Dans une étude linguistique1 sur l’utilisation du terme « solidarité » dans six pays européens, l’historien viennois Wolfgang Schmale a montré que c’est toujours dans les moments où elle est la plus attendue que la solidarité européenne est la plus faible. La crise du coronavirus n’échappe pas à la règle. Selon Schmale, l’utilisation du mot « solidarité » dans divers journaux européens a connu des pics entre 1800 et 2000 chaque fois qu’une guerre menaçait. Ces pics ont la plupart du temps précédé des moments historiques tels que ceux de 1848, 1872, 1914 ou 1932. Or, avec cette étude en tête, il y a de quoi être très préoccupés pour l’Europe d’aujourd’hui. Jacques Delors, l’ancien président de la Commission, l’a dit lui-même : « Le manque de solidarité est un danger mortel pour l’Europe »2.  L’Europe est en danger de mort !

En 1950, dans le but de tirer les leçons des événements européens les plus sanglants, fut fondée la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Celle-ci évolua sur le plan politique, décennie après décennie, pour aboutir à l’UE dans laquelle nous vivons aujourd’hui – ou peut-être, devrions-nous plutôt dire, dans laquelle nous vivions. Pensons au marché intérieur, aux accords de Schengen, à l’Euro, à Erasmus, au traité de Lisbonne…

Le 9 mai 2020, dans moins d’un mois maintenant, la grande dame qu’est l’UE aura 70 ans, si elle ne succombe pas au coronavirus avant cette date. Ce pourrait être un triste anniversaire. Paix, liberté, prospérité pour toute l’Europe, telles étaient les promesses qu’elle avait portées des années durant – à commencer par ce « plus jamais la guerre  » qu’aucun manuel d’histoire européen ne peut ignorer. Mais aujourd’hui, l’Europe est en guerre contre un virus. Les accords de Schengen ont été suspendus, les voies de circulation du marché intérieur ont été coupées, les frontières ont été fermées. Partout des images honteuses – pour ne pas dire tragiques ! –, que ce soit à la frontière germano-polonaise, franco-allemande ou italo-autrichienne. L’Europe, sa capacité d’action et sa solidarité sont aujourd’hui découpées, tranchées, fragmentées par les frontières nationales comme jamais par le passé. Tandis que le coronavirus ignore complètement les frontières pourtant closes, ce sont les citoyens européens qui en payent le prix. L’infirmière française n’est plus autorisée à entrer au Luxembourg pour rejoindre son poste de travail à l’hôpital ; le coupeur d’asperges polonais ne peut plus se rendre dans un champ allemand pour la récolte. Certes, la récolte aura lieu, et probablement une distance de 2 mètres sera-t-elle mise en place pour les travailleurs sur le terrain ; mais la nationalité des coupeurs d’asperges n’est-elle pas indifférente ? Sans parler des nombreuses personnes en Europe qui ne peuvent tout simplement plus rendre visite à leurs familles, dont les membres sont dispersés dans toute l’Europe. Elles sont nombreuses. Qu’en est-il de tous ces citoyens de l’UE dont le lieu de résidence et le lieu de travail ne coïncident pas ? Des travailleurs transfrontaliers ? De ceux qui vivent à cheval entre deux États ? Tous les fonctionnaires de l’UE ont reçu une lettre, le 25 mars, indiquant que, jusqu’à nouvel ordre, ils ne seront plus autorisés à quitter le pays et que les demandes de congés ne seront plus approuvées. L’UE semble être un seul pays en période de liberté de circulation, mais pas du tout en période de crise. Pour l’instant, en Europe, nous ne partageons plus que la monnaie – et encore, cela ne concerne même pas toute l’UE.

Aujourd’hui, l’Europe est en guerre contre un virus. Les accords de Schengen ont été suspendus, les voies de circulation du marché intérieur ont été coupées, les frontières ont été fermées.

Ulrike Guérot

La CJUE aura des affaires intéressantes à examiner lorsque la première vague de l’épidémie sera terminée  ; car il reste à clarifier pourquoi, en temps de pandémie, il était permis de voyager de Cologne à Berlin avec de bonnes raisons, mais pas – du moins avec un passeport allemand – de Vienne à Paris. La citoyenneté de l’Union européenne ? C’était hier ! Actuellement, seul le passeport national détermine le droit d’entrée. Outre la vitesse fulgurante avec laquelle, sur une base juridique souvent douteuse, la quasi-totalité du catalogue des droits fondamentaux a été abolie en un clin d’œil dans presque tous les États-membres de l’UE – quand on n’a pas profité du virus, comme en Hongrie ou en Pologne, pour renforcer les pouvoirs du gouvernement, abolir le contrôle parlementaire et manipuler subtilement des élections3 – la liberté de circulation, l’UE en tant que communauté fondée sur l’État de droit, a également été suspendue en quelques jours. Tout simplement. Cette tendance n’épargne pas non plus le droit économique européen. La réquisition de masques et d’équipements médicaux (pourtant payés !) rappelle davantage une économie de guerre qu’un marché unique. L’Europe est en guerre contre un virus : Emmanuel Macron a utilisé le mot « guerre » à quatre reprises dans son discours télévisé4. Et dans une guerre, comme nous le savons, tout est permis.

