Bruxelles. Le 16 novembre dernier paraissait la « Proposal for a National Blueprint Framework to Monitor Progress on Water-Related Sustainable Development Goals in Europe », un article publié dans la revue SpringerLink1. Écrit par trois chercheurs du Sustainable Development Solutions Network des Nations Unies (SDSN) (B. Essex, S. H. A. Koop, C. J. Van Leeuwen), cet article propose un ensemble d’indicateurs visant à mesurer l’atteinte des objectifs des Nations Unies dans le domaine de l’eau. Parmi ces objectifs figurent l’accès à l’eau potable pour tous ou encore l’amélioration de sa qualité.2 

Créés en 2015 par les Nations Unies et approuvés par 193 pays, les 17 Objectifs de Développement Durable3 définissent les situations-cibles à atteindre d’ici 2030 en matière de lutte contre la pauvreté, de protection de l’environnement ou encore de développement économique, à la suite des Objectifs du Millénaire pour le Développement, précédente série d’objectifs étalés sur la période 2000-2015 et dont les résultats ont surtout été économiques. L’eau est soumise à des enjeux grandissants face aux diverses pressions environnementales : la raréfaction de la ressource et la pollution catalysent les tensions et mouvements de population inter- et intra-nationaux, comme dans les bassins de l’Euphrate ou du Nil). Or, la croissance de la population mondiale couplée au développement économique devrait fatalement entraîner une augmentation de la consommation d’eau potable. Plusieurs régions du monde font déjà face à un stress hydrique important comme au Maghreb, au Moyen-Orient,  en Asie centrale et en Inde. En effet, les précipitations diminuent dans les régions subtropicales à cause du changement climatique. En combinaison avec la pression grandissante des activités humaines sur l’eau, des pays comme l’Inde font face à une situation de stress hydrique extrême. L’ODD 6 vise donc à répondre aux défis liés à l’eau en fixant des objectifs relatifs à l’eau potable, l’efficacité de son utilisation, le degré de son traitement et le niveau de stress hydrique. 

Figure 1  : Présentation des différents objectifs de l’ODD 6 par les Nations Unies.

L’article du SDSN avance que les indicateurs de l’ODD 6 sont certes efficaces pour mesurer la progression vers les objectifs, mais qu’ils nécessitent des améliorations.

Selon les experts SDSN, les ODD dans leur ensemble disposent de moins d’indicateurs que les OMD pour la mesure du progrès des Etats. De plus, certaines cibles de l’Objectif 6 sont vagues, à l’instar de « l’Accès universel et équitable à de l’eau sûre et bon marché pour tous ». D’autre part, la méthodologie de construction des indicateurs soulève certains enjeux, comme des effets d’interdépendance, un indicateur ne progressant que si l’autre progresse, ou encore des effets d’annulation dans le cas d’objectifs contradictoires. Les ministères nationaux travaillant souvent séparément, chacun ayant leurs objectifs attitrés, les politiques linéaires qui en découlent peuvent créer ces effets indésirables. Par exemple, vouloir réduire la pauvreté (ODD 1) peut entraîner une augmentation non soutenable de la consommation d’eau si l’ODD 6 n’est pas pris en compte. Il est donc nécessaire de développer une approche systémique où les effets de la progression vers un ODD sur d’autres ODD sont intégrés. La comparaison des progrès effectués par chaque pays dans le domaine de l’eau n’est pas toujours pertinente du fait de la définition même des objectifs. Pour reprendre l’exemple de l’article du SDSN, un faible taux d’accès à l’eau potable peut s’expliquer par un stress hydrique ou par une eau contaminée. Les chercheurs soulignent donc l’importance d’identifier les raisons sous-jacentes à chaque mesure effectuée pour mieux orienter la gestion de l’eau par la suite.

Figure 2  : Décomposition de l’ODD 6 des Nations Unies en sous-indicateurs de suivi.

