Paris. La course contre la montre pour trouver un traitement contre SARS-Cov-2 pousse à la réalisation hâtée d’essais cliniques, quitte à écorcher quelque peu les principes de la méthode scientifique, dans le but de trouver même quelques signes qui pourraient faire naître l’espoir que la découverte, ou l’identification d’une substance déjà utilisée pour d’autres maladies comme potentiel traitement, est à portée de main.

Pourtant, le caractère exceptionnel de la situation n’exempte pas les chercheurs de certains devoirs, et ne les font pas échapper aux critiques du reste de la communauté scientifique s’ils venaient à ne pas les respecter. L’étude de Gautret et collègues1 n’a pas échappé à la règle, puisque la communication et la publicité qui ont suivi sa publication le 17 mars dernier ont donné lieu à une polémique au cours de laquelle des débats propres au monde scientifique se sont étalées sur la place publique comme rarement auparavant jusqu’à devenir un véritable débat de société. Là où hier, tout le monde ou presque avait un avis sur la réforme des retraites ou l’affaire Grégory, aujourd’hui tout le monde ou presque y va de son point de vue sur la chloroquine. Mais plus que l’étude elle-même, dont les résultats sont intéressants, ce sont les conclusions disportionnées qui en sont tirées qui font polémique.

1. Les limites de l’étude qui a initié la polémique

En cause : un échantillon très faible (26 patients dont seulement 20 ont été inclus dans les résultats), l’absence de bras contrôle randomisé (les patients contrôles ont été recrutés parmi ceux qui ont refusé le traitement ou dans d’autres centres) ou encore l’exclusion de certains patients pour cause d’effets indésirables (2 patients), de transfert en soins intensifs (3 patients), ou de mort (1 patient), ce qui a pu considérablement biaiser la sélection des patients restants vers un échantillon moins gravement atteint. Par ailleurs, les auteurs ont fait le choix de la détection du virus par test PCR (critère purement biologique) comme critère de jugement pour la réussite du traitement, ce qui limite assez considérablement les conclusions possibles concernant par exemple la disparition des symptômes (critère clinique). Or, l’association entre charge virale et sévérité clinique reste encore incertaine par rapport à ce que l’on sait actuellement du virus. A titre d’exemple du découplage qui existe parfois entre les critères biologiques et cliniques, un des patients de cette étude est décédé le lendemain du jour ou on a cessé de détecter le virus chez lui et où on a donc déclaré qu’il avait « biologiquement » éliminé le virus. 

Les auteurs concluent tout de même leur étude en affirmant que les résultats obtenus montraient « l’efficacité » de l’hydroxychloroquine dans la disparition de la charge virale et suggèrent « l’effet synergique » de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine, « ouvrant la voie à une stratégie internationale » pour combattre cette infection en temps réel. Leurs conclusions se basent sur une disparition totale de présence du virus par PCR 6 jours après début du traitement dans 100 % des cas (parmi les 20 non exclus), 70 % pour ceux traités sans azithromycine contre 12.5 % au sein du groupe contrôle (16 patients). Toutefois, le ton optimiste adopté par les auteurs ne doit pas faire oublier que ces données sont à interpréter avec une grande prudence et les conclusions à considérer comme préliminaires.

Les conclusions de l’étude de Gautret et al sont soutenues par deux études chinoises. Celle de Gao et collègues2, publiée la veille et réalisée in vitro, identifie le blocage de l’infection par Covid-19 grâce à la présence de chloroquine à de faibles concentrations, et recommande l’inclusion du traitement dans les directives de la Commission Nationale Santé chinoise. Pourtant, cette étude et l’avis d’un consortium d’experts de la province de Guangdong3 qui tirent des conclusions similaires se basent principalement sur l’effet antiviral de la molécule qui est déjà utilisée pour traiter plusieurs maladies (telles que le paludisme ou certaines maladies auto-immunes) ainsi que l’activité anti-SARS-CoV prouvée de la chloroquine au niveau cellulaire.