Dissipons tout de suite un possible malentendu. Le fait que des zones à haut risque comme Ischgl, Heinsberg ou Bergame aient été bouclées à cause du coronavirus, que des mesures de confinement aient dû être imposées, était probablement la seule réponse possible, et la plus appropriée. Aucun argument ne sera avancé contre cela. Mais certaines zones à risque sont transnationales, par exemple dans le triangle frontalier franco-germano-luxembourgeois. Ici, les fermetures de frontières intra-européennes ne coulent pas de source, elles étaient et demeurent contre-productives et leur proportionnalité doit être contrôlée au plus vite. Des témoins rapportent que les contrôles à la frontière franco-allemande, par exemple, sont pires que dans l’immédiat après-guerre. D’une part, l’UE n’a pas réussi à se considérer, dans la crise, comme un espace juridique uniforme, comme un espace dans lequel tous les citoyens de l’Union européenne seraient enfermés par-delà les frontières nationales, selon de réelles zones d’urgence plutôt que des frontières nationales ; d’autre part, les citoyens européens ne sont pas envoyés à l’unité de soins intensifs5 dans le lit d’hôpital disponible le plus proche géographiquement6  : voilà deux manifestations d’une crise qui sera gravée pour longtemps dans la mémoire collective de l’Europe. C’est un problème auquel l’#EuropePostCorona devra faire face, même si le traitement transfrontalier des patients est désormais engagé. La question sera de savoir quelles leçons l’Europe veut tirer de ces images.

L’Union n’a pas réussi à se considérer, dans la crise, comme un espace juridique uniforme, comme un espace dans lequel tous les citoyens de l’Union européenne seraient enfermés par-delà les frontières nationales, selon de réelles zones d’urgence plutôt que des frontières nationales.

Ulrike Guérot

La triste vérité est que l’UE ne peut pas agir dans la crise et ne peut donc organiser la solidarité que de manière limitée. La gestion des catastrophes ne relève même pas de la responsabilité des États-nations, mais de leurs premiers ministres, voire des exécutifs régionaux et locaux. Les États-nations, cependant, disposent toujours d’un pouvoir et d’un budget, ils peuvent fournir les fonds, décider de mesures de soutien – comme le chômage partiel – et annoncer des plans de sauvetage financier. L’UE n’a pas le droit de faire tout cela. It’s politics, stupid !

Les dysfonctionnements européens en temps de pandémie peut être source de réjouissance pour certains, qui constateront avec plaisir que l’heure du nationalisme est enfin venue. Les frontières sont fermées ? Voilà qui en satisfera plus d’un. Mais il est affligeant de constater que la fermeture des frontières, causée par le virus, constitue désormais l’alibi parfait pour passer outre la législation européenne en matière d’asile. On peut aussi déplorer l’incapacité de l’Europe à agir ; on peut être irrité par le fait que les masques de protection pour l’Italie viennent de Chine et non d’Europe  ; les Italiens eux-mêmes se demandent pourquoi. Après la crise, il s’agira de répondre à ces questions et de déterminer, politiquement, de quelle Europe – et de combien d’Europe – nous voulons réellement. À quoi bon avoir une Europe qui n’est jamais là quand on en a besoin ? Un ami de Ferrare m’a écrit : « It is not even a matter of money. What is completely lacking right now is a show of empathy from Europe. We are seeing doctors with a Cuba flag on their coats helping in Bergamo, hell, we’re seeing Russian trucks, and we are not seeing even a little European flag. » Il est important de se souvenir que l’Italie a particulièrement souffert de la politique d’austérité qui à fait suite à la crise bancaire, et, plus encore, qu’il existe un lien direct entre la faiblesse du système de santé italien et les mesures d’austérité imposées par la troïka. On peut donc s’inquiéter de ce que la mémoire collective italienne ou espagnole retiendra de l’Europe : Draghi, Merkel et Schäuble auraient les morts d’Italie sur la conscience, selon certains7.  Comment, je vous le demande, un courant pro-européen est-il censé pouvoir émerger dans l’après-corona, comment serait-il capable de générer encore des majorités en Italie ou en Espagne ?

Quiconque veut rendre l’Europe résistante à la crise post-corona – quoi que cela puisse signifier pour le moment – doit envisager d’autres structures politiques, institutionnelles, financières et budgétaires, dans le secteur de la santé notamment8, mais pas seulement. Pour cela, il faudrait engager un débat sur une autre Europe, et c’est précisément ce qui n’a pas été fait ces dernières années. Le débat sur la réforme européenne a été pour le moins étouffé pendant des années et l’UE sous sa forme actuelle a été acceptée comme étant sans alternative. Et cela même si l’Europe a traversé une décennie de crise quasi continue depuis 2009 : la crise bancaire, la crise de l’Euro et des dettes nationales, la crise d’austérité, la crise des réfugiés, la crise populiste, la crise de l’État de droit et la crise de sa propre légitimité. Dans ce contexte, qui aurait pu s’attendre à ce que l’Europe soit capable d’agir en temps de pandémie ? 

Toutes les générations nées après 2005, l’année du « non » français et néerlandais à la Constitution européenne, – c’est-à-dire toute la jeunesse européenne d’aujourd’hui ! – n’ont en réalité jamais connu une Europe capable d’agir. Tous les grands projets européens – le marché intérieur, Schengen, l’euro, l’élargissement à l’Est – étaient alors achevés. La  tentative, en 2003, d’instaurer une Constitution européenne a échoué, et jamais un nouvel élan n’a été donné à ce projet. Pourquoi croire en l’UE, pourquoi en rêver, quand elle ne fait rien, si ce n’est décevoir ? La « mémoire culturelle »9 est cruciale pour l’avenir, seule celle-ci peut, pour ainsi dire, renouveler les horizons politiques10. La dynamique générationnelle est ici cruciale. Après les terribles bouleversements qu’ont subi les États-nations suite aux guerres du siècle dernier, la génération qui est aujourd’hui celle de nos aînés a osé « concevoir de manière utopique » le « projet utopique » d’une l’Europe, celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui (une monnaie unique européenne n’était-elle pas aussi une utopie avant d’être finalement réalisée ?). Dorénavant, en raison des nombreuses déceptions européennes, beaucoup, parmi les jeunes en particulier – avec ou sans Erasmus – , croient de nouveau en la nation, n’ayant vu qu’elle à l’œuvre et capable d’agir11.  Tous ceux qui, dans la crise actuelle, observent l’UE  et aspirent à une Europe différente, doivent garder à l’esprit qu’une UE capable d’agir n’existe plus depuis longtemps, que sa disparition a eu lieu bien avant que le manque de solidarité de ces derniers jours et semaines ne se transforme en une véritable tragédie. L’avenir de l’Europe se mesurera donc à sa capacité de projection utopique. Et elle est en mauvaise posture.

