Valence. Bien que le nombre de personnes hospitalisées et de morts diminue enfin dans les grandes villes espagnoles, la rhétorique politique semble s’intensifier sans qu’aucun consensus ne soit en vue. Comme certains analystes l’ont déjà noté, la guerre contre le coronavirus se traduit également par une bataille politique à la fois nationale et régionale. Dans une période de désespoir et d’anxiété pour l’ensemble de la société, il est facile d’être attiré par l’aspect séduisant du sectarisme, de la confrontation idéologique et de la désignation d’un coupable. En effet, la pandémie est une tempête parfaite pour réussir une fragmentation croissante de sociétés déjà faibles et disjointes. Mais en Espagne, s’est révélée une exception à cette force mobilisatrice polarisante : l’administration de la Communauté valencienne, dirigée par Ximo Puig, un « socialiste prudent » (PSPV), dont les perspectives, tant en Espagne que pour l’Europe, se sont révélées exemplaires à bien des égards. Quelques facteurs doivent être soulignés afin de mettre en évidence son leadership au cours de ces intenses mois de crise.

Tout d’abord, n’oublions pas que c’est la Communauté valenciennes qui a connu le premier décès causé par le coronavirus dès le 3 mars1. Pendant des semaines, la région de Valence a été décrite comme une « zone de propagation potentielle », atteignant près de 250 cas à la fin du mois de mars2. La courbe a atteint un sommet, mais depuis le 25 avril, la région connaît une diminution rapide du nombre de cas, et est désormais l’un des grands centres urbains les moins touchés par le COVID-19. Dans un article d’opinion publié dans La Stampa au début du mois d’avril, le président valencien Ximo Puig, faisait face à la dure réalité de la crise, à savoir qu’il s’agissait d’un défi qu’il fallait relever non seulement au niveau national, mais aussi de manière solidaire avec le reste des membres de l’Union3. Bien qu’il s’agisse d’un papier destiné à Bruxelles, M. Puig a rappelé la nécessité d’enterrer les morts, une pratique immorale de la civilisation occidentale, que Giambattista Vico, dans sa Sienza Nuova (1725), identifiait à l’histoire même et à la communication avec nos ancêtres. Puig n’avait pas besoin de mentionner Vico ; il lui suffisait de faire allusion à la conscience commune européenne. Pour Puig, il ne s’agissait pas d’un rituel, mais plutôt d’une expérience singulière qui nécessitait un soutien institutionnel matériel. C’est pourquoi il a terminé l’article appelant à un nouveau plan Marshall pour répondre collectivement aux pays les plus touchés par la pandémie, comme l’Espagne et l’Italie. Il est vrai qu’appeler à un plan Marshall est plus facile à dire qu’à faire. Andy Haldany, il y a quelques jours, a rappelé sur le Financial Times comment les modèles économiques et financiers de notre époque ont subi de graves mutations4. Cela implique une nouvelle imagination politique et technique à grande échelle.

Deuxièmement, et en dehors de sa perception européenne du problème, Puig a également montré sa capacité à diriger la région. Comme il l’explique dans une récente interview dans le principal journal espagnol El Mundo, il ne s’intéresse pas à représenter uniquement Valence, mais plutôt la grande région méditerranéenne, et il veut le faire au travers d’une perspective stratégique sur l’économie du tourisme et l’importance des infrastructures5. Nous pouvons rappeler ici la centralité du projet du « Corridor méditerranéen » pour l’unification du Sud de l’Espagne avec le continent européen, comme l’a expliqué Josep Boira il y a quelques mois dans une interview au Grand Continent6. La réalité des infrastructures est l’une des raisons pour lesquelles Puig évite également de souscrire à la confrontation géopolitique entre « Nord » et « Sud », qui alimente déjà les sentiments anti-européens en Espagne et en Italie. Contre une géopolitique basée sur des clivages « théologiques » stricts (le protestantisme contre le catholicisme), Puig imagine une intégration post-Covid basée sur des infrastructures et des engagements envers le bien commun et le bien-être des membres les plus faibles de l’union. Bien sûr, cela dépendra des actions politiques de Bruxelles et des différentes commissions de l’UE, mais il n’est pas moins important de voir un leader politique régional exprimer une position qui va au-delà de la politisation habituelle du moment.