Afin de répondre aux critiques et soutenir leurs premières conclusions, les mêmes auteurs ont publié il y a deux jours une seconde étude du même traitement (hydroxychloroquine + azithromycine) avec un plus large échantillon de patients (80), et un plus grand nombre de critères. Les conclusions sont similaires : 93 % des tests par PCR reviennent négatifs à huit jours après début du traitement, et une amélioration clinique est constatée chez la totalité des patients sauf deux, avec une durée moyenne de séjour en maladies infectieuses de 4.6 jours. Parmi les 80 patients, 65 (81.3 %) ont pu être déchargés de l’unité, 15 % ont eu besoin d’assistance respiratoire, 3 patients sont allés en soins intensifs dont 2 pour lesquels la situation s’est améliorée.

Pourtant là encore, la limite principale est assez flagrante et reste la même : l’absence de bras contrôle, tout court cette fois-ci. Ainsi, comment déterminer si l’amélioration clinique constatée chez la plupart des patients est due à la prise de chloroquine ou si la tendance aurait été la même si ces patients n’avaient pas pris le traitement ? Aujourd’hui, on estime à entre 80 et 85 % la proportion de patients guérissant spontanément du Covid-194. Ou si elle n’est pas simplement boostée par un effet placebo, même si peu probable dans ce cas ? L’un des arguments des auteurs consiste à souligner la courte durée de séjour moyen dans le service des maladies infectieuses ; cependant, peu d’informations sont fournies quant à l’étape à laquelle les patients sont inclus dans l’étude, notamment depuis combien de temps ils présentent des symptômes ou quelle est leur sévérité. 

2. Quelle est la position des pouvoirs publics français sur le sujet ?

Le manque de preuves scientifiques a conduit le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) à publier la recommendation suivante concernant les recommandations thérapeutiques, le 23 mars 2020 : « en raison des très fortes réserves sur l’utilisation de l‘hydroxychloroquine liées au très faible niveau de preuve, tous les moyens nécessaires doivent être mobilisés pour la réalisation d’essai démonstratif. »

L’exécutif suit la même démarche, et préfère attendre que la base scientifique soit plus consistante5, malgré les recommandations pressantes de l’équipe du Prof. Didier Raoult, soutenue par un certain nombre de personnalités politiques, qui mobilisent l’argument principal d’absence de nocivité de la chloroquine, déjà utilisée comme traitement pour d’autres pathologies. Ces médicaments requièrent tout de même une certaine vigilance, l’hydroxychloroquine pouvant engendrer des hypoglycémies et troubles du rythme cardiaque sévères (allongement du QT) engageant le pronostic vital (cf AMM). L’intervalle Q-T représente le temps entre la contraction des ventricules cardiaques afin d’envoyer le sang dans tout le corps et leur relâchement. Un allongement de cet intervalle représente donc une perturbation du fonctionnement cardiaque. A titre d’exemple de cette nocivité, l’un des patients d’une étude française a dû cesser de prendre le traitement après 4 jours en raison de la forte perturbation de son rythme cardiaque. Pour le Gouvernement, les études sont pour l’instant insuffisantes par rapport à l’ampleur du risque et de la machine qui serait mise en route potentiellement pour une fausse alerte.

A l’international pourtant, de nombreux pays ont déjà adopté l’hydroxychloroquine comme traitement du Covid-19 ; un argument supplémentaire utilisé par le Pr. Raoult, qui a récemment partagé la carte suivante (non exhaustive) sur son compte Twitter6, pour soutenir son utilisation en France.

Carte usage de l'hydroxychloroquine et de la chloroquine monde Raoult covid-19 médecine de terrain gestion sanitaire crise pandémie France USA Dr

Il faut cependant noter que le gouvernement, de part les circonstances exceptionnelles, a autorisé les médecins à prescrire exceptionnellement (car en dehors du cadre habituel d’utilisation et en l’absence de la procédure habituelle d’autorisation) la chloroquine dans certains cas de Covid-19. Cette prescription peut se faire à leur appréciation, et en prenant bien en compte tous les critères de toxicité et d’incompatibilité éventuelle du patient avec le traitement. Il est donc possible pour les médecins de prescrire de la chloroquine en France pour traiter un cas de Covid-19 ; ce n’est pas un traitement de référence donné « par défaut » à tout patient atteint, mais une possibilité thérapeutique offerte aux médecins qui ont la possibilité de décider au cas par cas du traitement qu’ils souhaitent utiliser. 