L’incapacité de l’UE, quelques jours à peine avant que la crise du coronavirus n’éclate, d’accompagner cinq cents mineurs non accompagnés des îles grecques vers le continent européen, est elle aussi oubliée.

Ulrike Guérot

Les images de l’automne dernier, lorsque des bateaux ont débarqué en Méditerranée avec ces quarante réfugiés que l’UE n’a pas su répartir équitablement parmi les États-membres, sont déjà oubliées. L’incapacité de l’UE, quelques jours à peine avant que la crise du coronavirus n’éclate, d’accompagner cinq cents mineurs non accompagnés des îles grecques vers le continent européen, est elle aussi oubliée. Il n’a pas non plus été possible de parvenir à un accord sur le CFP, le cadre financier pluriannuel, c’est-à-dire le budget européen, avant l’accord signé au sujet du coronavirus. Certains chefs d’État ou de gouvernements ont refusé d’augmenter, même d’un centime, le moindre poste du budget. Il reste à voir ce qui ressortira des nouvelles négociations, prévues à l’automne 2020. Ceux qui appellent à la solidarité européenne post-corona ne peuvent esquiver ce sujet. « L’Europe oui, mais comment faire pour qu’elle ne coûte rien ? » Et nous voici dans le conte de fées Les vêtements neufs de l’empereur  : l’UE est  nue ! Voilà le premier problème.

L’autre problème, bien plus important, est que tout cela ne dérange aujourd’hui qu’une infime minorité. Alors que l’UE a produit, parmi les citoyens européens, de nombreux perdants, de  nombreux déçus au cours des dernières décennies, l’appel à une Europe différente et meilleure n’est évidemment plus le terreau politique capable d’attirer une majorité. Emmanuel Macron a, dans un grand nombre de ses discours sur l’Europe, insisté sur l’importance d’une  véritable souveraineté européenne, un élément qui a souvent fait défaut à l’UE et qui lui manque aujourd’hui encore, dans la crise du coronavirus, car elle seule, la souveraineté européenne, permettrait la mise en place de réelles solidarités. Pourtant, l’appel du président français n’a été qu’un cri solitaire dans le désert, reçu avec un léger sourire, voire même un rire étouffé. Même son binôme européen traditionnel, l’Allemagne, ne s’est pas sentie obligée de répondre. L’Europe est avant tout victime de l’hypocrisie politique !

Ce n’est pas tant le fait que l’Europe soit constamment secouée par des crises qui a changé au cours de ces deux dernières décennies. Ce qui a changé, c’est que les crises sont désormais  prétexte à une renationalisation12, alors qu’elles étaient autrefois l’occasion d’une européanisation. L’Europe a depuis longtemps perdu son potentiel utopique, sa capacité à susciter un rêve qui lui serait propre. Dans son livre Memory and the future of Europe13, Peter Verovšek explique que l’UE dans laquelle nous vivons depuis soixante-dix ans n’est rien de plus que le résultat de mémoires collectives européennes. Les expériences de la guerre ont été si terribles qu’il a été possible de formuler un rêve d’Europe (« Plus jamais la guerre  »). Mais surtout, il a été possible de traduire ce rêve d’Europe en politique concrète, de le traduire en droit. En bref : il a toujours été possible d’institutionnaliser la solidarité européenne par étapes, après des expériences douloureuses. Ce sont les pères fondateurs de l’UE – Adenauer ou De Gasperi – qui ont élaboré ces traités européens sans être constamment obnubilés par les sondages.

Ce que l’Europe a perdu, ce n’est pas une solidarité, mais bien plutôt une dynamique et une volonté politique – tirer les leçons des mauvaises expériences et institutionnaliser petit à petit la solidarité en Europe, afin que celle-ci ne devienne ni une construction aléatoire ni le réceptacle d’une politique purement symbolique. Le projet de la Communauté européenne a été constamment mis à mal ces dernières années. En ce qui concerne l’UE, tous les chefs d’État et de gouvernement ont fait preuve d’un manque d’ambition, d’imagination et d’alternatives ; ils ont capitulé devant les défis populistes ou nationalistes qui se sont présentés à eux.

