L’Australie et la France ont historiquement entretenu une relation d’amitié profonde. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le lien, effectivement historique, entre l’Australie et la France ne cesse de se développer. Il remonte d’ailleurs à la Grande Guerre où nous avons, ensemble, posé les fondements de notre relation bilatérale. À cette époque, l’Australie était un jeune pays, fort de 5 millions d’habitants dont 400 000 se sont inscrits en tant que soldats volontaires pour lutter en Europe. 10 % de la population s’était donc volontairement inscrite dont 46 000 sont tombés sur le front occidental marquant profondément l’Australie. Ces pertes ont laissé des cicatrices et un traumatisme pour le pays. Les Australiens, luttant côte à côte avec les soldats français, ont eu un rôle capital dans la Grande Guerre. On se souvient notamment du général Monash qui a permis de remporter la bataille d’Amiens en quelques 93 minutes grâce à une nouvelle méthode d’attaque. Cet épisode constitue la pierre angulaire de la relation bilatérale entre la France et l’Australie.

Par ailleurs, nous avons connu, ces dernières années, un renforcement de notre relation impulsé par le contrat du siècle : le partenariat franco-australien portant sur la construction de 12 sous-marins en Australie. C’est, à ma connaissance, le plus grand contrat au monde en matière de défense, représentant 50 milliards de dollars australiens soit 34 milliards d’euros. Ce contrat deviendra la colonne vertébrale de notre relation bilatérale puisqu’il permettra un renforcement des échanges de technologie, d’ouvriers qualifiés et de main d’œuvre et d’investissement.

Ce contrat a permis à nos deux pays de se connaître et de se découvrir et reflète également notre relation sur le plan diplomatique. Cette notion est d’autant plus importante que le contrat s’inscrit dans une période compliquée pour la diplomatie internationale notamment au vu de l’affaiblissement progressif du multilatéralisme. L’Australie et la France ont d’ailleurs une vision commune et partagée sur le multilatéralisme et coopèrent de plus en plus pour le défendre. À cet égard, l’Australie a présidé la conférence No Money for Terror à Melbourne les 7 et 8 novembre 2019, conçue par le président Macron l’année dernière visant à mettre fin aux réseaux financiers irriguant les attentats terroristes.

La coopération diplomatique entre nos deux pays s’illustre aussi à travers l’ensemble des projets AFiniti (Australia-France Initiative) ; ce sont des projets concrets, fondés sur le droit international et visant à faire avancer la région de l’indo-pacifique sur divers sujets tels que le changement climatique ou la sécurité maritime. En 2018, j’ai accompagné le président Macron en Australie qui effectuait le premier déplacement autonome d’un président français sur le sol australien. C’était remarquable ! Ce déplacement s’inscrivant dans la première année du mandat présidentiel, a permis au président Macron de faire un discours sur notre région et sur l’axe indo-pacifique, lors duquel il a décliné sa vision pour approfondir la coopération entre nos deux pays et pour renforcer le système multilatéral. Finalement, nos relations bilatérales constituent de bonnes nouvelles dans un monde de plus en plus sous pression et témoignent d’un véritable réveil de la France en tant que voisin de l’Australie.

Depuis 2017, des négociations sur un accord de libre-échange ont commencé entre l’Union européenne (UE) et l’Australie. Pensez-vous que les tractations actuelles pourront aboutir vue la résistance de certains parlements nationaux et l’achoppement autour de la question des AOP ? Voyez-vous ce rapprochement Australie-UE d’un bon œil ?

L’accord de libre-échange entre l’UE, dont la France fait partie, et l’Australie reste une pièce manquante dans notre relation bilatérale avec la France. Il serait plus facile de mener à bien le contrat sur les sous-marins avec un accord de libre-échange étant donné que ses chapitres abordent des éléments tels que la libre circulation de la main d’œuvre et des travailleurs qualifiés, le transfert de technologie et de capitaux.

Par ailleurs, aux yeux des industriels français, l’Australie se positionne de plus en plus comme la plaque tournante en indo-pacifique des industriels français en Asie. Effectivement, nombre d’accords de libre-échange existent entre l’Australie et la Chine, la Corée du sud, le Japon et les pays de l’Asie du Sud, dont l’Indonésie permettant ainsi à un industriel français en Australie par exemple, d’accéder au marché de l’Asie du nord sans droit de douane. Si ce cadre donne une impulsion capitale aux économies de nos deux pays, je constate toutefois quotidiennement des blocages commerciaux entre nos deux pays sur les droits de douane, la non-conformité des règles et des standards.

Je suis conscient que l’Australie est considérée en France comme une puissance agricole qui peut être inquiétante. Pourtant, en réalité, notre économie est dominée par le secteur des services. En effet, le secteur agricole ne représente que 3 % de notre économie, et les exploitations agricoles australiennes alimentent surtout les marchés asiatiques. Il n’est donc pas possible que la France soit submergée par des produits agricoles australiens. Notons qu’il existe un déséquilibre important entre nos deux pays sur le plan agricole : avec 25 millions d’habitants, les exportations agricoles de l’Australie vers l’Europe sont inférieures à celles d’une Europe de 540 millions d’habitants vers l’Australie.