3. Une nouvelle étude publiée il y a quelques jours contredit les premiers résultats

Dans un but de vérification des premiers résultats, la « reproductibilité » d’une étude étant l’un des critères fondamentaux de la méthode scientifique, Molina et collègues7 se sont penchés sur les résultats virologiques et cliniques de 11 patients hospitalisés après avoir été infectés par le Covid-19, dont la quasi-totalité présentaient de la fièvre et étaient sous assistance respiratoire. Les doses administrées aux patients sont exactement les mêmes que pour les deux études de Gautret et al (hydroxychloroquine 600 mg/jour pendant 10 jours et azithromycine 500 mg jour 1 and 250 mg jours 2 to 5).

Contrairement aux deux études menées par Gautret et al, la plupart des patients de Molina et al présentaient toujours un test par PCR positif à 5-6 jours après début du traitement (80 %, 95 % CI 49-94 %), ce qui signifie que la charge virale n’était indétectable que pour 20 % des patients à 6 jours. C’est ce résultat que les auteurs mettent principalement en opposition avec la première étude, pour laquelle l’équipe avait constaté des tests négatifs à 6 jours après début du traitement dans 70 % des cas.

Pourtant, si l’on regarde de plus près, la comparaison entre les deux études n’est pas si simple. Tout d’abord, Molina et al incluent les patients décédés (1 patient) ou transférés en soins intensifs (2 patients) et considèrent ces situations comme un échec du traitement, tandis que Gautret et al ont fait le choix d’exclure ces patients des résultats. Par ailleurs, il semble qu’un certain nombre de patients chez Gautret et al présentaient une forme peu sévère de la maladie (… patients asymptomatiques) tandis que la majorité des patients de Molina et al étaient déjà sous assistance respiratoire, et 8 sur 11 présentaient des comorbidités pour la plupart sévères (cancers, sida, obésité). Or, il est fort probable que l’efficacité de la chloroquine, si elle a effectivement un impact sur le virus, varie en fonction de la sévérité des symptômes et de l’avancement de la pathologie. Il est donc crucial que les études menées afin de déterminer si l’hydroxychoroquine en combinaison avec l’azithromycine serait un traitement adéquat et efficace soient réalisées sur une diversité de patients, dans la mesure du possible, en termes d’âge, de sévérité des symptômes, de comorbidités et d’avancement de la maladie. 

Enfin, l’étude publiée par Molina et al ne résout pas les critiques principales faites aux études de Gautret et al : 

  • L’absence de bras contrôle, qui devrait avoir, dans la mesure du possible également, une composition et une diversité similaires ;
  • La taille de l’échantillon, qui reste très minimale (seulement 11 patients, dont 8 ont des comorbidités graves donc potentiellement pas très représentatif de la population dans son ensemble).

Les conclusions de Molina et al sont toutefois elles aussi corroborées par d’autres études préliminaires, à l’image de celle menée par Chen et collègues8, bien que celle-ci porte sur l’hydroxychloroquine seule. Contrairement aux études citées plus tôt, cette étude est un essai contrôlé randomisé, c’est-à-dire que les participants se voient aléatoirement attribuer soit le bras de l’intervention (ici cela signifie qu’ils reçoivent un traitement à l’hydroxychloroquine pendant 5 jours), soit le bras contrôle (traitements habituels uniquement). Il n’est toutefois pas mentionné si le test est aveugle, c’est-à-dire si les patients sont au courant du bras qui leur a été attribué ou non. 7 jours après initiation du traitement, les auteurs se penchent comme pour les études précédentes sur la détection (ou non) du virus par prélèvement. Or, l’article rapporte des tests négatifs pour 13 cas sur 15 dans le groupe qui a reçu le traitement, mais également pour 14 cas sur 15 au sein du groupe contrôle. Ces résultats suggèrent donc que le traitement n’a pas eu d’effet significatif, qui se serait traduit par un plus grand nombre de tests négatifs chez les patients traités par rapport au groupe contrôle.

Reste maintenant à voir si le gouvernement va prendre position avec la publication de ces nouvelles études, ce qui semble peu probable étant donné que les limitations, exposées ci-avant, restent nombreuses. Il semble davantage probable que les pouvoirs publics attendent la publication de plusieurs études à plus large échantillons et randomisées, si les moyens et l’urgence de la situation le permettent, l’urgence de la situation ayant conduit un assez grand nombre d’équipes à se lancer dans l’étude de l’impact de l’hydroxychloroquine sur les patients atteints du Covid-199. De telles études présentant un niveau de preuve plus élevée seront sans aucun doute très déterminantes dans l’évolution de la position des décideurs politiques et de la potentielle adoption de la chloroquine comme traitement contre le Covid-19.