Les crises européennes de la dernière décennie – l’accumulation des crises bancaires, des crises de l’euro et de l’austérité, sans oublier la crise des réfugiés de 2015 –, en résumé presque un état de crise permanent, n’ont pas servi la solidarité européenne institutionnelle, mais, au contraire, le démantèlement rampant du projet d’unification européenne. L’union bancaire d’une part, un mécanisme unique de répartition des réfugiés entre États-membres d’autre part auraient pu être les leçons tirées des deux dernières grandes crises. Aucune de ces deux mesures n’a pu être mise en œuvre politiquement. Surtout, contrairement à ce qui se passait autrefois, l’Europe n’a pas tiré les leçons institutionnelles des crises qui l’ont frappées. Ceux qui ne veulent pas y croire devraient jeter un œil à la proposition de Genuine Economic and Monetary Union14 qui a été présentée en 2012 comme une possible « leçon » de la crise bancaire. Et que dire de ce qui a été réalisé jusqu’à présent : pratiquement rien ! La dernière crise n’a pas suffi à institutionnaliser définitivement la solidarité européenne, par exemple sous la forme d’eurobonds ou d’une mutualisation des dettes. Au contraire, elle a veillé à ce que les États-nations soient tenus en échec grâce à des plans européens (en partie non démocratiques) – par exemple le Memorandum of Understanding de la troïka européenne15. La pandémie provoque maintenant la suspension temporaire des réglementations européennes, dans le but de renforcer les États-nations et de les rendre capables d’agir dans la crise, pour ensuite les laisser seuls dans leurs actions. C’est là que réside le paradoxe de l’Europe d’aujourd’hui ! Le frein à l’endettement a été soudain levé, la limite réglementaire de 60 % de la dette publique a été suspendue. Combien de livres ont été écrits au cours des dix dernières années pour dénoncer l’orthodoxie idéologique de cette politique et la mauvaise gestion de la crise bancaire en Europe16 ?  En temps normal, il semblait tout simplement impossible de faire respecter cette règle dans le cadre d’un processus politique en faveur de l’Europe. Bien que la BCE mette en place un fonds de sauvetage fixe de 750 milliards, combien de temps encore l’Europe souhaite-t-elle réellement être gouvernée par une banque centrale ?

La dernière crise n’a pas suffi à institutionnaliser définitivement la solidarité européenne, par exemple sous la forme d’eurobonds ou d’une mutualisation des dettes. Au contraire, elle a veillé à ce que les États-nations soient tenus en échec grâce à des plans européens.

Ulrike Guérot

Ceux qui veulent vraiment que l’Europe résiste à l’épreuve des crises à l’avenir – si tant est que quelqu’un le souhaite vraiment – devraient se souvenir de l’Histoire et réfléchir structurellement à la construction politique qui a fait de l’UE ce qu’elle est aujourd’hui. N’oublions pas, à ce stade, qu’il ne reste plus grand-chose de l’Europe dont nous rêvions autrefois : la Pologne et la Hongrie ne sont plus des démocraties17, le Royaume-Uni, lui, a quitté l’Union et est désormais confronté à un avenir incertain. L’Est européen est depuis longtemps devenu le prolongement occidental de la nouvelle route de la soie chinoise. La Grèce a d’abord été étouffée par l’austérité, puis abandonnée seule avec les réfugiés. Et ce ne sont là que quelques-uns des événements qui attirent immédiatement l’attention.

Et avant ? Au cœur du processus des soixante-dix dernières années d’intégration européenne, il y avait le fait que, dans le meilleur des cas, les situations de manque de solidarité étaient toujours suivies d’une communautarisation des structures, et, en particulier, la communautarisation des domaines de la vie où précisément la solidarité faisait défaut en temps de crise. D’abord le charbon, puis le marché, puis l’argent. Quelle serait la prochaine étape aujourd’hui ?

Avec la communautarisation du charbon et de l’acier18, les biens nécessaires à la production de chars et d’équipements militaires ont été « communautarisés » et placés sous un contrôle et une administration communes. Plus aucun pays ne devait être en mesure de s’équiper seul pour faire la guerre. L’acte fondateur de l’actuelle UE, souvent invoqué avec emphase, nous fait penser qu’il ne s’agissait, pour Adenauer ou De Gasperi, que d’un prélude insignifiant aux traités de Rome, qu’ils ont finalement été autorisés à signer quelques années plus tard, en 1957. Les recherches historiques ont depuis longtemps révélé que ce n’était pas le cas. À cette époque, la communautarisation n’était possible que sous une grande pression politique, et on ne communautarisait que dans la limite du strict nécessaire, en faisant face, constamment, à de fortes oppositions19. Finalement, pourtant, ces politiques ont pu être mises en œuvre.

Une bonne vingtaine d’années plus tard, après les turbulences monétaires des années 1970, qui ont causé de grands dommages à toutes les économies européennes, l’idée de créer une monnaie européenne unique est apparue comme une « leçon » qui aurait été tirée de la douloureuse expérience de la concurrence monétaire en Europe. La désintégration du système de Bretton Woods au début des années 1970, à la suite du choc pétrolier, avait auparavant conduit les pays européens à être pris dans des spirales de dévaluation ou d’appréciation réciproques et inflationnistes, chaque dévaluation de la lire, par exemple, augmentant la valeur de la Deutsche Mark, ce qui augmentait la pression sur les prix et les salaires. Cette mise en place de la dépendance mutuelle – personne ne peut plus rien faire seul – a de nouveau conduit à l’institutionnalisation de la solidarité en Europe afin d’éviter à l’avenir les dommages causés par la concurrence monétaire des années 1970.

La réponse a été la communautarisation parallèle des marchés européens et des monnaies européennes. En 1986, l’idée du marché unique a été adoptée puis, en 1992, mise en pratique avec l’application de l’égalité des droits pour les marchandises. Tout produit (c’était alors le combat de la CJCE des années 1980) qui était légalement fabriqué dans un pays de l’UE devait pouvoir être vendu dans n’importe quel autre pays de l’UE. Pas de discrimination des marchandises en fonction de la nationalité, tel était le mot d’ordre. Là encore, que personne ne se leurre : il s’agissait en réalité d’une simple « bataille », les Allemands gardant pour eux la « meilleure bière », les Italiens les « meilleures pâtes », les Grecs le « meilleur fromage de brebis », les Français le champagne et le cognac ; tous souhaitant de plus interdire l’introduction dans leurs supermarchés de produits comparables en provenance d’autres États européens,  ou imaginant pratiquer des politiques restrictives pour limiter l’afflux de marchandises en fonction de leur pays d’origine. Les escarmouches des années 1980 étaient certes inoffensives face à ce à quoi nous avons affaire aujourd’hui – une véritable discrimination des citoyens selon leur nationalité pour l’accès aux lits d’hôpitaux et aux masques de protection20. Mais elles se sont révélées très instructives. En effet, aujourd’hui, le centre des préoccupations en Europe n’est plus l’égalité juridique des marchandises, mais bien l’égalité juridique complète des citoyens européens. Dans l’#EuropePostCorona, eux non plus ne doivent plus être discriminés en fonction de leur nationalité. Ce devrait être la leçon décisive de la crise actuelle !

