Paris. L’heure est éminemment aux préoccupations médicales, à la lutte contre la propagation de l’épidémie, mais au vu de l’affolement des marchés ces derniers jours, avec des baisses en intraday historiques pour les places boursières européennes et étasuniennes, on sait déjà que les mois à venir apporteront un bilan sombre au niveau économique. Aux plans économique, politique et social, de nombreuses voix s’élèvent déjà pour pointer du doigt, discuter, accuser le néolibéralisme. Ces questions seront largement débattues dans les mois à venir : il est trop tôt pour le faire. Dans cet article, nous essaierons en revanche de dresser quelques faits, pris individuellement, sur la crise qui rôde autour de l’économie en général, et de l’aéronautique en particulier. Nous nous intéresserons ici au cas européen, en traitant du constructeur Airbus, ainsi que de ses sous-traitants (Thales, Safran …)1. Notons cependant que l’américain Boeing est lui aussi en grande difficulté : après les défaillances récentes du 737 MAX, les chaînes de production sont ralenties ou arrêtées du fait de la pandémie, et l’action a perdu 75 % de sa valeur.

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Suspension d’activité et pression sur les commandes

Le groupe Airbus a annoncé le 17 mars que ses usines seront fermées durant quatre jours.2 Ce laps de temps devrait permettre de désinfecter les outils de travail et de réorganiser les chaînes de production, de manière à respecter les règles de distanciation sociale. Avec des carnets de commandes pleins, boostés par le succès de la famille A320 NEO, ainsi que par la réussite depuis quelques années de l’A350 XWB, l’objectif de la firme reste de rouvrir rapidement, et d’assurer au mieux les commandes dans des délais compressés au maximum et dépendants d’une cadence de production élevée et sans interruption (la division géographique de la confection de l’appareil imposant une ponctualité accrue de chaque site de production). Les annonces du 20 mars sur une prolongation plus que probable du confinement, sans projection à court ou moyen terme concernant la trajectoire que va prendre la pandémie, vont tendre à renforcer l’incertitude quant à :

  • La réouverture (et selon quelles modalités) des chaînes de production ;
  • Le volume de commandes annulé, si la suspension du trafic aérien se prolonge.

Sur ce dernier point, Air France-KLM a annoncé ces derniers jours une suspension de 70 à 90 % des vols proposés par toutes ses filiales (Air France, KLM, Hop !, Transavia) durant les deux prochains mois. Lufthansa de son côté cloue 90 % de sa flotte au sol pendant au moins un mois. Easy-Jet, British Airways, et de très nombreuses compagnies à travers le monde se dirigent vers des ralentissements similaires. Les personnels d’Orly et de Roissy sont mis au chômage partiel dans 8 cas sur 10. L’IATA estime que les compagnies aériennes auront besoin de 200 milliards de dollars pour traverser la crise. Bruno Le Maire à d’ores et déjà annoncé que le gouvernement français soutiendrait les entreprises en difficulté, a fortiori – comme dans le cas d’Air France – quand il est présent au capital. Après avoir perdu près de 50 % de sa valeur en un mois, l’action Air France-KLM sur la place parisienne a eu un peu de répit depuis ces annonces.3

Une prolongation de la suspension des vols va obliger un certain nombre de compagnies à puiser dans leur trésorerie, ou à s’endetter dans un contexte d’incertitude pour les marchés et de faible confiance vis-à-vis des annonces de la Banque centrale européenne. Cette pression sur les finances des compagnies pourrait rallonger la liste des annulations de commandes et peser à terme sur les résultats du constructeur européen et sur ses sous-traitants qui organisent, comme firme-pivot4, toute la galaxie de petites entreprises sous-traitantes et parfois très dépendantes financièrement (la « fausse sous-traitance » 5) de la cadence de production.

Éléments de conclusion

La BCE offre un plan d’urgence avec 750 milliards de Quantitative Easing, les gouvernements européens se préparent à un éventuel plan de relance à l’échelle continentale, l’Italie, la France et l’Allemagne envisagent la nationalisation de leurs entreprises menacées de faillites. Dans ce contexte, Airbus ou Safran ne sont pas menacés, le « capitalisme d’ingénieur »6 européen sera soutenu par les États. De la même manière, Air France sera maintenue à flot.

C’est plutôt du côté des petites entreprises sous-traitantes ou des compagnies privées et de petites tailles qu’il faut s’inquiéter. Celles-ci constituent une partie du tissu productif et commercial, et participent à la dynamique concurrentielle sur le marché. Le risque est donc d’avoir un tissu économique endommagé, avec des capacités de productions réduites et une concentration sur le marché (des compagnies aériennes notamment, la construction aéronautique étant un oligopole naturel) loin de l’optimum concurrentiel qui permet d’élargir l’offre et de baisser les prix. La priorité actuelle demeure évidemment le soutien aux soignants et à la recherche médicale. Trop peu d’éléments sont en notre possession pour prédire la suite en termes économiques, mais une chose est sûre, le concept d’« État minimal » est sur la touche.

Perspectives  :

  • Entre 70 et 90 % des vols annulés en fonction des compagnies
  • Des risques d’annulation pour Airbus et des conséquences, encore non-mesurables, sur le réseau de sous-traitance
  • Des États européens en première ligne ; couplage de politiques budgétaires et monétaires pour calmer les marchés et relancer l’économie
Sources
  1. Communication Coronavirus (Covid-19), Safran, 19 mars 2020.
  2. Coronavirus : Airbus suspend sa prod. en France et en Espagne pendant 4 jours, Air&Cosmos, 17 mars 2020.
  3. Le brief éco, Transport aérien : joue-t-il vraiment sa survie face au coronavirus ?, Franceinfo, 20 mars 2020
  4. Sur ce sujet, lire : KECHIDI Med, TALBOT Damien, « Les mutations de l’industrie aéronautique civile française : concentration, externalisation et firme-pivot ». Entreprises et Histoire, Eska, 2014, Brève histoire, 2013/4 (73), pp.75-88
  5. MÉDA Dominique, Le Travail, chap. II : « Crise de l’emploi, transformations du travail ». PUF, Que sais-je ? 6e éd.
  6. COUTANT Hadrien, Un capitalisme d’ingénieurs. Construire un groupe aéronautique après une fusion, La Fabrique, 2018