of Myanmar, The Second Batch of Medical Supplies from the Chinese Government arrived in Yangon and was handed over to the Myanmar side, 27 mars 2020
  6. BERNARDINI Giovanni, La Chine et la pandémie  : essais de soft power  ?, Le Grand Continent, 21 avril 2020
  7. BARA Thibaut, Le Corridor Economique Chine-Birmanie : défis et enjeux, Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soi, 23 avril 2020
  8. THANT MYINT-U, Where China Meets India : Burma and the New Crossroads of Asia, Farrar Straus Giroux, 2012.
  9. LWIN Nan, In Myanmar, Concerns That China’s Help on COVID-19 Comes With Strings Attached, The Irrawaddy, 24 avril 2020
  10. LE NORMAND Xavier, Coronavirus : le cardinal Bo dénonce la « culpabilité morale » de la Chine, La Croix, 3 avril 2020
  11. GOULARD Sébastien, Face aux nouvelles routes de la soie, Le Grand Continent, 26 avril 2019