Mais revenons d’abord à l’Histoire. Non seulement les biens européens sont devenus égaux devant la loi dans les années 1980, mais l’argent aussi. Un marché, une monnaie, était alors le mot d’ordre. Le « serpent monétaire » des années 1970 est d’abord devenu l’ECU sous Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, puis l’euro dans les années 1990 sous Jacques Delors, Helmut Kohl et François Mitterrand. Lesson learned ! Une fois de plus, l’Europe a tiré les « leçons » de l’Histoire, elle a donné une forme juridique à la concurrence qui régnait alors sur le marché et à la concurrence monétaire, ces dernières étant jusqu’alors préjudiciables au continent, et elle les a soumises à des règles et à un contrôle commun. 

Insistons sur un point  : ces mesures n’ont jamais été appliquées de gaieté de cœur, et ont toujours fait face à une forte résistance politique. Que ce soit la CECA, le marché unique ou l’euro : ceux qui pensent que ces communautarisations, ces formes antérieures de solidarité institutionnalisée en Europe, que nous avons pu expérimenter et dont nous avons pu profiter sans souci au cours des dernières décennies, sont tombées du ciel ou sont une sorte d’équipement de base européen gratuit, se trompent. Ce qu’on a oublié, c’est que les processus de communautarisation précédents, toutes ces mesures que nous célébrons aujourd’hui comme des réalisations européennes, étaient des victoires politiques majeures et ne se sont pas imposées immédiatement comme des évidences. De larges majorités – environ 80 % des Allemands par exemple – étaient alors opposées à l’introduction de l’euro dans toute l’Europe. Aujourd’hui, cependant, même les nationalistes ou les populistes les plus obstinés ne voudraient plus se passer de l’euro. L’affirmation politique de l’euro dans les années 1990 a ensuite été qualifiée par certains auteurs de « guerre », les enjeux de cette « guerre » portant sur les conditions régissant l’instauration de la solidarité européenne ainsi que sur l’identité des personnes physiques ou morales qui en supportent les coûts politiques21. Les « batailles  » politiques qui ont été menées dans ce contexte comprenaient, par exemple, la question du niveau des taux de change fixes, pour chaque pays entrant dans la zone euro, comme en vue d’un équilibrage des économies nationales. Il est bien connu que certains pays voulaient alors obtenir un petit avantage de départ lors du lancement de l’euro en obtenant un taux de change délibérément revu à la baisse. Bref, les différentes formes de communautarisation européenne que nous avons menées à bien en Europe ont toujours eu un prix. There is no free lunch : il va de soi que la solidarité européenne coûte de l’argent.

Ceux qui pensent que ces communautarisations, que nous avons pu expérimenter et dont nous avons pu profiter sans souci au cours des dernières décennies, sont tombées du ciel ou sont une sorte d’équipement de base européen gratuit, se trompent.

Ulrike Guérot

Ainsi, la question est toujours de savoir à quel moment se manifeste la disposition à payer le prix de la solidarité que l’on demande – et qui n’est pas simplement celui où l’on est dans une position de revendication de cette même solidarité. Le moment, donc, où la souffrance qui découle du manque de solidarité est si terrible, où ces images qui diffusent le manque de solidarité européenne sur toutes les chaînes de télévision deviennent si insupportables qu’un « espace de pensée utopique » peut à nouveau faire son apparition en Europe et que cela peut se traduire en politiques concrètes, par des traités. La question est de savoir si un tel moment s’offre maintenant « grâce » au coronavirus, et si les chefs d’État et de gouvernement actuellement en exercice feront des efforts pour utiliser ce moment en faveur de l’Europe. On peut surtout se demander si ce moment européen – si nous en vivons un – profitera cette fois aux citoyens européens, car ils ont été trop longtemps ignorés au cours de l’intégration européenne22.

