Bagdad. L’Irak ne parvient pas à sortir d’une impasse qui a commencé en novembre 2019, à la suite des manifestations qui ont conduit à la démission du premier ministre Adel Abdel-Mahdi le 29 novembre. La première tentative de former un gouvernement a échoué le 1er mars quand Mohammed Taoufiq Allaoui, ancien ministre des communications, a dû démissionner à son tour.

Le 17 mars, Adnan al-Zourfi, ancien gouverneur de Najaf, a alors été nommé par le président irakien Barham Salih pour former un gouvernement avant le 17 avril. Al-Zourfi, habituellement plutôt critique de l’Iran (il s’était opposé à l’expulsion des troupes US d’Irak après la mort de Soleimani), avait cependant cherché à présenter un visage plus neutre au cours des dernières semaines, appelant notamment à la levée des sanctions contre l’Iran1.  

Cependant, le lundi 30 mars, Ismael Qaani, qui a remplacé Qassem Soleimani à la tête de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution, s’est rendu à Bagdad pour tenter de réconcilier les forces chiites dont la division favorisait la consolidation du pouvoir d’Al-Zourfi. Cependant, d’après le journal Al-Monitor, la visite de Qaani s’est conclue par plusieurs échecs : le grand ayatollah Sistani aurait refusé de le rencontrer et Muqtada al-Sadr aurait annulé un rendez-vous qu’il avait avec lui, expliquant qu’il ne fallait pas qu’il y ait « d’ingérence étrangère en Irak ». Ainsi, au contraire de Qassem Soleimani qui avait réussi à unir les différentes forces politiques chiites en Irak, la visite de Qaani aurait été contreproductive, au moins dans un premier temps2.

En effet, le 4 avril, Adnan Al-Zourfi a annoncé avoir réussi à former un gouvernement qu’il pensait pouvoir obtenir une majorité parlementaire. En réponse à cela, huit factions des Unités de mobilisation populaires (Hachd-el Chaabi) ont décrit la proposition comme une « dangereuse escalade » de la part du « candidat des services américains »3. En parallèle, le gouvernement proposé par Al-Zourfi n’a pas réussi à obtenir de majorité parlementaire et Al-Zourfi a donné sa démission au président jeudi 9 avril au matin. A la suite de cette démission, le président irakien Barham Salih a demandé à Mustafa Al-Kadhimi, directeur des services de renseignement du pays depuis juin 2016, de tenter à son tour de former un gouvernement. 

Al-Kadhimi, né en 1967 à Bagdad, quitte l’Irak dans les années 1980 en raison de son appartenance au parti Dawa et d’une condamnation dont il fait l’objet, en Iran puis au Royaume-Uni, où il se fait connaître comme journaliste d’opposition à l’étranger. Rentré en Irak en 2003, il travaille comme journaliste et lance en 2007, avec Bahram Salih, le président irakien actuel, un hebdomadaire sobrement appelé Hebdomadaire. Directeur de la fondation « Conversation humaine », pendant plusieurs années, il est nommé directeur des services de renseignement le 7 juin 2016 par Haïder al-Abadi, premier ministre de 2014 à 2018. Dans ce cadre, il aurait contribué à démanteler une filière iranienne créée par la CIA en 2004, et loué le Guide Suprême iranien une « cause de paix globale » tout en conservant des relations constructives avec les forces américaines4.

D’après Al-Monitor, le fait que presque tous les chefs de partis du parlement irakiens étaient présents lors de la nomination d’Al-Kadhimi laisse penser qu’il a de fortes chances de former un gouvernement en 30 jours5. De même, d’après l’agence de presse iranienne ISNA, il a déjà le soutien de deux factions sunnites et kurdes du parlement (65 sièges) et de cinq factions chiites (106 sièges), ce qui lui garantirait le soutien de 171 soutiens sur les 329 qui composent le parlement irakien6. S’il fait l’objet de suspicions de la part de Kataeb Hezbollah, qui l’accuse d’avoir joué un rôle dans l’assassinat de Qassem Soleimani, il est soutenu par Hadi Al-Ameri, chef de la coalition Fatah au Parlement, et loyaliste pro iranien7.

De son côté, David Schenker, vice-secrétaire d’Etat américain, chargé du Proche-Orient, a déclaré jeudi en réponse à une question à l’issue d’un briefing avec   la presse : « Si Kadhimi est un nationaliste irakien, s’il se consacre à défendre un Irak souverain, s’il est engagé à lutter contre la corruption, sa nomination est une bonne nouvelle pour l’Irak ainsi que pour notre relation bilatérale »8.

Ces évolutions politiques s’inscrivent dans un climat géopolitique tendu, marqué par de fortes tensions entre les troupes américaines et des milices pro-iraniennes. Le 2 avril, Kataeb Hezbollah avait publié un communiqué menaçant à l’égard des troupes américaines : « si vous partez, nous ne vous tuerons pas ». Le 4 avril, un ensemble de milices chiites irakiennes (notamment Asaib Ahl al-Haq, Harakat Hezbollah al-Nujaba and Kataib Sayyed al-Shuhada) ont fait de même  : « Vous ne respectez que le langage de la force et nous parlons donc avec ce langage ». Enfin, Le 06 avril, des roquettes Katyusha ont explosé à côté de l’entreprise américaine pétrolière Haliburton, dans le sud de l’Irak9.  

la dépendance des budgets nationaux en MENA du pétrole covid-19 crise économique pandémie et énergie fossiles Asie Afrique instabilité monde

Ces différentes attaques sont menées alors que les troupes américaines sont en cours de réorganisation en Irak. Elles ont en effet rendu quatre bases militaires aux troupes nationales irakiennes afin de concentrer leurs forces dans leur principale base, Ain al-Asad10.  D’après l’Institute for the Study of War, des milices anti-américaines auraient conduit une quinzaine d’attaques depuis quelques semaines, dans ce qui est généralement perçu comme une réaction décalée à l’assassinat de Qassem Soleimani et de Abu Mahdi al-Muhandes11.

En somme, si les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran se poursuivent et prolongent la crise politique irakienne, il se pourrait que Mustafa al-Kadhimi incarne une position relativement consensuelle qui permettrait de rapidement former un gouvernement pour répondre à la crise du coronavirus et à ses conséquences économiques potentiellement dévastatrices. 

Sources
  1. Hassan Ali Ahmed, « Iraqi PM-designate may be on futile mission to win Iranian support« , Al-Monitor, 1er avril 2020
  2. Hassan Ali Ahmed, « Many Iraqi politicians resent IRGC meddling in their affairs« , Al-Monitor, 06 avril 2020
  3. « Iraq : Prime Minister-designate forms cabinet ahead of deadline« , Middle East Monitor, 7 avril 2020.
  4. « مصصطفی الکاظمی کیست؟« , IRNA, 9 avril 2020
  5. « Iraq’s president taps intelligence chief to form new government« , Al-Monitor, 9 avril 2020
  6. « رئیس سازمان اطلاعات عراق مامور تشکیل کابینه شد« , ISNA, 9 avril 2020
  7. Alex Macdonald, « Iraq intelligence chief named as new prime minister-designate« , 9 avril 2020
  8. Secretary of State, Special Briefing, 9 avril 2020
  9. Hamdi Malik, « US, Iran-backed forces in Iraq may be edging toward showdown« , 7 avril 2020
  10. Shawn Snow, « US hands over another air base to Iraqi forces« , 05 avril 2020.
  11.  « US fears large-scale attacks against American troops in Iraq« , Financial Times, 03 avril 2020.