Pour un partenariat digne de notre confiance il faut que nous atteignons un équilibre juste : il n’est pas question d’inonder le marché français. J’aimerais aussi souligner que l’Australie partage les mêmes standards que la France et qu’elle a, par ailleurs, parmi les standards les plus élevés au monde.

Au-delà de la question commerciale, quels sont les enjeux d’intérêt réciproques, les intérêts convergents entre l’UE et l’Australie ?

Pour l’Australie, l’Europe est un défenseur absolument essentiel du système multilatéral. Les valeurs que nous partageons sont issues de l’Europe et de son histoire. Depuis 2000 ans, l’Europe a conçu les valeurs qui sont aujourd’hui les piliers de notre société : la liberté, l’égalité, et la solidarité. Nous partageons également une vision du monde  : celle de la démocratie qui vient compléter des coopérations fortes sur les plans sécuritaire et commercial.

L’Europe est un partenaire incontournable pour nous, d’autant plus lorsque le système dont je parlais subit une telle pression. Il est possible d’agir de manière unilatérale, mais ce n’est pas dans notre intérêt. Nous avons construit ce système depuis la Seconde Guerre mondiale afin de garantir la sécurité et la prospérité. Il est fondamental que la lutte pour ce système se poursuive. L’Europe, et notamment la France, est indispensable dans notre région en raison de notre géographie insulaire. Le rôle de l’UE est donc primordial tant, une nouvelle fois, pour la sécurité que pour la prospérité – c’est pourquoi nous restons un partenaire très fidèle à l’UE.

Comment se positionne le gouvernement australien par rapport à Washington, les liens entre les deux gouvernements ayant toujours été très forts, est-ce encore le cas avec D. Trump et le retour d’une forme de protectionnisme ? Quels sont les points de convergence et de divergence par rapport au gouvernement américain ?

Tout d’abord, j’aimerais faire un simple constat historique : au cours de la Seconde Guerre mondiale, ce sont les États-Unis qui nous sont venus en aide. Alors que nous avons dû retirer nos soldats pour défendre la patrie après la chute de Singapour, alors que nous étions quelque peu isolés, ce sont nos amis américains qui, d’une certaine manière, nous ont sauvé. Nous avons marqué l’année dernière 100 ans de coopération militaire les États-Unis – nous avons été côte à côte dans chaque campagne militaire depuis 100 ans.

Cet engagement commun reflète d’une part notre alliance formelle, et d’autre part nos intérêts partagés. Nos partenariats avec les États-Unis restent divers et profonds, tout comme nos relations avec l’administration du président Trump. Nous travaillons à renforcer l’interopérabilité de nos forces armées, et nous contribuons à la sécurité, la stabilité et la prospérité de la région indo-pacifique. Cela passe notamment par notre travail au sein d’organisations multilatérales telles que l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), auprès de laquelle j’ai été ambassadeur pendant 2 ans. Nous travaillons conjointement avec des partenaires comme les États-Unis pour imposer des sanctions à la Corée du nord par exemple. Et nous renforçons la coopération avec nos amis américains dans la région du Pacifique sud. C’est absolument vital pour nos intérêts que les États-Unis jouent un rôle moteur dans notre région tant pour faire la prospérité de la région que pour le respect de l’ordre international et de son caractère libéral.

Sur le plan environnemental, l’Australie reste fidèle à ses buts sous l’égide de l’Accord de paris. Nous nous sommes engagés à réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 26 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005. Concrètement, cela représente une réduction de 50 % des émissions par habitant, constituant ainsi l’un des objectifs étatiques les plus ambitieux. L’Australie, c’est 2 millions de foyers (un sur cinq) avec des panneaux solaires, permettant ainsi d’atteindre des niveaux d’investissement dans l’énergie verte parmi les plus élevés au monde par habitant. Nous allons atteindre le seuil de 24 % de notre électricité produite avec des énergies renouvelables, dépassant ainsi l’objectif de l’UE pour la même année. Notre continent reste, par ailleurs, très sensible aux enjeux environnementaux tels que les incendies particulièrement violents que nous avons connus cette année.

Quelle relation entretient l’Australie avec la Chine et comment s’organise-t-elle avec les enjeux autour de la mer de Chine méridionale et quels défis cela implique ?

L’Australie et la Chine partagent la même région, et nous avons un partenariat stratégique important. Pékin est notre premier partenaire économique  : nos exportations bilatérales dépassent 100 milliards d’euros. Alors que l’Australie est une source d’énergie et de ressources naturelles pour la Chine, la Chine, elle, est une source de produits manufacturiers pour l’Australie. Sur le plan touristique, nous accueillons plus d’un million de touristes chinois chaque année en Australie. Près de 200 000 chinois étudient dans nos universités australiennes, et sur une population de 25 millions de personnes nous avons près d’un million de citoyens d’origine chinoise. Nos deux pays sont de plus en plus interdépendants.