Si les débats, lors des deux premières semaines de la propagation du virus en Europe, ont porté sur la question de la solidarité en matière de masques respiratoires et de lits d’hôpitaux et sur l’idée d’une structure européenne de santé et de gestion des pandémies23, le centre de la discussion sur la solidarité s’est depuis longtemps déplacé du secteur de la santé vers la sphère économique. « Coronabonds – oui ou non ? » – c’est cette question qui fait actuellement l’objet d’un vif débat. Seize économistes européens sont venus à la rencontre du public le 21 mars24 pour lui faire part de cette proposition. Dans les jours qui ont suivi, cela a immédiatement conduit à la réouverture de la fracture Nord-Sud en Europe, qui s’était aggravée depuis la crise de l’euro. Le 24 mars, huit États, principalement du Sud de l’Europe, ont adressé une lettre ouverte au Conseil dans laquelle ils faisaient l’éloge des coronabonds25. Derrière le terme inquiétant de coronabonds – le terme « eurobonds » a de toute évidence été épuisé politiquement lors de la dernière crise, si bien que plus personne ne se risque plus à l’utiliser – se cache rien de moins que l’égalité des taux d’intérêt lorsqu’il s’agit de lever des obligations d’État pour financer les vertigineux programmes nationaux de sauvetage après la crise. Il est déjà clair que les pays du Sud de l’Europe risquent d’être étranglés par des taux d’intérêt élevés, alors que les obligations d’État allemandes pourraient payer des intérêts négatifs. Il est peu probable que l’euro. cette fois, puisse encore survivre. Le 27 mars, le Premier ministre portugais a déclaré que les coronabonds devaient être émis maintenant, sans quoi l’UE serait finie26. Un marché, une monnaie, maintenant les mêmes taux d’intérêt ? La communautarisation (partielle)27 des obligations serait une nouvelle institutionnalisation de la solidarité en Europe, la leçon de la crise actuelle. Mais, comme il y a dix ans, une résistance massive se fait déjà sentir, surtout en Allemagne, mais aussi dans toute l’« Europe du Nord ». Peter Altmeier, le ministre allemand de l’économie, a déjà évoqué un « débat fantôme »28.  La crise du coronavirus ne devrait pas, selon lui, être utilisée pour introduire une « mutualisation de la dette » par des moyens détournés. L’UE devrait certes être stabilisée, mais ne pas s’en retrouver modifiée structurellement. Si ce point de vue devait prévaloir, il briserait 70 ans d’apprentissage européen. En particulier en Allemagne, un pays qui, par sa taille et sa position centrale, est plus responsable du destin de l’Europe que tout autre : les historiens devront probablement se demander pourquoi l’Europe allemande, déjà déplorée par Stefan Zweig, a pu une nouvelle fois s’embraser si vivement au cours de la dernière décennie et pourquoi toute une classe politique semble avoir perdu le réflexe européen de l’ancienne République fédérale d’après la réunification. Il ne suffit pas de traverser la crise et de continuer comme avant ! Cette crise est donc véritablement le dernier test décisif pour la solidarité européenne, tant dans le secteur de la santé que dans le secteur économique. Si cela ne se produit pas, l’UE risque de se désintégrer29

L’UE devrait certes être stabilisée, mais ne pas s’en retrouver modifiée structurellement. Si ce point de vue devait prévaloir, il briserait 70 ans d’apprentissage européen.

Ulrike Guérot

Et nous ne parlons même pas d’une « capacité financière européenne », qui permettrait l’émergence progressive de l’unité fiscale – de facto un ministère européen des finances. Car nous aurons aussi une nouvelle discussion sur les biens collectifs qui ne peuvent pas être produits de manière privée. C’est là que réside, pour une nouvelle Europe, la véritable opportunité, celle de mettre ces biens publics, équitablement, à la disposition de tous ses citoyens. Sinon, en effet, nous courons le risque que certains pays puissent s’offrir plus de biens publics que d’autres et que les États de l’#EuropePostCorona se lancent alors dans une compétition effrénée, chacun s’efforçant de porter au mieux assistance à ses propres citoyens. L’européanisation des biens publics, dans une Res Publica Europae – qu’il soit question d’infrastructures, d’une assurance chômage ou d’un revenu de base européen – était un vaste débat académique bien avant le début de la pandémie30. À l’automne prochain, on découvrira les dommages économiques collatéraux du virus sur le continent européen. Il sera alors temps de faire connaître à un public plus large l’existence de ce débat, afin que ne l’emportent pas ceux qui, maintenant déjà, par exemple dans le Green New Deal, exigent la suppression – justifiée par la crise actuelle – de la réglementation,  c’est-à-dire exactement le contraire de cette idée d’une européanisation des biens publics. Faut-il beaucoup d’État ou peu d’État ? Autorise-t-on beaucoup ou peu de marché ? Et surtout : dans quelle mesure l’Europe sera-t-elle sociale après la crise du coronavirus ? Ce débat est actuellement en cours. Si l’Europe pouvait apporter à cette question une réponse unique, commune à tous les citoyens européens, elle y gagnerait beaucoup. Cela soulève de fait la question de la démocratisation de l’Europe31 et des éléments étatiques de l’Europe32, et on ne peut qu’espérer que l’Europe se penchera sur ce sujet dans le cadre de la « Conférence sur l’avenir de l’UE » (#CoFuE) promise par Ursula von der Leyen.

Car si nous voulons vivre dans une démocratie européenne post-coronavirus, cette démocratie  a une condition nécessaire, sinon suffisante : l’égalité des citoyens européens devant la loi. Cela s’applique aux masques respiratoires ainsi qu’au revenu de base ou aux intérêts. Les citoyens ne sont pas en compétition. Toute personne qui prend au sérieux le concept du citoyen européen doit exiger une citoyenneté européenne indépendante des composantes nationales. Et ils doivent le faire maintenant. La Cour de justice européenne vient de rendre un arrêt historique33  : les citoyens britanniques ne peuvent pas être déchus de leur citoyenneté européenne, quand bien même le Royaume-Uni quitte l’UE à la fin de l’année. On pourrait profiter du soixante-dixième anniversaire de la vieille dame qu’est l’UE pour introduire le principe général d’égalité politique pour tous les citoyens européens. Cela assurerait le respect, pour tous les citoyens, dans tous les domaines de la vie, de ce qui est déjà depuis longtemps garanti pour les biens et l’argent en Europe, à savoir l’égalité des droits. Nous deviendrions ainsi réellement et enfin des citoyens européens, et non plus des simples consommateurs ou travailleurs européens. En science politique, on appelle cela la « politisation de la citoyenneté européenne »34.  Une fois cette égalité assurée, il deviendra enfin possible, à la question « Sommes-nous des Citoyens de l’Europe ?  »35 posée par le philosophe français Étienne Balibar en 2003, de répondre clairement : Oui !

Si nous voulons vivre dans une démocratie européenne post-coronavirus, cette démocratie  a une condition nécessaire, sinon suffisante : l’égalité des citoyens européens devant la loi.

