Milan. Dans un article de la Harvard Business Review, les économistes Gary P. Pisano, Raffaella Sadun et Michele Zanini tirent un certain nombre d’enseignements de la crise italienne.1

Les biais cognitifs de confirmation et « l’effet Roselyne Bachelot »

Les biais cognitifs de confirmation vont nous pousser à chercher à confirmer autant que possible ce que nous souhaitons être vrai. L’effet Roselyne Bachelot est le phénomène consistant à prendre des mesures de sécurité ambitieuses dans un contexte d’incertitude, et, la situation n’évoluant finalement pas aussi mal qu’envisagé, à être raillé et accusé d’avoir surréagi. Entre la pénurie de masques qui touche actuellement la France et les millions de masques « finalement commandés pour rien » par Roselyne Bachelot face à la menace de la grippe H1N1 en 2009, il n’y a malheureusement pas vraiment de juste milieu et c’est toute la complexité des épidémies a progression exponentielle. Avant la phase de croissance exponentielle, les biais cognitifs de confirmation vont pousser à croire que celle-ci ne viendra jamais, à vouloir rassurer, et à ne surtout pas prendre de mesures qui pourraient entraîner par la suite un effet Roselyne Bachelot. C’est ce qui s’est passé auprès des leaders politiques italiens qui ont avant tout cherché à rassurer dans les premiers temps de l’épidémie, et ce malgré les cris d’alertes sur la potentielle catastrophe à venir par de nombreux scientifiques. Les poignées de mains échangées à Milan fin février par des politiciens italiens notables cherchant à rassurer l’économie apparaissant peut-être comme la meilleure illustration de ce biais et de cet effet, et le fait que l’un d’eux soit par la suite diagnostiqué positif au Covid-19, la meilleure illustration de ces dangers. 

Le besoin d’un plan d’action global multi focus annoncé en une seule fois 

En temps normal, le caractère progressif des mesures de restriction de mouvement prises en Italie et par la suite en France, est probablement le plus en phase avec le processus de décision et la reluctance à un renoncement aux libertés individuelles des systèmes démocratiques occidentaux. D’un point de vue politique, l’avantage de ce processus est que lorsque les pouvoirs publics ont fini par prendre des mesures fortes de confinement et de restriction des libertés individuelles, notamment de mouvement, ils n’ont pas fait face à la moindre opposition, et ont plutôt été accusés de sous-réagir plutôt que de sur réagir, ce qui, étant donné la puissance symbolique très forte de ces mesures, est très loin d’être anodin. D’un point de vue sanitaire, ces mesures se contentent de suivre l’évolution de l’épidémie plutôt que de la prévenir, et pire, contribuent parfois même indirectement à sa dissémination. En confinant peu à peu certaines zones et en faisant en creux comprendre que cela finira par s’étendre à tout le pays, on va parfois entraîner un exode conséquent, du Nord vers le Sud en Italie, de l’Ile de France vers « la Province » en France. Les zones d’ou partent ces exodes étant par définition touchées significativement par la maladie, ceux qui en partent emmènent le virus avec eux, parfois dans des zones où il n’était pas ou peu présent. Ainsi, quitte à donner l’impression de surréagir, le fait de prendre tôt des mesures de restriction de mouvement au niveau global semble crucial. De plus ces mesures doivent s’inscrire dans un contexte stratégique plus large et être incluses dans un plan d’action qui comprends des approches à différents niveaux. La stratégie de gestion des flux interhumains doit notamment s’accompagner d’une stratégie de tests de diagnostic et de dépistage, ainsi que d’une stratégie de réorganisation du système de santé, tout ceci reposant sur des mesures concrètes et précises annoncées simultanément.2 La stratégie doit être annoncée en une seule fois et de manière claire afin d’être facilement comprise, et les changements qu’elle entraîne assimilés par la population, et le plan d’action doit être comme la « guerre sanitaire » menée au virus, total. 

Apprendre à apprendre

De manière presque contradictoire avec le besoin évoqué précédemment d’agir vite et de façon nette, sans passer par un certain nombre d’étapes intermédiaires, se dégage également le besoin d’être en mesure d’observer presque en temps réel l’efficacité d’un certain nombre d’initiatives qui sont prises. La manière traditionnelle de considérer et d’évaluer les décisions et les choix politique doit être abandonnée ou tout du moins suspendue pour laisser place à un raisonnement plus scientifique. Ce qui fait qu’un scientifique publie volontiers que ses expériences n’ont pas fonctionné, c’est l’absence de crainte que cela donnera lieu à un procès en négligence et en incompétence, et lui coûtera par la suite. Et la publication de cette information est extrêmement précieuse pour le reste de la communauté car celle-ci sait maintenant ce qu’il ne faut pas faire. Dans le champ politique traditionnel, un aveu d’échec donnera automatiquement lieu à des attaques et à une utilisation par les oppositions lors de prochaines campagnes. Et cette peur d’avouer son échec de peur de représailles, a joué à bien des niveaux un rôle considérable dans la propagation de la pandémie. N’oublions pas qu’à l’origine de cette crise, la prise de conscience de l’existence d’un nouveau coronavirus particulièrement dangereux pour l’homme a été retardée par la peur des autorités locales de Wuhan et de la province du Hubei d’être sanctionnées par le pouvoir central si elles admettaient le moindre problème. Cette peur d’avouer un quelconque problème a poussé les autorités à faire taire ceux qui tentaient de tirer le signal d’alarme, et a ainsi permi au virus une propagation initiale qui l’ammènerait à toucher les cinq continents.3 L’adoption de plus de retenue et de recul dans la réaction à des aveux d’échecs de la part de pouvoirs publics permettrait un apport extrêmement précieux d’informations sur ce qui ne marche pas, et aux pouvoirs publics par la suite confrontés aux mêmes problématiques de faire des choix plus éclairés. 

Sources
  1. PISANO Gary P., SADUN Raffaella, ZANINI Michele, Lessons from Italy’s Response to Coronavirus, Harvard Business Review, 27 mars 2020
  2. BOSCO Federica, L’ex direttore sanitario dell’Asl di Bergamo spiega perché il virus è dilagato in Lombardia : « Commessi due errori », Sanità informazione, 24 mars 2020
  3. VERON Emmanuel, LINCOT Emmanuel, Covid-19  : l’offensive de Pékin pour sauver la face, Le Grand Continent, 24 mars 2020