Un autre problème identifié dans l’article SDSN réside dans le mode d’évaluation des ODD. Il n’y a pas d’obligation à effectuer un contrôle de la progression vers ces derniers. Les États sont libres de poursuivre l’objectif de leur choix, ce qui peut favoriser le cherry-picking, c’est à dire de poursuivre en priorité les objectifs les plus simples à réaliser.

Enfin, les chercheurs du SDSN remarquent que certains indicateurs de suivi des ODD sont compliqués à documenter ou même à utiliser pour les décideurs politiques. Par exemple, la mesure de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE, IWRM en anglais) dans la sous-section n°5 de l’ODD 6 repose elle-même sur des indicateurs complexes et peu holistiques. Pour en diminuer la complexité, certains indicateurs sont parfois développés à l’échelle des unités urbaines, tel que le Blue City Index. Mais cela nécessite ensuite une harmonisation entre les indicateurs utilisés à des échelles différentes.

L’enjeu principal de l’article du SDSN est donc de concevoir un indice de la gestion de l’eau qui donne des résultats clairs et inclusifs sur le suivi des progrès européens par rapport à l’ODD 6. Les chercheurs du SDSN ont analysé les indicateurs du GIRE afin d’en extraire les plus pertinents et les intégrer à l’ODD 6. Ces derniers manquent notamment d’exhaustivité pour mesurer les moyens de mitigation du changement climatique, sur la qualité de l’eau et sur la récupération des nutriments dans l’eau. Ce dernier point s’inscrit dans la démarche de l’économie circulaire, un enjeu important pour l’Union Européenne et mis en valeur par le Green Deal4 . Un indicateur a donc été proposé à cet effet.

Le nouvel indice ainsi créé par le SDSN, le NBF (National Blueprint Framework), est appliqué à chaque pays de l’Union européenne afin de mesurer la progression de chacun vers le nouveau lot de cibles, basé sur l’ODD 6 et le GIRE. Vingt-quatre indicateurs sont proposés. Au regard de ces derniers, les pays de l’Union ont tous une bonne note dans l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. En revanche, il y a une très forte variabilité dans la note obtenue pour le traitement tertiaire des eaux usées. L’indicateur mesurant le traitement des déchets solides dans l’eau est également soumis à une grande variabilité.

Les chercheurs du SDSN appellent les Nations Unies à enrichir au plus vite l’ODD 6 avec des indicateurs complémentaires et encouragent les États à développer des politiques plus quantitatives en matière de gestion de l’eau. Selon eux, les objectifs doivent être plus clairement définis, chiffrés et conçus de façon SMART (Specific, Measurable, Achievable, Relevant and Time Bound, c’est à dire Précis, Mesurable, Réalisable, Pertinent et Borné dans le temps). Ainsi, l’indice NBF est présenté comme un bon moyen de répondre à ces enjeux puisqu’il est facile à intégrer dans les politiques, permet une flexibilité satisfaisante et repose sur des données disponibles dans l’Union. Cet article permet également de souligner les difficultés généralement rencontrées dans la mesure des performances socio-économiques, comme le manque de données et le manque d’objectifs quantitatifs. 

Figure 3  : Indicateurs et objectifs de l’indice NBF développé par B. Essex, S. H. A. Koop et C. J. Van Leeuwen du U.N. SDSN (tableau adapté et traduit à partir de l’article).

Perspectives  :

  • Les résultats obtenus sous l’indice NBF pourront encourager la coopération internationale afin d’effectuer des échanges de connaissances en matière de gestion de l’eau.
  • Il reste un travail conséquent à réaliser afin que le NBF soit applicable à des pays en dehors de l’OCDE où la disponibilité des données n’est pas la même.
  • Un développement d’autres indices palliatifs à l’ensemble des ODD, favorisant notamment les synergies et les objectifs chiffrés, devrait à l’avenir permettre un respect plus important de l’Agenda 2030 des Nations Unies.