L’Ascension de Skywalker

Le dernier Star Wars est une somptueuse nekuia.

J. J. Abrams, L'Ascension de Skywalker, Lucasfilm, 2019

Saga des origines

S’il est vrai que chaque épisode de Star Wars est construit de la même façon, les épisodes « clôtures » ont toujours quelque chose en plus de particulier. Cette Ascension de Skywalker ne déroge pas à la règle.

La première surprise est scénaristique. Alors que la trilogie Disney complexifiait les intrigues pour y faire entrer le maximum de références aux précédents épisodes, la trame de ce dernier opus est d’une simplicité enfantine. Tout le film tourne autour de la quête d’identité de Rey. La place laissée aux intrigues et aux personnages annexes est mince. Le petit groupe d’amis constitué au cours de cette trilogie (Finn, Rey, Poe) et leurs fidèles compagnons (Chewbacca, R2, C3PO) reste globalement soudé. La meute avance compacte derrière l’héroïne à la recherche de sa véritable identité.

Cette quête se double, du moins pendant la première partie du film, de la recherche d’un lieu : la planète perdue d’Exegol. Une flotte du « Dernier Ordre » y sera bientôt opérationnelle et détruira toute forme de vie et de liberté sur la galaxie. Pour y avoir accès, les protagonistes doivent chercher une carte dont il n’existe que deux exemplaires dans la galaxie. Voilà le cadre posé. Le reste de l’aventure consistera pour Rey à retrouver et à affronter son identité, son patronyme, son histoire. Outre ses fidèles, un seul peut l’aider dans cette quête : Kylo Ren, alias Ben Solo, fils de Han Solo et de Leia, acquis au côté obscur et Leader suprême des forces du Premier Ordre. Lui seul sait « qui elle est vraiment » c’est-à-dire quelle est la source de son pouvoir et quel est son destin.

C’est à peu près tout ce qu’on peut attendre du dernier opus de la dernière trilogie. Pourtant, c’est déjà un petit tremblement de terre.

Radicalisation

Il plaît à certains de s’indigner de la fin de la mythologie créée par George Lucas. Ceux-là voient dans ces nouveaux épisodes des trahisons absolues aux valeurs et à l’esprit de Star Wars. Il faut leur répondre qu’au contraire, le mythe se radicalise. Dans L’Ascension de Skywalker, il n’y a, en quelque sorte, plus que du mythe, rien que du mythe. Nul à-côté, nulle succession d’événements et d’effets spéciaux qui risqueraient de mystifier ou de perdre le spectateur. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’une production hollywoodienne, le film repose davantage sur la répétition que sur la différence. La reprise de motifs, l’image du cycle – attendue en clôture de trilogie – est encore renforcée par le fait qu’on ne voit pratiquement que les mêmes personnages à chaque scène, sans naviguer d’un bout à l’autre de la galaxie en permanence – ou du moins en naviguant à moins haute fréquence que ce à quoi la saga nous a accoutumé.

Pour un blockbuster donc, la construction du scénario est plutôt audacieuse, puisqu’elle pourrait prendre le risque d’ennuyer le spectateur.

Il n’en est rien. La quête des origines permet à Rey de confronter Ben Solo/Kylo Ren, son double maléfique. Le film explore leur relation complexe et permet de passer un peu de temps sur la très riche personnalité de Ben/Kylo. Cette dimension psychologique explicitée, pratiquement ignorée de la trilogie originelle, rappelle toutefois les intermittences du cœur et de l’esprit du jeune adolescent Anakin, dans L’Attaque des clones.

Goodbye, boomer

La jeunesse est d’ailleurs un grand thème du film. La production de Star Wars IX s’inscrit bien dans la lignée des autres films contemporains utilisant la technique de youthification, comme le tout récent The Irishman. Carrie Fisher, décédée en 2016, tient ainsi un rôle d’importance dans L’Ascension de Skywalker.