Troisièmement, Ximo Puig a fait preuve d’humilité et de prudence. La semaine dernière, lors d’une session parlementaire du gouvernement valencien, Puig a déclaré ce qu’aucun autre homme politique espagnol n’a dit depuis des semaines : il a demandé pardon en tant que représentant de la région. « Je demande pardon, parce que nous, en tant que gouvernement, nous n’avons pas été prêt à temps pour affronter le tsunami de la maladie qui nous a tous dépassés »7. Il est rare de voir un homme politique s’abaisser et faire prevue d’une telle humilité, sans que cela ne soit pris pour un acte de faiblesse ou de défaite. Mais dans son discours ce jour-là, il y avait aussi la transmission de l’espoir et de la resilience, qui se produit non pas par des mots mais plutôt en assumant des erreurs qui peuvent permettre un changement de cap.

Aussi, Puig représente une position que toute analyse devrait prendre au sujet de cette crise : vu son caractère unique et sa propagation rapide, la politique au sens large du terme s’est montrée déficiente et impuissante. En ce sens, Puig démontre que la crise ne doit pas être comprise comme un blâme politique ou idéologique ; il s’agit fondamentalement d’un problème herméneutique qui s’ouvre une fois que la situation est concrètement présente, et alors que nous ne possédons pas de catégories normatives et universelles pour y faire face. Par conséquent, demander pardon écarte toute supériorité « épistémique » et ramène le politique au domaine de la contingence et du possible. Le leadership politique de Ximo Puig pourrait très bien être caractérisé comme étant ouvert et capable d’assumer les changements posés par le Covid-19. En effet, il rassure le gouvernement national de Sanchez, qui s’est parfois montré excessif dans sa rhétorique ou trop prompt à proposer des initiatives, comme la semaine dernière, alors qu’il annonçait la libération partielle des enfants de la quarantaine pour qu’ils puissant se rendre dans les supermarchés (une annonce rapidement corrigée)8. Puig a mis en place un programme pour faciliter la normalisation des activités sociales à Valence, qui consiste en des tests rapides, en l’utilisation de la technologie (applications mobiles) pour identifier les contagieux, et le développement de mécanismes de vérification de ces mêmes cas. Il s’agit d’une voie efficace pouvant être à même de faire mentir la hausse des cas prévue dans les deux prochaines semaines

Enfin, qu’est-ce que tout cela pourrait signifier au niveau régional ou géopolitique ? Beaucoup de choses sont en jeu, comme l’a rappelé Enric Juliana dans sa chronique dominicale pour La Vanguardia. Si Valence s’avère être une administration exemplaire dans la lutte contre le coronavirus, nous pourrions assister à un changement géographique et économique spectaculaire au sein de la Méditerranée espagnole, de la Catalogne à Valence. Une thèse plus que plausible si l’on tient compte de la ruse politique des dirigeants du mouvement indépendant en cette période de crise9. Une mauvaise gestion de la crise par l’indépendantisme pourrait très bien signer un véritable déclin d’une des régions les plus riches d’Espagne, et la fin de son alliance sur le plan international, parfois favorable à la « cause pro-indépendance ». Si une nouvelle réintégration ou un nouveau pacte social a lieu aux plus hauts niveaux de l’administration européenne, alors l’indépendantisme catalan sera un perdant politique évident car incitant à la division et à des scénarios irréalistes, comme l’a récemment soutenu Lola García10. Dans ce contexte, Ximo Puig a fait preuve d’une rare capacité à diriger non seulement sa communauté, mais aussi la région méditerranéenne face aux nouveaux défis qui seront bientôt posés dans le sillage du Covid-19.