Bruxelles. Comme le rappelait l’OCDE dans une note pour la Réunion des ministres de l’Énergie du G20 du 20191, pour s’accomplir, la transition écologique de l’UE devra surmonter plusieurs obstacles parmi lesquels figurent les déficits en compétences et en capacités d’innovatiob ; le manque de concurrence entre les entreprises ; l’inégale acceptation publique des nouvelles technologies ; les carences en infrastructures ; et l’incohérence partielle des politiques de transition, illustrée par exemple par le cas des subventions aux combustibles fossiles qui entretiennent des modes de consommation non-durables, de l’incertitude politique, et des obstacles financiers au verdissement des économies. Le paquet « recherche et innovation » (R&I) du Green Deal entend réduire ces barrières à la transition européenne en définissant deux axes prioritaires : augmenter le soutien financier à l’innovation en matière de technologies durables ; renforcer l’infrastructure digitale et l’industrie de la donnée en Europe.

Soutien financier aux nouvelles technologies vertes. Sur le premier volet, la Commission confirme son attachement au programme-cadre R&I « Horizon Europe » qui représentera environ 100 milliards d’euros versés à la recherche scientifique entre 2021 et 2027 : le Green Deal prévoit qu’au moins 35 % de ce budget sera alloué au « financement de nouvelles solutions pour le climat ». La structure du comité de suivi des projets soutenus par Horizon Europe reflètera directement le Deal, étant donné que quatre des cinq Aires de Mission en cibleront explicitement les objectifs — en particulier « Villes neutres et intelligentes », « Océans, mers, et eaux côtières et intérieures durables », et « Adaptation au changement climatique tenant compte de l’évolution sociétale ». Horizon Europe aura comme priorité d’établir des partenariats avec les industriels et les États membres pour la R&I dans le bâtiment, la bio-économie circulaire, et les solutions de mobilité (en particulier les batteries, l’hydrogène propre, et la sidérurgie à faibles émissions de carbone).

D’autre part, un nouveau “Conseil européen de l’innovation” viendra quant à lui renforcer drastiquement le soutien apporté aux PME et startups européennes les plus innovantes en matière de technologies vertes, avec l’objectif implicite de structurer une dynamique de filière au sein de l’Union tout en développant une véritable stratégie d’exportation extra-européennes de technologies propres. Selon des précisions émises par le Comité économique et social européen en 2018, ce Conseil européen de l’innovation devra permettre “d’identifier et de financer les innovations à haut risque qui évoluent rapidement présentant un potentiel élevé de création de marchés entièrement nouveaux” et d’offrir “une aide directe aux innovateurs par le biais de deux principaux instruments de financement, l’un pour les premières phases et l’autre pour le développement et le déploiement sur le marché, ce qui viendra compléter les activités de l’Institut européen d’innovation et de technologie”.

Il est cependant possible de s’interroger sur l’absence d’une planification à plus long terme de la stratégie R&I de la Commission, dont la vision semble limitée à l’échéance du programme Horizon Europe en 2027 tandis que les décennies 2030 et 2040 — où plusieurs points de bascule de la transition énergétique mondiale, tels que le pic pétrolier, seront atteints — ne font pas l’objet d’une feuille de route claire en matière d’innovation durable.

Des dépenses de R&D hétérogènes entre pays de l'Union en pourcentage de PIB

Infrastructure digitale et data. Le Green Deal reste évasif sur le volet du (re)déploiement spatial de l’infrastructure digitale en Europe ; sur les financements qui y seront alloués ; et sur les modalités concrètes de sa contribution à la transition écologique.

En effet, si la Commission met bien l’accent sur la nécessité de renforcer en parallèle — et de connecter — infrastructure numérique et intelligence artificielle, elle n’esquisse qu’une des applications possibles en mentionnant un futur modèle informatique pan-européen de « prévision et de gestion des catastrophes naturelles ». Cette focalisation sur l’environnement éclipse néanmoins la richesse instrumentale potentielle des solutions digitales pour une gouvernance durable en Europe. Par exemple, le Green Deal ne prévoit pas explicitement d’améliorer l’actualisation ou la résolution des données géographiques européennes, pourtant indispensables au suivi de critères de durabilité à l’échelle du continent européen comme l’artificialisation des sols ou la progression du bâti. Les programmes actuels, à l’exemple de la base d’information spatiale Corine Land Cover, souffrent pourtant d’un déficit de financement chronique qui amoindrit la fiabilité de la donnée et l’empêche de soutenir l’émergence d’une gouvernance durable des territoires, comme le souhaite pourtant le Deal.

Enfin, les applications de l’intelligence artificielle et de l’innovation digitale à l’optimisation des réseaux de services et de transport vers davantage d’efficacité fonctionnelle, de sobriété énergétique, et de neutralité carbone ne sont pas mentionnées explicitement. S’attaquer à ce sujet permettrait pourtant de débloquer un potentiel d’amélioration non négligeable en termes de fluidité, de distribution spatiale et de sûreté des mobilités individuelles et commerciales, tout en rendant possible leur suivi harmonisé et systématique par les institutions de gouvernance. En la matière, le Service de recherche du Parlement européen (EPRS) publiait récemment une très bonne synthèse2 soulignant les vastes progrès encore à accomplir du côté de la digitalisation des infrastructures et du fret portuaires, ferroviaires, et aériens. Jusqu’ici, en termes de R&I, la Commission européenne s’est en effet surtout concentrée sur le financement de la recherche sur les véhicules individuels autonomes et leur déploiement au sein de l’Union. Par exemple, la résolution 2018 de la Commission intitulée ”Sur la voie de la mobilité automatisée : Une stratégie européenne pour la mobilité du futur”3 exprime la volonté de l’UE de poursuivre l’application des technologies d’IA dans les véhicules automatisés et connectés. Pour aller plus loin sur le nécessaire développement d’une gouvernance plus réticulaire des espaces, nous invitons à relire notre entretien avec Gabriel Dupuy4, dans lequel ce dernier plaide pour une approche plus systémique et intégrée des dynamiques territoriales européennes.

Perspectives :

  • Juillet-Septembre : Renouveau de la stratégie de finance durable de l’UE, processus dont la R&I sera un des dossiers phares
  • 31 Décembre : Clôture du programme européen actuel pour la R&D, “Horizon 2020” (2014-2020), appelant de fait la finalisation des objectifs et de la planification budgétaire de son successeur, “Horizon Europe”, avant la fin de cette année.