Mais la jeunification est même utilisée à l’intérieur de la fiction puisque le méchant de cet épisode n’est autre que (petit spoiler) l’Empereur Palpatine ressuscité par le clonage. Son âge et sa lutte contre la mort étaient d’ailleurs un leitmotiv ancien de la série. À la fin de cet épisode, dans le combat final qui l’oppose à Rey, on a même l’occasion de le voir « rajeunir » à cause d’un phénomène étonnant de compensation d’énergie au sein de la Force.

Plus largement, la lutte générationnelle est à l’œuvre. Luke, Solo, Leia… tous les personnages principaux de la première trilogie sont omniprésents. Même Lando Calrissian fait son grand retour et reprend du service à bord du Faucon Millenium. Les combats – rêvés ou réels – de Rey et Kylo sont aussi des occasions d’exhumer et d’anéantir les monstres du passé : les voilà qui s’affrontent dans les ruines de l’Étoile de la Mort, écrasée sur une lune d’Endor à la suite de sa destruction dans l’épisode VI. Les voilà encore s’escrimant dans les quartiers du destroyer de Kylo Ren : un choc de sabres laser détruit au passage le piédestal sur lequel trônait le masque de Dark Vador. Lorsque les jeunes se battent, les vieillards souffrent, et les morts se retournent dans leurs tombes.

Finalement, en nous dévoilant la véritable identité de Rey, cet épisode est le point culminant d’une série qui avait enclenché un lent travail de revivification du mythe Jedi. La figure du maître est quasiment absente dans l’Ascension de Skywalker (Rey est l’apprentie de Leia, mais celle-ci n’est pas tout à fait une Jedi). Désormais, le pouvoir de Rey est de faire revivre ou réapparaître des figures oubliées, disparues. À l’instar du narrateur du Temps retrouvé, ou du poète qui rencontre Virgile dans la forêt obscure, Rey a bientôt accès au royaume des morts. Et elle y emmène avec elle tout l’univers de Star Wars.

« Tous les Jedi vivent en moi »

Ceux qui ont critiqué la disney-isation en se plaignant des «  résurrections  » et autres réapparitions fantastiques de personnages disparus dans les épisodes précédents ont la mémoire bien courte. Ce procédé était utilisé dès le tout premier épisode de la série – Obi Wan y mourrait pour ressusciter presque immédiatement. Le halo bleu qui entoure les revenants est aussi ancien que le sabre laser ou la force : la présence des défunts chez les vivants structure l’univers de Star Wars.

Dans un conte où les générations communiquent, il est d’ailleurs peu surprenant de voir les vivants et les morts interagir aussi facilement. Le choral des « voix Jedi » qui encouragent Rey à un moment décisif est d’ailleurs un hommage touchant ; des voix connues, dont un internaute attentif a même remarqué qu’elles étaient créditées au générique. Attaquer le film au motif qu’il laisserait trop de place au pathos en faisant revivre les défunts supposerait de faire ce reproche à tous les autres films de la série.

Ce que nous donne à voir le dernier Star Wars n’est au fond qu’une grande nekuia. On peut se réjouir que les producteurs aient mis l’accent sur cette dimension. La propension à la nekuia des héros existaient déjà, on l’a dit, dans les précédents épisodes. Chacun se souvient de la vision de Luke à la fin du Retour du Jedi : son père, Anakin, et ses deux maîtres, Obi Wan et Yoda, veillant sur lui, entourés de ce halo bleu qui signifie qu’un Jedi revient de l’au-delà. Mais elle était moins développée.

Lors de son combat final contre l’Empereur Palpatine, celui-ci dit à Rey qu’elle ne pourra pas le vaincre car « tous les Sith vivent en [lui] », ce à quoi elle répond qu’elle le vaincra précisément parce que « tous les Jedi vivent en [elle] ». On se souviendra de la première trilogie de « l’ère Disney » comme d’une machine à faire fonctionner le mythe de façon extrêmement classique. Les producteurs et les scénaristes auraient pu choisir de s’arrêter sur beaucoup d’autres éléments des épisodes précédents pour filer le tissu originel. Le fait qu’ils aient choisi la question générationnelle et la question de la transmission (qui était au centre de l’épisode précédent) reste leur pari le plus risqué, et probablement leur meilleur choix.

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