4. L’Azithromycine : injustement dans l’ombre de l’hydroxychloroquine ? 

D’après certains médecins généralistes sur le terrain, le traitement par Azithromycine seule serait efficace. L’Azithromycine, antibiotique associé à la chloroquine pendant une partie du traitement, fonctionne habituellement en bloquant la synthèse protéique des bactéries en inhibant de manière relativement spécifique la machinerie qui permet cette synthèse, les ribosomes. Les ribosomes bactériens sont différents des ribosomes humains, et l’azithromycine, comme de nombreux autres antibiotiques, bloque très préférentiellement le fonctionnement des ribosomes bactériens plutôt qu’humains, ce qui fait qu’en les utilisant on va affecter beaucoup les bactéries et très peu les cellules humaines. Par ailleurs l’azithromycine, comme les autres antibiotiques de sa famille, les macrolides, affecte le système immunitaire et possèdent des propriétés secondaires anti inflammatoires. Elle interfère avec un certain nombre de cellules immunitaires en les empêchant de mettre en place le processus inflammatoire. Cela explique son utilisation pour traiter des maladies inflammatoires chroniques telles que la polyarthrite rhumatoïde. Des études devront être menées sur l’efficacité de l’Azithromycine seule pour traiter le Covid-19 mais malgré le caractère contre intuitif de l’éventuelle efficacité d’antibiotiques sur des virus qui sont si différents des bactéries, ont peut ainsi y voir un rationnel biologique. Il est tout d’abord possible que l’azithromycine bloquant également la production de protéine, même si faiblement, dans les cellules humaines, et que les virus utilisant la machinerie de production de protéines des cellules humaines, l’azithromycine freine la production de leurs protéines par les virus. De plus, la gravité des symptômes étant dans un certain nombre de cas dû à un suremballement du système immunitaire finissant par attaquer et parfois noyer les poumons, on peut très facilement imaginer que les propriétés anti inflammatoires de l’azithromycine freine ce processus. On peut aussi très facilement imaginer que ce soit une combinaison de ces deux effets. Dans tous les cas, des études intégrant un bras « azithromycine seule » devront être menées pour clarifier le rôle respectif de ces différentes molécules. 

La saga continue.

Sources
  1. Gautret et al. (2020) Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID‐19 : results of an open‐label non‐randomized clinical trial. International Journal of Antimicrobial Agents – In Press 17 March 2020 – DOI 10.1016
  2. Gao J, Tian Z, Yang X. Breakthrough : Chloroquine phosphate has shown apparent efficacy in treatment of COVID-19 associated pneumonia in clinical studies, Biosci Trends, 19 février 2020
  3. Multicenter collaboration group of Department of Science and Technology of Guangdong Province and Health Commission of Guangdong Province for chloroquine in the treatment of novel coronavirus pneumonia, Expert consensus on chloroquine phosphate for the treatment of novel coronavirus pneumonia, Zhonghua Jie He He Hu Xi Za Zhi, 43 (3), pp. 185-188, 12 mars 2020
  4. PARKER Ceri, EISENBERG Ceri, ‘Over-reacting is better than non-reacting’ – academics around the world share thoughts on coronavirus, World Economic Forum, 12 mars 2020
  5. Masques, tests, confinement… Ce qu’il faut retenir de la conférence de presse du gouvernement sur l’épidémie de coronavirus, Franceinfo, 28 mars 2020
  6. RAOULT Didier, Tweet du 2 avril 2020
  7. Molina JM, Delaugerre C, Goff JL, Mela-Lima B, Ponscarme D,Goldwirt L, de Castro N, No Evidence of Rapid Antiviral Clearance or Clinical Benefit with theCombination of Hydroxychloroquine and Azithromycin in Patients with Severe COVID-19 Infection, Médecine et Maladies Infectieuses, 30 mars 2020
  8. Chen J, Liu D, Lui L, et al, A pilot study of hydroxychloroquine in treatment of patients with common coronavirus disease-19 COVID-19), Journal of Zhejiang University, 3 mars 2020
  9. Liste of 29 études pour Covid | Interventional Studies | Hydroxychloroquine, Clinical Trials.org, 5 avril 2020