Ulrike Guérot

Les citoyens à qui on garantit l’égalité des droits établissent une république, selon la définition de Cicéron. Ce serait donc la naissance d’une République européenne. Ce serait aussi le moment d’une mémoire européenne commune – on se souviendrait de son histoire des idées politiques, de Platon et d’Aristote, de Kant et de Rousseau. Ce serait le moment de se souvenir que les gens ne sont régis ni par un marché ni par une monnaie, mais que les entités politiques ont toujours pour but d’organiser un bien commun, une res publica, et non de maximiser le profit. Pour conclure sur ce sujet : au Portugal, les 33 hôpitaux publics font face à 50 cliniques privées qui, en pleine crise du coronavirus, ont fermé jusqu’à nouvel ordre et licencié une grande partie de leur personnel, faute de patients non atteints par le coronavirus. Dans son dernier rapport, la cour des comptes portugaise s’est déjà plainte du fait que de nombreux traitements spéciaux et tests de laboratoire, qui ne peuvent maintenant plus être obtenus que par des moyens privés, coûtent beaucoup plus cher qu’avant la privatisation. Celle-ci a enrichi un petit nombre grâce à l’octroi de licences, mais cela a massivement pesé sur le contribuable et donc sur la collectivité. Si l’Europe sort indemne de cette crise, elle devra de toute urgence réfléchir aux fondements idéels, européens de son économie : l’économie du bien commun, l’aide sociale catholique, l’autorité locale, la coopérative, tout cela en fait partie. Un libéralisme perverti, pas vraiment36

Elle devra se souvenir que c’est le principe républicain qui est le principe constitutionnel supérieur37, et non le dévouement à un marché unique. Elle devra se souvenir qu’elle a toujours aspiré, selon les termes de la regrettée Agnès Heller, à « combiner républicanisme et universalisme  »38, et non à s’engager dans une course à la mondialisation par l’État-nation. Rarement, si l’on regarde les revues européennes, l’Europe aura-t-elle été plus proche de cette vision qu’à l’époque de la crise du coronavirus.  

Ainsi, au lieu de ne parler que de « communauté de la dette », on pourrait comprendre que le moment de la communauté de responsabilité est, au fond, le moment de la fondation d’un État. Pour paraphraser Max Weber : « La nation est une communauté émotionnelle dont l’expression adéquate serait un État propre, une communauté qui a normalement tendance à créer un tel État à partir d’elle-même.  »39 Il serait sans doute bon pour l’Europe de réentendre ces mots ces jours-ci. Cela créerait précisément l’espace utopique, propice à un nouveau départ, à une constitution dont l’Europe a si désespérément besoin et dont on a beaucoup parlé à l’approche des dernières élections européennes de mai 201940.  Il existe également des preuves qu’une majorité suffisante de citoyens européens y serait favorable41. Malheureusement, ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui ne le sont pas. Ce sont précisément eux qui manquent de prévoyance, de courage ou de volonté pour l’Europe – ou plutôt des trois à la fois. C’est là le véritable drame de l’Europe d’aujourd’hui : les citoyens européens semblent plus avancés que leurs représentants politiques ! Si l’Europe doit être reconstruite après cette crise, si elle veut avoir une nouvelle chance, elle devra être construite par les citoyens européens, et non par les chefs d’État ou de gouvernement. Et elle devra se rapprocher de ce que Jean Monnet a voulu dire un jour en disant : « L’Europe, cela ne veut pas dire « nous coalisons des États », mais « nous unissons des gens ».  » Le fait que nous ne soyons pas en mesure, actuellement, d’organiser une marche de solidarité de tous les Européens pour rendre hommage à l’Italie – et même que nous ne soyons pas autorisés à le faire – est peut-être la plus grande tragédie, car nous ne pouvons même pas envoyer ces signes symboliques de solidarité en ce moment !

Certains affirment aujourd’hui que rien, après la crise du coronavirus, ne devra changer en Europe et que les plans de sauvetage sont, par nature, temporaires ; certains affirment que la pandémie actuelle ne doit pas être un prétexte pour changer les choses en Europe de manière structurelle et permanente : ils sont de facto les fossoyeurs de l’Europe, un continent dont la grande force a été de savoir tirer des « leçons » de chaque moment important de son histoire. Espérons que l’Europe arrivera bientôt à se souvenir que, d’après Hannah Arendt, le but de la politique est toujours de défendre la liberté42, et non de garantir la sécurité !