Sur le plan diplomatique, la Chine et l’Australie sont toutes deux membres des organisations multilatérales de la région telles que l’APEC et le Sommet de l’Asie orientale sur le plan sécuritaire. Toutefois, nous avons des systèmes politiques différents… à la différence de la Chine, l’Australie est un pays démocratique. Il est absolument naturel et normal que le progrès s’accompagne de différends de temps en temps. L’important réside dans le maintien continu d’un dialogue ouvert et franc entre nos deux pays permettant de trouver des solutions.

Quel rôle entend jouer l’Australie dans la zone Asie-Pacifique, et plus particulièrement dans le soutien au développement des îles du Pacifiques ?

L’Asie-Pacifique est notre arrière-cour : c’est chez nous. Cette région, dans laquelle résident 3 milliards de personnes, est la plus dynamique du monde économiquement. L’Australie a joué un rôle fondamental dans la création du système multilatéral dans cette région avec, notamment, la fondation de l’APEC par l’Australie il y a 25 ans, sa participation en tant que membre à part entière du Sommet de l’Asie orientale, et son rôle de partenaire de dialogue historique avec l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) depuis 40 ans.

Depuis des décennies, l’Australie bâtit les fondations d’une architecture émergente dans sa région de prédilection. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons si bien reçu le discours du président Macron en 2018 évoquant la possibilité pour la France, l’Australie, l’Inde et d’autres États de travailler étroitement à la défense du système multilatéral dans le but de protéger la région.

Comment le gouvernement de l’Australie gère-t-il la situation des détentions offshore des demandeurs d’asile ces dernières années et quelles conséquences cela a sur la relation avec la Papouasie Nouvelle Guinée ?

Tout d’abord, l’Australie est à la fois un pays construit par les migrations et à la fois un des pays les plus généreux et les plus accueillants chaque année. D’une part, 1 personne sur 4 est née à l’étranger et 1 personne sur 2 à un parent étranger. D’autre part, nous accueillons 160 000 migrants annuellement dont 18 500 réfugiés. C’est remarquable. L’Australie se retrouve parmi les 3 pays les plus importants dans les classements des Nations-Unies sur les réfugiés. Nous avons accueilli depuis la Seconde Guerre mondiale environ 900 000 réfugiés.

Il est vrai que nous avons connu un durcissement sur le plan de l’immigration à travers le renforcement de nos frontières maritimes. Il y a 10 ans, nous avons constaté une augmentation du nombre de bateaux tentant de rallier l’Australie, dans le cadre d’un trafic illégal d’êtres humains. Nous avons connu des tragédies aux large de nos côtes : la mort de centaines de personnes à cause de bateaux impropres aux conditions de circulation maritime. Aux yeux des Australiens, c’était inadmissible : il fallait mettre fin dès que possible à ces réseaux illégaux. 

Cette politique était très importante car en durcissant et en contrôlant davantage nos frontières maritimes, nous avons pu conserver le soutien du peuple australien pour des politiques plus généreuses en faveur de l’immigration formelle. À titre d’illustration, lors des dernières élections fédérales, les votes remportés par les partis d’extrême droite n’étaient que de l’ordre de 4 %. Nous avons ainsi trouvé le juste milieu entre le durcissement nécessaire des frontières maritimes et la générosité qu’incarnent nos politiques d’immigration.

En ce qui concerne les détentions off-shore, nous avons passé des accords avec des pays souverains de la région, des pays qui sont eux-mêmes membres de la convention des réfugiés sous l’égide des Nations-unies, des pays avec lesquels nous avons établis des dispositifs en adéquation avec notre propre droit. Nous avons mis sur pied des accords avec des pays tiers dont les États-Unis pour effectuer des échanges. Dans ce cadre, nous avons déjà envoyé environ 500 réfugiés aux États-Unis afin qu’ils puissent y construire une nouvelle vie.

Quelles sont les sources de doctrines australiennes ? Quels sont les espaces de débat stratégique (revue, think tank…) en Australie ?

L’Australie est l’une des plus anciennes démocraties au monde ; nous avons un débat politique très riche, parfois robuste d’ailleurs. L’Australie a joué un rôle dans la fondation des Nations-Unies, et le débat stratégique est un élément incontournable dans mon pays. Nous avons des think tanks, tel que le «  1.5 track dialogue  » qui implique des universitaires et représentants gouvernementaux français et australiens et auquel j’ai participé. A cela s’ajoutent d’autres institutions permettant de tisser des liens avec nos homologues en France  : l’échange entre nos deux pays est de plus en plus riche, et cela est nécessaire dans le monde actuel.