Berlin. « Que l’Afrique parle d’une seule voix » était l’appel du ministre des affaires étrangères de la République du Congo, Jean-Claude Gakosso, en référence à la ligne à suivre pour une construction politique et institutionnelle de la Libye1. La conférence de Berlin sur ce sujet a jeté les bases d’un accord, à trouver dans le cadre d’autres réunions politiques (dont l’une est prévue à Genève à la fin du mois), mais une décision importante a déjà été prise : le contrôle strict de l’embargo sur les armes. À cela s’ajoute cependant une forte incertitude sur la volonté effective de Serraj et Haftar de mettre en œuvre un réel dialogue et les points de la réunion de Berlin2. Dans ce cadre, le rôle de la diplomatie multilatérale progresse, ainsi que sa capacité à définir des lignes compactes et unies : la déclaration du ministre congolais des affaires étrangères n’est pas une simple déclaration de façade, mais un rappel de ce sentiment d’unité que les événements de la guerre et la crise libyennes remettent en question au sein de l’Union africaine.

L’Union africaine était représentée à Berlin par le président de la Commission africaine, Moussa Faki Mahamat, le président de l’Égypte, Abdel Fatah Al-Sisi (en sa qualité de président sortant de l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement de l’Union) et le président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso (en sa qualité de président de la Commission de l’Union africaine sur la Libye)3. Pour l’UA, la priorité est certainement la préoccupation croissante que la crise libyenne représente pour ses voisins du sud (qui n’étaient aucunement représentés à Berlin) : les fondements de l’accord trouvé à Berlin doivent également être définis et confirmés pour le sud, dont la principale région, le Fezzan, a vu un rôle important des miliciens tchadiens et soudanais dans l’engloutissement des phénomènes de privatisation de la violence. La décision de Deby est dictée par la nécessité de concentrer ses forces sur le bassin du lac Tchad et la frontière sud-ouest.

Il est cependant difficile de définir quelle est la ligne de l’Union (qui reconnaît officiellement la légitimité de l’AGN de Sarraj) dans un événement, comme celui de Berlin, fortement eurocentrique. Le 30 janvier, une réunion sur la Libye est prévue à Brazzaville, en République du Congo, au cours de laquelle on comprendra mieux la position de la communauté continentale face à la crise libyenne, et comment elle entend procéder face à la perspective d’une force multilatérale d' »interposition » (4). De même, à partir du Congo, les choix en matière de surveillance contre les facteurs perturbateurs qui affectent le scénario libyen seront exposés. Lors d’une réunion au Caire en décembre 2019, les chefs d’état-major de l’UA ont souligné combien l’objectif « Faire taire les armes », défini par la Commission africaine comme un pilier de l’Agenda 2020, est difficile à mettre en œuvre, compte tenu également de l’obsolescence de la Convention de 1977 sur l’interdiction du mercenariat et de l’absence d’un système d’application efficace : dans ce cadre, l’efficacité de l’Union en matière de surveillance de l’embargo des Nations unies sur les armes en Libye peut être limitée, compte tenu également du rôle peu clair de certains acteurs régionaux4.

La ligne de l’Union africaine devra donc faire face au retard de certaines structures décisionnelles et sécuritaires, qui sont renforcées et soutenues par des politiques nationales individuelles, ainsi qu’aux intérêts contradictoires et au rôle peu clair de certains pays qui ont tendance à engloutir les réseaux de pouvoir parastataux, en particulier dans le sud de la Libye. L’absence de débat sur un envoyé de l’Union africaine pour la Libye ne contribue pas à définir la ligne de l’UE (2). A cela, il faut ajouter le poids historique et symbolique représenté par la Libye : dans les années 90, au plus fort de l’isolement diplomatique auquel la communauté internationale avait contraint Kadhafi, Tripoli s’est tournée vers la sphère africaine, en quête de légitimité. Cela a conduit à la réforme de l’OUA, et à la création de l’UA en 2002. Les relations avec la Libye, étant donné le passé récent des relations de l’Union avec Kadhafi, sont une question extrêmement sensible, que l’UA elle-même a consciemment cherché à ne pas traiter ouvertement. Mais aujourd’hui, l’actualité de la guerre et l’ingérence étrangère imposent une présence pressante.

Perspectives :

  • Février 2020 : Sommet annuel de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine à Addis-Abeba, où le successeur d’Al-Sisi est nommé au poste de président de l’organisation.
  • En ce qui concerne le débat sur la mission multilatérale en Libye, on ne peut pas parler de simple maintien de la paix. Sur la base surtout des dernières réalités en matière de missions multilatérales, en prenant comme référence la République démocratique du Congo ou la République centrafricaine, il existe une plus grande propension à des processus de renforcement des institutions et de construction de l’État, avec des contingents hybrides, tant en ce qui concerne les opérations que les pays contributeurs. Un cadre qui met l’ONU en accord avec les régionalismes concernés (UE, UA et Ligue arabe) serait souhaitable, mais les limites techniques et politiques des organisations basées à Bruxelles et à Addis-Abeba pourraient peser lourdement.