Sources
  1. Wolfgang Schmale, 2017, European Solidarity : A Semantic History, dans : European Review of History/ Revue Européenne d’Histoire, 24:6, p. 854-873, surtout les illustrations p. 862-866
  2. Le Quotidien, 28 mars 2020
  3. Maximilian Steinbeis, https://verfassungsblog.de/sancta-corona-ora-pro-nobis-2/  du 27.3.2020
  4. Discours d’Emmanuel Macron,  https://www.youtube.com/watch?v=N5lcM0qA1XY
  5. Une base de données européenne concernant les lits de soins intensifs va maintenant être créée, cf. FAZ, 27.3.2020
  6. Avant que les hôpitaux du Bade-Wurtemberg n’ouvrent leurs portes aux patients d’Alsace, gravement touchée, ils étaient transportés par avion de Mulhouse à Marseille. Entre-temps, par exemple, les patients italiens sont également envoyés par avion en Saxe, où les lits ne sont pas encore entièrement occupés, où la « vague » est encore attendue.
  7. Entrée dans le blog par le correspondant du Handelsblatt Norbert Häring https://norberthaering.de/eurokrise/draghi-italien-corona/
  8. Alberto Alemanno, https://www.theguardian.com/world/2020/mar/26/europe-doesnt-have-to-be-so-helpless-in-this-crisis?CMP=share_btn_tw
  9. Aleida Assmann & J. Assmann, und C. Harmeier, Schrift und Gedächtnis : Beiträge zur Archäologie der literarischen Kommunikation, Munich 1983
  10. Theodor Adorno utilise l’expression ‚unsconscious memory‘ dans Dialectique négative [1966], Payot, Paris, 2003.
  11. Voir notamment les statistiques dans Yascha Mounk, Le peuple contre la démocratie, L’observatoire, Paris, 2018.
  12. Concernant la Hongrie, voir https://hungarianspectrum.org/2020/03/21/translation-of-draft-law-on-protecting-against-the-coronavirus/ 
  13. Peter  J. Verovšek, Memory and the Future of Europe, Manchester University Press, 2020
  14. La publication des quatres présidents : https://www.consilium.europa.eu/media/33785/131201.pdf
  15. Jürgen Habermas a parlé dans ce sens et à plusieurs reprises de fédéralisme exécutif européen.
  16. Notamment Adam Tooze, Crashed  : Comment une décennie de crise financière a changé le monde, Belles Lettres, Paris, 2018.
  17. Voir pour la Pologne : https://www.sueddeutsche.de/politik/polen-verfassung-praesidentschaftswahl-1.4861159
  18. Mais pas seulement : l’énergie nucléaire a également été placée sous le contrôle de la Communauté – une autorité commune – puisque la bombe atomique a également été une arme centrale pendant la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, l’utilisation civile de l’énergie nucléaire devait être contrôlée dans l’Europe de l’après-guerre et les abus devaient être évités.
  19. Alan Milward 1992. The European Rescue of Nation State, London Routledge
  20. La situation s’est quelque peu améliorée. Certains patients français ont maintenant été transférés dans des hôpitaux du Bade-Wurtemberg et certains patients d’Italie en Saxe. Il semble encore être une goutte d’eau dans l’océan. Mais ce qui est décisif, c’est que la solidarité européenne en matière de lits d’hôpitaux est de l’ordre de la générosité : elle n’est pas juridiquement contraignante. C’est précisément cette différence qui est en jeu.
  21. Pascal Riché, La Guerre des Sept Ans. Comment la France et l’Allemagne ont négocié l’Euro, Paris 1997
  22. Hartmut Kaelble, Der verkannten Bürger. Eine andere Geschichte der europäischen Integration, Frankfurt a. Main/ New York : Campus, 2019
  23. Alberto Alemanno, voir notamment la note 7.
  24. Peter Bofinger et alt., FAZ, 21 Mars 2020, https://zeitung.faz.net/faz/wirtschaft/2020-03-21/139231512034f9e1cd1211ce1871a646/?GEPC=s3
  25. Lettre ouverte des chefs d’État et de gouvernement de France, de Belgique, du Luxembourg, d’Espagne, d’Italie, de Grèce, de Slovénie et d’Irlande. Lien, voir aussi l’appel pour les obligations Corona sur www.Finanzwende.de
  26.  Politico, https://www.politico.eu/article/metherlands-try-to-calm-storm-over-repugnant-finance-ministers-comments/
  27. Il s’agit seulement de certaines parts en pourcentage par rapport au PIB par État.
  28. https://www.spiegel.de/wirtschaft/altmaier-lehnt-corona-bonds-ab-a-8f622a81-6573-41ac-b844-5662dd174692
  29. Michael Hüther, https://www.deutschlandfunk.de/eu-und-die-coronakrise-ein-lackmustest-fuer-europaeische.694.de.html?dram:article_id=473521
  30. Thilo Zimmermann, European Republicanism, London : Palgrave Macmillan, 2019 ;  voir aussi les différents travaux de Stefan Collignon ou de Richard Bellamy sur ce thème, par ex. A Republican Europa of States, Cambridge University Press 2019
  31. Thomas Piketty, Antoine Vauchez et. alt., Traité pour la Démocratisation de l’Europe, Paris 2017
  32. Pas de nouvelle question, d’ailleurs. Elle a déjà été posée et discutée dans la perspective du débat constitutionnel européen de 2003, par exemple dans Jean-Luc Ferry La Question de l’Etat Européen, Paris : Gallimard 2000 ; eine Übersicht über diese Debatte in Ulrike Guérot, Was ist die Nation ?, Göttingen : Steidl, 2019, S. 148-177
  33. CJUE, Affaire C-789/19, Walker c. Conseil, Arrêt du 7 février 2020
  34. Sandra Seubert, Shifting Boundaries of Membership : The politicisation of free movement as a challenge for EU citizenship, 15 décembre 2019, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/eulj.12346
  35. Etienne Balibar, Nous, citoyens d’Europe  ? Les frontières, l’État, le peuple, La Découverte, Paris, 2001.
  36. Vgl. Markus Gabriel :  https://www.uni-bonn.de/neues/201ewir-brauchen-eine-metaphysische-pandemie201c
  37. Karsten Nowrot, Das Republikprinzip als oberstes Verfassungsprinzip, Tübingen : Mohr-Siebeck 2014
  38. Elisabeth von Thadden, „Gück, was ist das ?“, Interview avec Agnès Heller in : ZEIT, 8 mai 2019
  39. Max Weber, Diskussionsreden auf dem zweiten Deutschen Soziologentag in Berlin 1912, in : Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Soziologie und Sozialpolitik, hrsg. von Marianne Weber, Tübingen 1988, S. 484-487
  40. Par exemple, la « Déclaration d’Amsterdam » du parti européen VOLT.
  41.  Ulrike Guérot, voir note 28.
  42. Hannah Arendt, La liberté d’être libre, Paris, Payot&Rivages, 2019.